dimanche 4 juin 2023

FANTASTIC FOUR OMNIBUS PAR MARK WAID & MIKE WIERINGO


Comme je l'avais dit dans ma critique de Fantastic Four #7 (#700), j'ai acquis l'Omnibus Fantastic Four par Mark Waid et Mike Wieringo récemment publié par Panini Comics. L'occasion d'avoir l'intégralité de leur un en seul volume (de plus de 800 pages) pour un prix décent (je l'ai acheté d'occasion pour 65 E sur Amazon). Comme il serait fastidieux de résumer tous les épisodes et d'en faire la critique détaillée, je vais passer en revue les étapes importantes des différents arcs narratifs et tenter d'expliquer pourquoi ça reste une réussite exemplaire.

L'album démarre au #60. Mark Waid explique dans la préface de l'Omnibus qu'il a hésité à accepter le job car... Il n'était pas vraiment fan de Fantastic Four ! Mais quand l'editor Tom Brevoort lui a expliqué qu'il comptait lui associer Mike Wieringo au dessin, le scénariste s'est laissé convaincre car l'artiste était son ami. Il s'est donc plongé dans la relecture de la série et a dressé une note d'intention en commençant par définir les caractéristiques de la 1st Family de Marvel (hélas ! et c'est le seul faux pas de l'Omnibus de Panini, ce document ne figure pas au sommaire alors qu'il est dans le 1er tpb en vo).


Cet épisode 60 et le suivant sont des modèles du genre pour (ré)introduire les personnages au lecteur. Waid a compris que les 4F souffraient d'un déficit de notoriété comparés aux Avengers et aux X-Men et il transpose ce constat dans son récit. Reed Richards engage donc un publiciste pour améliorer l'image de l'équipe tandis que Sue, pour responsabiliser son frère Johnny, en fait le directeur financier. Mike Wieringo, avec le coloriste Paul Mounts, impose d'entrée de jeu un graphisme léger, lumineux, tout en rondeur, avec des personnages souriants. On est dans un feel-good comic-book, on s'y sent bien.
 

Passé ce démarrage, pourtant, les fans vont être déçus par le premier arc, Equation. Waid imagine un adversaire inédit qui n'est pas inintéressant dans la mesure où il confronte Reed Richards à la possibilité qu'une de ses inventions déraille. Mais effectivement, quelque chose manque dans cette histoire qui évoque les dérives autrefois vues chez Hank Pym avec Ultron sans atteindre la même intensité. Toutefois, tout n'est pas à jeter : Wieringo illustre ça de manière très dynamique, encore une fois Mounts fait des merveilles aux couleurs, et surtout malgré le défaut de charisme de la menace, on devine déjà que Waid ne va pas ménager ses héros qui souffre vraiment dans leur chair lors des combats.


L'insectoïde du Leviavers est aussi un arc mineur. Mais Waid développe sur deux épisodes un élément qu'il a introduit dès le #60. Mark Buckingham remplace Wieringo mais sa prestation est gâché par un encrage médiocre de Danny Miki et Allen Martinez qui ne lui convient pas. On pourrait penser à ce stade, après six mois de parution, que, finalement, ça ne part pas très bien, que les auteurs ont des difficultés à prendre leurs marques. Mais c'est un peu plus subtil que ça comme on va le voir dès l'épisode et l'arc suivant...


En effet, le 67ème épisode est le prologue à un arc en quatre parties qui va faire date en qui reste encore aujourd'hui un classique, de ces histoires qui restent dans les mémoires. L'Appel des ténèbres (Unthinkable en vo) montre le Docteur Fatalis comme on l'a rarement vu, réellement méchant et dangereux, échafaudant un plan diabolique et n'hésitant pas pour l'exécuter à se servir de sa propre filleule, Valeria Richards. 


Waid ne réinvente pas la roue : l'intrigue repose sur l'éternel duel entre les egos surdimensionnés de Reed Richards et Victor von Fatalis. Ce dernier, scientifique de génie comme Mr. Fantastic, a aussi étudié les arts occultes comme sa mère gitane avant lui et n'a eu de cesse de vouloir prouver au monde sa supériorité sur celui qui a causé l'accident qui l'a défiguré. 

