samedi 3 juin 2023

GRAND ARMY : l'anti-Euphoria


C'est en lisant au début de la semaine un article sur le site de "Première" consacré aux séries annulées au bout d'une saison par Netflix que j'ai entendu parler pour la première fois de Grand Army. Et j'ai eu envie du coup de découvrir de quoi il s'agissait car ce show était présenté en des termes très flatteurs. Je n'ai pas été déçu, même si ces neuf épisodes ne ménagent pas le téléspectateur.



Lorsqu'un attentat se produit non loin du lycée Grand Army, tous les élèves sont confinés le temps que els autorités vérifient que personne ne court plus aucun danger. Pendant les longues heures qui suivent, la tension est à son comble et quelques élèves essaient de décompresser, comme Jayson et Owen qui dérobent le sac de Dominique et font accidentellement tomber son portefeuille dans la cage d'escalier. Joey se voit, elle, reprocher sa tenue aguicheuse par une prof. Et Sid réconforte Leila dans un couloir après lui avoir avoué être la cible de harcèlement scolaire. A la fin de cette journée, les élèves se retrouvent dans une fête.


Le lendemain, pour provoquer la prof qui lui avait reproché sa tenue, Jeoy se présente en cours légèrement vêtue, soutenue par d'autres filles victimes de préjugés sur leur apparence. Sid fait la connaissance de Victor qui l'aide à préparer un essai qui pourrait lui permettre d'intégrer l'université de Harvard, et plus tard il se masturbe devant un film porno gay. Leila se fait draguer par George. Dominique dissimule à ses amies les difficultés financières de sa famille. Jayson et Owen apprennent qu'ils vont passer en conseil disciplinaire après leur mauvaise blague contre Dominique.


Incapable de satisfaire sa petite amie à cause de son attirance pour Victor, Sid décide de rompre avec elle sans lui expliquer pourquoi. Leila, troublée par sa relation avec George et le fait que sa meilleure amie désapprouve, se confie à son rabbin. Jayson écope d'un renvoi de sept jours mais Owen est expulsé pour deux mois. Joey sort avec Tim, George et Luke au cours d'une soirée très arrosée au terme de laquelle elle est violée par les garçons.


Leila auditionne pour une pièce de théâtre montée par la soeur de Sid mais n'est retenue que comme doublure de l'actrice principale. Dominique sympathise avec John, un étudiant militant pour les droits des noirs à Grand Army, issu d'une famille bourgeoise. Jayson apprend qu'il doit remplacer Owen dans l'orchestre du lycée. Sid réécrit son essai et y avoue être gay et indien, sa superviseur et Victor lui promettent de ne la faire lire à personne d'autre qu'au comité de sélection de Harvard. Traumatisée par son viol, Joey s'isole et Dominique remarque des ecchymoses sur ses cuisses. De retour chez sa mère, elle avoue avoir été abusée sexuellement.
  

La mère de Dominique suggère qu'elle accepte de contracter un mariage en blanc avec le fils d'une riche amie qui veut obtenir un titre de séjour et de travail sur le sol américain contre beaucoup d'argent. Jayson culpabilise du sort infligé à Owen mais celui refuse de lui répondre au téléphone et le rembarre quand il vient lui rendre visite dans le lycée mal famé où il poursuit son année depuis son renvoi de Grand Army. Leila séduit Omar, le régisseur de la pièce en espérant qu'il plaidera sa cause pour obtenir le premier rôle dans la pièce de théâtre. Joey subit un examen à l'hôpital tandis que la police arrête Tim, George et Luke en plein cours.


Frustrée, Leila demande à nouveau conseil au rabbin pour se réconcilier avec sa meilleure amie, mais ses efforts pour s'excuser ensuite échouent. Joey apprend que les poursuites contre Tim, George et Luke sont abandonnées, faute de preuves suffisantes. Victor comprend que Sid éprouve de l'attirance pour lui et lui explique être bisexuel et prêt à l'aider à faire son coming-out, mais il n'est pas prêt à ce que ses parents le sachent. Pourtant, son essai fuite sur les réseaux sociaux.


