samedi 30 juillet 2022

THOR : LOVE AND THUNDER, de Taika Waititi (Critique avec spoilers !)


Avant-dernier chapitre de la Phase IV du MCU, Thor : Love and Thunder a profondément divisé le public et la critique. Mais le cinéma de Taika Waititi ne fait jamais l'unanimité. C'est également le quatrième opus consacré au dieu du tonnerre de Marvel (la première tatrlogie pour un héros). Le résultat est effectivement clivant, parfois too much, mais aussi malin, drôle et épique.


Désormais compagnon d'aventures des Gardiens de la Galaxie, Thor reçoit un appel de détresse de Lady Sif, sauvagement attaqué par Gorr le boucher des dieux. Celui-ci a juré de tuer toutes les divinités depuis qu'il a perdu sa fille alors que ses idoles n'ont pas répondu à ses appels à l''aide. Cependant sur Terre, Jane Foster suit une chimiothérapie alors qu'elle est atteinte d'un cancer en phase 4. Condamnée par la médecine, elle décide de s'en remettre à la magie en se rendant à la Nouvelle Asgard où sa présence permet au marteau Mjolnir (brisé par Hela) de se reformer et de la transformer en la Puissante Thor.


Odinson resurgit avec Sif à qui des soins sont prodigués. La nuit venue, Gorr s'en prend à la cité et Odinson découvre à la fois le boucher des dieux et Jane Foster brandissant Mjolnir. Gorr s'éclipse après avoir été malmené mais en kidnappant tous les enfants de la ville. Valkyrie promet aux parents que leur progéniture leur sera rendue puis s'en remet à Odinson pour échafauder un plan. Il entraîne Jane, Valkyrie et Korg à Omnipotence City, refuge des dieux, pour lever une armée.


Mais sur place, Zeus, qui préside cette assemblée, refuse de prêter main forte aux asgardiens, considérant que Gorr n'osera pas attaquer ici. Valkyrie dérobe l'éclair de Zeus et s'enfuit avec Odinson, Jane et Korg. Stormbreaker génère un Bifrost qui les conduit jusqu'au repaire de Gorr, localisé grâce à Axl, le fils de Heimdall qui a réussi à contacter Odinson.


Durant le voyage, Jane et Odinson renouent l'un avec l'autre puis elle lui avoue sa maladie. Avant que Odinson ait pu intégrer cette nouvelle, l'équipe pénètre dans le royaume des ombres, antre de Gorr, et leur vaisseau atterrit sur une planète désolée. Gorr tend un piège à Odinson pour récupérer Stormbreaker qui lui ouvrira la Porte d'Eternité qui, exauce le voeu de celui qui la franchit le premier. Odinson affronte Gorr qui blesse Valkyrie et oblige ses ennemis à rentrer à la Nouvelle Asgard. Mais Gorr a eu ce qu'il voulait.
 

Valkyrie survit mais Jane est dans un état critique : Odinson lui explique que chaque fois qu'elle se transforme grâce à Mjolnir, elle écourte son espérance de vie car la magie de l'arme annule les effets de la chimiothérapie. Il convainc Jane qu'il doit repartir affronter seul Gorr et délivrer les enfants avant qu'il n'ouvre la Porte d'Eternité.


Gorr est déjà à l'oeuvre pour forcer l'entrée de la Porte d'Eternité lorsque Thor revient dans le royaume des ombres. Ne pouvant battre seul à la fois les créatures des ténèbres que créé le boucher des dieux et ce dernier, Thir transmet une partie de ses pouvoirs aux enfants pour qu'ils affrontent les monstres. Armé de l'éclair de Zeus, le dieu du tonnerre ne réussit pourtant pas à dominer son adversaire, plus enragé que jamais au moment de voir son souhait exaucé de tuer tous les dieux.


Mais Jane Foster resurgit et brise la Nécrolame de Gorr. Celuic-ci franchit la Porte d'Eternité mais il est comme Jane à l'article de la mort. Thor le conjure de ne pas commettre l'irréparable et de ramener plutôt sa fille, Love, à la vie en lui promettant qu'il s'en occupera. Gorr acquiesce tandis que Jane s'éteint et de volatilise. De retour à la Nouvelle Asgard, son sacrifice est honorée, les parents retrouvent leurs enfants et Thor, comme promis, devient le tuteur de Love, qu'il entraîne dans ses nouvelles aventures cosmiques.

Deux scènes post-générique de fin viennent conclure le film :

- Zeus, furieux de s'être fait humilié par Thor et ses amis, envoie son fils Hercule éliminer le dieu du tonnerre.

- Jane Foster arrive au Valhalla, accueillie par Heimdall qui la remercie d'avoir veillé sur son fils Axl.

Quand, après la sortie de Black Panther 2 : Wakanda Forever, en Novembre prochain, il faudra tirer un bilan de la Phase IV du MCU, Thor : Love and Thunder résumera certainement bien les hauts et les bas de cette période. Avec sept longs métrages au compteur, les productions initiées par Kevin Feige auront globalement déroutés et déçus les fans, malgré de beaux scores au box office (même si aucun des titres n'a détrôné Avengers : Endgame).

On aura assisté en parallèle des sorties en salles à l'émergence des séries Marvel sur Disney +, où là aussi l'ensemble a été très inégal. Certaines ont contribué à enrichir le MCU (Loki, WandaVision, Ms Marvel, Falcon et le Soldat de l'Hiver), d'autres ont été des projets standalone à la pérennité plus qu'incertaine.(Moon Knight, What if...?, Hawkeye). Mais il est avéré désormais qu'il vaut mieux tout voir pour tout comprendre à cet univers étendu et partagé.

Si j'ai zappé Shang-Chi (mais il faudra bien que je me rattrape), et que j'ai été déçu par Black Widow et Les Eternels, en revanche j'ai apprécié Spider-Man : No Way Home et Doctor Strange in the Multiverse of Madness. Le premier trailer de Wakanda Forever est plutôt prometteur. Quid de Thor : Love and Thunder ?

