mardi 28 août 2018

THE VANISHING OF SIDNEY HALL, de Shawn Christensen


Sorti directement en VOD en France sous le titre littéral traduit de La Disparition de Sidney Hall, ce premier film de Shawn Christensen disposait pourtant d'un joli casting et d'une histoire intéressante, mais n'a pas convaincu un distributeur pour l'exploiter en salles. Séance de rattrapage donc pour ce mélodrame sur les affres de la littérature.

 Sidney Hall et Brett Newport (Logan Lerman et Blake Jenner)

A dix-huit ans, Sidney Hall est un brillant lycéen mais qui agace à dessein sa professeur d'anglais vieux jeu avec des rédactions provocantes. Un autre de ses enseignants, Duane Jones, lui conseille d'écrire un roman. Sidney est ensuite abordé par Brett Newport, un camarade de classe, footballeur, qui lui demande de l'aider à retrouver une boîte enterrée dans les bois dans leur enfance. Avant de l'aider, Sidney reçoit une lettre d'une admiratrice, Melody, dont il ne tarde pas à découvrir qu'il s'agit de sa voisine, connue à l'école primaire et perdue de vue ensuite. Amoureux d'elle, il permet à Brett de récupérer sa boîte mais le père de ce dernier s'en prend violemment à son fils à son retour. Sidney doit veiller sur le récipient mais il ne résiste pas à l'ouvrir : il contient une VHS sur laquelle est enregistrée la relation sexuelle entre le juge Newport et sa propre fille mineure, la soeur de Brett.

Sidney Hall et Melody Jameson (Logan Lerman et Elle Fanning)

Troublé, Sidney se change les idées avec Melody qu'il accompagne à la fête foraine. Cependant, Velouria Hall, sa mère, trouve la VHS et la détruit. Sidney en informe Brett qui se suicide peu après. Le garçon s'inspire de ce drame pour écrire son roman, "Suburban Tragedy", et le soumet à Duane Jones, qui, impressionné, contacte des éditeurs. L'un d'eux souhaite le publier et Sidney accepte que Jones devienne son agent. Puis il en profite pour quitter le domicile de ses parents avec Melody.

Sidney Hall

A vingt-quatre ans, Sidney Hall est devenu un écrivain à succès après la parution de ses deux premiers livres. Mais la mort de Brett continue de le hanter et il est sujet à des hallucinations chroniques où il voit son ami disparu. Alcoolique, il voit Melody l'abandonner et la trompe avec la fille de son éditeur, Alexandra. En lice pour le Prix Pulitzer, Sidney se sent indigne de le recevoir face à Francis Bishop, l'autre favori pour cette distinction. Un lecteur à qui il a dédicacé son premier roman se suicide.

Melody et Sidney

L'affaire est montée en épingle par des politiciens qui veulent interdire son livre. Melody demande le divorce. Lorsque Alexandra lui demande de refaire sa vie avec elle, il rompt puis, dans une crise de graphomanie, il rédige plusieurs centaines de pages. Son assistante découvre ce manuscrit qu'il veut détruire mais l'en empêche. Sidney se ressaisit et revoit Melody qui lui avoue attendre un enfant. Pour fêter cela, en lui jurant qu'il va changer, il l'emmène dîner au restaurant. Mais Alexandra surgit et révèle son infidélité. En rentrant chez eux, Sidney et Melody sont coincés dans l'ascenseur en panne. Elle succombe à une crise d'asthme.

Francis Bishop (Kyle Chandler)

A trente ans, Sidney Hall a disparu de la vie publique depuis cinq ans. Il est remarqué dans plusieurs librairies où il brûle les exemplaires de ses deux romans. Puis il erre sur les routes ou se déplace dans des wagons de fret avec son chien. Un homme avec une badge de police le piste et rencontre ses proches (comme Duane Jones, redevenu enseignant), les libraires ayant signalé ses autodafés, un faussaire lui ayant fourni des papiers (au nom du lecteur qui s'était suicidé). Sidney est arrêté en état d'ivresse.

Francis Bishop et Sidney Hall

Libéré sous caution, il rencontre le policier qui n'en est pas un puisqu'il s'agit en vérité de Francis Bishop, son concurrent six ans auparavant pour le Prix Pulitzer. Il désire écrire la biographie de Sidney Hall et, pourquoi pas, le convaincre de reprendre la plume. Mais il refuse de se livrer et encore plus de créer à nouveau. Bishop le dépose dans une maison isolée mais luxueuse - celle qu'il avait acquise pour Melody après qu'elle lui en ait montré la photo quand ils avaient dix-huit ans.

