samedi 3 décembre 2022

RIFKIN'S FESTIVAL, de Woody Allen

 

Rifkin's Festival est le 49ème film de Woody Allen et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il aura eu du mal à être distribué. Pourtant, loin d'être une oeuvre testamentaire comme certains critiques l'ont écrit, ce long métrage témoigne de la vitalité du cinéaste américain, désormais persona non grata dans son propre pays. Toujours en verve, il fait feu de tout bois avec cette histoire douce-amère.



Morty Rifkin accompagne sa femme, Sue, plus jeune que lui, au festival du cinéma de San Sebastian en Espagne. Elle y est en qualité d'attachée de presse pour Philippe, un cinéaste français, dont Morty dénigre les films faussement engagés. Ne jurant que par le cinéma d'auteur européen, Morty est plutôt élitiste mais surtout très jaloux du succès des autres, lui qui n'a jamais réussi à achever le grand roman dont il a si souvent parlé.


Morty se méfie surtout de la grande proximité entre Sue et Philippe qui flirtent ouvertement devant lui. La situation lui inspire des rêves où sa vie conjugale imite de grands classiques du 7ème Art comme Citizen Kane, A Bout de souffle, Jules et Jim, Persona, Les Fraises sauvages, L'Ange exterminateur ou Huit et demi.


Ses journées deviennent aussi agitées que ses nuits et Morty doit consulter un médecin car il imagine être atteint de divers maux. C'est ainsi qu'il fait la connaissance de la séduisante Dr. Joanna Rojas, qui lui confie avoir fait ses études à New York à la même époque où Morty enseignait le cinéma à l'université. Elle est à présent en couple avec un peintre infidèle.


Morty est attiré par la jeune femme et se met en tête de la faire quitter ce compagnon volage. Il la revoit en prétextant souffrir de nouveaux troubles. Il lui demande de lui faire visiter la région et recueille ses confidences comme elle reçoit les siennes. Tous deux conviennent ne pas être heureux, tourmentés par leurs conjoints. Mais  si Joanna tient quand même à accorder une nouvelle chance à son couple, Morty tombe de haut quand Sue lui annonce qu'elle le quitte pour Philippe.
 

Après avoir une nouvelle fois appelé Joanna et avoir compris qu'elle ne repartirait pas à New York, Morty flâne sur la plage où il s'imagine jouer aux échecs avec la Mort comme dans Le Septième Sceau d'Ingmar Bergman. Cela le motive à changer de vie en reprenant l'enseignement, en étant moins snob dans ses goûts cinématographiques.

Woody Allen a 87 ans et à son âge, il pourrait se retirer et profiter des années qu'il lui reste, en exil en Europe. Mais malgré les épreuves qui l'accablent depuis un moment, le cinéaste new yorkais ne baisse pas les bras et fait preuve d'une résilience étonnante.

Condamné par le milieu du cinéma alors qu'il a toujours été blanchi par la justice d'accusations pédophiles par son ex-femme Mia Farrow, Woody Allen ne peut désormais plus tourner aux Etats-Unis où aucun producteur ne veut associer son nom au sien et où très peu d'acteurs ont le courage de le soutenir. Situation affligeante mais révélatrice à la fois des excès du mouvement #MeToo et de la justice médiatique, le cinéaste est désormais considéré comme un criminel au même titre que Harvey Weinstein.

Depuis 2019 et Un Jour de pluie à New York, Allen a donc considérablement ralenti sa production, autrefois métronomique d'un film par an. La difficulté à trouver des financements, une lassitude probable et légitime, l'ont forcé à l'exil. Ayant réalisé de grands films de ce côté-ci de l'Atlantique, Allen s'est acclimaté et a rebondi, tant bien que mal. Il aura quand même fallu deux ans pour que Rifkin's Festival sorte en France, d'abord retardé par la pandémie de Covid 19 puis repoussé (sauf en Belgique où il était dans les salles dès Août 2021).

Inutile de se voiler la face : Woody est désormais tricard partout. Rifin's Festival a fait un bide en France, où pourtant historiquement il a toujours été bien accueilli. La critique a été tiède et certains y ont même vu un opus testamentaire. Manque de bol : le mort bouge encore puisqu'il tourne actuellement son 50ème long métrage (en français avec des acteurs français).

Ce qui frappe dès lors, c'est l'épatante vitalité qu'on trouve dans ce film où, loin d'être aigri, amer, déprimé, Woody Allen fait feu de tout bois, comme s'il n'avait, littéralement, plus rien à perdre. Cette histoire d'un professeur de cinéma retiré marié à une femme plus jeune qui finit par le quitter pour un réalisateur encore plus jeune contient des dialogues merveilleux, avec ce sens de la formule inégalé, et une caractérisation irrésistible.

La partition n'est pas particulièrement originale, mais elle est maîtrisée, plus que la majorité des comédies qu'on peut voir. Allen a ce génie de nous faire suivre des personnages passant leur temps à refaire le monde en se regardant le nombril sans jamais être ennuyeux, mais en étant très spirituel. 

Formellement surtout, Rifkin's Festival est étincelant, divinement inventif : à plusieurs reprises, le héros cauchemarde sur les infidélités de son épouse et revisite les grands classiques, se mettant en scène dans des pastiches hilarants de Jules et Jim ou Persona, convoquant Godard ou Buñuel, rigolant de Bergman ou de Welles. Pour quelqu'un comme Allen qui porte aux nues tous ces noms illustres du 7ème Art, le geste ne manque pas de saveur, mais surtout il confère à son propre film une légèreté contredisant toutes les hypothèses sur son manque d'inspiration et ses projets de retraite. C'est surtout un effort de mise en scène qui vient souligner que Allen n'est pas qu'un bon narrateur et un dialoguiste virtuose mais aussi un vrai formaliste.

Le casting ne compte pas (plus) de vedettes, jeunes ou confirmées, comme à la grande époque, mais des comédiens aguerris et ravis d'être filmés par le cinéaste. Il peut se reposer sur Wallace Shawn qui réussit à composer ce fameux Morty, double évident, sans imiter Allen. Gina Gershon rappelle quelle actrice impeccable elle est. Louis Garrel est aussi tête à claques que son personnage de petit génie de festival. Et Elena Anaya est radieuse en doctoresse touchée par le vieux Rifkin mais incapable de s'émanciper d'un amant toxique. Et Christoph Waltz fait une apparition désopilante à la fin (j'ai presque envie de dire que, juste pour ça, ça vaut le détour).

Pas de gras, en 1h. 25, c'est bouclé. Maintenant, espérons qu'on aura pas à attendre aussi longtemps avant d'apprécier le 50ème film de Woody Allen, et qu'entre temps, critiques et public sauront revenir à la raison en admettant qu'il est innocent et toujours aussi en forme.

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