Depuis ses premières bandes annonces et sa sortie, il ya une quinzaine de jours, les réactions ont été très mitigées. Déjà la durée du film a surpris (1h 59). Et le style de Taika Waititi, qui avait déjà divisé sur Thor : Ragnarok, a encore plus dérangé. Quand à l'intrigue, en puisant dans le run de Jason Aaron avec Gorr le boucher des dieux et Jane Foster en Puissante Thor, certains ont eu beaucoup de mal à en apprécier la synthèse radicale.

Si je dis plus haut que Love and Thunder risque fort d'être le maître étalon de la Phase 4, c'est parce que ce n'est pas un film évident, il a des faiblesses, des excès, et des points forts, mais de façon très contrastée. C'est un objet hybride, extrême, presque expérimental, comme si Kevin Feige avait voulu voir ce que donnerait un film du MCU où le réalisateur pouvait faire ce qu'il voulait (alors qu'on sait le producteur interventionniste, jusqu'au clash parfois).

Il ne fait en effet, pour moi, aucun doute que Waititi est le seul responsable du résultat. Les acteurs ont révélé en voyant le montage final que beaucoup de scènes tournées n'y figuraient plus et le cinéaste lui-même a reconnu qu'il avait beaucoup coupé et même qu'il était farouchement contre les director's cut (qui ne l'ont jamais convaincu). Donc, ce que nous avons vu est ce qu'il voulait montrer. C'est comme Doctor Strange 2 où Sam Raimi avait aussi beaucoup élagué, malgré des reshoots importants.

Par ailleurs, l'esthétique de Waititi est, on le sait depuis Ragnarok, très, très colorée. Il enfonce le clou ici avec une bande son très rock FM 80's (avec une part belle à Guns'n'Roses), mais aussi une photo n'hésitant pas à flirter avec le kitsch mais aussi des audaces formelles à la fois toutes simples (les scènes en noir et blanc dans le royaume des ombres) et très prononcées donc. Waititi s'amuse beaucoup, parfois, avouons-le, plus que nous certainement (il ne se contente d'ailleurs pas de mettre en scène puisqu'il interprète aussi Korg), et assume tout, sans complexe, y compris un certain mauvais goût, quelques moments de gêne, du sentimentalisme.

Après les deux premiers films Thor, qui dressait un portrait sérieux du dieu du tonnerre, sans convaincre, Waititi a eu carte blanche pour réinterpréter le héros en l'entraînant vers la comédie, à la limite de la parodie, du moins de la farce. Le succès de Ragnarok a convaincu Marvel Studios que c'était une formule gagnante et payante. Logiquement, le réalisateur a pu souligner ses effets encore plus avec Love and Thunder et ne s'en est pas privé, commençant par faire de Thor un super-aventurier costumé aux côtés des Gardiens de la Galaxie (avec qui il quittait la Terre à la fin de Avengers : Endgame) tiraillé par des interrogations existentielles. D'un côté, il resre ce guerrier viking immortel, maîtrisant la foudre, et qui aime se battre ; de l'autre il aspire à trouver un sens à sa vie, quitte à troquer le combat pour la méditation.

La menace de Gorr le rappelle à l'ordre et Waititi réussit, selon moi, à établir ce vilain de manière remarquable, à la fois dangereux, violent, et aussi émouvant, motivé par une vengeance légitime. dans un cadre un peu moins déconnant, le scénario (co-écrit par Waititi et Jennifer Kaylin Robinson) aurait même pu creuser un peu plus franchement la question de la foi, de la confiance dans les dieux, dépeints comme des êtres égocentriques, jouisseurs, et indifférents au sort des mortels. Mais c'est à peine effleuré. Dommage. 

L'autre aspect de l'histoire, c'est le retour au premier plan de Jane Foster. Son traitement dans les deux premiers films avaient découragé son actrice à renoncer au MCU (pour une carrière ponctuée de coups d'éclats mais peu récompensée par des succès commerciaux). Jason Aaron, qui a, lui, écrit un chapitre important redéfinissant le personnage dans les comics a inspiré ce retour reproduit fidélement dans le film. Mais là encore, Waititi ne parvient pas à convertir avec suffisamment d'intensité le matériau d'origine, notamment en semblant refuser de filmer la maladie de trop près. C'est là encore dommage.

Pourtant, une fois ces éléments posés, le film se tient plutôt bien et l'intrigue se déploie agréablement. Il subsiste des trous d'air, une narration parallèle pas totalement aboutie (quand on suit Thor et sa bande d'un côté et Gorr et les enfants de l'autre côté - ces derniers étant trop absents et passifs alors qu'on aurait pu montrer le boucher des dieux continuer à massacrer quelques divinités en attendant que les asgardiens tombent dans son piège). C'est aussi sans doute à ce stade que Waititi a fait les coupes les plus remarquables car j'ai eu le sentiment que la séquence à Omnipotence City avait dû faire l'objet, à l'origine, d'une représentation plus consistante du panthéon, avec sans doute des caméos mémorables (on sait par exemple que Jeff Goldblum revenait revenait dans le rôle du Grand Maître et que Peter Dinklage apparaissait à un moment ou un autre).

Reste Zeus et sans doute un moment, disons, délicat. Car si Waititi ne se prive pas de montrer le père des dieux grecs (ici en grand patron de tous les dieux, au-delà du panthéon grec) en  hédoniste colérique, vantard et bedonnant (ce qui n'est pas si éloigné de la "vérité"), il ose aussi en faire une sorte de bouffon pleutre sans qu'on comprenne pourquoi (au-delà de la simple envie de faire rire facilement). Russell Crowe fait preuve d'une belle auto-dérision mais on aimerait, quand le prochain Thor sera en boîte (car un cinquième épisode est prévu, sans qu'une date ne soit fixée, mais pas avant 2024-2025), qu'il soit plus sérieusement traité (comme on en a un aperçu dans une des deux scènes post-générique de fin).

Le dernier acte du film offre des affrontements que j'ai trouvés très convaincants. Gorr y est présenté comme un adversaire coriace et tragique, les deux Thor affichent une complentarité efficace. Les effets spéciaux sont très bien (alors que les responsables ont exprimé leur exaspération concernant leurs conditions de travail). Le dénouement est émouvant, un peu fleur bleue aussi, mais j'ai apprécié.

