vendredi 31 août 2018

SHARP OBJECTS (HBO)


L'affiche fait rêver : la romancière Gillian Flynn (à qui on doit le livre Gone Girl, adapté par David Fincher, 2014), le réalisateur Jean-Marc Vallée (le film Dallas Buyers Club, la série Big Little Lies), l'actrice Amy Adams (Arrival, Nocturnal Animals), réunis par la showrunner Marti Noxon dans une mini-série en huit épisodes produite par HBO. Sharp Objects a été le polar de cet été sur OCS en France. Pour quel résultat ?

 Camille Preaker et sa mère Adora Crellin (Amy Adams et Patricia Clarkson)

Journaliste à Saint-Louis, Camille Preaker reste hantée par son enfance dans la petite ville de Wind Gap, Missouri, et la mort de sa soeur cadette, Marian. Depuis, elle boit pour tenter d'oublier et s'auto-mutile depuis longtemps. Jusqu'à ce Frank, son rédacteur en chef, l'envoie enquêter là où elle est née suite au meurtre d'une adolescente, Ann Nash, et la disparition d'une autre, Natalie Keene. Sur place, elle loge chez sa mère, Adora, qui s'est remariée avec Alan Crellin, et sa demie-soeur, Amma. Elle rencontre l'inspecteur, venu du Kansas, Richard Willis durant une battue et parle avec Bob Nash, le père de Ann. Le corps de Natalie Keene est retrouvé. Amma parle à Camille de la manière dont Adora l'infantilise constamment et de ses sorties en cachette pour aller faire du patin à roulettes avec ses deux meilleures amies.

Adora et Camille

Richard Willis se demande pourquoi, alors que le corps de Ann Nash a été retrouvé dans les bois environnants, celui de Natalie Keene a été laissé en évidence dans une ruelle. En tout cas, lui et le shérif Bill Vickery ont la conviction qu'il s'agit du même assassin car les deux filles ont été édentées et violées. Camille sait que Richard soupçonne Bob Nash mais, prévenue de sa visite, Adora déloge sa fille de chez ce père endeuillé avec véhémence, la traitant de "charogne". Camille s'intéresse ensuite à John Keene, le frère de Natalie, le suspect de Vickery à cause de la relation trouble qu'il entretenait avec sa soeur. Une messe est dite pour les deux victimes et Adora reproche à Camille d'être ivre lorsqu'elle l'y accompagne.  

Amma Crellin (Eliza Scanlen)

Après une fête chez ses amies, Amma, soûle, piétine les rosiers d'Adora. Camille se souvient de son récent séjour en hôpital psychiatrique durant lequel elle s'était liée à Alice, une adolescente toxicomane, qui avait fini par se suicider dans leur chambre. Puis elle approche à nouveau Bob Nash qui accuse également John Keene. La copine de ce dernier, une pom-pom girl en quête de gloire, Ashley Wheeler aborde Camille pour convenir d'un entretien. Adora met en garde Amma sur la mauvaise influence de Camille, qui a découvert que sa mère donnait des cours privées aux deux victimes.

Camille Preaker et l'inspecteur Richard Willis (Amy Adams et Chris Messina)

Camille déjeune avec d'anciennes amies de Wind Gap, toutes mariées et mères de famille, mais surtout des commères accusant tour à tour Bob Nash et John Keene. Elle entraîne ensuite Richard Willis dans les bois jusqu'à une cabane où les jeunes viennent encore jouer, boire et fumer. Elle-même, lycéenne, y a été violée en réunion par des footballeurs, et elle se donne ensuite au policier. John Keene est licencié de la porcherie qui appartient à Adora. Amma en informe Camille avant d'avouer qu'elle connaissait un peu Ann et Natalie.

Camille Preaker, Ashley Wheeler et John Keene 
(Amy Adams, Madison Davenport et Taylor John-Smith)

Wind Gap célèbre le "Calhoun Day", en souvenir de la guerre de sécession et d'un épisode local sur la résistance d'une femme de soldat qui défia les soldats de l'union. La fête se déroule dans la propriété des Crellin. Adora emmène Camille s'acheter une robe pour l'occasion et Amma découvre alors les scarifications sur le corps de sa demi-soeur. Bob Nash frappe John Keene avant que Richard et Vickery les sépare et les embarque. Amma profite de la confusion pour s'enfuir dans les bois où la retrouve Camille. Adora la remercie puis lui déclare qu'elle ne l'a pourtant ni désirée ni aimée. Bouleversée, Camille rejoint Richard à son motel et ils font l'amour.

Alan et Adora Crellin (Henry Czerny et Patricia Clarkson)

Alan, le beau-père de Camille, le lendemain, lui demande d'abréger son séjour car il n'apprécie pas la manière dont elle trouble Adora et Amma. Camille se rend à un brunch organisé par des camarades de lycée, parmi lesquelles Becca, une noire, la seule à l'apprécier vraiment. Richard enquête sur Camille et découvre ses antécédents psychiatriques et par ricochet les hospitalisations fréquentes subies par sa défunte soeur Marian jusqu'à son décès. Camille se laisse entraîner à une fête par Amma où elles abusent de l'alcool et consomme de la drogue. Amma demande à Camille de l'emmener à Saint-Louis lorsqu'elle aura terminé son reportage.

Adora et Amma

La tension grimpe d'un cran le lendemain quand Adora menace Camille de la chasser si elle ne laisse pas Amma tranquille. Richard acquiert la conviction que Marian est morte victime d'un empoisonnement après avoir parlé à une infirmière qui la suivait à l'époque et qui accuse Adora d'être atteinte du syndrome de Munchausen par procuration. Elle répète visiblement cela aujourd'hui avec Amma à qui elle fait boire un sirop mélangé à une mystérieuse poudre pour sa gueule de bois. Camille retrouve John Keene dans un bar mexicain pour l'avertir qu'il va être arrêté. Ils vont dans un motel et font l'amour. Richard et Vickery surgissent et arrêtent le jeune homme. Willis rompt immédiatement avec Camille. Elle va chercher du réconfort auprès de Jackie, une amie d'Adora, qui lui apprend que Marian fut incinérée pour effacer les traces de son empoisonnement. Camille, épouvantée, répond à un appel de son rédacteur en chef, Frank, et lui explique que sa mère a assassiné Natalie et Ann mais qu'elle va la confondre.

Affaire classée ?