Les fans ne goûteront guère au relooking extrême de Fatalis conçu par Wieringo qui fait pourtant tout à fait sens dans le cadre de cette histoire très noire. Le pauvre Franklin en sortira durablement traumatisé, Ben Grimm esquinté physiquement, et, idée cruellement géniale, Reed Richards défiguré à son tour. N'hésitons pas à le dire : cet arc est un chef d'oeuvre. 


Et il l'est parce que Waid à partir de là va opérer un virage à 180° dans sa vision de la série. Fini le feel-good, bienvenue en enfer. Le scénariste va explorer, longuement, les conséquences de cette aventure sur le groupe, alors qu'il est plutôt d'usage dans les comics super-héroïques de passer rapidement à autre chose, les super-héros étant dotés habituellement d'une faculté de résilience inouïe. Il faut noter en outre deux points : d'abord la série reprend sa numérotation historique (le dernier épisode de L'Appel des ténèbres est le n°500), et les deux épisodes suivants formant l'arc Retour de l'enfer sont mis en images par Casey Jones, qui s'acquitte d'une prestation très honorable à la suite de chapitres magistralement réalisés par Wieringo.


Lorsque je dis que Waid va exploiter sur la durée les répercussions de L'Appel des ténèbres, il faut me prendre au mot. Le scénariste se lance alors dans son histoire la plus controversée : en compagnie de Howard Porter au dessin, il imagine que Mr. Fantastic va vouloir restaurer la démocratie en Latvérie puisque Fatalis a été envoyé en enfer. 

Le problème, d'ordre moral, éthique, c'est que les méthodes de Reed Richards ne valent guère mieux que celles de son rival : face à un peuple qui n'a jamais rien connu d'autre que le joug tyrannique du souverain, lui et ses compagnons sont d'abord rejetés. On découvre un Reed Richards volontiers manipulateur et radical pour arriver à ses fins, ce qui créé de vives tensions avec Sue et surtout Ben mais aussi Johnny. 

La question centrale est de savoir si on peut faire le bien contre la volonté des opprimés, mais Waid interroge aussi le sens politique de cette démarche car les pays voisins convoitent la Latvérie et la crise prenant de l'ampleur, les Nations-Unies s'en mêlent. Nick Fury va alors tenter de raisonner les 4F et le dénouement se soldera par la mort de Ben Grimm.

C'est passionnant à lire, mais aussi pénible car les Fantastic Four sont montrés sous un jour des plus troubles. Et il faut supporter le graphisme de Porter, dont je n'ai jamais été fan.


Heureusement Wieringo revient (enfin !) après quand même huit mois d'absence. La Chose est donc morte et les Fantastiques sont au plus mal. L'opinion internationale s'est retournée contre eux, les inventions de Reed ont été réquisitionnées par le gouvernement américain, les finances sont au plus bas. Le groupe lui-même a explosé car ni Johnny ni Sue n'ont pardonné à Reed la mort de Ben. Pourtant Reed entreprend de ressusciter son ami et quand sa femme et son beau-frère l'apprennent, pas question de le laisser faire - ou en tout cas pas tout seul, sans surveillance cette fois. 

L'arc intitulé L'Au-delà est une merveille : visuellement déjà parce que retrouver Wieringo, au meilleur de sa forme après son long break, aboutit à des planches magnifiques, d'une inventivité débridée, d'une élégance imparable. Le trait de Wieringo, encré par le fidèle Karl Kesel (qui deviendra le scénariste suivant sur la série après la fin du run de Waid) et valorisé par les couleurs de Paul Mounts, rappelle quelle perte a été sa disparition prématurée en 2007. Il m'arrive souvent de me demander ce qu'il aurait encore pu produire, ce qu'il ferait aujourd'hui (même si on sait qu'il ambitionnait de s'exercer sur des héros plus adultes comme le Punisher ou, toujours avec Waid, de revenir chez DC pour une série Aquaman).