Il se dégage de tout ça quelque chose d'à la fois euphorisant, qui fait du bien après deux années éprouvantes (à cause de la Covid, de la guerre en Ukraine, qui ne sont ni l'un ni l'autre résolues), et je remercie volontiers Waititi d'avoir pondu Love and Thunder avec la volonté manifeste d'offrir une parade à tout ça. Cela ne signifie pas que j'excuse tout, mais je ne peux pas non plus jouer la comédie et prétendre que j'ai détesté pour répéter ce que beaucoup disent au sujet du film. J'ai passé un bon moment, en reconnaissant que ce n'est pas un sommet du MCU, mais néanmoins plus aimable, de mon point de vue, plus convaincant que Black Widow ou Les Eternels (que je n'ai là, pour le coup, pas du tout aimé).

Cela vient aussi du casting. J'aime beaucoup Chris Hemsworth, dont la complicité avec Waititi fait plaisir à voir, et qui incarne parfaitement Odinson, avec beaucoup d'humour mais aussi une présence indéniable (et très, très musclée). Natalie Portman est formidable en Puissante Thor (et la deuxième scène post-générique de fin laisse supposer qu'elle pourrait revenir, comme Jane Foster dans les comics), c'est agréable de voir cette actrice épatante être plus légère, séduisante et badass. Comme Tessa Thompson, même si, elle, a moins l'occasion de briller que dans Ragnarok. Quant à Christian Bale, si son jeu très actor's studio m'horripile souvent, il incarne avec brio Gorr, hanté, rongé de l'intérieur : un sacré bon méchant dans le MCU (qui ne soigne pas toujours aussi bien les adversaires des super-héros).

Cette critique, je le sais, ne fera pas changer d'avis ceux qui n'ont pas aimé le film. Mais de manière plus générale, je ne crois pas qu'un film, quel qu'il soit, mérite d'être englouti sous des qualificatifs consternés. Certainenement pas Thor : Love and Thunder qui assume ses parti-pris et ne peut que surprendre ceux qui pensaient que Taika Waititi changerait son fusil d'paule.

vendredi 29 juillet 2022

THE MAGIC ORDER 3 #1, de Mark Millar et Gigi Cavenago


Et revoilà The Magic Order, troisième volume de la saga écrite par Mark Millar. Le scénariste écossais est cette fois accompagné par le dessinateur italien Gigi Cavenago pour une nouvelle salve de six épisodes. Ce premier chapitre en dit peu sur l'histoire à venir mais introduit de nouveaux personnages, superbement mis en images.


Honk Kong. Le milliardaire Sammy Liu débarque de son paquebot volant pour assister au conseil d'administration de son entreprise. Il est également membre de l'Ordre Magique.


Floride. Sacha Sanchez se présente chez un couple âgé dont le fils est revenu à la vie 48 ans après sa mort sous forme de nourrisson. Mais il doit tous les tuer car ils sont sous l'emprise de gobelins.


Milwaukee. Cordelia quitte son nouvel amant, Salman, pour gagner le strip-bar de son frère Regan. Elle a convoqué une réunion de l'Ordre Magique pour évoquer le cas de Sammy Liu.


Loin de là. Leonard Moonstone accoste sur une île où sa femme Salomé tient un phare contre les démons. Il lui confirme la mort de leur fils Gabriel...

C'est un plaisir à chaque fois renouvelé de retrouver The Magic Order, et c'est déjà le troisième volume (sur une saga prévue pour en compter cinq au total) qui débute sa publication de mois-ci. De son propre aveu, dans sa newsletter, Mark Millar n'a pas été satisfait du précédent volume (sans préciser pourquoi) et il a promis que ces six nouveaux épisodes relèveraient le niveau.

On peut en effet arguer que le volume 2 donnait beaucoup (trop) de place aux méchants et pas assez à l'Ordre Magique, sévèrement ébranlé. En revanche, graphiquement, la prestation de Stuart Immonen était impeccable (il faut espérer que Millar annonce bientôt la suite de Empress avec l'artiste canadien).

La couverture et les premières pages introduisent un nouveau personnage, Sammy Liu, extravagant comme les aime Millar, puisqu'il est membre de l'Ordre et multimlliardaire (au moins). Il se déplace à bord d'un paquebot volant invisible (sauf à ceux à qui il souhaite le montrer) et il arrive à Honk Knog pour assister à un conseil d'administration. Il est sûr de lui, suffisant même, et on pense à un avatar de Tony Stark avec son physique (comme Iron Man il porte une fine moustache à la Errol Flynn et la couverture indique qu'il est un séducteur).

Mais déjà Millar change de décor et nous entraîne dans un endroit beaucoup moins glamour, chez un couple de petits vieux dont le fils est revenu à la vie. Sacha Sanchez (quel nom !) doit intervenir et il le fait sans ménagement. Par des touches suggestives, Millar nous renseigne sur cet espèce d'exorciste avec lequel on peut prendre rendez-vous via le dark web, donc l'individu travaille dans la clandestinité et pour de basses oeuvres.

Le récit se pose ensuite pour une scène plus longue (mais pas de beaucoup) et avec des visage familiers puisqu'on part pour Milwaukee dans le bar à strip-teaseuses de Regan Moonstone qui y reçoit sa soeur, Cordelia, mais aussi Sacha, Edith et quelques autres membres de l'Ordre. L'ambiance est tendue car Sacha est perturbé par le fait que la fille de Gabriel, qu'élève désormais Regan, fait ses devoirs sur le comptoir alors que des filles s'effeuillent sur scène. Juste avant que Regan n'arrive, il administrait une raclée à un client qui avait importuné une de ses filles et on le sent toujours à cran.

Pourtant Cordelia recadre les deux hommes et explique qu'elle les a appelés pour traiter du cas de Sammy Liu. On n'en saura pas plus mais il est évident que les activités du milliardaire doivent déranger l'Ordre d'une manière ou d'une autre. A suivre. L'épisode se termine avec des retrouvailles entre Leonard et Salomé Moonstone puis un cliffhanger concernant Edgar, le gardien du château Moonstone...