Camille prétend être malade pour que Adora s'occupe d'elle et que Amma aille prévenir la police. Mais celle-ci ne bouge pas, craignant la réaction de ses parents, tétanisée. C'est Frank qui avertit Willis et Vickery en plein interrogatoire de John Keene du danger que court Camille. Adora est arrêtée tandis que la brigade scientifique trouve une pince ensanglantée qui a dû servir à arracher les dents des victimes et de la mort-aux-rats prêt du sirop qu'elle administrait à ses filles. Adora plainde non-coupable mais est incarcérée en attendant son procès. Camille rentre à Saint-Louis avec Amma qui se fait une amie de Mae, la fille de sa voisine. Mais un jour que les deux filles sont sorties sans dire où elles allaient, Camille découvre dans la maison de poupées de Amma trois dents humaines. Elle comprend en voyant rentrant sa demie-soeur qu'elle a tué Natalie et Ann et Mae. Amma lui demande juste de ne rien dire à Maman.

Même si Gillian Flynn était partante pour donner une suite à l'adaptation de son premier roman (traduit sous le titre Sur ma peau), il n'y aura pas de saison 2 de Sharp Objects car Amy Adams a jeté l'éponge. On peut comprendre l'actrice qui a expliqué que le rôle de Camille Preaker l'avait tourmentée, en plus d'être déjà insomniaque.

Le téléspectateur, lui aussi, ne quitte pas cette histoire tout à fait indemne car elle est d'une violence psychologique assez rare. Huit épisodes, c'est bien assez pour ne pas avoir envie de replonger dans l'enfer de Wind Gap et les démons de son héroïne. Car, plus qu'une enquête sur le meurtre de deux adolescentes, c'est d'abord le le portrait d'une écorchée vive que la série propose.

Gillian Flynn avait déjà fourni à David Fincher le matériau d'un de ses meilleurs films avec Gone Girl, où déjà on faisait la connaissance d'une créature mémorable, mais profondément perverse, disparaissant en ayant tout fait pour que son mari soit accusé. De fait, Amy Adams ressemble davantage au personnage campé par Ben Affleck en cela qu'elle retrouve ses racines à contrecoeur.

Le cadre de l'action est étouffant, et l'héroïne s'y meut comme un corps étranger, victime de ce milieu vicié, hostile, où son retour dérange tout le monde - sa famille, les autorités, les bourgeoises locales, et même ses rares amies. Camille arrive avec la mission d'écrire un reportage sur la mort d'une jeune fille et la disparition d'une autre, mais les habitants de cette petite commune la considèrent comme une "charogne", ainsi que la qualifie sa propre mère, en quête d'un scoop sensationnaliste. Elle, se bat surtout pour ne pas sombrer dans ce nid de vipères, poursuivie par une tragédie personnelle - la mort de sa soeur cadette, Marian.

Le résumé que j'ai tiré de la série occulte une partie importante de la narration car le scénario va-et-vient entre passé et présent, grâce à d'abondants mais fulgurants flash-backs muets sur la jeunesse des deux soeurs Preaker. Leur complicité saute aux yeux de manière à rendre la douleur encore plus vive chez la survivante, qui, comme pour se punir de n'avoir pu sauver Marian, s'auto-mutile depuis des années. Une scène saisissante dévoile le corps scarifié de Camille, qui a gravé sur sa peau des mots témoignant de sa douleur inextinguible.

Et on atteint là le coeur de la série : les huit épisodes profitent à plein d'avoir été réalisés par le même cinéaste, le canadien Jean-Marc Vallée. Le générique nous renseigne sur les deux directeurs de la photo et les six (!) monteurs nécessaires à la mise en scène hyper-sensorielle de cette production. La lumière, magnifique, et aussi le soin apporté au son, qui capte les moindres bruits de la nature, de respiration, transforment l'ensemble en une expérience immersive impressionnante. On est aussi assailli que peut l'être Camille par cet environnement. Tout concourt à nous faire partager l'intensité du thriller alors même que, souvent, l'enquête piétine, ou est reléguée au second plan, supplantée par les souvenirs, les réminiscences, les sensations. On est vraiment dans ce Sud des Etats-Unis avec ses néons éblouissants, ses forêts inquiétantes, sa nature foisonnante, sa chaleur moite, en voiture aux côtés de Camille qui sillonne Wind Gap comme pour mieux s'en imprégner de nouveau et suivre une piste.

L'interprétation est prodigieuse, avec notamment Chris Messina (plus vrai que vrai en détective effaré), Matt Craven (parfait en shérif trouble), Henry Czerny (détestable en beau-père complice passif). Mais Sharp Objects est une affaire de femmes, avec trois actrices magistrales : la jeune Eliza Scanlen en fausse petite fille riche au secret monstrueux, puis Patricia Clarkson en mère littéralement toxique et indigne, et enfin donc Amy Adams, superbement à vif.

Plus drame psy très perturbant que polar classique, cette série est un chef d'oeuvre éreintant, de ceux qui vous hantent longtemps après leur fin. 

jeudi 30 août 2018

SCARLET #1, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


Deuxième série estampillée "Jinxworld" à paraître chez DC, Scarlet est en vérité une relance d'un titre lancé sous le label "Icon" de Marvel. Brian Michael Bendis avait écrit un premier volume de six épisodes, remarqué, puis quatre autres épisodes, sortis dans l'indifférence générale (Marvel ne communiquant plus sur le titre). Toujours avec Alex Maleev, l'artiste présent depuis le début, Scarlet va achever son aventure dans cette mini en six chapitres.


Depuis son agression par un policier véreux qui a tué son compagnon, Gabriel, et l'a laissée, elle, pour morte, Scarlet, à sa sortie de l'hôpital, a pris la résolution de dénoncer les agissements dont elle a été la victime. En filmant et en mettant en ligne des preuves accablantes, elle s'est attirée des partisans aussi nombreux désormais que ses ennemis.


La situation a dégénéré au point que Portland, Oregon, où elle vit est désormais assiégée par l'armée, abritant un véritable ghetto dans une ambiance de guerilla urbaine. Scarlet est devenue à la fois une égérie et la femme à abattre. Deux statuts qui la dépassent mais qu'elle tente d'assumer en prenant les armes.
  

Kit, une des alliées, lui rappelle que tout cela a commencé par la mort de Gabriel et qu'il faut désormais poursuivre cette révolution jusqu'à son terme, quel qu'en soit le prix. Des civils quittent leurs logements bombardés par des drones militaires.


