jeudi 31 juillet 2014

TROP !

Chers lecteurs,

Avant d'écrire une nouvelle critique ou rédiger une nouvelle entrée, je voulais ici, présentement, faire, en quelque sorte, le point sur la situation de ce blog.

Avant toute autre chose, j'adresse mes remerciements à tous ceux qui me lisent et ceux qui se sont abonnés aux MYSTERY COMICS. A ce jour, c'est mon 593ème article, dont 486 critiques, et je ne croyais pas un jour arriver à ce chiffre astronomique. La tenue régulière d'un blog est une entreprise ardue, je ne me considère pas comme un expert mais je m'applique pour proposer des critiques bien construites, argumentées, sincères, en essayant d'être le plus varié possible dans la sélection des livres et revues.

Cependant, j'ai souvent privilégié les comics de super-héros et la bande dessinée américaine. Mais cela a évolué depuis quelques mois (depuis Mai dernier, pour être précis) car mon intérêt pour les super-héros en particulier a diminué.

Je vais vous épargner de longues explications sur ce phénomène d'érosion, mais un mot pourrait le résumer : trop - trop de séries, trop de sagas évènementielles (qui impactent trop de séries), trop de changements d'équipes artistiques, trop de scénaristes faisant référence à une continuité trop pensante (en tout cas pour moi), trop de sérieux dans les histoires, trop d'artistes inégaux...
Je n'arrive plus à suivre, à supporter ce mouvement quasi-permanent. J'ai besoin de faire un break.

Tout n'est pas noir non plus, et il existe des productions que je vais surveiller ou suivre dans les comics de super-héros. Mais je vais quand même freiner la cadence et même stopper net certaines lectures. Ce qui se passe en vo se répercute sur la vf, donc je vais zapper des périodiques et des albums parce que ce qu'ils contiennent n'arrivent plus à me passionner.


Sur les 49 dernières critiques que j'ai écrites, 45 concernaient des bandes dessinées sans super-héros. J'ai, après un long moment, achevé le run de Franquin sur Spirou et Fantasio, enchaîné avec celui de Tome et Janry, parlé de Blacksad, et encore actuellement, je reviens sur les aventures de Jérôme K. Jérôme Bloche. Quand je regarde la pile de livres qui m'attend ou les albums que je compte acheté, je reste très majoritairement dans ce registre franco-belge et non-super-héroïque.

Il est possible que le goût des super-héros me revienne, progressivement ou dans quelques mois. Je ne compte pas tout lâcher non plus : je reste attaché à Daredevil, le Hawkeye de Fraction et Aja touche à sa fin et j'irai au bout, par exemple. J'ai un Omnibus de Nexus par Mike Baron et Steve Rude qui attend d'être ouvert.

Mais j'ai déjà pris des décisions à effet immédiat. J'arrête donc d'acheter, jusqu'à nouvel ordre, des revues publiées par Panini ou Urban (à l'exception peut-être de quelques n° spéciaux) car dépenser 4,80 E ou 5,60 E pour ne lire qu'une quarantaine de pages finit par faire beaucoup d'argent pour pas grand-chose.

Il y a peu, en faisant quelques courses, j'ai fait l'acquisition d'un recueil du Journal de Spirou, un pavé de plus de 500 pages (l'équivalent d'une dizaine de n°), qui m'a permis pour un bon prix (14 E) de découvrir plein de séries, d'auteurs/artistes, de renouer avec certains titres. Et j'ai eu envie de me procurer désormais chaque Mercredi l'hebdomadaire dont le contenu correspond mieux à mes envies actuelles de lecture. J'en parlerai dans ce blog.

J'espère que vous tous qui lisez mes critiques, occasionnellement ou régulièrement, vous dont l'intérêt pour mes écrits m'étonne et me réjouit toujours autant, continuerez à me suivre dans ces nouvelles lectures, en acceptant l'évolution de ce blog. J'aime à penser que notre passion commune pour la bande dessinée, d'où qu'elle soit, quels qu'en soient ses héros et ses auteurs/artistes, continuera à nous lier, comme j'aime à penser que si je peux donner envie de lire tel ou tel livre, vous me donnez envie de tenir ce blog.   

lundi 28 juillet 2014

Critique 486 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 21 - DENI DE FUITE, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : DENI DE FUITE est le 21ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2009 par Dupuis.
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En rentrant chez lui tôt ce matin-là, Jérôme ne s'attend pas à la découverte qu'il va faire : il trouve en effet sur son palier la petite Caroline, fille de son voisin qui a mystérieusement disparu durant la nuit.
Confiant la petite à Mme Zelda, le détective contacte les grands-parents de la fillette puis déduit que le papa a dû s'absenter pour aller chercher du lait chez l'épicier du coin, Burhan. Celui-ci a passé également une mauvaise nuit car il a été témoin d'un accident devant son commerce : une voiture a renversé un de ses clients avant que le chauffard prenne la fuite. Jérôme montre alors une photo du père de Caroline à son ami et Burhan l'identifie comme la victime de l'accident.
Le soir, l'épicier téléphone au détective pour lui conseiller de regarder un sujet au journal télé consacré à un sculpteur, Théodore Boulba, l'homme que Burhan a vu percuter le papa de Caroline. 
Jérôme sait donc enfin par où entamer vraiment son enquête. Ce qu'il ignore : que Boulba est la proie d'un maître-chanteur au courant de l'accident, dont il n'a aucun souvenir car il était ivre après le vernissage de sa dernière expo, mais dont il a pris soin d'effacer les traces sur sa voiture. Mais la vérité n'est pas aussi simple...

