mercredi 8 février 2023

JUPITER'S CIRCLE : BOOK 2, de Mark Milar, Wilfredo Torres, David Gianfelice, Chris Sprouse, Ty Templeton et Rich Burchett


La suite et fin de Jupiter's Circle compte encore six épisodes, tous écrits par Mark Millar, épaulé par pas moins de cinq dessinateurs : Wilfredo Torres, Chris Sprouse, David Gianfelice, Rich Burchett et Ty Templeton. Comme l'indique la couverture, Skyfox est au centre de l'intrigue, avec une conclusion satisfaisante pour aller jusqu'à Jupiter's Legacy.

 


The Uotpian trouve l'amour avec Jane, la fille dont il a toujours été épris, tandis que Lady Liberty se lamente de ne trouver aucun homme prêt à s'engager avec elle. Le temps passe et Skyfox refait parler de lui en soutenant les mouvements pour les droits civiques de noirs puis les critiques contre l'engagement américain au Vietnam.
 

Mais lorsque l'Union tombe dans le piège que lui tend un de ses ennemis, le Pr. Hobbs, qui les prive de leurs pouvoirs, Skyfox vole au secours de ses anciens partenaires. Son retour ne fait pas l'affaire de Brain Wave qui va précipiter la chute de Skyfox...


Si le premier tome de Jupiter's Circle séduisait par sa construction s'attachant dans des arcs narratifs brefs aux membre de l'équipe de l'Union, ce deuxième recueil de six épisodes se déroule différemment. la couverture ne ment pas en mettant en avant Skyfox dont les actions vont être fil rouge de la série.
 

Mark Millar fait également défiler les années : après l'année 1959 auscultée dans le tome 1, on passe ici en 1965, 1966 et 1967. C'est clairement la fin de l'innocence, de l'insouciance et les tensions de la société américaine vont aussi agiter l'Union. Les (super) héros sont fatigués, aspirent à une vie de couple, à côtoyer leurs amis. Mais est-ce seulement possible quand on a le pouvoir de changer l'Histoire ?


C'est ainsi que Millar questionne le statut de surhomme : revenus de l'île, les membres de l'Union s'étaient donnés pour mission d'aider les faibles et les opprimés sans toutefois s'engager politiquement, sans dépendre d'un gouvernement. Pourtant, parmi eux, Brain Wave aspirait déjà à conseiller les dirigeants, considérant qu'il pouvait les aider à faire prospérer le pays et à apaiser le monde. Une ambition vivement critiquée par son frère, the Utopian.
 

A la fin du sixième épisode du Livre Un, Skyfox quittait l'équipe et disparaîssait dans la nature en s'étant dépouillé de son immense fortune. The Utopian, qui avait également réussi comme entrepreneur, l'a remplacé pour financer l'équipe, mais dans un premier temps, on le voit filer le parfait amour avec Jane, la femme qu'il a toujours aimé. Leur romance est parfaite et Millar l'écrit avec un sentimentalisme dénué de tout cynisme, de toute ironie. Plus tard, on verra qu'il s'agit de la dernière période de bonheur simple vécu par le surhomme.

Au passage, dans ce premier épisode, Millar sème déjà un élément de l'intrigue qui va être développée plus tard dans la mini-série Jupiter's Legacy : Requiem, actuellement en cours de publication (six épisodes sont déjà parus, et le titre reviendra en Août prochain pour les six derniers). The Utopian découvre sur le satellite de Jupiter, Europe, où il a emmené Jane pour un pique-nique, un émetteur extra-terrestre très ancien qui le conduit jusqu'à une cité souterrainne.

Plus tard, il sera question d'autres aliens enlevant des humains dans leur sommeil et on devine que les deux affaires sont peut-être liées. Mais surtotu que ces créatures venues d'ailleurs ont éventuellement un lien avec celles qui avaient dôté les héros de super-pouvoirs... Mais Millar choisit de laisser cela en suspens. Quand j'aurai le temps, j'écrirai une critique des six premiers numéros de Jupiter's Legacy : Requiem (à moins que j'attende que la série soit complète).

Dès le deuxième épisode, on passe en 1965, soit six ans après les événements relatés dans le premier tome. Millar réussit à montrer en quelques scènes courtes et efficaces la dégradation du climat social et politique en Amérique où les noirs manifestent pour la reconnaissance de leurs droits civiques face à la répression policière. Le scénariste tire parfaitemetn profit de ces tensions pour amorcer un virage dans son histoire en revenant à Skyfox.

Devenu un beatnik, conversant avec Jack Kerouac et William Burroughs, il a perdu beaucoup de sa superbe en se droguant et en errant à travers les Etats-Unis. Pourtant son trip a exacerbé sa prise de conscience et lorsqu'il voit à la télé les forces de l'ordre tenter de disperser une foule de militants, il sait qu'il ne peut plus rester sans rien faire.

L'escalade va aller très vite : il prend en otage le vice-président Hubert Humprhrey pour réclamer le départ des troupes américaines du Vietnam et grâce à ses pouvoirs empêche l'Union de le localiseer. The Utopian, au même moment, rencontre John Rockfeller dans une soirée et le milliardaire lui fait une proposition incroyable en demandant au surhomme son sperme pour avoir un fils en échange du versement d'une somme astronomique d'argent avec laquelle il pourrait soulager la misère du monde.