Tex, un autre supporter de Scarlet, prend un bazooka et dégomme le drone. Scarlet reconnaît là tactique employée pour contenir des émeutes dans le Tiers-Monde. Mais elle sait disposer d'un avantage important dans cette guerre : tout continue d'être filmé et mis en ligne, prouvant à l'opinion les exactions des forces de l'ordre.


C'est alors qu'un homme atterrit en parachute. Il est un soldat de l'armée et n'est pas armé. Il tend un téléphone à Scarlet en lui expliquant que la Maison-Blanche veut négocier une sortie de crise avec elle...

La variant cover de Michael Gaydos.

On ne pourra jamais enlever à Brian Michael Bendis d'avoir de la suite dans les idées et d'oeuvrer avec pugnacité. Même si cela le pousse à tenter un pari périlleux en voulant conclure, en six épisodes, l'histoire de Scarlet, une série qui a connu une existence chaotique éditorialement.

En signant chez DC, Bendis a eu l'opportunité d'écrire Superman et Action Comics, avec un héros dont il se sentait proche. Il peut aussi via son label "Jinxworld" produire des mini-séries comme Pearl (avec Michael Gaydos), et bientôt Cover (avec David Mack) puis United States vs. Murder Inc. (avec Mike Avon Oeming). De tous ces projets, le plus risqué est sans doute Scarlet.

Je me demandais comment il allait s'y prendre. Reformuler l'intrigue ? La résumer ? La poursuivre comme si de rien n'était ? On trouve sur la page des crédits un bref rappel des faits du premier volume. Et puis c'est tout. Nous plongeons directement dans la guerilla à Portland, en compagnie de Scarlet, qui mène une révolution armée contre la corruption de la police dans une ville en état de siège où ses partisans se font mitrailler et des innocents bombardés par des drones militaires.

Ce choix narratif est audacieux. Mais finalement reste accessible. On sait ce qu'il y a savoir - l'héroïne a été victime d'un flic ripou qui a tué son fiancé, elle réclame justice en filmant tous les actes délictueux de la police et en les mettant en ligne, un mouvement se créé autour d'elle, l'Etat riposte. Ce premier épisode immerge le lecteur, déjà familier des événements ou tout nouveau, dans le coeur de l'action.

En revanche, la narration reste déroutante avec les monologues de Scarlet face au cadre, brisant le "quatrième mur", comme si elle s'adressait directement à nous, nous prenait pour témoin. Parfois elle s'interrompt pour répondre à un de ses partisans qui l'interpelle. Pour s'y retrouver, c'est toutefois simple : quand Scarlet nous parle, les phylactères sont rectangulaires ; lorsqu'elle parle à d'autres personnages, les bulles deviennent rondes.

C'est un Bendis bavard qui écrit Scarlet, soyez prévenus. Il l'est parce que son héroïne l'est, c'est simple. Elle commente, parfois de façon étonnante, ses propres faits d'armes, son parcours, ses états d'âme, donne son avis sur la démocratie américaine. Bendis dresse un état des lieux peu reluisant en établissant son histoire dans une ville où l'armée pilonne des civils, créé un ghetto. On se croirait revenu à la guerre des balkans ou en Afghanistan, en Irak, et Scarlet apparaît presque comme une reporter embedded, mais qui aurait franchi la ligne rouge en prenant parti pour un camp (et même en le dirigeant).

Cette confusion se prolonge dans le traitement visuel d'Alex Maleev. Si, dans les six premiers épisodes du premier volume, il expérimentait beaucoup à coups d'images répétées, de couleurs, il a ensuite adopté un graphisme plus classique pour les quatre chapitres suivants. Ici, il opère une sorte de synthèse à l'image de ce que son style est devenu récemment (depuis ses épisodes de Hellboy ou de Infamous Iron Man).

Les décors sont ainsi clairement des fichiers numériques reproduisant des photos qu'il encre ensuite et colorise pour leur donner des textures plus ou moins définies. En revanche, les personnages sont dessinés, d'un trait épuré, d'où l'usage des trames, de Photoshop et autres trucages a disparu. Maleev n'est pas un artiste dynamique, ses images ont quelque chose de figé, mais en même temps, ses références réalistes et le dépouillement qu'il a atteint produisent un effet séduisant pour qui les acceptent.

Il semble en tout cas acquis que pour Maleev comme Bendis, cette troisième étape dans le cycle de Scarlet sera bien la dernière. Le scénariste a déjà suggéré qu'en 2019, lui et son dessinateur développeraient un projet plus classique dans le DCU (d'ailleurs, à la fin de numéro, on a droit à un florilège de couvertures de Batman : The Dark Knight par Maleev. Est-ce un indice ?). 

ISOLA #5, de Brenden Fletcher, Karl Kerschl et Msassyk


Avec ce cinquième épisode s'achève le premier arc narratif de Isola, sans doute la série la plus envoûtante sur le marché actuellement. Brenden Fletcher, Karl Kerschl et Msassyk ont réservé aux fans un dénouement provisoire très intrigant qui nous assure que l'épopée de la capitaine Rook et de la reine Olwyn n'est pas près de se terminer...


Les sorciers de Moro se pressent pour transférer l'esprit de la reine Olwyn dans le corps d'un autre animal. Mais la capitaine Rook s'interpose. La cérémonie est de toute façon interrompue définitivement peu après lorsque des villageois paniquent à cause de l'arrivée de soldats menaçants.


Pring, qui avait guidé jusque-là Rook et Olwyn, les entraîne jusqu'à un radeau et leur conseille de fuir par le fleuve. Les villageois les chassent à coups de pierres. Rook s'éloigne avec la reine au plus mal pour une traversée sans carte.


En descendant le fleuve, Rook remarque que des animaux de la forêt et des marais semblent les accompagner depuis les rives. Elle s'allonge auprès de Olwyn. Fiévreuse, cette dernière évoque un fantôme des bois. Rook pense qu'elle évoque une légende d'Isola mais la reine perd connaissance.
  

Rook accoste et porte dans ses bras Olwyn pour la déposer sur la berge. Les animaux de la forêt et des marais entourent les deux femmes enlacées parterre. Olwyn se réveille dans l'au-delà face à son défunt frère Asher, qui l'avait transformée en tigresse. Il lui tient des propos énigmatiques sur des ordres à suivre.