Deux ans après le dyptique Un chien dans un jeu de quilles-Fin de contrat (tomes 19-20), Alain Dodier revient pour cette nouvelle aventure de Jérôme Bloche, dont la couverture de l'album brouille les pistes d'une intrigue jubilatoire.

J'ai pourtant entamé la (re)lecture de ce tome avec un brin de méfiance car la dernière fois que Dodier avait construit une de ses histoires autour d'un bambin, c'était pour le 10ème épisode (Un bébé en cavale) qui n'avait pas été une grande réussite.
Mais cette fois, l'auteur a autrement mieux ficelé son affaire et, comme il revient au format des 52 planches, aboutit à un de ses meilleurs récits. La majeure partie du scénario repose sur un malentendu qu'entretient habilement Dodier : il nous laisse croire à la culpabilité de Théodore Boulba, cet imposant sculpteur aux nerfs à vif, que tout accuse (sa voiture cabossée et à l'aile avant gauche éclaboussée de sang, son empressement à effacer les preuves, le chantage dont il fait l'objet, la cuite qu'il avait prise le soir du drame...). Le personnage est antipathique, et même quand le doute s'installe sur sa responsabilité (pages 40-41, donc quand le récit est déjà dans sa dernière ligne droite), il n'est pas innocenté non plus. Mais cette figure mémorable est une des plus puissantes qu'ait imaginée Dodier pour sa série, une des plus troubles, qui laisse le lecteur aussi confus que Jérôme. Et cette ambiguïté savamment dosée est un régal.
Avant cela, en utilisant une narration parallèle alimentant la tension, l'auteur réussit aussi très bien à traiter le cas de la petite Caroline, qu'il écrit sans tomber dans aucun piège d'un personnage d'enfant (en veillant par exemple à lui donner un langage conforme à son âge, des attitudes cohérentes et réalistes). Un élément étonnant vient s'ajouter à cette partie : Dodier donne ses traits au père de la fillette, ce qui interroge le lecteur (du moins celui qui connaît le visage de Dodier - mais ceux qui me lisent pourront le découvrir dans l'entrée que j'ai consacrée à ses dessins, juste après la critique 481) sur l'inspiration de ce récit...
Il réussit encore de formidables scènes de filature, en ayant recours à une mise en scène très simple mais où la valeur des plans et leur nombre par page (une dizaine en moyenne) démontre que ces scènes d'observation sont bien dosées (pour ne pas ralentir le rythme général) et pertinentes (elles contribuent à faire progresser le récit).
La galerie des seconds rôles est aussi exemplairement employée, avec le retour important de Mme Zelda, la présence de Babette, et surtout le rôle déterminant de Burhan. Mine de rien, tous ces personnages contribuent aussi au plaisir de lire cette série, dans laquelle on retrouve non seulement un héros attachant mais ceux qui l'entourent, une sorte de famille qui l'aide ou lui apporte des affaires.

Les dessins sont encore et toujours épatants. J'ai appris qu'à ses tout débuts Dodier exerça le métier de facteur pour s'assurer un salaire en attendant de vivre de son art, et j'y vois là une des explications à son talent d'observateur, si bien exploité quand il s'agit ensuite de situer ses histoires et de représenter les décors avec une telle minutie. Encore une fois, cette enquête conduit Jérôme dans plusieurs quartiers de la capitale et Dodier prouve qu'il dessine Paris merveilleusement.
Mais ce ne sont pas seulement les rues, les avenues, les bâtiments, les intérieurs (aux mobiliers toujours si bien choisis, comme en atteste la décoration chez Boulba, qui ressemble vraiment à la maison-atelier d'un sculpteur aisé), c'est aussi le talent pour les véhicules qui distingue Dodier : non content d'en placer abondamment dans ses scènes en extérieur (en variant les modèles), il sait aussi quand il le faut reproduire une voiture essentielle pour le récit, comme la superbe Aston Martin de Boulba.
Les personnages sont également illustrés avec brio : au fil des ans et des albums, le trait de Dodier a acquis une simplicité, une économie qui ne l'empêchent pas de soigner l'expressivité, les physionomies, les attitudes, la gestuelle. Il arrive aussi bien à capturer la silhouette massive de Boulba que celle de Caroline (une prouesse quand on sait à quel point il est délicat de bien dessiner un enfant). Jérôme a bien changé aussi depuis ses débuts où, encré grassement (comme Dodier a progressé sur ce plan !), il ne ressemblait pas à grand-chose puis a évolué vers une sorte de post-ado déguisé en détective privé de cinéma et maintenant en jeune homme entre deux âges (il avait 25 ans dans le tome 10, et on peut donc supposer qu'il approche doucement de la trentaine maintenant).

24 ans après sa création, la série se porte comme un charme, et à un mois de la sortie du tome 24, elle demeure à la fois une lecture toujours agréable et une oeuvre remarquablement réalisée.

