jeudi 17 juillet 2014

Critique 481 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 18 - UN PETIT COIN DE PARADIS, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : UN PETIT COIN DE PARADIS est le 18ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2005 par Dupuis.
*

Jérôme accompagne Babette qui va rendre visite à une ancienne collègue hôtesse de l'air, Ingrid, venant juste de mettre au monde un enfant. Elle habite dans un coin reculé de province avec son compagnon Félix, qui vit sous le même toit que sa mère, une vieille femme qui cache un dramatique secret.
Cette situation heureuse va pourtant vite mal tourner car Félix apprend que l'enfant n'est pas le sien et Ingrid avoue à Babette qu'il est le fruit d'une liaison avec un berger italien, depuis reparti chez lui où il a fondé une famille.
Félix rompt d'abord et sa mère ne fait rien pour arranger les choses, insistant sur le fait qu'il ne peut plus vivre avec Ingrid et son bâtard. Jérôme et Babette se préparent à repartir en ramenant la jeune mère, qui ne croit pas non plus pouvoir revivre en couple, à Paris. Mais Félix se ravise et se réconcilie avec Ingrid. Cette décision réveille le côté le plus sombre de sa mère...

Après avoir produit pas moins de quatre albums entre 2000 et 2003, Alain Dodier a fait patienter ses fans deux ans pour livrer ce 18ème tome de la série. On peut estimer qu'il a ressenti le besoin (légitime) de souffler mais aussi que l'inspiration lui est venue avec plus de difficulté si on considère qu'il remercie plusieurs personnes au début de l'épisode, parmi lesquels son ancien scénariste Pierre Makyo mais aussi des collègues comme le dessinateur Félix Meynet (la série Les Eternels, écrite par Yann).

Il faut d'ailleurs bien avouer que ce Petit coin de paradis n'est pas un très bon cru. Comme La marionnette, il s'agit à nouveau d'une histoire en 54 pages mais qui n'a pas le même niveau : au fil de sa lecture, on est sans cesse tracassé, quelque chose ne fonctionne pas, tout n'est pas aussi efficace (que d'habitude, a-t-on envie d'ajouter).
Sans doute, le premier problème de ce récit tient-il dans son prologue : 6 (longues) pages qui dévoilent immédiatement l'acte terrible commis dans le passé par la mère de Félix quand sa précédente compagne décida de le quitter en son absence. 6 pages, c'est déjà conséquent pour démarrer une bande dessinée, mais quand en plus l'auteur choisit de les employer pour nous révéler un élément aussi important sur un personnage, cela devient un handicap pour la suite quand, lorsque les choses se gâtent, que l'histoire progresse vers son climax, un même protagoniste adopte le même comportement (je ne veux/peux pas trop en dire car c'est un vrai spoiler).
Ensuite, la progression dramatique de l'épisode manque cruellement de rythme, avançant comme par à-coups quand Dodier nous a habitués à des narrations exemplaires par leur fluidité. Les personnages manquent singulièrement de nuance dans leurs actions/réactions, les rebondissements interviennent sans proposer de vraie surprise : on devine trop vite, trop facilement comment tout ça va déraper.
Le contraste même entre Jérôme et Félix est par trop convenu également, avec des gags ou des échanges qui ont déjà été exploités auparavant, dans d'autres épisodes. Idem pour le personnage de la mère : Dodier, qui excelle pourtant dans les portraits de femmes d'âge mûr, souvent impliquées dans de sombres affaires, ne parvient pas cette fois-ci à créer une de ces figures aussi accrocheuses, justement parce qu'il dévoile dès le début le secret de celle-ci.
Enfin, si la chute de l'histoire offre, en narration parallèle, un assez belle scène d'action (poursuite, bagarre), elle s'achève par une ellipse qui ne dit rien sur le sort du coupable (on peut certes deviner que ses méfaits ne sont pas restés impunis mais ce n'est pas clairement formulé, alors que la série qui est construite comme des "detectives stories" traditionnelles n'est pas aussi allusive d'ordinaire).
C'est dommage car l'idée de renvoyer en province Jérôme avec Babette permettait d'alterner avec plusieurs précédentes enquêtes urbaines et évoquait évidemment Le gabion (tome 12), un des meilleurs opus dans ce registre, tout en mettant en scène le couple formé par le détective et sa fiancée (ce qui est toujours intéressant car Dodier sait suggérer intelligemment qu'ils ont une vraie relation intime et la situation d'Ingrid laissait une place pour poser la question de la parentalité).

Les dessins sont heureusement toujours aussi bons : le cadre montagneux de cette aventure fournit notamment à Dodier l'occasion d'une scène de randonnée à la fois drôle et spectaculaire. Le décor de la ferme est admirablement représenté.
Le découpage, même s'il est toujours classique et assez dense (une moyenne de huit cases par page, avec un usage habile du "gaufrier"), trahit cependant les faiblesses du récit dont il ne peut compenser les chutes de rythme, le manque d'ambiances fortes.
Le design même des seconds rôles est moins inventif, comme je l'ai déjà relevé pour la mère de Félix et Félix lui-même et plus encore pour Ingrid : aucun de ces personnages de passage n'a l'allure mémorable d'autres guests vus dans de précédents épisodes. Il faut presque se contenter du plaisir de voir évoluer ensemble Babette et Jérôme, qui sont un des couples les plus attachants et crédibles de la bande dessinée, aussi bien psychologiquement que visuellement.

C'est donc une déception, un des tomes les moins convaincants (depuis Un bébé en cavale, tome 10). Rien de bien grave cependant, mais évidemment, c'est notable dans une série qui se distingue par sa constance. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire