A peine quinze jours après son précédent numéro, X-Men : Red est déjà de retour. Mai c'est un épisode spécial dans sa forme et dans le fond que propose Al Ewing et trois dessinateurs invités. Une sorte de collection de saynètes avec un thème commun : la mort. Pas très gai, me direz-vous, mais ce n'est pas un problème car à travers trois personnages dans trois lieux différents, il s'agit plutôt d'un examen sur cette notion transcendée par Jonathan Hickman.
Le Grand Cercle d'Arakko. Magneto pour légitimer sa présence autour de la table du gouvernement arakki consent à un sacrifice important, comme Tornade avant lui...
Le Proscenium. Oracle, convoque Nova, Orbis Stellaris, Black Panther, Hulkling, Nova et Tornade pour leur apprendre l'assassinat de l'impératrice Shi'ar Xandra et les suites à donner à cette situation...
Après trois premiers épisodes denses et intenses, Al Ewing marque une sorte de pause dans le cours de la série X-Men : Red. C'est opportun après ce qui s'est passé dans le précédent numéro, récemment paru. Il propose pour ce quatrième chapitre une sorte de revue, avec trois parties centrées chacune sur un personnage et un endroit, et un thème commun : la mort.
Le premeir segment se déroule dans le Grand Cercle d'Arakko, l'équivalent du Conseil de Krakoa. Magneto a gagné le droit d'y sièger après avoir tué Tarn l'Indifférent en combat singulier. Il s'asseoit sur le Siège de la Perte mais doit prouver qu'il est légitime à ce poste.
Contrairement aux mutants krakoans, les arakki refusent la résurrection. Ils acceptent de mourir, en souhaitant que cela intervienne au combat. Il s'agit donc pour tout nouvel entrant dans le Grand Cercle d'être dans les mêmes dispositions. Magneto est mis au défi par Isca l'Imbattable, qui a été grugée par Sunspot lors du duel ayant opposé Magneto à Tarn l'Indifférent, de renoncer à son immortalité.
Al Ewing confronte de manière magistrale le maître du magnétisme à ce challenge en revenant à la source du personnage. Rescapé des camps de la mort nazis, plusieurs fois donné pour mort, puis ayant assisté au miracle rendu possible par les Cinq de Krakoa, il n'a pas, lui non plus, peur de la mort pour l'avoir si souvent côtoyée. Désormais, on apprend aussi que ceux qui, comme lui, ne vivent plus sur Krakoa, transportent une réplique miniature de Cerebro, conservant leur dernière mise à jour pour, lorsqu'ils sont ressucités, disposer de l'esprit le plus récent. Magneto détruit le sien, comme Tornade avant lui, et renonce donc à ce privilège. Il prouve ainsi aux arakki qu'il est digne de sièger dans leur gouvernement.
Ce passage est remarquablement écrit et atteste une nouvelle fois que Ewing comprend non seulement les personnages qu'il écrit mais surtout qu'il les écrit mieux que quinconque depuis belle lurette. On revient grâce à lui au Magneto original, et ce n'est donc pas un hasard si, depuis son arrivée sur Arakko, il revêt à nouveau son costume mauve et rouge, son look initial. Magneto a tourné le dos à Krakoa depuis Inferno de Hickman, n'entendant pas/plus collaborer avec des adversaires comme Emma Frost, des bouffons comme Mr. Sinistre ou composer avec des concurrents comme Destinée.
Comme Arakko, qui se définit comme un monde brisé, cassé, il réside sur l'ex-Mars colonisée par les mutants en ayant d'abord voulu se tenir à l'écart de la politique. Puis, pressé par Tornade et Sunspot, il a replongé, conscient du danger que représente Abigail Brand et le SWORD, mais aussi la nature belliqueuse des arakki. Il se pose en homme d'expérience, en sage, mais aussi en guerrier, revenu de tout. Finalement, son geste peut être interprété surtout comme son testament, son chant du cygne, son baroud d'honneur : en se condamnant lui-même à être à nouveau mortel, il se prive d'un avantage précieux. Mais c'est aussi un acte flamboyant, plein de panache car en renonçant à l'immortalité, il suggère qu'il ne retiendra plus ses coups et qu'il est prêt à mourit pour ses idées - exactement comme était le Magneto des débuts, la rage extrémiste en moins.
Hélas ! Ce segment est le moins bien dessiné du lot. Je ne connaissais par le travail de Michael Santa Maria, mais j'ai trouvé ses dessins maladroits, mal composés. Il faut qu'il soit cadré dans des gaufiers pour être acceptables. Sinon, l'expressivité des personnages, leur disposition dans l'espace laissent à désirer; Dommage, ça méritait mieux.
Le deuxième segment nous ramène sur Krakoa où on assiste à la résurrection de Sunspot. Al Ewing ne s'attarde pas sur le processus, désormais familier au lecteur, même si on remarque que c'est Jean Grey et non le Pr. X qui restaure l'esprit du jeune héros. Mais cela sera justifié plus tard dans l'épisode.... En revanche, un élément trouble aussi bien Sunspot que le lecteur : c'est le présence lors de la cérémonie de Rockslide.
Ce passage va permettre de renouer avec la première victime de X of Swords via un dialogue magnifique avec Roberto da Costa. Santo Vaccaro a été ressucité mais ayant été tué dans l'Outremonde, il n'est plus le même mais une créature composite, recréé à partir des Rockslide du Multivers. Les efnants sur l'île le surnomment d'ailleurs Wrongslide pour signifier cruellement qu'il n'est plus le même, qu'il n'est pas Rockslide. Il s'en est fait une raison même s'il en souffre.