dimanche 27 juillet 2014

Critique 485 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOMES 19 & 20 - UN CHIEN DANS UN JEU DE QUILLES & FIN DE CONTRAT, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : UN CHIEN DANS UN JEU DE QUILLES est le 19ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2006 par Dupuis.
Il s'agit de la première partie d'une histoire qui continue et s'achève au tome 20, Fin de contrat.
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Alors qu'il a passé la nuit avec Babette, chez elle, qu s'apprête à partir pour Mexico, Jérôme reçoit un appel téléphonique d'une jeune femme avec laquelle il prend rendez-vous au matin, à son bureau.
Ce qui va surprendre le détective, c'est que cette cliente a fait erreur sur la personne puisqu'elle souhaite louer les services de Jérôme non pour une enquête privée mais pour tuer son beau-père, qui les frappe, elle et sa mère ! 
Après l'avoir congédié, Jérôme est pris de remords et rongé par l'inquiétude car il sait le calvaire qu'endure la jeune femme mais aussi qu'elle va finir par prendre contact avec un vrai tueur. Convaincu qu'elle s'est trompée de numéro de téléphone, il épluche l'annuaire pour trouver celui qu'elle pensait atteindre et, après plusieurs tentatives, il tombe sur une cabine publique, l'endroit idéal pour correspondre avec un assassin.
Il se rend à l'adresse de la cabine et repère le tueur puis le prend en filature jusqu'à son domicile. Là, il se planque dans un café voisin et quand l'assassin présumé y entre à son tour, Jérôme en profite pour pénétrer dans son appartement et l'inspecter. Il y découvre une angoissante collection de reptiles et autres bestioles dangereuses. Le tueur rentre chez lui, mais Jérôme a juste le temps de se cacher, puis le malfrat ressort et la filature reprend.
Le tueur rejoint un bistrot en banlieue, là où travaille et vit sa cible...
 

JERÔME K. JERÔME BLOCHE : FIN DE CONTRAT est le 20ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2007 par Dupuis.
Il s'agit de la seconde partie de l'histoire commencée dans le tome 19, Un chien dans un jeu de quilles.

Jérôme a eu le temps de sauver le beau-père de la jeune fille maltraitée du tueur qu'elle a engagé. Son intervention les a convaincues, elle et sa mère, d'enfin porter plainte contre celui qui les brutalisait. Mais le détective n'est pas au bout de ses soucis car le tueur sait maintenant que Jérôme le connaît et il va s'employer à le supprimer.
C'est un adversaire expérimenté et pervers auquel a affaire notre héros qui n'est plus à l'abri nulle part, ni chez Babette - où il échappe de peu à la morsure d'un serpent lâché là -  ni chez lui - où il évite de justesse à des tirs de fusil depuis l'immeuble d'en face.
Jérôme obtient de la jeune femme l'adresse et le nom d'un propriétaire d'une casse qui lui avait donné les coordonnées du tueur afin de le contacter à son tour pour le piéger. Mais aussitôt après sa visite, le ferrailleur Max prévient l'assassin. La jeune femme appelle Jérôme pour lui expliquer que le tueur souhaite lui rendre son argent puisqu'il n'a pas rempli son contrat. Rendez-vous est donné à une cimenterie.
Le détective se rend au lieu dit, seul, le soir venu. Le tueur est déjà là, mais Jérôme réussira-t-il à le neutraliser ?

Après avoir augmenté la pagination de ses albums (de 46 à 52 pages), Alain Dodier revient au tome 19 au format traditionnel mais pour composer un nouveau diptyque, son deuxième après La comtesse-La lettre (tomes 15-16), soit une histoire de 92 pages.

Le tome 18 (Un petit coin de paradis) m'avait déçu, mais je gardai ma confiance en la série et son auteur car ils avaient toujours su rebondir. J'ai eu raison car Un chien dans un jeu de quilles et Fin de contrat forment un des meilleurs récits proposé par Dodier.

Le début est déjà très accrocheur avec ce malentendu où Jérôme est pris pour un tueur à gages par une jeune femme battue. Il entreprend alors son enquête à la fois pour sauver celle qu'il a renvoyée, furieux de cette méprise, mais aussi pour appréhender le vrai tueur qu'elle va retrouver. Tout fonctionne à merveille dans cette introduction, avec une situation originale, poignante et palpitante, des personnages bien campés, et le scénario se déploie en utilisant avec brio les seconds rôles de la série - le curé Arthur, l'épicier Burhan, Mme Rose, Mme Zelda. Même l'absence de Babette devient un ressort participant à la dynamique de l'intrigue.
Certaines séquences sont admirablement conçues, comme la filature du tueur par Jérôme qui va de la page 15 à la page 19, et 52 cases, dont pas moins de 50 muettes. Dodier parvient à traduire avec une économie de moyens mais une épatante intelligence dans le découpage toute la tension de ce passage, sa narration ne se départit jamais de sa coutumière simplicité mais il est impossible de décrocher.
Les enjeux dramatiques vont crescendo tout en ménageant des moments plus légers (comme lorsque Jérôme est légèrement enivré après avoir remonté le moral de sa cliente, puis qu'il est dégrisé en un éclair). 
Dodier utilise aussi un procédé de mise en scène très malin en ne montrant jamais précisément le tueur, qu'on voit le plus souvent de loin, jamais en gros plan. Cette silhouette mystérieuse, mais néanmoins identifiable, rend la menace encore plus efficace puisqu'on ne le voit jamais à l'oeuvre ni de manière rapprochée. L'imagination du lecteur tourne à plein régime sur la dangerosité réelle ou supposée de cet assassin professionnel. Et c'est ainsi que la dernière image du tome 19 nous laisse aussi sidéré que Jérôme.