Dominique rencontre deux psychologues auprès desquelles elle veut décrocher un stage. Leila se voit reprocher d'avoir fréquenter George et elle en veut à Joey dont elle estime qu'elle a menti au sujet de son agression. Joey suit une psychothérapie et change d'école pour intégrer un établissement privé religieux. Le père de Jayson tente de faire comprendre à son fils que s'il tient à honorer Owen, alors il doit se préparer à fond pour le concours inter-Etats des orchestres et répéter un morceau difficile de John Coltrane, leur idole. Sid découvre qui a mis en ligne son essai et se bat avec le coupable. Soigné à l'hôpital, alors que son père croit à une agression raciste, il lui avoue être gay.


Désemparée, Leila décide de faire croire à un attentat à la bombe dans les murs de Grand Army. Mais le même jour, John Ellis et Jayson organisent un sit-in pour protester contre la sanction infligée à Owen et le racisme ambiant dans le lycée. La police découvre le message anonyme posté par Leila et évacue tout le monde. Une fois le calme revenu, Sid apprend qu'il est admis à Harvard. Dominique rencontre le jeune homme qu'elle doit épouser et sa future belle-mère chez qui elle doit loger pour mystifier les services de l'immigration. Le soir, alors qu'elle prend l'air, elle croise Joey et ensemble elles échangent sur leur existence et leurs épreuves.


Jayson prévient Owen qu'il jouera à sa place au concours inter-Etats au cours duquel il a l'intention de faire un geste fort pour lui. Joey est abordée par une élève de son nouveau lycée qui a appris ce qui lui était arrivée et qui lui confie avoir elle aussi été victime d'un viol commis par un élève de Grand Army. La mère de Dominique annule le mariage pour permettre à sa fille de poursuivre ses études tranquillement et de participer au bal de promo avec John. Omar découvre que Leila a posté le message concernant l'alerte à la bombe et hésite à la dénoncer car il l'aime. Joey confronte ses agresseurs une dernière fois mais seul Tim reconnaît les faits et s'excuse. Elle réintègre le cours de danse pour la première fois depuis son agression. Au concert, au moment de jouer, Jayson se bâillonne et lève le poing au ciel pour Owen.

Quand en Octobre 2020, Netflix a mis en ligne la première et donc seule saison de Grand Army, j'étais totalement passé à côté. Je n'ai entendu parler de cette série qu'il y a une semaine au détour d'un article sur le site de "Première" concernant les shows annulés prématurément par la plateforme de streaming. Le journaliste qui rédigeait cette entrée en parlait en des termes très flatteurs et j'ai voulu vérifier le bien fondé de ses propos.

Visiblement, Grand Army a été conçu par sa créatrice, Katie Cappiello, comme une réponse à Euphoria de Sam Levinson sur HBO. Mais durant l'écriture et le tournage, des auteurs et acteurs se sont plaints de comportements racistes et toxiques de la part de la showrunner, et ensuite Netflix, probablement déçu par le nombre de visionnages, a coupé court au projet d'une suite.

C'est très dommage car c'était un show prometteur. Mais ce n'est pas non plus frustrant car ces neuf épisodes constituent un ensemble cohérent et suffisant, qui ne laisse aucun des arcs narratifs en plan. Au bout du compte, chaque protagoniste a un parcours complet, riche, dense. Evidemment, il aurait été intéressant de voir quelle direction la série aurait prise, mais en soi, Grand Army tient parfaitement le coup ainsi.

Plus qu'une réponse à Euphoria, Grand Army ressemble à son antidote, son opposé. Là où le projet de Sam Levinson dresse le portrait d'une jeunesse perdue, qui sombre dans la défonce permanente, le sexe à outrance, et se complait volontiers dans une surenchère malsaine, Katie Cappiello fait le pari de plus de sobriété mais de tout autant de gravité. Ce qu'endurent ses héros est éprouvant, mais jamais écrit et mis en scène de manière aussi voyeuriste que la production HBO.

Tout démarre par un épisode exceptionnel : un attentat force des lycéens à rester confinés dans leur établissement de longues heures durant. Chacun est sur les nerfs et cela va déclencher une multitude de conséquences. On fait la connaissance de Joey del Marco, une jeune fille forte tête qui fréquente un trio de garçons dont l'un d'eux est secrètement épris d'elle ; Leila, une enfant adopté en Chine par des juifs new-yorkais ; Sid, un indien qui assume mal son homosexualité ; Dominique, une haïtienne vivant avec sa mère célibataire et sa cousine dans une grande précarité financière ; Jayson, un jeune saxophoniste noir moins doué que son meilleur ami.