Waid ressuscite la Chose de la façon la plus poétique qui soit en orchestrant la rencontre des 4F avec Dieu qui a les traits de... Jack Kirby. Qui en profite pour effacer les cicatrices de Reed Richards et de donner à l'équipe un dessin avant de les renvoyer dans notre dimension. Magique tout simplement.


Mike Wieringo a faim et il enchaîne donc naturellement avec l'arc suivant en deux parties où Waid invite Spider-Man. La Torche Humaine, qui s'est toujours chamaillé avec le Tisseur, va lui demander conseil, entre deux affrontements avec Hydro-man, pour savoir comment gérer l'impopularité des Fantastic Four. C'est savoureux et Spidey prouvera une nouvelle fois à quel point pourquoi il est en somme le meilleur de tous, n'hésitant pas à offrir à Johnny Storm une occasion de briller en public à son détriment. On sort ainsi d'un long cycle où l'équipe a souffert dans sa chair et moralement face à Fatalis et aux choix discutables de Mr. Fantastic. C'est le retour du feel-good.


Et pour bien le souligner, ces deux épisodes, Côte d'impopularité, sont agrémentés d'une back-up story en deux parties située dans le passé et dessinée par rien moins que Paul Smith. C'est donc évidemment sublime, et le couple Reed-Sue est mis en avant dans une aventure où l'on fait la connaissance d'une ex-conquête de Mr. Fantastic.


Wieringo va reprendre du recul sur l'arc suivant, Famille je vous hais !, et c'est Paco Medina qui le remplace cette fois. On entre là dans des épisodes que je n'avais jamais lus et la première surprise vient du dessin justement car à cette époque, Medina avait un style très différent de celui qui est le sien aujourd'hui. L''influence de Humberto Ramos est manifeste, avec cette exagération des proportions, une expressivité poussée, et des courbes omniprésentes. L'intrigue en elle-même, par contre, est un bon cran en-dessous de ce que Waid a produit jusque-là, avec cette formation des Terrifics où le Sorcier, le Piégeur engage Hydro-man et Salamandra pour piéger les Fantastiques publiquement. On passe ? On passe.


Nous arrivons tranquillement à la fin de ce beau pavé puisque c'est déjà l'épisode 517 (sur 524). Et cette conclusion est le bouquet du feu d'artifices. Mike Wieringo ne fera plus faux bond et il va dessiner des épisodes extraordinaires, spectaculaires, avec des designs somptueux. Mark Waid, lui, nous embarque dans un saga en deux actes grandioses où Zius, un savant qui a secouru plusieurs habitants de planètes menacées par Galactus, veut que la Femme Invisible se sacrifie pour lui permettre de poursuivre sa mission.

Waid, on le devine, a l'intention de donner un coup de pied dans la fourmilière avec cette histoire king-size mais n'ira pas jusqu'au bout de son idée. Pourquoi ? Sans doute que le staff éditorial a jugé le projet trop radical et réfléchissait déjà à l'après. Ou alors le scénariste a simplement voulu tester le lectorat et s'est ravisé in extremis, préférant ranger tous ses jouets avant de passer la main. 

Mais quand même, quand il échange les pouvoirs de Sue et Johnny, on devine qu'il a voulu tenter quelque chose. Comme de donner à Sue un pouvoir plus spectaculaire et à faire de Johnny autre chose que l'éternel post-ado insouciant de la famille Sorm et des FF. Plus loin, Ben Grimm retrouvera son apparence humaine et Reed envisage sérieusement de sacrifier son pouvoir élastique pour devenir la nouvelle Chose, culpabilisant toujours de n'avoir jamais trouvé un moyen de guérir son ami. Si Waid était allé jusqu'au bout, la face de la série en aurait été profondément changé (même si Marvel aurait sans doute cherché à restaurer le statu quo ensuite).