La suite est plus qu'à la hauteur : Dodier accélère le rythme en concentrant son histoire sur l'affrontement entre Jérôme et le tueur. L'objet initial de l'intrigue (le beau-père violent) est rapidement écarté et réglé, mais cette fois le héros a compris qu'il était devenu la cible. 
Là encore, plusieurs scènes sont exemplairement exécutées : le serpent dans le lit (dont Jérôme se débarrasse avec certes efficacité mais de façon peu orthodoxe), la fusillade dans le bureau du détective (et la course qui s'ensuit pour Jérôme), jusqu'au clou du spectacle, si j'ose dire - le rendez-vous nocturne à la cimenterie. Là encore, Dodier privilégie le silence tout en veillant à une parfaite lisibilité et montée en puissance de la séquence. Les coups de théâtre se succèdent ensuite, mais si bien orchestrés, si intenses, si finement agrémentés de quelques répliques plus légères (où l'on constate qu'il ne fait pas bon utiliser son véhicule pour aider Jérôme)... C'est un vrai régal, et une belle leçon d'écriture.
Le sort réservé au tueur laisse même la porte ouverte à son retour (même si Dodier ne ressort qu'exceptionnellement des dossiers, préférant conserver à la série une accessibilité permanente pour de nouveaux lecteurs).

Visuellement, ces deux tomes donnent aussi à voir un des travaux les plus aboutis (si ce n'est le plus abouti) de Dodier comme dessinateur. 
La variété des décors est toujours spectaculaire et leur rendu saisissant : en remerciant le propriétaire d'une casse, par exemple, on comprend comment il réussit si bien à représenter celle de Max. La scène de la cimenterie est aussi sensationnelle, fruit d'un repérage minutieux, mais aussi de recherches sur les ombres et lumières, les silhouettes, d'une grande élégance.  
Quand il met en scène une filature, comme je le soulignai déjà plus haut, son découpage est vraiment épatant : il use de "gaufriers" entre 8 et 10 cases avec une fluidité impressionnante, et le soin toujours aussi minutieux qu'il met à reproduire les rues et ruelles de Paris sont dignes d'une visite guidée (ici dans le Xème arrondissement). Un autre "morceau de bravoure" se situe au moment où Jérôme est la cible de tirs de fusil dans son bureau : on le voit ramper jusque dans sa cuisine, revenir dans la première pièce après avoir, avec une paire de jumelles, localisé le tireur, descendre les escaliers de son immeuble, traverser une petite cour, atteindre l'immeuble voisin, monter à l'étage, surgir dans l'endroit où se trouvait le tireur (parti entretemps), revenir chez lui, y entendre des bruits suspects et surprendre Rose et Zelda faisant le ménage après s'être inquiétées du bruit - tout ça en 4 pages et une trentaine de plans.
C'est ce qui frappe peut-être le plus à ce stade de la série : la densité de la mise en page alliée à cette fluidité dans la lecture.
Le trait clair, rond, précis, de Dodier fait le reste, en traitant les personnages, récurrents ou épisodiques, avec la même attention, soignant l'expressivité de leurs visages comme celle de leurs attitudes. C'est très fort.

Retour gagnant donc, et doublement car l'ambition du récit et la maîtrise du résultat enthousiasment. Jérôme K. Jérôme Bloche est vraiment une sacrée série, réalisée par un sacré auteur, combinant le divertissement et le suspense, avec des histoires et des dessins imparables.  

jeudi 24 juillet 2014

Critique 484 : CARMEN, DE PROSPER MERIMEE, adapté par Frédéric Brrémaud et Denys Goulet


CARMEN, DE PROSPER MERIMEE est une adaptation en bande dessinée, écrite par Frédéric Brrémaud et dessinée par Denys Goulet, publiée en 2012 par Delcourt dans la collection "Ex-Libris".
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En 1830, un archéologue français traverse l'Andalousie et fait la rencontre de Don José Navarro, ancien brigadier devenu bandit de grand chemin. Qu'est-ce qui a débauché ce militaire ? Sa romance volcanique avec la belle gitane Carmen pour laquelle il a déserté, tué, est devenu contrebandier, avant de la poignarder dans un accès de jalousie - le dernier de ses crimes pour lequel il est condamné à mort.

Delcourt a entrepris dans sa collection "Ex-Libris" d'initier les lecteurs de bande dessinée aux grands classiques de la littérature classique : on en trouve pour tous les goûts, de Jack London (L'appel de la forêt) à Guy de Maupassant (Boule de suif) en passant par Voltaire (Candide), Edgar Allan Poe (Double assassinat dans la rue morgue), Robert Louis Stevenson (L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde ; L'île au trésor), Mary Shelley (Frankenstein), , Franz Kafka (La métamorphose), Honoré de Balzac (Le père Goriot), Mark Twain (Huckleberry Finn), Daniel Defoe (Robinson Crusoë), Jules Verne (Le tour du monde en 80 jours), Alexandre Dumas (Les 3 mousquetaires), Henry James (Le tour d'écrou) ou Molière (Tartuffe, Dom Juan).

Carmen est un choix plus inattendu car on connaît mieux finalement l'opéra qu'en ont tiré Bizet, Halévy et Meilhac en 1875 que la nouvelle de Prosper Mérimée, publié en 1845 et qui fut un échec d'édition. La personnalité même de Mérimée demeure méconnue et le résumé qu'en donne le 4ème de couverture m'a instruit à son sujet : fils d'artistes peintres, il étudia le piano et les langues étrangères, avant de se consacrer au Droit. Mais c'est la littérature qui l'accapare, d'abord comme traducteur (de Gogol ou Pouchkine), linguiste et philosophe. Ce romantique, ami de Stendhal, se distingue par sa production de nouvelles (comme le fut Carmen). Puis il sera inspecteur général des Monuments historiques et membre de l'Académie française. Il meurt en 1870 à 67 ans.

