lundi 27 juin 2022

WANTED LUCKY LUKE, de Matthieu Bonhomme


Un peu plus d'un an après sa sortie, je me décide enfin à rédiger une critique de Wanted Lucky Luke (que j'ai relu pour l'occasion). Cela faisait longtemps que je n'avais pas consacré une entrée à une bande dessinée franco-belge mais l'occasion fait le larron puisque, le Lundi, désormais, je vous parle d'autre chose que les comics des Big Two. Et surtout parce que j'ai adoré cet album.


Dans la ligne de mire d'un tireur, Lucky Luke réussit malgré tout à la blesser. Contournant la colline où est juché son adversaire, Luke découvre que celui-ci a mis les bouts en laissant derrière lui une affiche...


Sur celle-ci, Luke découvre que sa tête est mise à prix 50 000 $ ! Mais l'écho d'une fusillade le sort de sa stupeur et avec Jolly Jumper, sa monture, il se précipite dans la vallée où des apaches encerclent un convoi...


Ouvrant le feu sur les indiens, Luke réussit à les faire filer. Il fait alors la connaissance de trois ravissantes demoiselles, des soeurs, qui souhaitent vendre leur troupeau de bovins dans la ville voisine de Liberty...


Pourtant la situation va se compliquer pour le cowboy lorsque Angie brandit à son tour l'avis de recherche le concernant. Luke nie avoir commis une mauvaise action et Cherry et Bonnie les croient. Il propose de les escorter en territoire apache avec leur troupeau...


Une fois arrivés, Bonnie et Cherry décident de livrer Luke aux autorités pour se renflouer, malgré les protestations de Angie. Mais en ville, une surprise attend les filles : le gang de Joss Jamon est là et Liberty est une ville fantôme. Sans compter que le tireur du début rôde encore...

J'avais d'abord prévu d'écrire une critique sur le tome 2 de Money Shot, mais sa lecture m'a trop déçu pour que je reste motivé. Comme je souhaitai consacrer cette entrée à une bande dessinée qui ne soit pas publiée par Marvel ou DC, j'ai cherché une solution de secours. Et en inspectant ma bibliothèque, je me suis rappelé de Wanted Lucky Luke.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas écrit sur du franco-belge et, curieusement, je n'avais pas dédié d'article au deuxième one-shot de Matthieu Bonhomme sur le célèbre cowboy créé par Morris au moment où je l'avais acheté, en 2021. Il fallait que je répare cela.

J'ai toujours été un fan de western, notamment parce que j'ai aimé très tôt lire les aventures de Lucky Luke par Morris (et Goscinny). Mais le genre, quel que soit son support, est une vieille passion. J'ai grandi avec Blueberry, Comanche jusqu'à Texas Cowboys grâce à qui j'ai découvert le talent de Matthieu Bonhomme. Depuis, je suis avec attention les oeuvres de cet artiste, qui est aussi parfois son propre scénaristte, à travers des titres comme Esteban, L'Esprit Perdu (Messire Guillaume), Charlotte Impératrice...

En revanche, je dois bien dire que les reprises des grands classiques de la BD franco-belge me laissent froid ou du moins dubitatif. Le plus souvent, j'ai ce centiment que les ayant-droits ou les éditeurs regardent par-dessus l'épaule des scénaristes et dessinateurs à qui sont confiés ces relances, avec la consigne de copier au maximum les auteurs originaux - c'est d'ailleurs parfois la condition pour avoir le job (cf. Astérix par Ferri et Conrad, de qui on a exigé de rester dans les clous).

C'est en vérité assez triste parce que cela fossilise ces BD, condamnés à rester ce qu'elles sont, pour ne pas risquer de déranger des fans un brin intégristes. C'est aussi dommgeable dans la mesure où une série comme Spirou et Fantasio a survécu en laissant à Franquin, Fournier, Tome & Janry, etc. la possibilité de l'écrire et la dessiner sans imiter bêtement Rob-Vel. Sans compter les récits hors-série par Emile Bravo, Franck Le Gall...

Depuis la mort de Goscinny, Lucky Luke a continué tant bien que mal sous l'impulsion de son créateur Morris. Après sa mort, le titre a été mis entre les mains d'auteurs plus ou moins inspirés (plutôt moins que plus, dois-je dire). Jusqu'à ce que Lucky Comics autorisent L'Homme qui tua Lucky Luke, le premier album de Matthieu Bonhomme.

Ce dernier put concevoir un récit autonome, et couronné de succès (critique et commercial), à la fois respectueux et libre. Cinq ans après, Bonhomme remet son titre en jeu avec Wanted Lucky Luke, et même si cette fois les lecteurs ont été moins tendres, j'ai pour ma part autant, sinon plus, apprécié sa démarche, sa volonté d'affiner son point de vue sur le personnage.

Dans L'homme qui tua..., Bonhomme jouait avec l'idée de la mortalité de Lucky Luke, en multpliant les complications sur ce qui le rendait invincible (la perte de son arme, le manque de tabac, la nervosité qui en découlait). Cette fois, il va encore plus loin en explorant le rapport de Lucky Luke aux femmes. Car le cowboy éternel célibataire (même s'il a été éphémérement fiancé dans un des tomes de sa série régulière) est lonesome (solitaire) par définition.