Melody

Sidney se prépare à accueillir sa femme avant de faire un malaise. Hospitalisé dans un état grave, à cause de son alcoolisme et d'une commotion cérébrale non soignée, datant de ses dix-huit ans lors d'une dispute avec sa mère au sujet de la VHS, il réclame Bishop. Sidney lui dévoile l'histoire de Brett Newport, les circonstances du décès de Melody, les raisons de sa disparition médiatique. Il s'éteint apaisé en se revoyant avec Melody, adolescents.

Si le résumé ci-dessus est linéaire, la construction du film, elle, ne l'est pas, et c'est ce qui donne son principal intérêt narratif à The Vanishing of Sidney Hall : comment, une fois réunis, les fragments d'une existence, ses moments les plus saillants, les plus intenses, les plus critiques, disent la vérité d'un individu.

Comme souvent avec les films uniquement disponibles en VOD, il ne manque pas grand-chose pour en faire une oeuvre aussi solide qu'un long métrage et plus ambitieux qu'un téléfilm de prestige. En l'occurrence, ici, ce qui nuit au projet, c'est un léger manque d'émotions. Un comble pour un mélodrame...

L'histoire fait penser (un peu) au roman magistral de Paul Auster, Leviathan, dans lequel le héros découvrait que son meilleur ami, écrivain comme lui, était retrouvé mort suite à l'explosion d'une bombe artisanale. progressivement, on apprenait comment ce dernier, suite à un accident, et quelques événements indépendants de sa volonté, avait dérivé vers une forme de terrorisme artistico-politique qui allait lui coûter absurdement la vie.

Ici, on retrouve un peu le même mécanisme implacable : un enchaînement sur plusieurs années de drames et d'accidents bouleversent un jeune écrivain surdoué au point de l'entraîner dans une longue errance auto-destructrice tandis qu'un de ses confrères le recherche pour tenter de comprendre.

Mais le script de Shawn Christensen et Jason Dolan, remarqué par la société de production "Scott Free" (de Ridley et Tony Scott, qui voulaient en confier la réalisation à Joe Russo), charge trop la mule sans pour autant réussir à convertir l'ensemble en une somme poignante. En fait, il semble que les auteurs soient tombés sur un cas de conscience : lorsqu'on traite de la disparition au sens où quelqu'un décide de fuir les autres, faut-il montrer qu'on le retrouve ? Ou bien laisser le héros à l'oubli auquel il aspire ?

Je serai tenté de dire, comme Paul Auster dans Leviathan, que ce qui reste invisible prend une forme légendaire. Le mystère d'une disparition devient alors plus dramatique et fascinant quand on ignore si le disparu a fini par mourir, disparaître définitivement. S'effacer de la surface de la Terre, ne jamais être retrouvé, c'est par définition incroyable et éprouvant, douloureux pour les proches, surtout à notre époque où la technologie permet de tracer les individus n'importe où. 

A cet égard, Francis Bishop (joué par le toujours excellent Kyle Chandler) peut, avant qu'on sache qui il est, d'abord être pris pour Sidney Hall âgé (et on peut alors imaginer que le scénario aurait raconté comment le jeune prodige, traumatisé par les suicides de Brett et de son lecteur, la mort de Melody, aurait perdu la mémoire et finit par se chercher lui-même avant de comprendre à la fin qu'il est devenu Francis Bishop). Mais Christensen a préféré une autre option, moins troublante, et qui aboutit à un final étrangement éteint, avec d'ultimes confidences sur un lit de mort. Confidences qui en apprennent plus à Bishop qu'au spectateur et qui donc tombent à plat.

C'est un peu ballot, d'autant que la mise en scène, avec son montage en flash-backs, sur deux époques et le présent, bénéficie d'un grand soin, avec une belle photo, et un casting de qualité. Logan Lerman ne manque pas d'intensité dans le rôle-titre, même quand il est grimé avec une perruque et une barbe dans sa période hobo. Dans des seconds rôles, Michelle Monaghan (la mère de Sidney) et Margaret Qualley (Alexandra) savent profiter de peu scènes pour exister fortement. Toutefois, la grande gagnante reste Elle Fanning qui prête sa beauté irréelle et radieuse à Melody, personnage central que la jeune actrice rend vraiment magnétique.

Inégal donc, mais pas dénué d'atouts. En tout cas, pas moins bon que bien des longs métrages qui finissent dans les salles sans qu'on sache trop ce qui a convaincu les exploitants et les distributeurs de les soumettre au grand public.  

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