Il se dégage de cet ensemble quelque chose de très frustrant car Millar, à dessein, passe d'une scène à une autre, très rapidement, sans rien approfondir. Le rythme est donc très soutenu et le propos très évasif. Le seul moment vraiment prégnant concerne Leonard, grand absent du volume précédent, et Salomé, qu'on n'avait encore jamais vue (encore mois évoquée), au sujet de la mort de Gabriel (survenu dans le volume 1). Le scénariste en garde beaucoup sous le pied et tient à nous faire languir : c'est réussi.

Même si Olivier Coipel devait certainement à l'origine dessiner plus que le premier volume, on ne peut pas se plaindre du fait que la série ait vu ses plans changer. Déjà le renfort de Stuart Immonen a permis de vérifier que Millar ne comptait pas confier la mise en images à n'importe qui pour cette saga dont il a maintes fois répété qu'elle lui était chère.

Et donc il a convaincu Gigi Cavenago, cover-artist italien (notamment pour le fumetto Dylan Dog), de franchir le rubicon pour dessiner ces six nouveaux chapitres. Pour qui a eu la curiosité de chercher des pentures de ce prodige sur Google images, ce n'est pas une surprise de voir à quel point il est doué et ne dépareille pas aux côtés de Coipel et Immonen, même s'il n'a pas leur notoriété.

S'il a confié la colorisation à Valentina Napolitano, le trait souple et dynamique de Cavenago est bien là, intact. Son sens de la composition produit des cases incroyablement fortes, avec une fluidité remarquable. Il privilègie un découpage aéré avec peu de vignettes apr cases pour que ses perspectives soient le mieux mises en valeur. Et ainsi, chaque plan a une profondeur de champ exceptionnelle.

L'autre atout de Cavenago, c'est l'allure qu'il donne aux personnages. Déjà, il les place dans l'image de telle manière que le regard est immédiatement attiré vers eux, ensuite avec une facilité folle, il les dote d'un charisme unique. La classe tapageuse de sammy Liu ou le gabarit impressionnant de Sacha Sanchez frappent sans effort au milieu de décors savamment étudiés, qu'e ce soit l'intérieur luxueux d'un paquebot, les couloirs immaculées d'un building, ou l'appartement miteux d'un couple de petits vieux. L'intérieur du bar de Regan est également saisissant, avec dans la même image un premier plan avec le comptoir derrière lequel se trouve une trappe, un second plan avec la salle, et un arrière-plan avec une scène où dansent des effeuilleuses.

Cette densité d'informations visuelles donne presque le tournis car elle est inhabituelle dans un comic book américain où le cadre de l'action est souvent moins minutieusement décrit. Mais c'est la marque des grands dessinateurs de proposer tout ça sans que l'image ne soit encombré, sans que le regard du lecteur ne soit perdu, submergé. Et Cavenago sait aussi faire beaucoup avec peu comme il le prouve avec la scène du phare, merveille de suggestion.

On va certainement se régaler en suivant ces six épisodes car visuellement ça envoie du bois. Et Millar lui-même veut se racheter d'un précédent volume qui ne l'a pas satisfait. Et le meilleur, c'est que, à peine en aura-t-on fini avec ce récit que le quatrième tome arrivera début 2023 (avec cette fois Dike Ruan au dessin). Vous avez dit "vivement" ? Moi, oui.

THE VARIANTS #2, de Gail Simone et Phil Noto


La couverture interpèle, c'est son travail et Phil Noto sait comment attirer le regard du lecteur. Gail Simone poursuit son histoire en sachant en conserver tout le mystère. S'il y a un goût de redite indéniable dans cette intrigue, ça n'en reste pas moins plaisant, surtout qu'elle est émaillée de moments troubles et troublants.


Il y a 4 ans. Autour d'un verre, Tigra offre à Jessica Jones d'intègrer A-Force car si Hell's Kitchen n'a pas été victimes de grandes menaces, cela ne saurait tarder et il faut qu'elle s'y prépare.


De nos jours. Après avoir, avec l'aide de Luke Cage, maîtrisé les deux variants chez elle, Jessica perd connaissance, à nouveau hantée par l'Homme-Pourpre. Elle craint pour sa famille.


Bouleversée, elle envoie Luke et leur fille au loin. Puis Daredevil la surprend, encore ébranlée. Elle se jette à son cou, confuse. Elle se ressaisit et comprend qu'elle a besoin d'aide.


Elle appelle She-Hulk. Mais c'est alors que débarque une troisième variante de Jessica, vêtue de son costume de Jewel...

Deux réflexions :

- il est intéressant de lire The Variants #2 après Ant-Man #1 car, d'une certaine manière, c'est comme si ces deux mini-séries se répondaient en explorant le thème du double. Al Ewing sonde, à travers le temps, les différentes incarnations de l'homme-fourmi. Gail Simone utilise les variants de Jessica Jones pour sonder l'identité du personnage, qui ne sait littéralement plus où elle en est.

- Et cela conduit à la seconde réflexion. L'histoire de Jessica Jones est liée à celle de l'Homme Pourpre, Zebediah Kilgrave, qui a abusé d'elle et l'a manipulée pour faire du mal à des innocents. Une métaphore des violences faites aux femmes, de la toxicité masculine, bien avant #MeToo, écrite par Brian Michael Bendis et dessinée par Michael Gaydos. Gail Simone n'est pas allée cherché loin le méchant de son histoire.

Tout ceci fait à la fois la force unique et la limite principale de The Variants, dont on sent bien que, pour la scénariste, c'est l'occasion de broder à partir de la mythologie de Jessica Jones en convoquant ses doubles multiversels, mais qui ne peut éviter de tomber dans une facilité certaine.