Frédéric Brrémaud (avec deux "r") respecte cette histoire exotique sur des marginaux dans une Espagne fantasmée est adaptée avec beaucoup de rythme et de malice, évitant de sur-dramatiser la romance contrariée et fatale entre Don José et Carmen, narrée au cours d'un long flashback après un prologue de 11 pages pour un album qui en compte 54.
Ceux, nombreux, qui ont entendu ou vu au moins des extraits de l'opéra de Bizet seront sans doute surpris de sourire en lisant ce récit avec des personnages dont le tempérament passionné les entraîne dans des rapines à la fois violentes et enlevées. C'est que le contraste est saisissant entre des airs célèbres comme "Si tu m'aimes, prends garde à toi" et l'absence de pathos dont Mérimée écrivait. Moins emphatique, l'histoire gagne en sympathie, même si on sait que cela finit mal.
Les caractères ombrageux de Don José et effronté de Carmen forment un mélange très tonique, que l'adaptation a su capter à merveille.

Le dessin du québecois Denys Goulet, qui a découvert sa passion pour la bande dessinée en lisant Franquin, participe aussi à la bonne humeur que dégage cet album : son trait vif évoque celui de Frantz Duchazeau (Les cinq conteurs de Bagdad, écrit par Fabien Vehlmann), et sa manière de représenter Carmen est irrésistible (on reconnaît bien là l'influence de Franquin tant son minois rappelle celui de Seccotine).
Bien que les décors ne soient pas sophistiqués, Goulet retranscrit bien les paysages andalous du XIXème siècle, avec ses villages, sa campagne aride, ses garnisons, où il met en scène de manière énergique les temps forts du récit.
C'est un artiste à suivre.

Cette collection mérite qu'on l'explore et je vais tâcher de m'y employer car certains écrivains que j'apprécie y figure, dont je suis curieux de voir comment et par qui ils ont été adaptés. C'est aussi un moyen agréable de (re)découvrir ces classiques de la littérature qu'on aborde parfois sans enthousiasme au collège et au lycée mais qu'on peut avoir envie d'explorer plus librement quand on n'a plus l'obligation de les apprendre.

mercredi 23 juillet 2014

LUMIERE SUR... YOANN

 YOANN

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

mardi 22 juillet 2014

Critique 483 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 43 - VITO LA DEVEINE, de Tome et Janry


SPIROU ET FANTASIO : VITO LA DEVEINE est le 43ème tome de la série, écrit par Tome et dessiné par Janry, publié en 1991 par Dupuis.
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Alors qu'il affronte une terrible tempête dans l'océan Pacifique à bord de leur voilier, Spirou doit aussi remonter le moral de Fantasio, au 36ème dessous après une brève romance avec Noa Noa, rencontrée à Papeete et qui lui a préféré un marin aventurier.
Le lendemain, la mer s'est calmée et les deux amis approchent d'un atoll où, aux jumelles, Spirou repère un naufragé. Ils vont le secourir mais ils ignorent qu'il s'agit en fait de Vito Cortizone (le mafiosi rencontré dans le tome 39, Spirou à New York), échoué là après le crash d'un hydravion piloté par Von Schnabel, qui l'aidait à transporter un mystérieux chargement.
Profitant qu'ils ne le reconnaissent pas (car il a maigri et sa barbe a poussé), Vito la déveine va convaincre Spirou et Fantasion de récupérer sa cargaison au fond des eaux du lagon et tenter de s'enfuir ensuite avec leur voilier...

Avec cette critique, j'achève mon passage en revue du run de Tome et Janry sur la série, soit 14 albums, certainement les plus inspirés depuis ceux de Franquin. Et je ne suis pas mécontent de terminer par un si bon opus.

Tome orchestre de savoureuses retrouvailles entre les deux héros et un des méchants les plus jubilatoires qu'il a intégré au titre, Vito Cortizone (qui reviendra encore dans les deux albums suivants - et que s'apprête à réutiliser Fabien Velhmann dans Spirou et Fantasio 54).
Mais avant cela, le scénariste installe son intrigue d'une manière déjà intéressante puisqu'on y voit un Fantasio très déprimé après une déconvenue amoureuse : la situation sentimentale du compère de Spirou a rarement été évoquée, et par extension on a pu s'interroger sur celle de Spirou lui-même (comme souvent dans les tandems masculins, certains n'ont pas manqué de prêter aux personnages une liaison homosexuelle. Pour ma part, j'avoue que cela ne m'intéresse pas dans la mesure où cela n'impacte pas l'intérêt de la lecture ou la caractérisation des héros. Il faut savoir ne pas trop psychanalyser la bande dessinée, comme si celle-ci recelait toujours des messages cachés.). 
Il n'empêche, assister au spectacle d'un Fantasio accablé alors qu'il est connu pour son tempérament volcanique est original et souligne du coup le caractère dynamique de Spirou, toujours prompt à lui remonter les bretelles (pour lui faire la leçon ou l'encourager). Cela écarte aussi un peu une de mes hypothèses favorites qui est que Fantasio en pince pour Seccotine (qui en pincerait aussi pour lui ? Ou pour Spirou ?... Ou aucun des deux...) car j'ai souvent vu dans leurs disputes nourries par leur rivalité professionnelle de reporters l'expression d'une secrète attirance...
A la fin de l'histoire, Tome renverse cet déprime en faisant douter Spirou, ce qui est également très marrant.