Lors de cette réception, the Utopian et Lady Liberty échangent aussi avec la philosophe Ayn Rand, la théoricienne de l'objectivisme, anti-communiste absolue, qui voit dans les surhommes l'incarnation de sa vision du Bien et du Mal. Millar ne se contente pas de faire du name-dropping facile, il utilise ces personnalités ayant réellement existé pour illustrer l'évolution de ses personnages, la manière de les apprécier. Et d'ailleurs, à la même époque, des auteurs de comics comme Steve Ditko, avec The Question (qui inspirera plus tard Rorschach dans Watchmen de Moore et Gibbons), embrassent cette philosophie. Quant à Rockfeller (comme Edward Hughes) il a inspiré Tony Stark/Iron Man.

Le trouble devient encore plus grand avec les épisodes 3 et 4 où l'Union tombe contre le Pr. Hobbs, un de leurs anciens ennemis, qui a mis au point une arme les privant de leurs pouvoirs. Par un retournement de situation pervers, Skyfox est alors le seul à pouvoir sauver ceux qui l'ont chassé. Mais dans les deux derniers chapitres, la série connaît ses ultimes soubresauts tragiques.

Millar revient sur le soupçon de manipulation mentale exercée par Brain Wave sur Sunny, la fiancée de Skyfox, pour la séduire. On aboutit à un climax spectaculaire et cruel qui va envoyer, provisoirement Skyfox en prison, dans le Supermaxx qu'il a lui-même designé - et dont, donc, il ne tardera pas à s'échapper, justifiant ainsi sa situation dans Jupiter's Legacy, où il vit caché, sans avoir pu élever son fils et ayant renoncé à se mêler des affaires super-héroïques et politiques.

Au fil de ces six épisodes, on assiste donc à la déchéance de Skyfox et le lecteur n'a aucun mal à compatir car Millar en a fait un héros charmant, charmeur, engagé, trahi. L'Union devient alors le nom tristement ironique d'une équipe complètement désunie, au fond jamais vraiment composite, et ayant échoué à changer le monde comme elle en rêvait. Tout comme les Minutemen, ancêtres des Watchmen, l'Union n'a été qu'une légende, qu'une illusion, un échec, écrasée par ses propres ambitions, déchirée par ses multiples personnalités, tiraillé entre Brain Wave et Skyfox sans que, au milieu, the Utopian ait pu faire quoi que ce soit (son pseudonyme sonne alors, lui aussi, comme une blague)

Si la conduite du récit est souvent magistral, ne s'égarant jamais, caractérisant puissamment subtilement ses protagonistes, et entretenant une tension soutenue, visuellement il serait trompeur d'affirmer que c'est toujours agréable à suivre.

Il n'est pas question de remettre en question le talent des artistes impliqués, ni le soin mis à l'ouvrage, mais il est évident que le drame qui a frappé Wilfredo Torres a durement impacté la réalisation de la série et Mark Millar a tenté tant bien que mal de colmater les trous dans la coque de son navire sans réussir à livrer quelque chose de très cohérent esthétiquement.

Evidemment, il est facile de dire avec le recul que le scénariste aurait dû faire ceci ou cela, par exemple confier le dessin à un nouvel artiste (et on pense évidemment en premier lieu à David Gianfelice, puisqu'il avait été appelé déjà pour le premier recueil en renfort, et qu'il revient ici sur une partie de l'épisode 2). Mais c'est bien sûr délicat car Millar n'a pas voulu lâcher Wilfredo Torres qui lui-même a fait preuve d'un courage admirable pour se rasseoir à sa table à dessin en signant l'intégralité des épisodes 1 et 6 et une partie du 2.

L'épisode 2 voit défiler pas moins de trois artistes puisque, en plus de Torres et Gianfelice, Rich Burchett intervient. Le résultat est inégal pour le moins.

Ensuite, cela se redresse parce que Chris Sprouse entre dans la danse. Il va dessiner trois numéros consécutifs (du 3 au 5), même si en vérité il se contente la plupart du temps d'esquisses (breakdowns) achevées par les encreurs Karl Story et Walden Wong, qui ont assez d'expérience pour que le lecteur ne soit pas frustré. Le style de Sprouse est impeccable pour ce récit situé dans le passé, avec ce trait élégant qu'il réserve hélas ! désormais exclusivement pour des couvertures (pour les séries Star Wars chez Marvel).

L'épisode 5 voit Ty Templeton prêter main forte à Sprouse sur la fin et passer de l'un à l'autre n'est pas très agréable car, sans déprécier Templeton, le registre n'est vraiment pas le même, le trait est beaucoup plus épais.

C'est sans nul doute cette instabilité graphique qui empêche Jupiter's Circle d'égaler Jupiter's Legacy (qui, en plus, profitait du génie de Frank Quitely). Dommage car, pour le scénario, cette préquelle est d'un niveau égal.

Je conseille tout de même fortement de lire Jupiter's Circle si vous avez aimé Legacy (et que vous comptez investir dans Requiem). C'est du très bon Mark Millar, investi dans cette saga qui lui tient très à coeur et qu'il écrit avec brio (et qui, si je ne me trompe, est disponible en un seul volume en vf chez Panini Comics).

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