lundi 28 juillet 2014

Critique 486 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 21 - DENI DE FUITE, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : DENI DE FUITE est le 21ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2009 par Dupuis.
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En rentrant chez lui tôt ce matin-là, Jérôme ne s'attend pas à la découverte qu'il va faire : il trouve en effet sur son palier la petite Caroline, fille de son voisin qui a mystérieusement disparu durant la nuit.
Confiant la petite à Mme Zelda, le détective contacte les grands-parents de la fillette puis déduit que le papa a dû s'absenter pour aller chercher du lait chez l'épicier du coin, Burhan. Celui-ci a passé également une mauvaise nuit car il a été témoin d'un accident devant son commerce : une voiture a renversé un de ses clients avant que le chauffard prenne la fuite. Jérôme montre alors une photo du père de Caroline à son ami et Burhan l'identifie comme la victime de l'accident.
Le soir, l'épicier téléphone au détective pour lui conseiller de regarder un sujet au journal télé consacré à un sculpteur, Théodore Boulba, l'homme que Burhan a vu percuter le papa de Caroline. 
Jérôme sait donc enfin par où entamer vraiment son enquête. Ce qu'il ignore : que Boulba est la proie d'un maître-chanteur au courant de l'accident, dont il n'a aucun souvenir car il était ivre après le vernissage de sa dernière expo, mais dont il a pris soin d'effacer les traces sur sa voiture. Mais la vérité n'est pas aussi simple...

Deux ans après le dyptique Un chien dans un jeu de quilles-Fin de contrat (tomes 19-20), Alain Dodier revient pour cette nouvelle aventure de Jérôme Bloche, dont la couverture de l'album brouille les pistes d'une intrigue jubilatoire.

J'ai pourtant entamé la (re)lecture de ce tome avec un brin de méfiance car la dernière fois que Dodier avait construit une de ses histoires autour d'un bambin, c'était pour le 10ème épisode (Un bébé en cavale) qui n'avait pas été une grande réussite.
Mais cette fois, l'auteur a autrement mieux ficelé son affaire et, comme il revient au format des 52 planches, aboutit à un de ses meilleurs récits. La majeure partie du scénario repose sur un malentendu qu'entretient habilement Dodier : il nous laisse croire à la culpabilité de Théodore Boulba, cet imposant sculpteur aux nerfs à vif, que tout accuse (sa voiture cabossée et à l'aile avant gauche éclaboussée de sang, son empressement à effacer les preuves, le chantage dont il fait l'objet, la cuite qu'il avait prise le soir du drame...). Le personnage est antipathique, et même quand le doute s'installe sur sa responsabilité (pages 40-41, donc quand le récit est déjà dans sa dernière ligne droite), il n'est pas innocenté non plus. Mais cette figure mémorable est une des plus puissantes qu'ait imaginée Dodier pour sa série, une des plus troubles, qui laisse le lecteur aussi confus que Jérôme. Et cette ambiguïté savamment dosée est un régal.
Avant cela, en utilisant une narration parallèle alimentant la tension, l'auteur réussit aussi très bien à traiter le cas de la petite Caroline, qu'il écrit sans tomber dans aucun piège d'un personnage d'enfant (en veillant par exemple à lui donner un langage conforme à son âge, des attitudes cohérentes et réalistes). Un élément étonnant vient s'ajouter à cette partie : Dodier donne ses traits au père de la fillette, ce qui interroge le lecteur (du moins celui qui connaît le visage de Dodier - mais ceux qui me lisent pourront le découvrir dans l'entrée que j'ai consacrée à ses dessins, juste après la critique 481) sur l'inspiration de ce récit...
Il réussit encore de formidables scènes de filature, en ayant recours à une mise en scène très simple mais où la valeur des plans et leur nombre par page (une dizaine en moyenne) démontre que ces scènes d'observation sont bien dosées (pour ne pas ralentir le rythme général) et pertinentes (elles contribuent à faire progresser le récit).
La galerie des seconds rôles est aussi exemplairement employée, avec le retour important de Mme Zelda, la présence de Babette, et surtout le rôle déterminant de Burhan. Mine de rien, tous ces personnages contribuent aussi au plaisir de lire cette série, dans laquelle on retrouve non seulement un héros attachant mais ceux qui l'entourent, une sorte de famille qui l'aide ou lui apporte des affaires.

Les dessins sont encore et toujours épatants. J'ai appris qu'à ses tout débuts Dodier exerça le métier de facteur pour s'assurer un salaire en attendant de vivre de son art, et j'y vois là une des explications à son talent d'observateur, si bien exploité quand il s'agit ensuite de situer ses histoires et de représenter les décors avec une telle minutie. Encore une fois, cette enquête conduit Jérôme dans plusieurs quartiers de la capitale et Dodier prouve qu'il dessine Paris merveilleusement.
Mais ce ne sont pas seulement les rues, les avenues, les bâtiments, les intérieurs (aux mobiliers toujours si bien choisis, comme en atteste la décoration chez Boulba, qui ressemble vraiment à la maison-atelier d'un sculpteur aisé), c'est aussi le talent pour les véhicules qui distingue Dodier : non content d'en placer abondamment dans ses scènes en extérieur (en variant les modèles), il sait aussi quand il le faut reproduire une voiture essentielle pour le récit, comme la superbe Aston Martin de Boulba.
Les personnages sont également illustrés avec brio : au fil des ans et des albums, le trait de Dodier a acquis une simplicité, une économie qui ne l'empêchent pas de soigner l'expressivité, les physionomies, les attitudes, la gestuelle. Il arrive aussi bien à capturer la silhouette massive de Boulba que celle de Caroline (une prouesse quand on sait à quel point il est délicat de bien dessiner un enfant). Jérôme a bien changé aussi depuis ses débuts où, encré grassement (comme Dodier a progressé sur ce plan !), il ne ressemblait pas à grand-chose puis a évolué vers une sorte de post-ado déguisé en détective privé de cinéma et maintenant en jeune homme entre deux âges (il avait 25 ans dans le tome 10, et on peut donc supposer qu'il approche doucement de la trentaine maintenant).

24 ans après sa création, la série se porte comme un charme, et à un mois de la sortie du tome 24, elle demeure à la fois une lecture toujours agréable et une oeuvre remarquablement réalisée.

1 commentaire:

  1. Comme vous j'adore cet album, que j'ai découvert récemment. La façon dont est traité le motif du remords ou du sentiment de culpabilité (« une brique [dans] la tête ») est saisissante. Je le relirai souvent.
    En tant que série, Jérôme K. Jérôme Bloche est une des meilleures BD du monde : jusqu'à présent on n'y trouve que de bons albums, bien que certains soient un peu moins réussis que les autres ; et surtout : on sait qu'on peut encore s'attendre à y voir fleurir des chefs-d'œuvre.

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