Pour le reste, donc, les retrouvailles avec Vito Cortizone tiennent toutes leurs promesses : entre la malchance qui poursuit le gangster et sa bêtise irrésistible, l'incroyable veine de Spirou et Fantasio (qui survivent aux tempêtes, requins, pièges, etc), on assiste à un flux tendu de péripéties évoquant des aventures antérieures (comme la plongée angoissante que fait Spirou, rappelant Le repaire de la murène, tome 9 ; Les hommes-bulles, tome 17 ; ou Les hommes grenouilles, tome 1).
Ce huis-clos à ciel ouvert réussit l'équilibre parfait entre la comédie (fournie par l'opposition entre les personnages) et le suspense (dans un cadre sauvage), le tout sur un rythme endiablé, riche en gags visuels.

Et visuellement, Janry produit un de ses meilleurs travaux : il a un authentique génie quand il s'agit d'animer ses personnages dans des décors exotiques (voyez comment il dévoile l'aspect de l'atoll, en forme de tête de mort). Avec la colorisation magnifique de Stéphane De Becker (qui aura été un partenaire précieux tout au long du run des deux auteurs), on est vraiment saisi par la beauté de l'environnement tout en étant captivé par les ambiances qu'il procure.
En matière d'atmosphère, la séquence précitée de la plongée de Spirou qui inspecte l'hydravion de Von Schnabel, outre qu'elle montre le talent de Janry pour représenter l'appareil et les fonds marins, est traitée avec un découpage formidable, où la variété des dimensions des cases et la densité de leur nombre (pouvant aller jusqu'à une quinzaine par pages) injecte une tension haletante.

Cet album, comme la grande majorité de ceux réalisés par Tome et Janry, permet une nouvelle fois de mesurer la qualité de leurs efforts, payants car grâce à eux Spirou et Fantasio ont vécu une période exceptionnelle. Merci, et bravo, messieurs !  

lundi 21 juillet 2014

Critique 482 : SPIROU ET FANTASIO, TOME 35 - QUI ARRÊTERA CYANURE ?, de Tome et Janry


SPIROU ET FANTASIO : QUI ARRÊTERA CYANURE ? est le 35ème tome de la série, écrit par Tome et dessiné par Janry, publié en 1985 par Dupuis.
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Fantasio ramène, mécontent, un appareil photo au magasin où il l'a acheté et exige d'être remboursé. Le directeur intervient et lui en offre un autre en échange.
Spirou découvre l'engin : il s'agit d'un robot qui prend effectivement des photos mais aussi s'enfuit aussitôt. Les deux héros et Spip le prennent en chasse jusqu'à ce qu'il leur échappe en montant dans un car partant pour Champignac-en-Cambrousse.
Le robot gagne la gare désaffectée de la bourgade où Spirou et Fantasio découvrent une jeune femme ligotée, un sac sur la tête. Libérée, elle leur fausse à son tour compagnie. Aussitôt après, Caténaire, l'ancien chef de gare, surgit, catastrophé et il explique pourquoi aux deux héros : ils viennent de libérer Cyanure, une androïde qu'il a créée et qui a développée un caractère très agressif contre les humains !

Les débuts du run de Tome et Janry (il s'agit de leur troisième album, après Virus et Aventure en Australie) sont, il faut bien le reconnaître, avec le recul, inégaux. Il faudra en vérité attendre les deux épisodes suivants (L'horloger de la comète et Le réveil du Z) pour que la série (re)décolle et aligne les réussites.

Qui arrêtera Cyanure ? n'est pas un bon opus : son point de départ a mal vieilli, comme toutes les histoires qui comportent trop de références à l'époque de leur conception. On y paie encore en francs, et le thème de la robotique (malveillante) renvoie à une période qui fait un peu ricaner les habitués des ordinateurs portables et autres tablettes et smartphones d'aujourd'hui.
Le scénario n'est d'ailleurs pas bien épais et se contente d'étirer sur 44 pages une course-poursuite contre cette fameuse Cyanure, dont la silhouette inspirée par Marilyn Monroe, mais au caractère sanguin, dispense des scènes d'action peu palpitantes. Le dénouement du récit est aussi vite expédié que son début (même si la toute dernière image laissait la porte ouverte à une suite, qui n'est jamais venue - Cyanure ayant sombré dans les limbes où finissent bien des personnages secondaires de la bande dessinée).
Même les dialogues, qui fourniront par la suite le piment des aventures de Spirou et Fantasio écrites par Tome, avec son goût des calembours bien connu, n'ont pas (pas encore) cette saveur humoristique qui accompagnait si bien le feu nourri des rebondissements et la caractérisation bien sentie de l'auteur.
C'est vite lu, certes, mais vite oublié aussi car tout simplement pas mémorable.

Au dessin, Janry maîtrise déjà bien les deux héros, et quelques figures familières comme le maire de Champignac, Duplumier, Dupilon. Mais Cyanure, qui a pourtant pour modèle une des actrices les plus attrayantes de l'histoire du 7ème art, n'est pas très aboutie : c'est en fait un curieux choix de l'avoir aussi nettement typée car cela n'ajoute rien au personnage et au récit, c'est juste une furie bien roulée, alors qu'elle aurait pu être encore plus dangereuse et intéressante en jouant sur son potentiel de séduction couplé à sa nature belliqueuse.
Le découpage est très nerveux, les compositions soignées, mais on sent bien que Janry ne tourne pas encore à plein régime : comme son scénariste, il semble encore en rodage, prêt à lâcher les chevaux, mais ne disposant pas de l'histoire qui le lui permet.