La série déroule son narratif en allant de l'un à l'autre, parfois en les faisant se croiser, et en ménageant des rebondissements dramatiques. Ainsi une mauvaise blague de Jayson et Owen à l'encontre de Dominique aura des répercussions terribles pour les deux garçons. Joey sera victime d'un viol et son comportement sera questionné. Leila s'enfonce dans une frustration sexuelle et une colère grandissantes alors qu'elle veut s'intégrer à tout prix. Dominique doit composer entre ses ambitions personnelles et la situation de sa famille. Sid est piégé par ses sentiments que réprouvent ses parents.

Chaque personnage est formidablement caractérisé et les situations sont explorées sans fard mais cependant avec pudeur. Le viol de Joey est par exemple filmé de manière à ce qu'on comprenne ce qui se passe, comment tout dérape à la suite d'une soirée trop arrosée, mais sans en montrer trop. En revanche le traumatisme subi par la jeune fille est détaillée durant six épisodes au cours desquels on a tout le loisir de partager son malaise, sa peine, sa colère, sa lente remontée à la surface. Idem avec l'homosexualité de Sid qui est traitée avec nuance et n'élude pas la question quand il s'agit de considérer ce que cela représente pour un indien dont les parents sont conservateurs.

Jayson est un autre cas passionnant : contrairement à Owen, ses parents sont des gens aisés qui le poussent à ne pas culpabiliser tandis que lui vit comme une profonde injustice la punition infligée à son meilleur ami pour une faute identique à la sienne. Il trouve une forme de salut dans le travail sur un morceau de John Coltrane, Alabama, qui est une sorte d'élégie. Leila est sans doute celle qui demeure la plus antipathique : malgré son chemin de croix, son comportement reste impardonnable, immature, égoïste. Quant à Dominique, au contraire, on s'attache à elle pour son intelligence, sa résilience, sa pugnacité, son courage, sa dignité.

Pour une fois aussi, cette série ne néglige pas les parents, quand bien même restent-ils au second plan. Souvent, dans les teenage dramas, on a l'impression d'observer des adolescents livrés à eux-mêmes, mais pas ici, et c'est aussi ce qui permet de les comprendre; Leila n'est pas sympathique mais c'est aussi une jeune fille adoptée en Chine par un couple de riches juifs new-yorkais qui, jamais, ne se sont préoccupés de ses racines. Les parents de Jayson sont également aisés tandis que ceux d'Owen sont plus modestes, ce qui ajoute une forme d'injustice sociale. Dominique porte sur ses épaules la charge d'une mère qui travaille 90 h. par semaine et d'une cousine récemment licenciée et mère de deux trois enfants. Sid a peur que son père et sa mère le renient s'ils découvrent qu'il aime les garçons. Joey est fille de divorcés et il faudra un drame pour que ses parents se réconcilient et la soutiennent.

Tout ça reste noir, parfois désespéré, mais aussi juste, sans concessions. Il n'y a aucune compromission esthétique sur les sujets traités, ce qui tranche avec Euphoria où domine une forme de complaisance dans la manière de montrer la déroute de jeunes adultes, interprétés par des comédiens qui cabotinent volontiers.

Le casting de Grand Army n'a aucune vedette mais chacun défend son rôle avec une conviction totale. Je retiendrai surtout Odessa A'zion qui incarne Joey avec une intensité rare. Odley Joan est une magnifique Dominique. Et Amalia Yoo hérite avec Leila d'un personnage très ingrat qu'elle ne cherche jamais à adoucir. Les garçons ne sont pas en reste : Maliq  Johnson est épatant dans la peau de Jayson et Amir Bageria est impeccable dans celle de Sid.

Encore une fois, il aurait été passionnant de voir où Katie Cappiello aurait emmené ses héros. Mais Grand Army a au moins le mérite, malgré son annulation précoce, d'avoir raconté une histoire complète et magistralement avec ça.

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