dimanche 13 novembre 2022

AMSTERDAM, de David O. Russell


Sept ans après Joy, David O. Russell revient enfin avec un nouveau long métrage : Amsterdam. Un film foisonnant, débridé, et pourtant inspiré de faits réels. Mais qui aura été un bide cuisant, malgré son scénario palpitant, drôle, épique, et son casting d'enfer. Une injustice.


1918. Pour prouver à ses riches beaux-parents sa valeur, Burt Berendsen part en France combattre durant la première guerre mondiale. Il est affecté au commandement d'un régiment de soldats noirs américains par le général Meekins et devient l'ami de Harold Woodsman, un des meneurs de ces troufions. Rapidement blessés, les deux hommes sont soignés par Valerie Voze, une infirmière excentrique qui collecte les éclats d'obus dans le corps de ses patients pour en faire des sculptures.


A la fin du conflit, les trois amis partent pour Amsterdam pour se remettre des atrocités qu'ils ont traversées. Harold et Valerie tombent amoureux, mais Burt veut rentrer en Amérique pour retrouver sa femme. Il est loin d'être accueilli en héros car il veut soigner les gueules cassées, ce qui déplaît à ses beaux-parents qui le fichent à la porte. Le sachant dans le besoin, Harold veut le rejoindre et ouvrir son cabinet d'avocat, mais Valerie se volatilise avant son départ.


15 ans plus tard, Harold et Burt n'ont plus jamais revu Valerie. Mais ils sont contactés par Elizabeth, la fille du général Meekins, qui veut qu'on pratique une autopsie sur son père revenu d'Europe et mort de façon suspecte durant le trajet. Burt examine le corps avec Irma St. Clair, une collègue, et découvre que Meekins a été empoisonné. Harold et Burt font part de ces conclusions à Elizabeth juste avant qu'un homme la pousse sous les roues d'une voiture et n'accuse les deux amis de l'avoir tuée. Ils prennent la fuite.


Traqués par la police, Harold et Burt cherchent à se disculper en trouvant qui les a recommandés à Elizabeth. Ils rappellent que, juste avant sa mort, Elizabeth a mentionné Tom Voze, un riche industriel du textile qui avait voulu rencontré son père en Allemagne. Ils réussissent à le voir, malgré la réticence de sa femme Libby, et découvrent que Valerie est sa soeur, résidant avec eux et soignée pour des troubles nerveux. Voze recommande à Burt et Harold de parler au général Dillenbeck, ami proche de Meekins, qui représente les vétérans.


Pendant que Burt tente de joindre Dillenbeck, Harold retourne voir Valerie. Ils repèrent l'homme qui a tué Elizabeth sortant de chez Tom et le suivent en ville jusqu'à une clinique privée qui pratique des stérilisations forcées sur des hommes et des femmes et appartient à une mystérieuse organisation, le Comité des Cinq. Ils s'enfuient pour rejoindre Burt à qui ils font part de leur découverte. Valerie insiste pour aller au Waldorf-Astoria parler à deux vieilles connaissances du temps passé à Amsterdam : Paul Canterbury et Henry Norcross, qui soupçonnent justement un coup d'Etat contre Franklin Delano Roosevelt par ce Comité des Cinq.


Quand enfin Dillenbeck accepte de recevoir chez lui Harold, Burt et Valerie, il leur explique qu'un homme vient régulièrement lui proposer une grosse somme d'argent pour convaincre les vétérans de participer à un opération militaire contre le gouvernement américain. Si les commanditaires de cette conspiration tiennent à rester anonymes, il ne fait pas de doute qu'il s'agit du Comité des Cinq. Pour les forcer à sortir de l'ombre, Dillenbeck accepte de prononcer le discours préécrit par l'émissaire au galas des anciens combattants que Burt organise. Norcross et Canterbury surperviseront la soirée pour procéder aux arrestations des comploteurs.


Le soir du gala, Voze et sa femme présentent Dillenbeck au Comité des Cinq dont ils font partie et qui veulent s'inspirer de la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne et Mussolini en Italie pour  déloger Roosevelt. Le général feint d'abonder dans leur sens tandis que Valerie filme toute la scène. Mais une fois que Dillenbeck monte sur scène, il dénonce les conspirateurs, donnant le signal à Canterbury, Norcross et leurs agents pour les arrêter.
 

Ce coup de filet oblige cependant Valerie et Harold à quitter le pays. Mais Burt choisit de rester pour refaire sa vie avec Irma St. Clair. Dillenbeck déposera devant une commission du congrès mais les membres du Comité des Cinq disparaîtront dans la nature avant leur procès.

David O. Russell est un drôle de bonhomme : en 1999, il tourne Les Rois du Désert, film de guerre inspiré de faits réels, avec George Clooney. Mais la star fera la promotition du film à reculons, avouant des relations de travail très conflictuels avec le réalisateur. Depuis, une sale réputation colle aux basques de Russell et il lui faudra attendre le triomphe de Happiness Therapy en 2012 (qui vaudra l'Oscar de la meilleure actrice à Jennifer Lawrence) pour être réhabilité à Hollywood.