Pas de run sur Fantastic Four sans Galactus. ET c'est donc logiquement que Waid convie le dévoreur de mondes pour achever son run. Ce qui ne l'empêche pas de surprendre en faisant de Johnny le nouvel héraut du géant. Puis de faire revenir Galen, l'individu qui est devenu Galactus à la suite du Big Bang. Le scénariste démontre que, quelle que soit sa forme, Galen/Galactus est et reste un être totalement déconnecté de notre conception de l'humanité, venu d'un temps si ancien que notre monde, nos vies, nos idées lui restent étrangers.

C'est une curieuse intrigue, sans beaucoup d'action, et qui peut frustrer, surtout pour fermer le ban d'un run aussi exceptionnel. Mais on peut l'interpréter différemment en considérant que Waid, depuis le début, a manifesté une intention constante de ne pas caresser le fan dans le sens du poil, de ne pas écrire la série de manière convenue. Et surtout d'être dans une réflexion character's driven, en concevant des arcs narratifs dont l'objectif était d'interroger les quatre membres de l'équipe, leur caractère, leur place dans le groupe, la notion même de famille. En préférant mettre en scène Galen plutôt que Galactus, Waid reste dans cette logique, à contre-courant, focus sur le personnage plutôt que sur une énième histoire grandiloquente avec le dévoreur de mondes.

Dans ce registre décalé, le dessin de Mike Wieringo est exemplaire, montrant avec justesse un individu déphasé mais qui donne à voir quelques aspects peu reluisants de l'Amérique, de New York, de la société, en même temps que la volonté obstinée des héros de mettre en avant ce qu'il y a de positif, de beau, de valable dans tout ça.


Le dernier épisode, daté de Mai 2005, est mouvementé, ludique et poignant à la fois, surtout en ce qui concerne Ben Grimm. Si on devait alors faire un bilan, on peut dire que des quatre, c'est peut-être Sue que Waid a le moins mis en avant, le moins exploré. Mais en même temps, elle apparaît, certes en retrait, mais aussi comme le pilier du groupe, la figure la plus intègre, la plus solide, et sans doute la plus puissante, la plus souple aussi. Reed compose avec une culpabilité constante qui menace de le faire dériver. Johnny est un gamin farceur mais brillant à l'occasion. Et Ben est ce grand frère, cet oncle, généreux, ronchon, mais attachant, droit, fidèle. Comme il est dit dans le premier épisode du run, les Fantastic Four ne sont pas des super-héros, même s'ils font leur part, ce sont des explorateurs, des "imaginautes", et plus que tout une famille (le fait qu'ils portent tous le même costume prouve d'ailleurs qu'ils forment une entité et non pas un ensemble disparate).

Mike Wieringo leur a apporté une forme de nouvelle jeunesse avec son style qu'on a souvent qualifié de "cartoony" : il admettait son admiration pour Walt Disney, les animateurs célèbres de l'âge d'or du studio (comme Wolfgang Reithermann), et l'influence de l'école franco-belge (on peut déceler des traces de Uderzo chez lui). Il y a un côté naïf, immédiatement accessible, joli dans son trait, qui peut attirer de jeunes lecteurs, mais aussi un soin pour créer des images détaillées, dans un découpage tonique, qui comblera des fans plus exigeants mais tolérant autre chose qu'un réalisme académique. En tout cas, parfaitement en phase avec la tonalité adoptée par Mark Waid, entre légèreté et gravité, amusement et tension, intimisme et spectacle.

'Ringo (comme il signait) retrouvera une dernière fois ces personnages pour une mini-série, écrite cete fois par Jeff Parker, L'Âge d'argent, avec Spider-Man en guest-star. Ce sera son dernier travail. Mark Waid, lui, renoncera définitivement à son projet Aquaman dont il rêvait avec son partenaire, et il attendra longtemps avant de trouver un partenaire avec lequel sa relation de travail sera si accomplie (Chris Samnee sur Daredevil, puis Black Widow, puis Captain America).

Mais ces 34 épisodes de cet Omnibus sont indispensables pour le fan de Fantastic Four, de Marvel, et surtout de comics. N'hésitez pas, si vous voulez vous offrir un de ces pavés : celui-ci vous comblera.

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