On peut zapper ce 35ème tome, même si connaître cette phase de l'apprentissage de Tome et Janry éclaire ensuite sur les épisodes autrement plus efficaces qu'ils signeront. 

vendredi 18 juillet 2014

LUMIERE SUR... DODIER

 ALAIN DODIER
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Jérôme K. Jérôme Bloche
 
 
 
 
 
Jérôme et sa fiancée, Babette
 





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Spirou et le scénariste Raoul Cauvin ont le même âge !

jeudi 17 juillet 2014

Critique 481 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 18 - UN PETIT COIN DE PARADIS, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : UN PETIT COIN DE PARADIS est le 18ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2005 par Dupuis.
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Jérôme accompagne Babette qui va rendre visite à une ancienne collègue hôtesse de l'air, Ingrid, venant juste de mettre au monde un enfant. Elle habite dans un coin reculé de province avec son compagnon Félix, qui vit sous le même toit que sa mère, une vieille femme qui cache un dramatique secret.
Cette situation heureuse va pourtant vite mal tourner car Félix apprend que l'enfant n'est pas le sien et Ingrid avoue à Babette qu'il est le fruit d'une liaison avec un berger italien, depuis reparti chez lui où il a fondé une famille.
Félix rompt d'abord et sa mère ne fait rien pour arranger les choses, insistant sur le fait qu'il ne peut plus vivre avec Ingrid et son bâtard. Jérôme et Babette se préparent à repartir en ramenant la jeune mère, qui ne croit pas non plus pouvoir revivre en couple, à Paris. Mais Félix se ravise et se réconcilie avec Ingrid. Cette décision réveille le côté le plus sombre de sa mère...

Après avoir produit pas moins de quatre albums entre 2000 et 2003, Alain Dodier a fait patienter ses fans deux ans pour livrer ce 18ème tome de la série. On peut estimer qu'il a ressenti le besoin (légitime) de souffler mais aussi que l'inspiration lui est venue avec plus de difficulté si on considère qu'il remercie plusieurs personnes au début de l'épisode, parmi lesquels son ancien scénariste Pierre Makyo mais aussi des collègues comme le dessinateur Félix Meynet (la série Les Eternels, écrite par Yann).

Il faut d'ailleurs bien avouer que ce Petit coin de paradis n'est pas un très bon cru. Comme La marionnette, il s'agit à nouveau d'une histoire en 54 pages mais qui n'a pas le même niveau : au fil de sa lecture, on est sans cesse tracassé, quelque chose ne fonctionne pas, tout n'est pas aussi efficace (que d'habitude, a-t-on envie d'ajouter).
Sans doute, le premier problème de ce récit tient-il dans son prologue : 6 (longues) pages qui dévoilent immédiatement l'acte terrible commis dans le passé par la mère de Félix quand sa précédente compagne décida de le quitter en son absence. 6 pages, c'est déjà conséquent pour démarrer une bande dessinée, mais quand en plus l'auteur choisit de les employer pour nous révéler un élément aussi important sur un personnage, cela devient un handicap pour la suite quand, lorsque les choses se gâtent, que l'histoire progresse vers son climax, un même protagoniste adopte le même comportement (je ne veux/peux pas trop en dire car c'est un vrai spoiler).
Ensuite, la progression dramatique de l'épisode manque cruellement de rythme, avançant comme par à-coups quand Dodier nous a habitués à des narrations exemplaires par leur fluidité. Les personnages manquent singulièrement de nuance dans leurs actions/réactions, les rebondissements interviennent sans proposer de vraie surprise : on devine trop vite, trop facilement comment tout ça va déraper.
Le contraste même entre Jérôme et Félix est par trop convenu également, avec des gags ou des échanges qui ont déjà été exploités auparavant, dans d'autres épisodes. Idem pour le personnage de la mère : Dodier, qui excelle pourtant dans les portraits de femmes d'âge mûr, souvent impliquées dans de sombres affaires, ne parvient pas cette fois-ci à créer une de ces figures aussi accrocheuses, justement parce qu'il dévoile dès le début le secret de celle-ci.
Enfin, si la chute de l'histoire offre, en narration parallèle, un assez belle scène d'action (poursuite, bagarre), elle s'achève par une ellipse qui ne dit rien sur le sort du coupable (on peut certes deviner que ses méfaits ne sont pas restés impunis mais ce n'est pas clairement formulé, alors que la série qui est construite comme des "detectives stories" traditionnelles n'est pas aussi allusive d'ordinaire).
C'est dommage car l'idée de renvoyer en province Jérôme avec Babette permettait d'alterner avec plusieurs précédentes enquêtes urbaines et évoquait évidemment Le gabion (tome 12), un des meilleurs opus dans ce registre, tout en mettant en scène le couple formé par le détective et sa fiancée (ce qui est toujours intéressant car Dodier sait suggérer intelligemment qu'ils ont une vraie relation intime et la situation d'Ingrid laissait une place pour poser la question de la parentalité).

Les dessins sont heureusement toujours aussi bons : le cadre montagneux de cette aventure fournit notamment à Dodier l'occasion d'une scène de randonnée à la fois drôle et spectaculaire. Le décor de la ferme est admirablement représenté.
Le découpage, même s'il est toujours classique et assez dense (une moyenne de huit cases par page, avec un usage habile du "gaufrier"), trahit cependant les faiblesses du récit dont il ne peut compenser les chutes de rythme, le manque d'ambiances fortes.
Le design même des seconds rôles est moins inventif, comme je l'ai déjà relevé pour la mère de Félix et Félix lui-même et plus encore pour Ingrid : aucun de ces personnages de passage n'a l'allure mémorable d'autres guests vus dans de précédents épisodes. Il faut presque se contenter du plaisir de voir évoluer ensemble Babette et Jérôme, qui sont un des couples les plus attachants et crédibles de la bande dessinée, aussi bien psychologiquement que visuellement.

