lundi 5 décembre 2022

L'AMANT DE LADY CHATTERLEY, de Laure de Clermont-Tonnerre (Netflix)


Bigre ! Un film Netflix interdit aux moins de 18 ans, rien que ça, ça attire la curiosité ! L'Amant de Lady Chatterley a donc toujours un goût de souffre, même en 2022, assez en tout cas pour que la plateforme de streaming lui colle un avertissement. En tout cas Laure de Clermont-Tonnerre adapte donc le roman de D.H. Lawrence et lui donne un sérieux coup de fouet, avec deux comédiens principaux en état de grâce.


Années 1920, Angleterre. Constance "Connie" Reid a épousé lord Clifford Chatterley avant la guerre et le voit rentrer du front paralysé dans un fauteuil roulant et impuissant. Ils quittent Londres pour s'installer dans le domaine familial à la campagne. Malgré tout, Connie reste auprès de son mari qu'elle soutient et aide au quotidien.


Ensemble, ils veulent redonner du lustre à leur demeure et engage du personnel. Mais Connie, comme elle l'écrit à sa soeur aînée Hilda, s'ennuie et s'épuise à jouer les infirmières. Elle souffre aussi à l'idée qu'elle n'aura jamais d'enfant étant donné la condition de Clifford. Jusqu'à ce que ce dernier ne suggère qu'elle conçoive avec un autre homme, pourvu qu'il soit de la bonne société et qu'il ignore son identité.
 

Hilda débarque au domaine Chatterley avec une infirmière professionnelle, Mrs. Bolton, afin de soulager Connie. Elle peut alors découvrir les environs et, en découvrant une cabane, s'y réfugie pour lire au calme. L'endroit est occupé par le garde-chasse, Oliver Mellors, qui accepte de le partager avec elle car lui aussi aime venir y lire. Elle commence à lui apporter des livres et à recueillir ses confidences, apprenant qu'il a été marié à une femme qui lui refuse le divorce et envoie son nouveau compagnon réclamer la moitié de sa pension militaire.


Alors que Clifford apprend que les mines du coin vont fermer, il entreprend de faire construire une usine pour employer les hommes au chômage tout en les payant chichement. Ces plans déplaisent à Connie qui n'apprécie pas l'exploitation de plus pauvres, dont certains ont aussi participé à la guerre, par les nantis, qui en ont été exemptés. Après une dispute avec son mari, elle retourne à la cabane où Oliver est troublé par sa détresse. Elle se donne à lui : c'est le début d'une relation passionnée et secrète entre eux.


Hilda revient auprès de Connie qui lui avoue sa liaison avec Oliver et songe à tout plaquer pour lui. Sa soeur la met en garde contre un coup de tête et lui explique que jamais Clifford ne lui accordera le divorce et qu'elle devra affronter l'opprobre de leur milieu. Mais Connie pense être enceinte du garde-chasse et prévoit de profiter du voyage à Venise prévu par Hilda et leur père pour s'enfuir. Ned, le compagnon de la femme de Oliver, découvre chez ce dernier une lingerie de Connie et répand la rumeur de leur liaison durant l'absence de la jeune femme.


Mis au courant, Clifford convoque Oliver et le licencie sur-le-champ tandis que Mrs. Bolton téléphone à Connie pour la tenir au courant. Elle rentre précipitamment et annonce à Clifford qu'elle le quitte et qu'elle est enceinte de son mant. Il la supplie de rester à ses côtés puis la menace. Mais rien n'y fait : Connie s'en va et demande à Mrs. Bolton de faire passer le mot si quelqu'un sait où est allé Oliver.


Seule à Venise, enceinte, Connie est sans nouvelles pendant de longs mois de son amant et l'objet de quolibets des bourgeois en villégiature. Elle rentre à Londres avec Hilda qui vient de recevoir une lettre de Oliver. Il s'est établi en Ecosse où il a trouvé une place dans une ferme et justifie son silence en expliquant qu'il voulait pouvoir les recevoir dignement, elle et leur enfant. Elle part le rejoindre.

Le roman de D.H. Lawrence a connu quantité d'adaptations, mais en 2006 la réalisatrice Pascale Ferran a certainement produit la plus belle. Il fallait donc du culot à Laure de Clermont-Tonnerre pour y revenir. Mais la cinéaste, auteur du très beau Nevada (2019, avec Matthias Schoenaerts), a parfaitement su se distinguer.