En parcourant des commentaires sur un site, je lisais les reproches faits à Gail Simone, mais aussi aux différents scénaristes qui ont animé Jessica Jones depuis que Bendis a abandonné son personnage. L'Homme Pourpre est omniprésent, on a rarement vu une héroïne aussi intimement liée à un méchant, et par là même une telle paresse des auteurs à lui donner d'autres adversaires. Comme si, en vérité, Jessica Jones n'était définie que par son agression par Zebediah Kilgrave.

On peut comprendre qu'au bout d'un moment ça devienne un peu lassant. Pourtant, avec sa situation atypique dans l'univers Marvel, il y aurait de quoi raconter bien des choses avec Jessica Jones, et ainsi dépasser ce statut d'éternelle victime hantée par Kilgrave.

Mais, est-ce un hasard, Jessica Jones n'a été écrite que par des femmes (Kelly Thompson, Gail Simone) depuis le départ de Bendis et c'est étonnant qu'elles continuent à victimiser ainsi ce personnage au caractère pourtant bien trempé. La voilà encore, toujours hanté par l'Homme Pourpre, comme prise dans une spirale infernale. Et donc fatigante. Usée, rebattue.

D'un autre côté, il y a cette affaire de variants qui surgissent d'on ne sait où : après une Jessica Jones parfaitement ressemblante à l'originale (en jean, perfecto, bottes), une autre portant le bouclier de Captain America, voici celle vêtue du costume de Jewel (l'alias éphémère des débuts du personnage)... Impossible de savoir où Gail Simone veut en venir avec tout ça. Sauf à souhaiter qu'enfin cela permette à Jessica de dépasser son trauma, de tourner la page Homme Pourpre (même si dans les faits, celui-ci a été battu lors de Devil's Reign, l'argument ici est qu'il aurait suffisamment tourmenté ses victimes pour en faire des bombes à retardement).

Mais peut-être qu'au fond, ce qui demeure le plus intéressant, ce sont ces petits moments troubles et troublants dont Simone émaille son script. Déboussolée, Jessica laisse Tigra l'embrasser sur la bouche, puis c'est elle qui roule une pelle à Daredevil, avant de gifler She-Hulk pour se prouver qu'elle a encore sa super-force (et se passer les nerfs sur quelqu'un qu'elle ne risque pas de blesser). Dans ces moments-là, Gail Simone suggère quelque chose d'encore nébuleux, qui restera peut-être dans suite, mais qui interroge différemment Jessica, sa difficulté à cerner qui elle est, sa confusion extrême.

Phil Noto a du mérite, c'est certain, à garder lisible un propos parfois difficile à apprécier (même si c'est voulu). Son dessin possède ce calme dans la tempête qui permet au lecteur de savourer justement ces fulgurances improbables dans un récit où les péripéties se succèdent sur un rythme étrange, un faux rythme en fait, où rien n'avance vraiment mais qu'on lit sans déplaisir.

Dans ce genre de situation, il est précieux de disposer d'un artiste comme Noto qui suit respectueusement l'histoire qu'il met en images et dont le trait précis, sobre, fait office de boussole. Il dépeint soigneusement le désordre intérieur de l'héroïne, sa peur, la succession de scènes comme une fuite en avant. Le découpage est presque austère, du moins simple, sans fioritures, toujours dans cette démarche de ramener l'histoire sur terre alors que tout déraille.

Vous l'aurez compris, The Variants s'autorise des redites, des facilités un peu agaçantes, tout en entretenant une ambiance envoûtante, supportée par un dessin élégant. Mais il va quand même falloir que ça bouge plus franchement car il ne reste plus que trois épisodes pour boucler ce Jessica Jones Mystery.

jeudi 28 juillet 2022

ANT-MAN #1, de Al Ewing et Tom Reilly


Le nom de Al Ewing rend désormais chacun de ses projets attractifs. Aussi quand il décide de consacrer une mini-série en quatre épisodes à Ant-Man pour le soixantième anniversaire de la création du personnage, forcément on est curieux de la manière dont il va animer l'homme-fourmi. Et il est bien accompagné par Tom Reilly, jeune artiste très prometteur.


2549 après J.C. . Le Ant-Man du futur remonte le temps jusqu'au début de la carrière super-héroïque de Hank Pym. Celui-ci, importuné par un garnement au cinéma, décide de le corriger.


Mais il est alors capturé par quatre de ses ennemis qui l'embarquent chez eux pour se venger des fois où il les a faits arrêter. Juste avant qu'on lui retire son casque, Hank transmet un S.O.S. aux fourmis.
 

Alors qu'elle est encore dans la salle de cinéma, Janet Van Dyne reçoit l'appel à l'aide de Hank et se change en guêpe pour lui permettre de neutraliser ses ravisseurs.


C'est alors que Hank Pym est surpris par le Ant-Man de 2549 qui l'entraîne dans son futur. Il requiert son aide contre une menace provenant du passé et qui pourrait altérer l'espace-temps...

Comme je le disais en préambule, Al Ewing est un scénariste que je trouve suffisamment intéressant désormais pour me pencher avec curiosité sur ses différents projets. Sans ça, me serai-je procuré le premier des quatre épisodes de cette mini-série produite pour fêter le soixantième anniversaire de Ant-Man ? Pas sûr.

Certains verrotn dans l'initiative une énième tentative de Marvel de surfer sur la vague d'un héros mineur de l'éditeur mais qui est devenu, par ailleurs, une vedette du MCU (et un des rares survivants des Avengers au ciné). Pourtant, le prochain long métrage avec Ant-Man (Ant-Man & the Wasp : Quantumania) ne sortira qu'au Printemps 2023, donc il serait très exagéré de prétendre que ce comic-book profite du film.

Ce qui séduit d'entrée de jeu dans l'approche adoptée par Ewing, c'est qu'il a écrit son script comme quelque chose de très ludique, s'amusant en voix off du mystère sur l'identité du Ant-Man de 2549, du cliffhanger en fin d'épisode, et des rebondissements qui vont ponctuer le récit.

Ensuite, le scénariste embrasse Ant-man comme concept en interrogeant non seulement qui il est, mais quand, où, pourquoi il est. Et à partir de là, on comprend que chaque épisode va être conçu d'une manière à la fois référencée (avec des renvois précis à des épisodes de Tales to Astonish) et désirant malgré tout rester accessible.