C'est donc une déception, un des tomes les moins convaincants (depuis Un bébé en cavale, tome 10). Rien de bien grave cependant, mais évidemment, c'est notable dans une série qui se distingue par sa constance. 

mercredi 16 juillet 2014

Critique 480 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 17 - LA MARIONNETTE, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : LA MARIONNETTE est le 17ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2003 par Dupuis.
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Jérôme reçoit à son bureau la visite d'une jeune femme qui veut l'engager pour retrouver l'homme qu'elle aime : celui-ci est décrit comme un riche quadragénaire qui ne lui a plus donné de nouvelles du jour au lendemain après qu'elle lui ait annoncé être enceinte de lui. Mais le manque d'informations dont dispose le détective est problématique : en effet, sa cliente ne connaît que le prénom de son amant (Benoît), mais ni son adresse, son métier, n'a pas de photo de lui. Excédée par la nonchalance avec laquelle il envisage cette affaire, elle claque la porte !
Pris de remords, Jérôme se confie à Arthur, le curé de son quartier et son ami, qui lui avait envoyé la jeune femme. Il la retrouve ainsi à son travail (elle est caissière dans un supermarché) et lui promet de retrouver son amoureux. Mais la nuit suivante, elle appelle le détective pour lui dire qu'elle met fin à ses jours car son amant a décidé de la quitter.
A l'hôpital où sa cliente est admise après sa tentative de suicide, Jérôme est à nouveau saisi par le doute : il apprend qu'elle n'est pas enceinte. Puis Babette, sa fiancée, suggère qu'elle est peut-être mythomane. Jusqu'à ce que la romancière Marguerite Dumas rencontre le détective : c'était la maîtresse de Benoît, qui vient de mourir, et qui veut savoir avec qui il la trompait...

Après le dyptique des tomes 15-16 (La comtesse-La lettre, dont j'ai parlé dans la critique n°461), Alain Dodier n'a pas tardé pour livrer un nouvel album des aventures de Jérôme K. Jérôme Bloche, un an après. En ayant expérimenté un récit plus long qu'à l'accoutumée, il a franchi une étape et va désormais écrire des histoires non plus de 46 mais de 54 pages à partir du tome 17.

La marionnette possède une intrigue très dense, à la mesure de ce changement de format. Pendant une trentaine de pages, le récit entraîne le lecteur sur des fausses pistes et lui fait partager les doutes de son héros face à cette cliente qui sort de l'ordinaire : comme Jérôme, on est d'abord surpris, ému, perplexe face à la jeune Roselyne dont la romance a de quoi troubler tant elle ressemble à celle d'un roman-photo, avec son bel et riche amant, ses mensonges avérés, mais aussi sa passion sincère. Arrivé à la dernière page de l'album, l'auteur se paie même le luxe de relancer l'incertitude sur les motivations de la mignonne, dont la personnalité est une des plus complexe de toute la série.
La richesse narrative et les mystères de l'enquête, ses coups de théâtre, son casting étoffé (au premier rang duquel on remarque le rôle tenu par le curé Arthur, un personnage qui va désormais être régulièrement présent dans la série, comme Burhan l'épicier, Mme Rose et Mme Zelda), la participation active de Babette, tout concourt à faire de cet épisode un chapitre ambitieux.
C'est une chose que d'être ambitieux, c'en est une autre que d'être à leur hauteur, et sur ce point, Dodier ne déçoit pas : indéniablement, la série a pris une autre dimension depuis quelques tomes (je situerai ça à partir du tome 11, Le coeur à droite), avec des enquêtes encore plus fouillées, des seconds rôles plus profonds, une tonalité moins humoristique (même si le caractère plus intuitif que rationnel de Jérôme conserve de la fraîcheur et parfois de la drôlerie au déroulement de ses investigations et à ses relations avec les autres).
L'agencement des séquences, avec les phases de recherche, les questionnements du héros, les relances dramaturgiques, le climax, la chute, le dénouement, le tout encadré par un prologue et un épilogue, sont à la fois fluides et réclament de l'attention, ce qui aboutit à un équilibre délicat mais, quand c'est abouti comme ici, à un résultat épatant.

Visuellement, je ne cesserai jamais de souligner la constance du travail de Dodier, qui est un remarquable dessinateur. Etrangement, cette régularité joue presque contre lui car elle aurait tendance à le désigner comme un artiste sans surprise.
Mais, en même temps, considérez le soin avec lequel il anime ses planches, au découpage classique mais à la lisibilité irréprochable ; la diversité des personnages qu'il introduit dans ses histoires, la justesse de leurs physionomies, de leur expressivité, de leurs attitudes (la démarche timide, les moues butées de Roselyne, traitées avec sobriété mais intelligence) ; la qualité de ses décors (les extérieurs des rues parisiennes bien sûr toujours impeccablement reproduites, mais également les intérieurs si éloquents - comme l'appartement de Marguerite Dumas, au mobilier et à l'espace si correspondants au personnage). 
Je préfère mille fois un dessinateur aussi stable, même si moins audacieux, qu'un expérimentateur brillant par intermittence, surtout pour diriger une série de ce calibre, avec ce rythme de production. Avec Dodier, on retrouve le goût des artistes de bande dessinée maîtrisant la langage de leur discipline, l'affinant avec les ans, assurant à leurs lecteurs la garantie d'un travail toujours bien fait.

Un plaisir chaque fois renouvelé, comme en témoigne cet opus, un des meilleurs du titre, le quatrième des années 2000 aussi inspiré (et même plus) que les précédents.