Olwyn se réveille, bien vivante... Mais à nouveau changée en tigresse. Rook constate la métamorphose aussi et s'incline devant sa reine. Elles se recouchent l'une contre l'autre, sous une bâche en tissu qui les protège de la pluie.

Lire Isola est vraiment une expérience dans laquelle il faut accepter de glisser sans trop se poser de questions. Le rythme languide, les péripéties éparses, les rebondissements étranges, les personnages égarés, le cadre à la fois magique et inquiétant, tout concourt à tester le lecteur, privé de repères.

Mais pour qui s'y abandonne, c'est un voyage, un trip envoûtant. Cet épisode pourrait tout entier le résumer. Il ne s'y passe pas grand-chose : la fuite d'un village, la descente d'un fleuve sur un radeau, l'agonie d'un personnage, un passage éclair dans l'au-delà, un coup de théâtre qui renvoie au début de l'histoire... Et pourtant on est captivé, ému, hypnotisé.

Brenden Fletcher et Karl Kerschl ont produit un scénario où les ambiances comptent plus que la narration traditionnelle. C'est un exercice d'équilibriste, mais très abouti. Bien entendu, on peut juger cela fluet, manquant d'intensité, d'action. Ce n'est pas faux. Mais depuis cinq épisodes, le traitement n'est plus une surprise, on sait où on met les pieds et donc inutile d'attendre autre chose.

Est-ce à dire que rien ne surprend ? Non, comme en témoignent des moments subtils qui prêtent à diverses interprétations. Par exemple, il semble acquis que Rook nourrit plus que de la loyauté envers sa reine. Celle-ci ne considère pas sa capitaine comme une simple subalterne non plus. Un lien secret, qui ne dit pas son nom, s'est noué entre elles deux. Les symboles abondent dans ce récit : la descente du fleuve renvoie au Styx, par lequel les morts atteignent le royaume des morts, et d'ailleurs Olwyn y fait un bref détour, revoyant et pardonnant à son frère. D'autres éléments conservent intact leur mystère comme ces animaux, parfois atypiques, qui accompagnent les deux héroïnes et semblent les protéger. Le renard en particulier est devenu une sorte de totem dans l'histoire, annonçant de mauvaises passes, surtout pour qui en veut à Rook et Olwyn.

Le sens à donner au rebondissement final est à la discrétion de chacun. On peut y lire une volonté de boucler une boucle. D'autres y verront une histoire qui tourne en rond. D'autres encore la supériorité du sortilège lancé par Asher sur toute autre magie, sur la nature. Il faudra certainement attendre le prochain arc narratif pour, peut-être, en savoir plus. En tout cas, c'est diablement étonnant.

Isola est aussi une série qui repose énormément sur son aspect visuel et ne s'en cache pas. L'économie des dialogues, le silence pesant qui domine dans de nombreuses scènes, le fait même qu'Olwyn a passé jusqu'à présent plus de temps en étant une tigresse qu'une femme, réduisent le langage au maximum et altère donc la narration écrite et graphique.

Mais aussi (surtout ?) Karl Kerschl et Msassyk font de Isola un livre d'images d'une beauté à couper le souffle. Il ne s'agit pas d'éblouir pour le simple plaisir d'étaler sa virtuosité, tout cela sert le cadre du récit en représentant un monde dont l'époque et la situation sont encore nébuleux. Peut-être est-on là sur une Terre parallèle, ou alors dans un futur lointain, ou un passé réécrit, ou dans une pure fantasy.

En tout cas, les planches s'enchaînent comme les épisodes, sublimes, époustouflantes. Le trait délicat de Kerschl et les couleurs aux nuances infinies de Msassyk sont prodigieux. Comment résister à un tel spectacle ?

En étant patient assurément car la série va faire un long break. La suite ne paraîtra qu'à partir de Janvier 2019. De quoi certainement donner à l'équipe créative le temps de s'avancer suffisamment sans négliger la qualité. Mais, sur de vrai, on n'oubliera pas de repartir pour Isola l'an prochain.

mardi 28 août 2018

THE VANISHING OF SIDNEY HALL, de Shawn Christensen


Sorti directement en VOD en France sous le titre littéral traduit de La Disparition de Sidney Hall, ce premier film de Shawn Christensen disposait pourtant d'un joli casting et d'une histoire intéressante, mais n'a pas convaincu un distributeur pour l'exploiter en salles. Séance de rattrapage donc pour ce mélodrame sur les affres de la littérature.

 Sidney Hall et Brett Newport (Logan Lerman et Blake Jenner)

A dix-huit ans, Sidney Hall est un brillant lycéen mais qui agace à dessein sa professeur d'anglais vieux jeu avec des rédactions provocantes. Un autre de ses enseignants, Duane Jones, lui conseille d'écrire un roman. Sidney est ensuite abordé par Brett Newport, un camarade de classe, footballeur, qui lui demande de l'aider à retrouver une boîte enterrée dans les bois dans leur enfance. Avant de l'aider, Sidney reçoit une lettre d'une admiratrice, Melody, dont il ne tarde pas à découvrir qu'il s'agit de sa voisine, connue à l'école primaire et perdue de vue ensuite. Amoureux d'elle, il permet à Brett de récupérer sa boîte mais le père de ce dernier s'en prend violemment à son fils à son retour. Sidney doit veiller sur le récipient mais il ne résiste pas à l'ouvrir : il contient une VHS sur laquelle est enregistrée la relation sexuelle entre le juge Newport et sa propre fille mineure, la soeur de Brett.

Sidney Hall et Melody Jameson (Logan Lerman et Elle Fanning)

Troublé, Sidney se change les idées avec Melody qu'il accompagne à la fête foraine. Cependant, Velouria Hall, sa mère, trouve la VHS et la détruit. Sidney en informe Brett qui se suicide peu après. Le garçon s'inspire de ce drame pour écrire son roman, "Suburban Tragedy", et le soumet à Duane Jones, qui, impressionné, contacte des éditeurs. L'un d'eux souhaite le publier et Sidney accepte que Jones devienne son agent. Puis il en profite pour quitter le domicile de ses parents avec Melody.

Sidney Hall

A vingt-quatre ans, Sidney Hall est devenu un écrivain à succès après la parution de ses deux premiers livres. Mais la mort de Brett continue de le hanter et il est sujet à des hallucinations chroniques où il voit son ami disparu. Alcoolique, il voit Melody l'abandonner et la trompe avec la fille de son éditeur, Alexandra. En lice pour le Prix Pulitzer, Sidney se sent indigne de le recevoir face à Francis Bishop, l'autre favori pour cette distinction. Un lecteur à qui il a dédicacé son premier roman se suicide.