A partir de là, les acteurs se battent pour tourner sous sa direction, même en sachant qu'il est exigeant avec eux. Christian Bale et Jennifer Lawrence louent les qualités de cet auteur complet qui écrit des rôles bigger than life à ses stars. Pourtant, Russell ne renouera plus avec les cîmes au box office de Happiness Therapy, malgré les mérites de American Bluff et Joy.

Il aura donc fallu attendre sept ans pour qu'il revienne derrière la caméra pour un nouvel opus encore plus ambitieux et échevelé. Amsterdam s'inspire de faits réels encore une fois (comme Les Rois du Désert, American Bluff, Joy), le complot dît du Comité du Dollar Solide (Business Plot) fomenté en 1933 par des nationalistes américains pour évincer Franklin Delano Roosevelt et instaurer une dictature inspirée de celles de Hitler et Mussolini.

Cette histoire méconnue fournit à Russell la matière pour une vraie fresque de 2h 15 menée sur un train d'enfer. En regardant le film, on a souvent l'impression que le cinéaste cherche à noyer le poisson en multpliant les péripéties périphériques et en alignant un acteur connu pour chaque rôle, y compris le plus petit.

Avec quelques-uns, comme Wes Anderson, Quentin Tarantino, David O. Russell est un des rares cinéastes actuels à attirer autant de grands noms pour parfois de simples caméos. Cela se retourne parfois un peu contre ses films car le spectateur attend forcément un figurant prestigieux en soutien des rôles principaux et finit par moins voir les personnages que les vedettes qui les incarnent. Mais il serait ingrat de reprocher à Russell sa distribution étincelante, d'autant qu'il dirige chacun avec le même souci, jamais pour laisser à quiconque le plaisir égoïste et égotiste de faire son numéro.

Et puis, donc, derrière ces apparats, il y a un récit qui file vite et qui est finalement facile à assimiler. Burt, Harold et Valerie sont trois amis à la vie, à la mort, qui se sont rencontrés dans les conditions les plus abominables. Comme dans un film d'Hitchcock, ils sont précipités dans une intrigue d'espionnage où ils font figures de coupables idéaux mais le spectateur sait qu'ils sont innocents. On n'a donc aucun mal à sympathiser avec eux et à espérer qu'ils s'en sortent, même si les élements jouent contre eux, qu'il s'agit de David contre Goliath.

L'intrigue s'égare parfois mais retombe toujours sur ses pieds. Il y a une folie quasi-fellinienne dans ce film, qui se permet tout, avec des mouvements de caméra virtuoses, des dialogues virevoltants, des embardées narratives complètement délirantes. Qui prend son temps puis accélère subitement. Qui conjugue hédonisme et improvisation européens (toute la séquence, magique, à Amsterdam) et grand spectacle hollywoodien (le final au gala, véritable tour de force, parfaitement minuté). Visuellement, ke film est horriblement beau, avec son défilé de gueules cassées dont Russell prend le parti, osé, d'en rire plus que de chercher à tirer des larmes, de personnages lunaires embarqués dans une aventure qui les dépasse mais qui se dépassent pour en sortir. C'est euphorisant, tout sauf sobre.

Et c'est peut-être ce qui explique que Amsterdam se soit ramassé. Car il faut accepter cette exubérance, ce flot d'informations, cette histoire tentaculaire et improbable (même si elle est vraie), ce casting de malade. Si on ne tolère pas cet côté ovni, alors Amsterdam peut vite être fatigant, lassant. Mais pour ma part, c'est un régal, une sorte d'anomalie joyeuse, bordélique, au milieu de productions formatées. Avec un vrai souffle.

Il en faut pour mener un tel nombre de stars : Rami Malek, Anya Taylor-Joy, Matthias Schoenearts, Alessandro Nivola, Mike Myers, Michael Shannon, Zoe Saldana, et ça, ce ne sont que les seconds rôles ! Russell offre même un petit rôle à la chanteuse Taylor Swift, qui est épatante.

Mais le trio majeur de Amsterdam est formé par trois acteurs au top. Moi qui ne suis pas un fan de Christian Bale, il n'y a que chez Russell que je le trouve bon. Le cinéaste arrive comme nul autre à le rendre drôle et à exploiter son jeu basé sur la performance physique (ici, il joue un médecin borgne et toxico) pour que cela ne cannibalise pas le film. John David Washington est excellent aussi, beaucoup plus sobre, et c'est justement par ce contraste que son duo avec Bale fonctionne si bien. Enfin Margot Robbie (brune ici) est elle aussi meilleure qu'ailleurs : son personnage est foldingue, ce qui fait craindre à une redîte de sa Harley Quinn, sauf qu'elle n'est pas en roue libre et surtout soutenue par deux partenaires de haut niveau (on peut d'ailleurs imaginer que si Jennifer Lawrence avait été dispo, Russell l'aurait choisi une nouvelle fois et cela aurait sans doute abouti à une autre interprétation, mais c'est une autre histoire). Ces trois-là sont en tout cas extrêment attachants, marrants, mémorables.

Russell rebondira-t-il après cet échec commecial ? Tant qu'il aura le soutien d'acteurs bankables, sans doute. La question est plutôt de savoir quand il trouvera un projet qui le motivera suffisamment et comblera les stars prêtes à s'investir pour lui. Il serait très dommage que ce réalisateur en reste là.

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