lundi 5 juin 2023

BLACK WIDOW, TOMES 1, 2 & 3, de Kelly Thompson, Elena Casagrande, Carlos Gomez, Rafael de la Torre et Rafael Pimentel

 Aujourd'hui, je vais à nouveau vous proposer une entrée consistante en revenant sur le run de Kelly Thompson sur la série Black Widow en 2020-2022. J'ai fait récemment l'acquisition en occasion des trois tomes en vf qui couvrent l'intégralité des quinze épisodes produites par la scénariste avant que Marvel, contre toute attente, n'annule la série pourtant récompensée d'un Eisner award mérité.


Le premier tome, intitulé Des Liens indéfectibles, rassemble les cinq premiers épisodes, dessinés par Elena Casagrande, avec le soutien de Carlos Gomez pour une scène dans le #4.


Après une mission, Black Widow (Natasha Romanoff) disparaît. Hawkeye (Clint Barton) la remarque en regardant un reportage à San Francisco et prévient le Soldat de l'Hiver (Bucky Barnes). Sur place, ils la surveillent et découvrent qu'elle s'appelle désormais Natalie Grey, qu'elle est mariée et mère d'un garçon. Elle a tout oublié de son passé. Comment est-ce possible ?


Lorsque Kelly Thompson prend les commandes de la série Black Widow, elle succède à plusieurs mini-séries consacrées à la plus célèbre espionne de Marvel, notamment le court run de Mark Waid et Chris Samnee. Elle écrit également les aventures de Captain Marvel (dont le 50ème numéro s'apprête à sortir et marquera la fin de sa prestation) et auparavant elle a brillamment oeuvré sur Hawkeye avec Kate Bishop dans le rôle-titre puis sa suite West Coast Avengers. Thompson est devenue en quelque sorte une spécialiste de super-héroïnes.

Pas très étonnant quand on se rappelle qu'elle a débuté sous la tutelle de Kelly Sue DeConnick et G. Willow Wilson. Ce premier arc est intriguant à souhait avec une idée habilement exploitée où Black Widow disparaît et reparaît, amnésique, devenue mère de famille, épouse et architecte. Il convient de préciser que Natasha Romanoff est en réalité désormais un clone car elle a été tuée par Captain Hydra lors de l'event Secret Empire, ce qui peut expliquer l'efficacité du lavage de cerveau qu'elle a subi.

En cinq épisodes, le lecteur est captivé par cette histoire au rythme soutenu et le portrait affectueux que dresse Thompson de l'héroïne, confrontée à une situation déchirante, un mensonge cruelle, une fabrication machiavélique orchestrée par plusieurs de ses ennemis (dont Arcade, Mme Hydra, le Garde Rouge et Snapdragon).


Elena Casagrande illustre ce récit en s'y investissant beaucoup : elle redesignera le costume de Black Widow au terme de cet arc, mais surtout elle va créer une vraie signature graphique au titre avec à chaque épisode une somptueuse double page où on voit Natasha en action. Ce gimmick persistera durant la totalité du run et les autres artistes impliqués le reproduiront avec la même qualité.

Le trait élégant de Casagrande fait merveille et rend encore plus déchirant la compréhension de la machination dont est victime Black Widow. Par ailleurs, l'artiste anime avec la même conviction le seconds rôles car on croise également Hawkeye, le Soldat de l'Hiver et White Widow (Yelena Belova). Thompson répète ce qu'elle adore : transformer un titre solo en un team-book qui ne dit pas son nom, convaincue qu'une héroïne seule ne peut venir à bout toute seule de l'adversité, mais insistant encore plus sur une forme de communauté (et par la suite de sororité en particulier), véritable obsession chez elle depuis ses débuts sur le titre A-Force.

Carlos Gomez signe quelques pages de flashback dans l'épisode 4, où on découvre comment Natasha a été piégée. J'aime beaucoup ce dessinateur qui a depuis eu l'occasion d'être remarqué sur diverses mini (X-Terminators, America Chavez : Made in America, et actuellement Rogue & Gambit... Toutes écrites par des femmes).
 

Après un début prometteur, le deuxième tome, Tragique Apogée, collecte les épisodes 6 à 10, mis en images par Rafael de la Torre et Elena Casagrande quasiment à parts égales.


Etablie à San Francisco avec Yelena Belova, la White Widow, élevée comme elle au sein de la Chambre Rouge en Russie, Natasha va enquêter sur un nommé Apogée, qui deale une drogue qui dote de super-pouvoirs ses clients. Elle est mise sur sa piste après avoir croisé la route d'une pickpocket, Lucy Nguyen, qui cherche à se procurer ce produit aux effets secondaires terribles. Pour infiltrer les rangs de clients d'Apogée, Natasha recrute Anya Corazon/Spider-Girl et recevra le renfort tardif de Kate Bishop/Hawkeye.
 

San Francisco et la Veuve Noire, c'est une vieille histoire (elle y a vécu des aventures avec Daredevil). Au présent, elle vient d'y connaître le début de sa nouvelle série dont le premier arc s'est achevé sur une note poignante. Kelly Thompson veut tester la résilience de son héroïne tout en lui créant une sororité puisque Yelena Belova est restée auprès de Black Widow et que Spider-Girl va les rejoindre.

Confrontées à un dealer très spécial, les filles accueillent en leur sein une autre alliée en la personne de Lucy qui a consommé la drogue d'Apogée et a hérité de pouvoirs électriques qui menacent de la tuer à petit feu. Comme dans sa série Hawkeye, Kelly Thompson créé donc un personnage inédit, semblable à Johnny Watts/Fuse, dans la mesure où comme lui, Lucy se découvre des capacités surhumaines insoupçonnées qu'elle va devoir apprendre à contrôler sur le tas.