Effectivement, tout est abordable, on n'est jamais noyé par ces renvois de bas de page, et il n'y a donc pas besoin de faire de la spéléologie dans les comics des années 60 pour savoir de quoi Ewing parle. C'est très appréciable. De toute manière, l'auteur reste léger, car, comme il l'a expliqué, il a d'abord voulu respecter l'esprit et la lettre de chaque époque traversée par le héros miniature.

Et, pour ceux qui, comme moi, ont par exemple lu quelques aventures de Ant-Man datées des années 60, dans les pages de Strange Spécial Origines, par Stan Lee et Don Heck, on retrouve ce côté suranné et même ridicule des débuts de Hank Pym. Les ennemis sont à cet égard croquignolets, comme leur alias suffit à les résumer (le Laveur de Fenêtres, le Maître du Temps, Trago, le Protecteur). Vous pouvez rire sans gêne en voyant l'un d'eux paralyser Ant-Man avec du produit pour nettoyer les vitres : c'est volontaire ! Et ça montre que si Stan Lee n'était pas toujours inspiré, il gardait le sens de l'humour et même de l'absurde.

A ce stade de ma critique, il faut que je m'attarde sur l'aspect visuel de l'épisode car Tom Reilly, avec la coloriste Jordie Bellaire, accomplissent un travail remarquable. En effet, Reilly (que j'avais découvert sur la série avortée Astro Hustle) et Bellaire ont tout fait pour que les planches reproduisent l'aspect pulp, bon marché de l'époque des Tales to Astonish. Le papier est donc jauni artificiellement et le trait imite fabuleusement celui de Don Heck, jusque dans les effets de texture (notamment pour la partie métallique du casque de Ant-Man). Les designs sont scrupuleusement respectés et c'est un régal de simplicité et d'élégance vintage.

Le découpage de Reilly est aussi sobre que les comics de jadis, dès que l'action se situe dans les années 60, après les premières pages dans le futur. Bellaire applique des couleurs un peu délavées, un peu passées, comme si le comic-book avait été mal conservé. Du coup, les teintes les plus franches ressortent plus intensément, comme le rouge du costume de Ant-Man.

Et quand, à la fin du chapitre, Hank Pym est projeté en 2549, l'encrage est encore plus économe au profit de couleurs plus nettes et vibrantes, avec des effets de matière plus prononcés, comme le remarque le héros lui-même. C'est franchement superbement joué. Et le style très épuré naturellement de Reilly est impeccable pour cet exercice.

Au passage, Ewing distille des clins d'oeil malins puisque le garnement qui jette du popcorn sur Pym dans le cinéma est Eric O'Grady, le Ant-Man créé par Robert Kirkman et Phil Hester. Plus loin, lorsque la Guêpe vole au secours de Pym, elle raisonne d'une façon irrésisitible un cambrioleur de ne pas commettre son méfait et on comprend qu'il s'agit de Scott Lang, le Ant-Man popularisé par le MCU (et notamment animé dans les comics par Nick Spencer et Ramon Rosanas). Bien entendu, tout cela est tout sauf innocent, ces différentes incarnations du personnage sont liées, et pas seulement par le fait d'avoir été Ant-Man. On regrette alors presque déjà que Al Ewing n'ait que quatre épisodes car il aurait pu aussi évoquer les déclinaisons de Ant-Man (Giant-Man, Goliath, Yellowjacket, UltronPym, etc.).

Mais le projet est déjà excitant et ce premier épisode est suffisamment dense, imprévisible et amusant pour que cette mini-série se distingue. Peut-être même que, enfin, au bout, on aura droit à une rédemption pour Hank Pym...

DO A POWERBOMB ! #2, de Daniel Warren Johnson


J'avais gardé le deuxième épisode de Do a Powerbomb ! pour cette semaine car la semaine dernière était déjà bien chargée. La mini-série de Daniel Warren Johnson après un démarrage canon se calme (un peu) pour exposer ses enjeux. Mais c'est quand même sacrèment spectaculaire. Même si le twist final est un peu téléphoné...


Willard Necroton entraîne Lona Steelrose dans sa dimension : il est prisonnier et maître d'une île après une défaite cuisante. C'est depuis ce temps qu'il a découvert sa passion pour le catch.


Il offre donc à Lona de lui rendre sa mère si elle participe à un tournoi dans son arène. Mais c'est une compétition pour laquelle elle doit avoir un partenaire et Willard lui suggère un nom...


C'est ainsi que Lona, de retour sur Terre, assiste à un match disputé par Cobrasun contre Kaneda le destructeur. Le combat se solde par une raclée pour le dernier adversaire de la mère de Lona.


Lona rejoint Cobrasun dans les vestiaires et découvre qu'il a, lui aussi, été abordé par Willard. Il accepte à contrecoeur de faire équipe avec elle...

Le cliffhanger du premier épisode de Do a Powerbomb ! faisait basculer cette histoire dans le fantastique et, pour ouvrir ce nouveau chapitre, Daniel Warren Johnson en profite pour présenter Willard Necroton.

Le ton est donné et si on aime le style de l'auteur, on sera comblé par son sens de la démesure et son absence totale de complexes à mélanger les registres. Il le fait avec un tel naturel, une telle fluidité qu'il est difficile d'y résister. Mais sans jamais sacrifier l'émotion : car il est quand même question du deuil d'une adolescente et d'un marché faustien.

Necroton est un drôle de mariole, fou de catch, mais qui prend ce spectacle scénarisé absolument au sérieux. Au point qu'il rigole de bon coeur quand Lona lui explique que tout, une fois sur le ring, est écrit, qu'il s'agit d'un show mis en scène et pas de vrais affrontements. A ce stade de l'intrigue, difficile de se prononcer sur le cas Necroton : est-ce un excentrique venu d'une autre dimension ? Ou bien un méchant filou abusant de la situation ? Si je devais supposer, je dirais qu'il est néanmoins plutôt sympathique et déjanté, mais le prix à payer pour que Lona retrouve sa mère reste élevé.