Melody et Sidney

L'affaire est montée en épingle par des politiciens qui veulent interdire son livre. Melody demande le divorce. Lorsque Alexandra lui demande de refaire sa vie avec elle, il rompt puis, dans une crise de graphomanie, il rédige plusieurs centaines de pages. Son assistante découvre ce manuscrit qu'il veut détruire mais l'en empêche. Sidney se ressaisit et revoit Melody qui lui avoue attendre un enfant. Pour fêter cela, en lui jurant qu'il va changer, il l'emmène dîner au restaurant. Mais Alexandra surgit et révèle son infidélité. En rentrant chez eux, Sidney et Melody sont coincés dans l'ascenseur en panne. Elle succombe à une crise d'asthme.

Francis Bishop (Kyle Chandler)

A trente ans, Sidney Hall a disparu de la vie publique depuis cinq ans. Il est remarqué dans plusieurs librairies où il brûle les exemplaires de ses deux romans. Puis il erre sur les routes ou se déplace dans des wagons de fret avec son chien. Un homme avec une badge de police le piste et rencontre ses proches (comme Duane Jones, redevenu enseignant), les libraires ayant signalé ses autodafés, un faussaire lui ayant fourni des papiers (au nom du lecteur qui s'était suicidé). Sidney est arrêté en état d'ivresse.

Francis Bishop et Sidney Hall

Libéré sous caution, il rencontre le policier qui n'en est pas un puisqu'il s'agit en vérité de Francis Bishop, son concurrent six ans auparavant pour le Prix Pulitzer. Il désire écrire la biographie de Sidney Hall et, pourquoi pas, le convaincre de reprendre la plume. Mais il refuse de se livrer et encore plus de créer à nouveau. Bishop le dépose dans une maison isolée mais luxueuse - celle qu'il avait acquise pour Melody après qu'elle lui en ait montré la photo quand ils avaient dix-huit ans.

Melody

Sidney se prépare à accueillir sa femme avant de faire un malaise. Hospitalisé dans un état grave, à cause de son alcoolisme et d'une commotion cérébrale non soignée, datant de ses dix-huit ans lors d'une dispute avec sa mère au sujet de la VHS, il réclame Bishop. Sidney lui dévoile l'histoire de Brett Newport, les circonstances du décès de Melody, les raisons de sa disparition médiatique. Il s'éteint apaisé en se revoyant avec Melody, adolescents.

Si le résumé ci-dessus est linéaire, la construction du film, elle, ne l'est pas, et c'est ce qui donne son principal intérêt narratif à The Vanishing of Sidney Hall : comment, une fois réunis, les fragments d'une existence, ses moments les plus saillants, les plus intenses, les plus critiques, disent la vérité d'un individu.

Comme souvent avec les films uniquement disponibles en VOD, il ne manque pas grand-chose pour en faire une oeuvre aussi solide qu'un long métrage et plus ambitieux qu'un téléfilm de prestige. En l'occurrence, ici, ce qui nuit au projet, c'est un léger manque d'émotions. Un comble pour un mélodrame...

L'histoire fait penser (un peu) au roman magistral de Paul Auster, Leviathan, dans lequel le héros découvrait que son meilleur ami, écrivain comme lui, était retrouvé mort suite à l'explosion d'une bombe artisanale. progressivement, on apprenait comment ce dernier, suite à un accident, et quelques événements indépendants de sa volonté, avait dérivé vers une forme de terrorisme artistico-politique qui allait lui coûter absurdement la vie.

Ici, on retrouve un peu le même mécanisme implacable : un enchaînement sur plusieurs années de drames et d'accidents bouleversent un jeune écrivain surdoué au point de l'entraîner dans une longue errance auto-destructrice tandis qu'un de ses confrères le recherche pour tenter de comprendre.

Mais le script de Shawn Christensen et Jason Dolan, remarqué par la société de production "Scott Free" (de Ridley et Tony Scott, qui voulaient en confier la réalisation à Joe Russo), charge trop la mule sans pour autant réussir à convertir l'ensemble en une somme poignante. En fait, il semble que les auteurs soient tombés sur un cas de conscience : lorsqu'on traite de la disparition au sens où quelqu'un décide de fuir les autres, faut-il montrer qu'on le retrouve ? Ou bien laisser le héros à l'oubli auquel il aspire ?

Je serai tenté de dire, comme Paul Auster dans Leviathan, que ce qui reste invisible prend une forme légendaire. Le mystère d'une disparition devient alors plus dramatique et fascinant quand on ignore si le disparu a fini par mourir, disparaître définitivement. S'effacer de la surface de la Terre, ne jamais être retrouvé, c'est par définition incroyable et éprouvant, douloureux pour les proches, surtout à notre époque où la technologie permet de tracer les individus n'importe où. 

A cet égard, Francis Bishop (joué par le toujours excellent Kyle Chandler) peut, avant qu'on sache qui il est, d'abord être pris pour Sidney Hall âgé (et on peut alors imaginer que le scénario aurait raconté comment le jeune prodige, traumatisé par les suicides de Brett et de son lecteur, la mort de Melody, aurait perdu la mémoire et finit par se chercher lui-même avant de comprendre à la fin qu'il est devenu Francis Bishop). Mais Christensen a préféré une autre option, moins troublante, et qui aboutit à un final étrangement éteint, avec d'ultimes confidences sur un lit de mort. Confidences qui en apprennent plus à Bishop qu'au spectateur et qui donc tombent à plat.

C'est un peu ballot, d'autant que la mise en scène, avec son montage en flash-backs, sur deux époques et le présent, bénéficie d'un grand soin, avec une belle photo, et un casting de qualité. Logan Lerman ne manque pas d'intensité dans le rôle-titre, même quand il est grimé avec une perruque et une barbe dans sa période hobo. Dans des seconds rôles, Michelle Monaghan (la mère de Sidney) et Margaret Qualley (Alexandra) savent profiter de peu scènes pour exister fortement. Toutefois, la grande gagnante reste Elle Fanning qui prête sa beauté irréelle et radieuse à Melody, personnage central que la jeune actrice rend vraiment magnétique.