Confronté à trois jolies frangines, il apparaît souvent encore plus désarmé que lorsqu'il fut privé de son six-coups dans sa précédente aventure par Bonhomme. Maladroit, un peu arrogant aussi, mais aussi face à des personnalités bien trempées (dont celle de la brune Angie), Luke est à la fois un objet de convoîtise et de curiosité car jamais il ne semble vraiment intéressé par la potentielle bagatelle qui se présente à lui, en particulier avec la blonde Cherry, ouvertemetn éprise de lui dès leur rencontre (même si les circonstances aident à ce rapprochement : on peut comprendre l'émoi de la demoiselle qui vient d'être sauvée d'un sort funeste contre des apaches).

Je laisse aux psychologues de comptoir le soin de réfléchir sur une éventuelle homosexualité de Lucky Luke ou d'une totale indifférence pour la gente féminine, c'est une vieille antienne concernant les héros célibataires, de Tintin à Batman (à qui certains ont prêté en fait une attirance pour ses Robins). La vérité se situe sans doute autre part, plus simple : la censure qui pesait sur les BD et les comics empêchaient toute relation amoureuse, encore plus sexuelle, entre un héros et les femmes qu'il croisait, donc ils restaient célibataires, vaguement ou franchement indifférents aux filles pour continuer à être publiés et accessibles aux jeunes lecteurs.

L'autre réussite de cet album réside dans son casting de méchants. Si Bonhomme a toujours averti qu'il ne réaliserait jamais une aventure avec les Dalton (qu'il juge impossible à adapter à son style graphique), cette fois il a convoqué des figures familières avec notamment le gang de Joss Jamon et aussi Brad Defer, le fils de Phil Defer. Au sujet de ce dernier, c'est ma seule réserve, j'aurai préféré qu'il soit introduit comme le frère et non le fils car il me semble trop âgé pour être la progéniture de Phil.

On retrouve aussi le chef apache inspiré de Geronimo, Patronimo. Et l'exploit scénaristique de Bonhomme, c'est d'avoir trouvé une place pour tout ce monde, sans qu'aucun ne se marche sur les pieds. Le titre l'indique : Lucky Luke est recherché, sa tête mise à prix. Mais il ignore pourquoi et quand on découvrira le pot-aux-roses, c'est très habile (même si des petits malins assurent qu'ils avaient deviné tout avant tout le monde). On assiste même à l'arrivée (forcément en retard) de la cavalerie ! Et Bonhomme compose alors une image irrésistible pour résumer à quel point la situation du héros est devenu intenable, littéralement écartelé entre les trois soeurs, le gang de Joss Jamon, les apaches : chacun veut le cowboy - ce qui peut être aussi interprété comme une métaphore de sa popularité comme personnage de fiction.

Visuellement, cette histoire correspond à ce qu'on attend d'un artiste aussi exceptionnellement doué que Matthieu Bonhomme, qui assure le dessin, l'encrage et la couleur. Chaque page est composée avec une maîtrise absolue : la disposition des éléments dans le décors, le jeu avec les grands espaces, la dimension des cases, leur enchaînement, tout donne l'impression d'une fluidité parfaite, d'une facilité insolente.

Devant gérer un casting fourni, Bonhomme a su modeler les physionomies originelles de chacun pour les adapter à son style. On reconnait tout le monde tout en voyant ce que l'artiste à révisé pour que cela ne jure pas avec ce que, lui, a apporté. Ainsi, les trois soeurs rivalisent de charme mais elles ne sont pas absurdement hypersexualisées. Habillées comme des cowgirls, leur coquetterie ne s'exprime que par des détails (une queue de cheval pour Angie par exemple) et lorsqu'elles sont apprêtées de façoj plus franchement féminine, la séquence n'invite guère à l'érotisation des corps puisqu'elles sont aux mains de bandits émêchés et agressifs.

Lucky Luke est représenté avec une dégaine nonchalante, presque orientale (les yeux en amande), mais capable de se tendre en une fraction de seconde, toujours sur le qui-vive. Bonhomme réduit volontairement les occasions où il peut briller par sa dextérité de tireur, comme si ce qui l'intéressait, c'était de mettre en scène le personnage au-delà ce qui le définit dans sa mythologie (le pistolero hyper rapide). Le Lucky Luke de Bonhomme n'est pas déconstruit mais humanisé, il est sondé dans ses sentiments, sa vulnérabilité, à cause d'éléments qu'il ne maîtrise pas ou dont il n'a pas l'habitude (les femmes, la coalition d'ennemis, jusqu'à la remarque moqueuse d'un colonel à propos du brin d'herbe qu'il machouille désormais).

De même Jolly Jumper ne parle pas dans les histoires de Bonhomme car il a jugé que cela ferait basculer son récit dans une forme d'humour absurde. Mais ça ne signifie pas que le cheval est dénué de tempérament, et il faut toute la subtilité du trait expressif de l'artiste pour remarquer l'attitude éloquente de la monture dans des situations précises. S'il ne ne communique pas oralement, Jolly Jumper comprend mieux son cavalier que quiconque (comme lorsqu'il lui demande de contourner une colline pour prendre à revers le tireur au début). Et quand Jolly Jumper est éloigné de son compagnon, il réagit comme son meilleur renfort (lorsqu'il assomme Joe l'Indien en l'attirant dans une ruelle de Liberty).

Matthieu Bonhomme s'est offert une récréation superbe entre deux tomes de Charlotte Impératrice. mais c'est quand il veut pour un troisième opus sur le poor lonesome cowboy !

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