Donc : méfiance. D'autant plus que le tournoi qu'organise Necroton se joue en équipe et il faut donc que Lona se trouve un partenaire. Bien entendu, on le sentait arriver, elle va demander à Cobrasun de l'aider.

Johnson montre habilement que Cobrasun trimballe sa culpabilité dans des combats clandestins où tous les coups sont permis. Il affronte un adversaire bien décidé à lui faire la peau et qui lui inflige un raclée humiliante et douloureuse. Cobrasun se défend à peine, comme s'il expiait sa faute originelle, celle d'avoir tué, même involontairement, même accidentellement la mère de Lona.

Le dialogue entre Lona et Cobrasun dans les vestiaires après le combat est parfaitement écrit, prouvant que Johnson n'est pas qu'un fabuleux artiste mais aussi un auteur complet. De façon certes prévisible là encore, on apprend que Necroton a abordé Cobrasun avant Lona et qu'il a donc manigancé pour qu'ils deviennent partenaires. Voilà une bonne raison de ne pas se fier à cet olibrius.

Tout au long de scènes, Johnson nous en met plein les yeux en illustrant tout cela sans jamais se ménager. De l'île de Necroton au combat entre Cobrasun et Kaneda le destructeur en passant par l'échange entre Lona et Cobrasun, le découpage est d'un dynamisme extraordinaire.

Chaque plan grouille de détails, avec des angles de vue insensés et des valeurs de plans idéalement dosés. Les compositions sont sensationnelles, ce qui est indispensable pour un récit riche en action et en baston. Il y a quelque chose de grisant dans cette lecture où on sent l'artiste se donner à fond parce que son sujet le motive mais aussi parce qu'il veut que le lecteur soit comblé.

Malgré tout, si je devais émettre un bémol, c'est que, en plus de quelques rebondissements prévisibles, le twist à la fin de cet épisode est franchement téléphoné. Je ne vous le révèlerai pas, mais lorsqu'on découvre qui se cache sous le masque de Cobrasun, il n'y a aucune surprise. Cela ne signifie pas que l'intérêt pour la suite de l'histoire s'en trouve diminué - au contraire, cela reste très prometteur, mais disons plutôt que j'attendais cette révélation plus tardivement. Je pense donc que si Johnson la place si tôt dans sa série, c'est qu'il sait ce qu'il fait et que la suite annonce de beaux moments de tension et d'émotions.

Ce qui est certain, c'est que, fan de catch ou pas (et pour ma part, le wrestling actuel ne m'intéresse guère, bien que j'ai adoré la série GLOW), ce comic book est à l'image de son créateur : un ovni total, et une oeuvre généreuse.

mardi 26 juillet 2022

THE GRAY MAN, de Anthony et Joe Russo (critique avec spoilers !)


Disponible sur Netflix depuis Vendredi dernier, The Gray Man est un gros coup pour e géant du streaming : avec son budget pharaonique (on parle de 200 M $), son casting de folie et les frères Russo aux commandes, peu de risques toutefois que ce soit un échec. Le résultat, s'il ne brille pas par sa folle originalité, est tout de même un grand spectacle réjouissant, bien au-dessus des précédentes tentatives de Netflix dans le genre.


Recruté au début des années 2000 par Donald Fitzroy alors qu'il purgeait une peine de prison pour le meurtre de son père, Court Gentry est devenu l'agent Sierra Six, tueur au service de la CIA. De nos jours, il est envoyé à Bangkok éliminer un homme susceptible de vendre des infos secret défense au plus offrant. Refusant de tuer des innocents, Six décide d'éliminer le vendeur au corps-à-corps. Il découvre qu'il s'agissait d'un de ses homologues désirant en fait dénoncer Carmichael, leur directeur impliqué dans des opérations illégales, grâce à des données enregistrées sur une clé.
 

Six disparaît et contacte Fitzroy pour qu'il l'exfiltre, laissant son assistante sur l'opération Dani Miranda, répondre aux questions de Carmichael. Ce dernier appelle Lloyd Hansen, un ancien de l'Agence désormais dans le privé pour qu'il retrouve Six, l'élimine et récupère la clé. Hansen kidnappe la nièce de Fitzroy puis embarque ce dernier pour le faire parler. Contraint, Fitzroy ordonne à l'équipe chargé d'exfilter Six de le tuer. Carmichael envoie son assistante, Brewer, superviser les manoeuvres de Hansen.


Six réussit à abattre les hommes de Fitzroy qu'il rappelle mais Hansen jure de l'avoir. Des enregistrements de vidéo-surveillance à Bangkok montrent que Six a envoyé à Prague un paquet contenant certainement la clé. Torturé, Fitzroy donne le nom de Margaret Cahill, son ancienne intermédiaire au sein de l'Agence. Six arrive à Prague pour avoir de faux papiers mais il est piégé par le faussaire qui le dénonce à Hansen. Pourtant il réussit une nouvelle fois à lui échapper, aidée in extremis par Dani Miranda, convaincue qu'elle sera la prochaine cible de Carmichael. Ils vont chez Cahill qui découvre avec eux les infos accablant Carmichael sur la clé puis se sacrifie à l'arrivée des équipes de Hansen.


Une course-poursuite et une fusillade dans Prague oppose Six, Miranda et les équipes de Hansen lancées à leurs trousses. Six et Miranda se réfugient dans un hôpital où sont trransportés les civils pris dans les tirs échangés en ville. C'est là que les suit Lone Wolf, un agent de Hansen. Blessant Six et désarmant Miranda, il récupère la clé et file. Six, sachant que Claire, la nièce de Fitzroy porte un pacemaker, la localise en Croatie où Hansen a installé son Q.G. et retient ses prisonniers.


Miranda fait diversion pendant que Six entre dans le château occupé par Hansen, ses hommes et ses prisonniers alors que Lone Wolf remet la clé à Brewer. Hansen devine que Six est dans les murs et le rattrape dans les étages alors qu'il s'enfuit avec Fitzroy et sa nièce. Fitzroy, blessé, couvre Six et Claire en retardant Hansen. Miranda entre dans le château et affronte Lone Wolf qui lui rend la clé, dégoûté par les méthides de Hansen.