Inégal donc, mais pas dénué d'atouts. En tout cas, pas moins bon que bien des longs métrages qui finissent dans les salles sans qu'on sache trop ce qui a convaincu les exploitants et les distributeurs de les soumettre au grand public.  

lundi 27 août 2018

BRAINDEAD (CBS)


Annulée au bout de treize épisodes, Braindead a sans doute fait les frais de sa loufoquerie dans le paysage audiovisuel américain où une chaîne comme CBS n'a pas habitué son public à un divertissement pareil. Par ailleurs, le résultat ne pouvait que dérouter de la part de ses créateurs, Michelle et Robert King, showrunners de la plus sérieuse The Good Wife. Et pourtant, en 2016, cette série prophétisait avec une étonnante justesse la présidence Trump...

 Laurel Healy et Gareth Ritter (Mary Elizabeth Winstead et Aaron Tveit)

Laurel Healy est une jeune documentariste qui ne rencontre pas le succès escompté avec ses projets. Pour financer son film, elle accepte à contrecoeur la proposition de son père de devenir l'assistante pour six mois de son frère aîné, Luke, sénateur Démocrate. Mais elle se rend vite compte que quelque chose cloche au Capitole avec le comportement bizarre de plusieurs élus, en particulier Red Wheatus, le chef de file de l'opposition Républicaine. En faisant des recherches, Laurel apprend que le Smithsonian Museum abrite une météorite recueillie en Russie...

Luke Healy et sa soeur Laurel (Danny Pino et Mary Elizabeth Winstead)

Ce gros caillou contient des insectes semblables à la lucilie bouchère qui s'introduit dans le crâne humain par les oreilles et en grignotent la moitié, ce qui radicalisent les sentiments. Laurel enquête sur le décès du Dr. Daudier, chargé d'examiner la météorite, dont la tête a littéralement explosé, et elle rencontre à cette occasion sa fille, Rochelle, médecin, ainsi que Gustav Triplett, un excentrique adepte des théories conspirationnistes. En même temps, Laurel doit composer avec Gareth Ritter, le secrétaire de Wheatus, et ses manigances pour torpiller les Démocrates... 

Laurel et Luke

Lors d'un débat télévisé, la tête d'un Républicain explose en direct. Le F.B.I. ouvre une enquête et soupçonne vite Laurel d'activités terroristes en ayant appris son intérêt pour des insectes venus de l'espace. Elle est interrogée par l'agent Anthony Onofrio qui cherche à la charmer même si la proximité de Rochelle et Gustav le contrarie. Cependant, Luke voit son poste de chef de file des Démocrates menacé par son ambitieuse rivale, Ella Pollack...

Luke, Gustav Triplett, Laurel et Rochelle Daudier (Danny Pino, Johnny Ray Gill,
Mary Elizabeth Winstead et Nikki James)

Laurel demande à Onofrio de convaincre, si besoin est par la contrainte, son amie d'enfance Abby de passer un scanner car elle craint qu'elle soit infectée par les insectes. Mais celle-ci préfère se suicider que de se soumettre au moindre examen. Luke tente de négocier un compromis avec les Républicains modérés pour éviter un blocage parlementaire tout en cachant ses manoeuvres à Ella Pollack et Red Wheatus...

L'agent du FBI Tony Onofrio et Laurel (Charles Semine et Mary Elizabeth Winstead)

Laurel insiste auprès de Luke pour que le Centre de Contrôle et de Prévention des Maladies entame des recherches sur la lucilie bouchère. Mais, trop occupé par ses devoirs au Capitole, il l'adresse à Joanne Alaimo, une entomologiste réputée. Elle aide Gustav à localiser le repaire des insectes dans un cerisier proche du parlement. Laurel, elle, devine que Onofrio est infecté et veut la contaminer...

Rochelle et Gustav

Atteinte à son tour, Laurel ne doit son salut qu'à l'intervention de Gustav et Rochelle et la présence de Gareth avec lequel elle couche car, pour expulser les insectes, il faut éprouver des émotions fortes et primales. Wheatus et Pollack oeuvrent pour couper les vivres du Centre de Contrôle et de Préventions des Maladies et réussissent à stopper les recherches sur les insectes tandis que Joanna Alaimo est infectée à son tour...

Laurel et Luke

Grâce à l'influence de Wheatus, le FBI arrête Laurel pour la soumettre à un interrogatoire poussé, mené par Onofrio. Sans nouvelles de sa soeur, alerté par Gustav et Rochelle, Luke apprend où elle est retenue grâce à un agent intègre et la fait libérer en menaçant le directeur du Bureau de restrictions budgétaires. Rochelle et Gustav font ensuite part à Laurel du moyen qu'ils ont trouvé pour brouiller les communications entre les insectes et leurs hôtes. Puis elle retrouve Gareth qui la réconforte après cette journée éprouvante.

Les sénateurs Ella Pollack et Red Wheatus (Jan Maxwell et Tony Shalhoub)

Rochelle assomme un intrus chez elle et l'interroge avec Gustav et Laurel pour apprendre que les insectes veulent pousser l'humanité à s'auto-détruire. Laurel soupçonne son père, atteint de la maladie de Parkinson, d'être infecté en voyant son état subitement s'améliorer. Pendant ce temps, Wheatus et Luke se chamaillent sur un projet mené par le sénateur Républicain de livrer une guerre contre la Syrie qu'il accuse d'être responsable des explosions de têtes sur la base de documents falsifiés.

Rochelle et Laurel

Une journaliste, Claudia Monarch, révèle que la C.I.A. est intervenue pour stopper le projet de guerre. Wheatus accuse aussitôt Luke d'avoir fait fuiter l'information et obtient qu'un procureur spécial enquête. La liaison entre Gareth et Laurel bat de l'aile quand il a en mains un dossier sur elle, révélant entre autres qu'elle aurait eu une aventure avec le célèbre documentariste de gauche Michael Moore. 

Laurel

A la demande de Luke, Laurel doit produire une vidéo virale pacifiste. Elle collabore à cette occasion avec un de ses ex, Ben Valderrama, qui préférerait dénoncer le pouvoir de Wall Street et les inégalités financières des classes sociales. Germaine, la femme de Luke, déjà infectée, met au monde une petite fille et Laurel convainc son frère de rompre avec toutes ses maîtresses pour le bien de sa famille et de sa carrière. D'autant qu'elle a remonté la vidéo mise en scène par Valderrama et obtient un beau succès, même si son ex s'en attribue tout le mérite au JT...

