lundi 8 mars 2010

Critique 136 : AGENTS OF ATLAS, de Jeff Parker et Leonard Kirk


Agents of Atlas est une série limitée publiée en 2006-2007 par Marvel Comics. Le projet a ceci de particulier que le groupe de super-héros qu'il met en scène sont en vérité des personnages apparus dans de vieux comics datant des années 50, à l'époque où Marvel s'appelait encore Atlas Comics. Leurs débuts en tant qu'équipe (quoique dans une composition différente) remontent au numéro 9 de What if... ? (Juin 1978).
C'est à partir de l'idée originellement traitée dans ce fascicule que les actuels Agents of Atlas, ex-Secret Avengers, ont été réinventés par le scénariste Jeff Parker et le dessinateur Leonard Kirk.
Comme d'autres éditeurs, Marvel a donc eu l'idée de réintégrer à sa continuité des héros "au placard" depuis des dizaines d'années (même si on avait pu les revoir entretemps dans Avengers Forever, de Kurt Busiek, Roger Stern et Carlos Pacheco) : ce recueil regroupe les 6 numéros de la mini-série parue fin 2006-début 2007 et ramenant sur le devant de la scène des personnages comme l'espion Jimmy Woo, la déesse Venus, l'atlante Namora, l'extra-terrestre Marvel Boy, l'anthropoïde Gorilla Man et le robot M-11.
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Le récit démarre lorsque Jimmy Woo, un vétéran du SHIELD, lassé d'être cantonné à un travail de bureaucrate, attaque la base secrète d'une mystérieuse organisation avec un commando. Mais l'assaut aboutit à un massacre et le SHIELD récupère son corps gravement brûlé.
Prévenu de la situation, Ken Hale alias Gorilla Man vient au chevet de son ami et mène un raid imprévu pour récupérer le corps de Woo avec la complicité du robot M-11 et de l'alien Marvel Boy alias Bob Grayson.
Woo redevient grâce à une opération miraculeuse le jeune homme qu'il était dans les années 50 et décide de reprendre ses investigations en recomposant son équipe. C'est ainsi qu'il retrouve Venus puis Namora tout en découvrant les succursales, partout dans le monde, et dans des secteurs d'activité les plus variés, de l'organisation qui a tenté de le tuer.
Ce qu'il ignore, c'est son enquête est connue et suivie par son adversaire, qu'un agent double est présent dans le groupe, et que c'est son destin qui va se jouer dans cette partie d'échecs : il s'agit en effet moins d'un ennemi à abattre que d'une surprenante question de succession...
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Le premier atout, le plus immédiat en tout cas, de ce comic-book, ce sont ses dessins : signés Leonard Kirk, ils évoquent indéniablement ceux de Stuart Immonen, par le dynamisme du cadrage, l'expressivité des personnages, et l'efficacité du trait.
Le livre est attirant avec cet esthétisme qui respecte le côté rétro des héros tout en les mettant en scène de manière énergique, tout à fait moderne : Kirk réussit à transformer ce qui aurait pu être un handicap (utiliser des personnages de seconde zone aux looks désuets et décalés) en avantage (leurs apparences sortent du lot et leurs designs finement retravaillés les distinguent à la fois de ceux des icônes "Marveliennes" de l'univers classique ou de leurs versions plus "réalistes" de la gamme "Ultimate").
Leonard Kirk n'est pas un débutant - il a travaillé auparavant chez DC, avec Peter David sur la série Supergirl, ou Geoff Johns sur la JSA - mais son style a une vraie fraicheur et affiche une belle maîtrise comme le prouve sa faculté à représenter un grande variété de décors, d'ambiance et d'émotions.
Il est dommage qu'il ne soit resté que 6 épisodes sur le titre auquel il a donné une identité séduisante, mais plus encore cet artiste mériterait d'être placé sur une série exposée pour être reconnu du plus grand nombre.
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Une fois accroché par l'aspect purement visuel, ce qui finit d'embarquer le lecteur dans cette entreprise, ce sont la force du scénario et l'habilité de son auteur. Jeff Parker a su préserver le meilleur des deux époques réunies pour son intrigue : l'aura "naïve", presque primitive, propre à ses héros (re)surgissant des années 50, sans jamais les traiter comme des pantins dépassés, et un récit à la fois haletant, mystérieux et étonnant, dont les éléments sont parfaitement disposés pour que jamais le lecteur ne décroche.
La dynamique de groupe est en particulier magnifiquement soignée : chaque membre a un fort caractère, et leurs origines, parfaitement intégrés au déroulement de l'histoire, alimente l'ensemble avec une fluidité et un impact exemplaire.
Si brillants que soient de nombreux auteurs actuels, le souci qu'ils ont de donner un certain réalisme (bien qu'il faille employer ce terme avec du recul quand on parle de super-héros) se fait quelquefois au détriment d'un bon emploi de leurs pouvoirs.
Jeff Parker combine avec une facilité dignes des classiques le soin de la caractérisation et une utilisation ingénieuse des pouvoirs de ses Agents, en réservant à chacun son morceau de bravoure. Le cas de Venus est éloquent : capable d'influencer totalement les individus par sa voix et dôté d'un physique à la mesure de la Déesse dont elle a pris le nom, elle pourrait n'êtrre qu'un cliché ambulant. Mais ce personnage a gagné en relief et en ambiguïté, révélés lors d'une scène épique où ses camarades sont affectés par son pouvoir altéré par son état émotionnel.
Des figures aussi éculées et facilement sujettes à la parodie comme le singe intelligent ou l'homme robot profitent également de l'inventivité avec laquelle Parker les réécrit en jouant sur le tempérament "rentre-dedans" de l'un et impénétrable de l'autre.
Autres héros délicats à manier, l'extra-terrestre (en fait originaire de la Terre) comme Bob Grayson ou la princesse atlante Namora se révèlent passionnants : le premier possède une fêlure qui le rend attachant, la seconde une fougue altière digne de son prestigieux cousin (qu'on aimerait revoir aussi bien traité...).
Quant à Jimmy Woo, son déphasage profite pleinement à l'énigme qui sert de colonne vertébrale au récit : une autre idée lumineuse !
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Cet album est idéalement élaboré puisqu'en plus d'un arc complet et auto-suffisant, il contient deux autres parties exemplaires : d'abord, on a droit à une galerie de sketches magnifique, agrémentée de commentaires de l'éditeur et du scénariste (recueillis par http://www.comicbookresources.com/), et ensuite la réédition des épisodes originaux où sont apparus pour la première fois les personnages principaux (datant de 1947 à 1956 avec des dessins, entre autres, de Bill Everett et John Romita Sr), plus le fameux What If #9 de 1978.
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Avec ces postfaces à la fin de chaque épisode, Agents of Atlas ressemble à ce classique incontournable qu'est Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons : une sacrée référence pour un livre qui s'impose comme un des projets les plus récréatifs de Marvel.

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