Netflix aussi a eu l'audace de financer ce projet, même si, donc, L'Amant de Lady Chatterley, mis en ligne le 2 Décembre, est accompagné d'une signalétique +18 ans pour "Sexe" (un avertissement bien hypocrite puisque la plateforme de streaming ne peut vérifier l'âge de ses abonnés).

Le script de cette version a été rédigé par David Magee, qui a été le scénariste de L'Odyssée de Pi (Ang Lee, 2012) entre autres. Il a pris quelques libertés avec le texte, supprimant quelques péripéties pour mieux se concentrer sur deux aspects : d'abord la personnalité de Clifford Chatterley, bourgeois estropié durant la Grand Guerre et convaincu qu'il a été élevé pour diriger les autres et que ces autres l'ont été pour servir ; et ensuite la romance torride et poignante entre Lady Chatterley et le garde-chasse. Plus donc de liaison entre Constance Reid et Michaelis comme dans le roman, et c'est tant mieux.

Avec Laure de Clermont-Tonnerre, Magee semble s'être accordé sur un point essentiel : combattre à tout prix la reconstitution, éviter absolument le piège du film d'époque en costumes. Il souffle dès lors une sorte d'insouciance, de légèreté et de passion dans cette histoire, loin des clichés poussiéreux de l'époque édouardienne. La caméra est très mobile, la lumière naturelle, les comédiens souvent sans maquillage.

La cinéaste s'est même permise d'improviser et il en ressort des scènes grisantes comme celle-ci où Connie chez Oliver entend la pluie tomber. Elle sort de son cottage et se déshabille. Il l'imite et les voilà à courir comme Adam et Eve dans un champ, tout à la joie de leur amour. La spontanéité qu'on ressent chez les deux acteurs devant l'objectif n'est pas feinte et apparaît comme la mesure du film tout entier où tout arrive sans préméditation et où chaque instant amoureux est croqué avec appétit.

On pouvait craindre qu'avec 127 minutes au compteur, il y ait des baisses de régime, une exposition un peu trop longue ou une fin qui s'étire. Mais rien de tout cela. Laure de Clermont-Tonnerre use d'ellipses, comme quand elle ne montre que la guerre dans le reflet de la diligence qui emmène Clifford sur le front. Le coeur battant du projet occupe les deux tiers de l'ensemble avec la chronique de l'amour fou entre Connie et Oliver. Le plus délicat étant bien sûr de montrer le début de cette romance et encore une fois, on a droit à une scène vibrante, allant crescendo, merveilleusement saisie.

Quand le ton s'assombrit, que la liaison de Lady Chatterley et du garde-chasse menace d'être révélée puis qu'elle l'est, la cinéaste ne perd jamais de vue aucun des protagonistes. Le spectateur peut apprécier la richesse et la finesse de leur caractérisation : Connie, qui a eu un amant allemand avant son mariage, est susceptible d'être trop impulsive comme le lui reproche sa soeur aînée quand elle veut la raisonner en lui détaillant ce qu'elle subira en mettant fin à son mariage. La condition modeste d'Oliver est crûment mise à jour quand Connie le présente à Hilda mais il fait face avec une dignité qui force le respect et un sens des responsabilités exemplaire. Quant au rôle ingrat du mari trompé, il n'est pas joué grossièrement et on peut, malgré le mépris que nous inspire par ailleurs Clifford sur d'autres points, éprouver de la compassion pour lui.

D'excellents acteurs ne sauvent jamais un mauvais film, mais ils contribuent à sa réussite quand il est déjà aussi abouti. Et sur ce point, le casting de L'Amant de Lady Chatterley en 2022 est parfait. On s'amusera de trouver dans la distribution Joely Richardson (Mrs. Bolton) qui incarna Constance Reid dans un téléfilm en 1993. Matthew Duckett incarne avec beaucoup de présence Lord Chatterley. Mais évidemment, le choix du couple d'amants devait être irréprochable.

Et quelle inspiration de la part de Laure de Clermont-Tonnerre d'avoir associé Emma Corrin et Jack O'Connell. Là encore, il est drôle de constater qu'ils ont déjà fait les belles heures de productions Netflix puisque Emma Corrin était Lady Di dans la saison 4 de The Crown et Jack O'Connell le cowboy recueilli par des femmes dans Godless. L'un comme l'autre sont formidables, imposant un jeu à la fois intense et subtil, expressif et sobre.

Netflix n'a pas de raison d'avoir peur : le film est magnifique, sans aucune vulgarité ni complaisance. Et surtout il est l'un de leurs plus beaux projets de cette année.

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