Gareth et le sénateur Wheatus

Wheatus veut à présent faire voter un budget dont Laurel et Luke découvrent qu'il financera la construction de serres pour des cerisiers dans les cinquante Etats du pays. Gareth surprend Wheatus à son insu en train de nourrir la reine des insectes logée dans son crâne et comprend que Laurel ne délirait pas avec cette histoire. Il renoue avec elle, prêt à l'aider à ruiner les projets de son patron.

Laurel et Gareth

Devant l'ampleur du plan de Wheatus, Laurel est pourtant découragée au point de songer à quitter Washington pour partir terminer son documentaire su la disparition des chants traditionnels mélanésiens. Mais par amour pour Gareth et amitié pour Gustav et Rochelle, elle se ressaisit tandis que Luke, approché pour devenir le nouveau directeur de la CIA, découvre que son actuel dirigeant est de mêche avec Wheatus et apprend pour l'invasion des insectes. Lui aussi va désormais aider sa soeur.

Laurel

Laurel découvre comment déloger les insectes de leurs hôtes et teste la méthode sur son père avec succès. Puis avec Gareth, elle neutralise Wheatus pendant que Rochelle et Gustav accélèrent la défloraison des cerisiers grâce à un pesticide puissant et rapide. Les bestioles battent en retraite avec la mort de leur reine et la destruction de leur repaire. Luke quitte son poste pour devenir trader à la Bourse. Laurel s'installe avec Gareth.

C'est une bien curieuse mais très drôle série que Braindead, quand bien même on sent que son dénouement est un peu précipité à cause de son annulation au treizième épisode (la moitié de la saison, terme à partir de laquelle une chaîne télé américaine stoppe les frais si l'audience n'est pas au rendez-vous). Ce mélange de satire politique, d'épouvante et de comédie sentimentale aboutit à un cocktail tel qu'on le trouverait plus volontiers sur des networks à péages comme HBO ou des plateformes comme Netflix.

Pour bien apprécier le propos, il faut remettre le projet de Michelle et Robert King en perspective. Ces deux showrunners sont alors auréolés du succès de la série The Good Wife (qui s'est terminée depuis mais a connu un spin-off The Good Fight, qui cartonne), sur la vie d'un cabinet d'avocats dont l'héroïne reprend son métier après avoir découvert l'infidélité de son mari (on retrouve cette configuration en partie avec le personnage de Luke Healy, sénateur coureur de jupons).

Logiquement, ils sont courtisés pour écrire une nouvelle production et sont soutenus pour cela par la société "Scott Free", de Ridley Scott. Nous sommes en 2016, quelque mois avant l'élection présidentielle américaine, Barack Obama termine son second mandat et Hilary Clinton affronte Donald Trump en campagne. A cette époque, l'ancienne secrétaire d'Etat et épouse de Bill est grande favorite pour accéder à la Maison-Blanche...

La suite est connue. Mais Braindead avait vu étonnamment juste en prophétisant la victoire des Républicains et de leur frange la plus dure, la plus populiste. Toutefois, les auteurs, peut-être par fatalisme, choisissent d'en rire et inventent une intrigue farfelue qui expliquerait la stupidité de l'opposition aux Démocrates par une invasion d'insectes dévoreurs de cerveaux venus de l'espace.

Le show ne fait pas peur, même s'il y a quelques giclées d'hémoglobine et d'éclatements de cervelle spectaculaires, toujours hors-champ. La mise en scène est suffisamment habile pour souligner le caractère délirant et rigolo de l'effet. Et le récit explore davantage l'enquête menée par l'improbable trio formé par Laurel, Rochelle (jouée par Nikki James, excellente en voix de la raison) et l'impayable Gustav (formidable Johnny Ray Gill) que l'aspect horrifique de la situation.

Par contre, le scénario ne lésine pas sur  les moyens pour démontrer l'absurdité de l'arsenal législatif américain, avec des sénateurs tous plus bornés les uns que les autres, plus occupés à contrarier leur opposition qu'à gouverner justement le pays. Les allusions à la guerre en Syrie, aux coucheries des politiciens, aux alliances entre Républicains et Démocrates modérés contre les plus radicaux de leurs éléments, toutes ces magouilles visibles en direct à la télé comme une pièce de théâtre, sont innombrables. On en rit tout en étant ahuri. Dans ces scènes-là, Tony Shalhoub (Wheatus) domine Danny Pino (Luke) et Jan Maxwell (Pollack) grâce à une composition d'abruti retors particulièrement savoureux.

Mais les King ont voulu aussi offrir au public des personnages auxquels se raccrocher dans ce jeu de massacre : Aaron Tveit (Gareth) est parfait en jeune loup arriviste qui tombe sous le charme (on le comprend) de Mary Elizabeth Winstead (Laurel). L'actrice, un des talents les plus fins de l'actuelle génération, est magnifique dans ce rôle auquel elle donne une classe folle et une fantaisie exquise, que viendra confirmer sa prestation la même année dans la saison 3 de Fargo (inoubliable Nikki Swango).

Parfois coupable de s'éparpiller, accusant quelques longueurs (une saison de dix épisodes aurait été impeccable), mais en même temps troublante de justesse et très drôle, complètement dingue, Braindead est taillée pour devenir une série culte. Laissez-vous tenter.    

dimanche 26 août 2018

WEST COAST AVENGERS #1, de Kelly Thompson et Stefano Caselli


Kelly Thompson a de la suite dans les idées (et le soutien de Marvel) : sa série Hawkeye annulée, elle n'a pas renoncé à animer Kate Bishop (et Clint Barton), et pour cela elle relance un titre historique, bizarrement délaissé depuis des décennies, avec West Coast Avengers. Elle a, pour cela, le soutien d'un vrai bon dessinateur (son meilleur depuis Leonardo Romero), Stefano Caselli. Mais attention ! Sa version est très iconoclaste. Tant mieux ? Ou hélas ?


Kate Bishop a décidé de rester vivre à Los Angeles. Mais elle a compris que ses talents d'archer ne suffisaient pas à régler les menaces planant sur la Côte Ouest des Etats-Unis. Il lui faut des alliés en plus de son boyfriend Johnny Watts/Fuse et de Clint Barton.


Après avoir dû maîtriser une bande de requins géants sur pattes avec le renfort de Miss America Chavez, son ancienne partenaire des Young Avengers, et contacté des super-héros potentiellement disponibles (mais pas intéressés), elle se résout à passer une petite annonce.