Face à cela, Roberto constate que la mort, en n'étant plus un obstacle pour les mutants, n'est pas non plus totalement résolu puisque, lorsqu'on décéde dans l'Outremonde, on ne peut être ramené à l'état qui était le sien avant. Devant cette équation insoluble, quelle alternative existe-t-il ? Peut-être fuir. Ou en tout cas aller voir ailleurs. C'est quelque chose que Sunspot connait bien, lui qui va où les bonnes affaires se présentent et où ses amis se trouvent (comme sur Arakko ou auprès de son meilleur ami Cannonball, sur Chandilor, capitale de l'Empire Shi'ar). Il invite donc Wrongslide sur Arakko.
Une leçon de caractérisation, voilà ce qu'accomplit Al Ewing ici. En se penchant sur les cas de Roberto da Costa et Santo Vaccaro, il s'attache à deux personnages comme peu d'auteurs l'ont fait avant lui. Souvent présenté comme un fanfaron, séducteur et affairiste, Sunspot gagne en gravité durant cette conversation avec Santo Vaccaro. Il faut dire que le cas de ce dernier incite à l'instropection et à la mesure puisque sa situation est particulièrement poignante. Certains fans reprochent encore à Hickman de l'avoir sacrifié cruellement durant X of Swords - même si'il ne faut pas exagérer : Rockslide n'a jamais été un persnnage aussi iconique que, par exemple, Thunderbird.
Encore une fois, le scénariste réfélchit à la mort, à la mortalité, à la résurrection, à l'immortalité. Ce pourrait être pesant, c'est délicat, subtil et universel. C'est sans doute là la différence entre un scénariste doué mais pas extraordinaire et un scénariste exceptionnel : ce dernier s'empare d'un sujet et de personnages et les élève jusqu'à un point inédit jusque-là. Ewing réalise une vraie performance en aboutissant à une conclusion positive alors que la conversation entre les deux mutants est bouleversante.
C'est Andres Genolet (Runaways) qui s'acquitte de la partie graphique, et c'est très convaincant. Tout est simple et sobre dans ces planches, et c'est ce qu'il fallait pour un tel passage. Malgré les propos emprunts de gravité, il y a quelque chose de solaire, apaisé, dans l'ambiance. Pas de mélodrame : juste deux amis qui se parlent, se confient. Même si, à la fin, on ignore si Wrongslide accepte l'offre de Sunspot, on peut imaginer qu'on va le retrouver sur Arakko et que Ewing a des plans pour lui, complétant un casting déjà bien fourni, mais avec une perspective supplémentaire (celle d'un revenant mais déréglé, cassé). Prometteur.
Enfin le derneir segment se joue au Proscenium. Les représentants de l'alliance intergalactique sont convoqués en secret pour apprendre que Xandra, l'impératrice Shi'ar, a été assassinée. Cela ouvre une période de turbulence, dans un contexte déjà agité. Mais un point doit être débattu car Xandra est à moitié mutante par son père, Charles Xavier, et donc éligible à la résurrection. Mais doit-on la ressuciter ?
Les arguments défendus par Black Panther, Nova, Orbis Stellaris, Hulking et Tornade, sous l'égide de Oracle, fournissent la matière à un débat passionnant. En effet, en ressucitant Xandra, c'est la porte ouverte à une gouvernance éternelle par cette impératrice, ce qui pose des problèmes éthiques et politiques. Orbis Stellaris est évidemmetn le plus ambigü à ce sujet car le lecteur sait, contrairement aux autres invités de cette réunion, qu'il est un agent double, collaborant avec Abigail Brand et donc Orchis. Mais le raisonnement de Nova est aussi pertinent quand on sait que lui aussi est revenu d'entre les morts après la Guerre d'Annihilation. Toutefois, Tornade réserve une surprise à l'assemblée en révélant que ces discussions sont inutiles, le cas de Xandra étant déjà réglé par Krakoa - ce n'est pas un spoiler : comment imaginer que Charles Xavier allait tolérer la mort de sa fille ?
Dessiné par Juann Cabal, qui renoue ici avec son scénariste de Guardians of the Galaxy, ces pages sont d'un excellent niveau même si l'artiste ne nous gratifie pas de ses découpages si inventifs. Parfois, le décor désincarné du Proscenium donne plutôt le sentiment de plans un peu vides, avec juste des personnages qui échangent. Mais Cabal suit le script brillant de Ewing et traduit parfaitement cette ambiance tendue avant le twist final qui rend tout cela dérisoire et terrifiant à la fois.
Toutefois, Ewing glisse Nova dans sa partition et on est assuré de le revoir bientôt sur Arakko, non comme adversaire mais comme une sorte d'observateur avisé, car il sait comme Tornade que la guerre est aux portes de l'univers (d'ailleurs le prochain épisode s'intitule War). Et donc, de la mort de Xandra à celles prévisibles du conflit qui s'annonce, on reste sur une ligne claire.
Cette collection de saynètes, qui se déploie dans une narration éclatée, est impressionnante, loin d'un épisode de transition, d'un épisode-gadget. Au contraire, Al Ewing, en compagnie de ses trois dessinateurs invités pour l'occasion, aura avancé ses pions et aguiché le lecteur avec des développements ambitieux. X-Men : Red s'impose vraiment comme LA série mutante, celle qui, s'il n'en fallait qu'une, s'impose naturellement par l'intelligence de son écriture et sa qualité éditoriale.