jeudi 24 juillet 2014

Critique 484 : CARMEN, DE PROSPER MERIMEE, adapté par Frédéric Brrémaud et Denys Goulet


CARMEN, DE PROSPER MERIMEE est une adaptation en bande dessinée, écrite par Frédéric Brrémaud et dessinée par Denys Goulet, publiée en 2012 par Delcourt dans la collection "Ex-Libris".
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En 1830, un archéologue français traverse l'Andalousie et fait la rencontre de Don José Navarro, ancien brigadier devenu bandit de grand chemin. Qu'est-ce qui a débauché ce militaire ? Sa romance volcanique avec la belle gitane Carmen pour laquelle il a déserté, tué, est devenu contrebandier, avant de la poignarder dans un accès de jalousie - le dernier de ses crimes pour lequel il est condamné à mort.

Delcourt a entrepris dans sa collection "Ex-Libris" d'initier les lecteurs de bande dessinée aux grands classiques de la littérature classique : on en trouve pour tous les goûts, de Jack London (L'appel de la forêt) à Guy de Maupassant (Boule de suif) en passant par Voltaire (Candide), Edgar Allan Poe (Double assassinat dans la rue morgue), Robert Louis Stevenson (L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde ; L'île au trésor), Mary Shelley (Frankenstein), , Franz Kafka (La métamorphose), Honoré de Balzac (Le père Goriot), Mark Twain (Huckleberry Finn), Daniel Defoe (Robinson Crusoë), Jules Verne (Le tour du monde en 80 jours), Alexandre Dumas (Les 3 mousquetaires), Henry James (Le tour d'écrou) ou Molière (Tartuffe, Dom Juan).

Carmen est un choix plus inattendu car on connaît mieux finalement l'opéra qu'en ont tiré Bizet, Halévy et Meilhac en 1875 que la nouvelle de Prosper Mérimée, publié en 1845 et qui fut un échec d'édition. La personnalité même de Mérimée demeure méconnue et le résumé qu'en donne le 4ème de couverture m'a instruit à son sujet : fils d'artistes peintres, il étudia le piano et les langues étrangères, avant de se consacrer au Droit. Mais c'est la littérature qui l'accapare, d'abord comme traducteur (de Gogol ou Pouchkine), linguiste et philosophe. Ce romantique, ami de Stendhal, se distingue par sa production de nouvelles (comme le fut Carmen). Puis il sera inspecteur général des Monuments historiques et membre de l'Académie française. Il meurt en 1870 à 67 ans.

Frédéric Brrémaud (avec deux "r") respecte cette histoire exotique sur des marginaux dans une Espagne fantasmée est adaptée avec beaucoup de rythme et de malice, évitant de sur-dramatiser la romance contrariée et fatale entre Don José et Carmen, narrée au cours d'un long flashback après un prologue de 11 pages pour un album qui en compte 54.
Ceux, nombreux, qui ont entendu ou vu au moins des extraits de l'opéra de Bizet seront sans doute surpris de sourire en lisant ce récit avec des personnages dont le tempérament passionné les entraîne dans des rapines à la fois violentes et enlevées. C'est que le contraste est saisissant entre des airs célèbres comme "Si tu m'aimes, prends garde à toi" et l'absence de pathos dont Mérimée écrivait. Moins emphatique, l'histoire gagne en sympathie, même si on sait que cela finit mal.
Les caractères ombrageux de Don José et effronté de Carmen forment un mélange très tonique, que l'adaptation a su capter à merveille.

Le dessin du québecois Denys Goulet, qui a découvert sa passion pour la bande dessinée en lisant Franquin, participe aussi à la bonne humeur que dégage cet album : son trait vif évoque celui de Frantz Duchazeau (Les cinq conteurs de Bagdad, écrit par Fabien Vehlmann), et sa manière de représenter Carmen est irrésistible (on reconnaît bien là l'influence de Franquin tant son minois rappelle celui de Seccotine).
Bien que les décors ne soient pas sophistiqués, Goulet retranscrit bien les paysages andalous du XIXème siècle, avec ses villages, sa campagne aride, ses garnisons, où il met en scène de manière énergique les temps forts du récit.
C'est un artiste à suivre.

Cette collection mérite qu'on l'explore et je vais tâcher de m'y employer car certains écrivains que j'apprécie y figure, dont je suis curieux de voir comment et par qui ils ont été adaptés. C'est aussi un moyen agréable de (re)découvrir ces classiques de la littérature qu'on aborde parfois sans enthousiasme au collège et au lycée mais qu'on peut avoir envie d'explorer plus librement quand on n'a plus l'obligation de les apprendre.

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