L'intrigue est rondement menée mais elle n'a pas la force du premier arc dans la mesure où Black Widow est positionnée dans un rôle plus classique de justicière. Thompson rappelle fréquemment des éléments des cinq précédents épisodes, ce qui nécessite pour le lecteur d'avoir lu le tome 1, et ce afin de rappeler que Natasha reste traumatisée par le piège dont elle a été victime. 

La relation entre Natasha et Yelena est bien animée, la première s'efforçant de redonner un sens à sa vie, la seconde étant plus rentre-dedans. Souvent on mesure leurs différences, notamment quand Yelena ambitionne de recréer une Chambre Rouge alors que Natasha s'y oppose. Le vilain de l'histoire manque de substance car il apparaît trop peu et quand il le fait, c'est trop tardivement, à l'occasion d'une bataille spectaculaire.


La série voit désormais deux artistes se passer le relais. Elena Casagrande ne peut plus enchaîner les épisodes et a même recours à une encreuse (Elisabetta d'Amico, qui aide aussi Sara Pichelli actuellement sur Scarlet Witch). Marvel donne donc sa chance à Rafael de la Torre (à ne pas confondre avec Roberto de la Torre), un dessinateur brésilien dont ce fut la première prestation (et qui, depuis, a suppléé Marco Checchetto sur le Daredevil écrit par Chip Zdarsky). Il se débrouille bien même si son encrage est parfois trop léger et ses décors trop esquissés. Mais l'un dans l'autre, la série a toujours une belle allure et se lit avec plaisir.

Toutefois, comme souvent sur le séries écrites par Thompson, après un démarrage accrocheur, on constate une évidente baisse de régime.


Enfin le troisième tome, Au Fil du Sabre, rassemble les épisodes 11 à 15 de la série. Kelly Thompson range ses jouets en compagnie d'Elena Casagrande, Rafael de la Torre et Rafael Pimentel.


Croyant avoir fait le plus dur en se débarrassant d'Apogée, Black Widow découvre pourtant qu'un gala va servir de couverture pour une nouvelle affaire louche. Elle mène l'enquête avec Yelena tandis que Spider-Girl entraîne Lucy à maîtriser ses pouvoirs. Hawkeye (Clint Barton) et le Soldat de l'Hiver (Bucky Barnes) sont appelés en renfort pour infiltrer ce gala où Natasha va affronter une vieille connaissance...


Autant le dire tout de suite, l'intrigue de ce dernier tome ne brille pas par sa clarté. A la toute fin de l'épisode 10, on comprenait que Black Widow n'avait pas complètement réglé son compte à Apogée et donc que Kelly Thompson allait se resservir de ce méchant dealer. La scénariste prend des chemins de traverse pour justifier cela avec une mission d'infiltration où Natasha n'est désormais plus qu'un personnage au sein d'une équipe. La série s'est transformée en un team-book comme pratiquement toutes les productions de Thompson chez Marvel, comme si elle n'avait jamais fait le deuil de A-Force et de West Coast Avengers : malheureusement, si l'histoire se répète, elle connaît la même issue puisque son run va s'achever au bout de quinze épisodes.

Pourtant Black Widow sera récompensée de l'Eisner award de la meilleure série, mais Marvel, sans doute moins intéressé par les prix que par les ventes, abrégera tout ça. C'est frustrant car il est évident que Thompson en avait gardé en réserve et qu'elle doit en conséquence s'employer à boucler son run plus tôt que prévu. A cet égard, la fin n'est pas convaincante, avec un ennemi enragé qui promet de ne pas en rester là et une héroïne qui retrouve le sourire de manière un peu forcée.

Le plus intéressant se situe lors de l'épisode 13 qui constitue un flashback situé à Madripoor. Black Widow y rencontre et croise le fer pour la première fois avec le Sabre Vivant, un mercenaire maniant donc un sabre avec une terrifiante efficacité. Natasha morfle méchamment à cette occasion et Rafael Pimentel, le dessinateur, illustre ce chapitre avec une étonnante maîtrise pour un quasi-débutant (il a posté sur Twitter les nombreux dessins préparatoires qu'il avait produit pour sa prestation et on voit qu'il avait visiblement projeté de revenir sur le personnage de Natasha).


Avec désormais trois dessinateurs au compteur, la série n'a plus vraiment de cohérence graphique. Elena Casagrande est toujours excellente mais elle tire la langue, malgré l'aide qu'elle reçoit de son encreuse. Rafael de la Torre n'a pas encore atteint la maturité qu'il a affiché récemment sur Daredevil. Et si Pimentel sort du lot, il ne dispose pas de beaucoup de pages (ce qui rend du coup sa contribution encore plus méritoire).

Le bilan qu'on tire de ce run, c'est un premier arc formidable, un second passable, et un dernier brouillon. Kelly Thompson a du mal à conserver une rigueur dans son écriture et l'annulation précoce de la série la force à abréger des pistes narratives qui, sur la longueur, auraient peut-être redressé la barre. Visuellement, la série est de belle facture, mais Elena Casagrande s'essoufle progressivement, et si ses fill-in sont irréprochables, à la fin, ça part un peu dans tous les sens. A quand Marvel redonnera-t-elle sa chance à Black Widow, surtout que maintenant le personnage a disparu du MCU et ne figure plus dans aucun team-book ?

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