mercredi 29 septembre 2010

Critique 166 : FORMERLY KNOWN AS THE JUSTICE LEAGUE, de Keith Giffen, Jean-Marc DeMatteis et Kevin Maguire

A la recherche d'une histoire de super-héros vraiment drôle ? Lisez donc ce Formerly Known As The Justice League, la suite de la série Justice League international,conçue dans les années 80 après le crossover Crisis On Infinite Earths.
Le premier mérite de cet album est de pouvoir être compris sans avoir lu la série qui l'a précédé, tout en donnant envie de la découvrir.
Son deuxième mérite est qu'il s'agit à la fois d'une parodie très drôle mais respectueuse de ses personnages et de leur univers.
Son troisième mérite est d'avoir été réalisé par l'équipe artistique originale, trois joyeux drilles dont la complicité est au diapason de leur talent.
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Cette nouvelle mini-série (qui sera suivie par I Can't Believe It's Not The Justice League, issue du titre JLA Classified) a été publiée en 2003 : l'équipe est rassemblée par l'affairiste Maxwell Lord et voulue comme "accessible au commun des mortels" (par opposition à la JLA, véritable panthéon toisant l'humanité). Le groupe est rebaptisé les "Super Buddies", référence au dessin animée Super-Friends produit par Hanna-Barbera dans les années 70, et se distingue par l'incapacité de ses membres à travailler correctement ensemble.
Keith Giffen, J.M. DeMatteis et Kevin Maguire avaient précédemment signé, en 1987, la série Justice League International. Le scénariste J. M. DeMatteis développa une version de la Justice League fondée sur ses sept membres iconiques (Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Martian Manhunter, Green Lantern, Aquaman) comme le fit plus tard Grant Morrison. Associé à Keith Giffen et Kevin Maguire, le projet devait cependant être réécrit en fonction des re-créations post COIE de Superman par John Byrne (Man of Steel), de Wonder Woman par George Perez, de Flash par Mike Baron et de Batman par Frank Miller (Batman : Year One). Denny O'Neil édita le titre, autorisant les auteurs à utiliser Batman (mais pas Superman, Wonder Woman, et Flash). DeMatteis et Giffen inclurent Dr Fate (dont ils écrivaient la série régulière) et l'éditeur Andy Helfer (en charge de Green Lantern) leur suggérèrent d'utiliser Guy .
La direction résolument comique était l'idée de Giffen et était la réponse évidente aux titres "grim'n'gritty" produits par Marvel à cette époque. C'était aussi l'occasion de redéfinir la caaractérisation de héros comme Gardner (un casse-cou abruti), Captain Marvel (un benêt), Booster Gold (un imbécile heureux et suffisant), ou Black Canary (une féministe pure et dure). L'équipe elle-même apparut dans la mini-série JLA : Légendes, de John Ostrander, Len Wein et John Byrne, en 1986.
Dans ces conditions, la conception d'une suite aussi tardive pouvait laisser dubitatif : les auteurs seraient-ils toujours aussi inspirés et, dans un DCverse sous le choc d'Identity Crisis, un tel projet avait-il encore un sens ? Si Nextwave a pu être imaginé chez Marvel à l'époque de Civil War, ma foi, pourquoi pas ?

Bienvenue donc chez les "super-buddies", la formation super-héroïque la plus improbable et la plus drôlatique du moment, qui compte dans ses rangs des seconds couteaux aussi fameux que le tandem Blue Beetle-Booster Gold, Mary Marvel, Elongated Man et son épouse Sue Dibny, la brésilienne Fire, Captain Atom. Tout ce joli monde est rassemblé par Maxwell Lord (ou plutôt son double cyborg) et le robot Ron-L pour devenir un groupe de super zéros de proximité, que les habitants du quartier où ils s'installent pourraient appeler à l'aide comme on demande à la police ou aux pompiers d'agir.
Quelques problèmes se posent toutefois : ces héros sont tous des crétins finis, peu ou pas ou plus habitués à travailler ensemble, dirigés par un incompétent encore supérieur, rejettés par leurs voisins, et devant faire face à des menaces les dépassant largement. La vraie Ligue de Justice les surveille, prête à intervenir (et, c'est inévitable, elle le fera), mais, bien qu'ils s'en doutent, cela ne va pas les arrêter.
Plus occupée à se châmailler entre eux (voire à s'entretuer) qu'à sauver le monde (ou alors sans le faire exprès), cette bande de losers magnifiques va d'abord vaincre la morosité...
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Entre les sagas épiques et les sombres drames qui ont agité le DCverse ces dernières années, Formerly Known as the Justice League procure un contraste aussi saisissant que bienvenu, l'archétype du comic-book qui ne se prend pas au sérieux.
Dès l'introduction, on est dans le ton : un Batman bien déglingué et dessiné à la manière de Sergio Aragones présente le groupe dont chacun des membres se décrit ensuite de façon décalé, entre dédain pour le chevalier noir, admiration béate, surprise, détachement, quand Fire ne lui fait pas des avances sexuelles très explicites.
Les séquences s'enchaînent rapidement : Lord recrute ses héros à louer, puis ils s'installent dans leur Q.G. minable tandis que Sue Dibny et Beatriz Da Costa/Fire passent le temps en notant le physique des garçons de l'équipe sur une échelle de 1 à 10. Très vite, ils doivent faire face à une bande d'étudiants de Harvard pourvus de pouvoirs et n'appréciant leur arrivée dans le quartier...
Ces scènes résument l'esprit potache de la série où le pathétique des personnages domine, comme lorsque Mary Marvel fuit Captain Atom, craignant pour sa santé, puis affole (sans le faire exprès) par sa plastique les mâles du groupe (déjà bien chauffés par la présence de la bien-nommée Fire).
On ne s'étonne pas dès lors de la facilité avec laquelle la malfaisante Roulette les kidnappe pour ses jeux du cirque modernes puis qu'ils soient dépassés par l'arrivée du potentat cosmique Manga Khan...
L'écriture de Giffen, qui excelle dans les situations burlesques, et les dialogues sarcastiques de DeMatteis font merveille dans cette parodie où, finalement, les scènes d'action sont dispensables.
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La plastiscité extraordinaire du dessin de Maguire sert au mieux le script : il n'a en effet pas d'égal pour traduire en images les mimiques des personnnages, leur donner une gestuelle minimale mais extrèmement juste.
La réussite de cette sitcom au pays des super-héros lui doit énormèment et son trait élégant et clair est superbement mis en valeur par l'encrage du vétéran Joe Rubinstein.
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Parce que c'est un exercice de style rare dans le registre super-héroïque et qu'il est parfaitement maîtrisé par une équipe créative à la complicité éprouvée, cet album est un vrai petit chef-d'oeuvre.

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