Défilent alors dans son agence d'enquêtes privées les plus improbables candidats. Ce casting la démoralise tant qu'elle accepte d'engager Gwenpool, une mercenaire extravagante qui connaît tous le secrets des super-héros et vilains et convaincue de vivre dans une BD. Puis surgit le mutant Quentin Quire/Kid Omega, qui, en plus de sa puissance, fournit le financement de groupe car il est accompagné d'une équipe de tournage pour une télé-réalité qui souhaite filmer une équipe de justiciers.


En attendant d'avoir un quartier général payé par cette production, le groupe est vite appelé pour une mission peu banale : sur la plage est apparue Tigra, membre fondatrice des premiers Vengeurs de la Côte Ouest. Mais elle a bien changé...


En effet, sa nature animale a pris le dessus sur son humanité. Et surtout elle mensure désormais soixante mètres de haut ! Clint tente d'abord de la raisonner, en vain. La situation est très compromise car Kate refuse que Quentin ou Miss America n'utilisent la force. C'est alors qu'un certain B.R.O.D.O.C.K. apparaît en assurant qu'il va leur sauver la mise...

Avant d'aller plus loin, un mot pour les râleurs qui, sur les réseaux sociaux, vouent déjà aux gémonies la série parce que ce ne sont pas les "vrais" West Coast Avengers. On peut ne pas apprécier le style d'un auteur, la direction qu'il imprime au titre, le fait même de le relancer (même si dans ce dernier cas c'est d'abord la responsabilité de l'éditeur). Mais critiquer le choix des personnages est, à mon sens, absurde : nier cette liberté à un(e) scénariste, c'est s'approprier le casting - une manoeuvre illégitime. Dans le cas des Avengers, les formations ont depuis toujours été en mouvement, et ceux de la West Coast ne dérogent pas à la règle. Donc venir reprocher l'intégration de Kate Bishop, Miss America Chavez, Gwenpool ou Quentin Quire, c'est ni plus ni moins prétendre être le directeur artistique de la série. Les lecteurs ont droit de vie ou de mort sur un titre, en l'achetant ou pas, mais selon la proposition d'un auteur.

Ceci étant dit, il faudrait être particulièrement mal embouché pour ne pas apprécier le travail de Kelly Thompson, qui s'inscrit à la fois dans la droite ligne de son run sur Hawkeye, des origines des West Coast Avengers, mais aussi de la Justice League International de Giffen-DeMatteis-Maguire.

On retrouve donc le duo formé par Kate Bishop et Clint Barton, le fait que cette équipe est un rassemblement de héros sans formation fixe (ce qui était à la base de la série des années 80, quand Hawkeye avait créé cette branche indépendante des Vengeurs) et une prime à l'humour et l'action.

Dans le contexte actuelle des comics (aussi bien chez DC que Marvel), les super-héros échappant à un registre sombre sont une denrée rare. Marvel fait un effort notable pour réintroduire une certaine légèreté comme en témoigne, depuis le début de l'initiative "Fresh Start", des séries comme Tony Stark : Iron Man, le retour des Fantastic Four et le nouveau volume de Thor (même si le graphisme, illisible, gâche considérablement l'entreprise dans ce dernier cas). Le projet de Kelly Thompson pourrait bien devenir l'aboutissement de cette inclinaison.

La scénariste s'est toujours distinguée par son sens de l'humour, ses dialogues bien sentis, son amour des personnages et le soin avec lesquels elle les caractérise. Elle y ajoute ici un goût pour le délire rafraîchissant via la construction du récit (en fait une suite de témoignages face caméra pour une télé-réalité, qui résument les jours précédents de l'histoire) et ses références (la saga ciné Sharknado avec l'attaque des requins). Le choix des membres de l'équipe va dans le même sens : il s'agit, plus que de facilement provoquer, de renouveler (selon la tradition de la franchise "Avengers") mais en jouant avec le passif des protagonistes.

Fuse (dont les pouvoirs sont semblables à ceux de l'Homme Absorbant) était le petit ami de Kate Bishop dans Hawkeye. Miss America Chavez fut sa partenaire dans Young Avengers (et Thompson s'amuse à suggérer que la lesbienne mexicaine est surtout là parce qu'elle est amoureuse de Kate). Gwenpool est typiquement la wildcard de l'équipe (personnage surprenant, dérivé de Deadpool et de Gwen Stacy, qui sait tout sur tout le monde et est consciente de vivre dans un comic-book). Et Quentin Quire, issu de Wolverine & the X-Men, est la tête à claques super-puissante. C'est précisément en soulignant l'aspect dysfonctionnel de ce pack que Thompson créé une dynamique efficace et rapide, très drôle et percutante.

En lui adjoignant Stefano Caselli pour le dessin, Marvel donne à Thompson les moyens de son ambition (plus que pour Mr. et Mrs. X avec le faiblard Oscar Bazaldua). L'italien traîne déjà depuis un moment chez l'éditeur pour qui il a collaboré à des séries exposées (notamment Secret Warriors et Avengers écrits toutes deux par Hickman). Mais son travail était souvent inégal, à cause d'une colorisation médiocre notamment (ou plus généralement à cause de la personnalité écrasante des scénaristes - pas facile d'exister avec Dan Slott, Brian Bendis, Jonathan Hickman).

Cette fois, les planètes sont alignées : Thompson est une vedette en devenir qui semble vraiment sur la même longueur d'ondes que l'artiste. Il a avec Triona Farrell une coloriste qui met superbement en valeur son trait. Et son dessin lui-même a franchi un palier remarquable. Caselli a assimilé le côté extravagant de l'histoire et a subtilement modifié son approche, en ayant un graphisme moins rond mais toujours aussi mobile.

Il est aussi à l'aise dans les scènes à grand spectacle, auxquelles il infuse une énergie bienvenue, que pour les passages reposant sur les dialogues, avec une grande variété dans les plans, les enchaînements, les compositions et les expressions. Chaque personnage a tout de suite une représentation bien définie, qu'il s'agisse du "vétéran" Clint Barton ou de l'ado Quentin Quire en passant par Kate Bishop et America Chavez ou l'improbable Gwenpool.

La fin de ce premier épisode jubilatoire réintroduit un personnage féminin certes bien changée mais issu du passé des Vengeurs de la Côte Ouest et une création bien décalée. Oui, vraiment, il faudrait être bien difficile pour ne pas être conquis par tout ça.