Hansen capture Claire et l'entraîne dans le parc labyrinthique du château. Six le convainc de règler leurs différends sans impliquer l'adolescente. Au prix d'une bagarre disputée, Hansen est abattu par Brewer qui immobilise aussi Six. Elle s'assure qu'il confirmera ses dires lors de l'enquête sur la mission. Ainsi, elle et Carmichael échappent à toute sanction en accablant Hansen. Miranda récupère son poste et Six est hospitalisé dans une unité de soins militaire. Brewer explique à Carmichael son intention de se servir encore de lui dans l'avenir.


Mais Six s'évade et retrouve Claire sous bonne garde. Il s'enfuit avec elle...

Régulièrement, le cinéma d'action connaît un film qui redéfinit ses codes esthétiques, sinon narratifs. La série des longs métrages Jason Bourne avec Matt Damon a ainsi forcé la franchise James Bond à se réinventer en remplaçant Pierce Brosnan par Daniel Craig. Puis John Wick a imposé une nouvelle norme, qui donne encore le "la" actuellement.

The Gray Man s'inscrit donc logiquement dans la lignée de John Wick (comme Tyler Rake, autre production Netflix avant). C'est flagrant quand on examine la chorégraphie des gunfights et des bastons mais aussi la gestion des cascades en général, et plus généralement encore avec la résurgence de héros/anti-héros taiseux mais efficaces.

De fait, The Gray Man ne révolutionne donc rien sur ces plans. Adapté de la série de romans écrits par Mark Greany, par Anthony et Joe Russo avec leurs scénaristes habituels (Christopher Markus et Stephen McFeely), c'est un divertissement qui puise à plusieurs sources : espionnage, action, polar, buddy movie.

En recrutant les frères Russo au lendemain de leur triomphe chez Marvel (avec Captain America : le Soldat de l'Hiver - Civil War, et Avengers : Infinity War - Endgame), Netflix assume ses ambitions tout en s'attendant à un bashing qui est entretenu à la fois par ses détracteurs et ceux de Marvel. Pourtant, il faut reconnaître que The Gray Man est nettement plus convaincant que les précédentes super-productions de la plateforme avec des vedettes de premier rang (je pense à Red Notice avec Dwayne Johnson, Ryan Reynolds et Gal Gadot, une grosse déception sous des atours séduisants).

L'histoire suit donc un assassin de la CIA, nom de code Sierra Six, quand il décide de filer après une mission où il sent qu'on lui a caché des choses. En effet, il vient de tuer un de ses homologues qui avait découvert que leur supérieur se servait d'eux pour des blacks ops dans son intérêt. Une chasse à l'homme s'engage quand ledit directeur envoie aux trousses de Six un ancien de l'Agence, complètement fou. La situation va dégénèrer dans des proportions dantesques.

Anthony et Joe Russo connaissent leur métier aussi bien que leur héros et ils transforment ce matériau très basique, et très librement adapté des romans, pour foncer pied au plancher, sans se soucier de vraisemblance. Mais contrairement à Michael Bay avec Six Underground (également produit par Netflix), ils ne sombrent jamais dans la surenchère pour le plaisir idiot d'en faire toujours plus. 

On a le temps de s'attacher aux personnages, et le méchant est très soigné, grandiloquent à souhait, teigneux à l'extrême. Sierra Six est un fugitif qui a de la ressource mais son caractère ombrageux le rend attirant car on ignore jusqu'à quel point il va endurer ce qu'il subit avant de, lui aussi, peut-être, péter un cable. Le supporting cast est suffisamment défini pour ne pas servir que de faire-valoir aux deux antagonistes, avec une mention spéciale accordée aux personnages féminins qui ne sont jamais exploités comme des éléments romantiques mais bien comme des filles aussi badass, suivant leurs propres agendas.

Ce que j'ai apprécié aussi, c'est que The Gray Man ne dissimule pas sa volonté d'être le premier film d'une potentielle franchise. Mark Greany a écrit d'autres aventures avec Sierra Six et il y a donc de quoi faire. Même si, récemment, Netflix a accusé des pertes en nombre d'abonnés, ses finances restent considérables et ses succès abondants, de quoi se permettre des suites aussi coûteuses, en attirrant d'autres acteurs de premier plan et en conservant ceux qui souhaiteront poursuivre l'aventure.

La réalisation est parfois un peu hâché, à cause d'un montage hypercut, mais les frères Russo ont un indéniable don pour ce genre de cinéma en même temps qu'une absence totale de snobisme (leurs sorties récentes sur l' "élitisme" actuel du rituel des sorties en salles en a fait réagir plus d'un, mais leurs arguments se défendent quand ils estiment que le prix des places est trop cher, que le confort est aléatoire - car la salle obscure, c'est souvent supporter aussi des mangeurs de popcorns et des bavards).. Voilà deux cinéastes qui ne prétendent pas péter plus haut que leur cul, en affirmant que Marvel, ce n'est pas du cinéma (comme l'assure Scorsese) ou qui courent après des récompenses (autre que le plaisir exprimé par le public). Et The Gray Man respire tout ça : c'est de l'entertainment, un film d'été, un spectacle, bien faits.

Bien entendu, la liste des acteurs recrutés est l'autre élément de séduction massive de The Gray Man. Le moindre second rôle est campé par une pointure, comme Billy Bob Thonrton (Fitzroy), Alfre Woodard (Cahill), Danush (Lone Wolf), Regé-Jean Page (Carmichael), Jessica Henwick (Brewer). Rien qu'avec eux, déjà, il y aurait de quoi avoir une belle affiche.

Mais ajoutez-y Ana de Armas (Miranda), épatante, et surtout le duo Ryan Gosling (de retour après quatre ans loin des plateaux - depuis First Man de Damien Chazelle) - Chris Evans (chouchou des Russo) et là, on passe au niveau supérieur. Evans s'amuse beaucoup, et nous grâce à lui, en composant ce Lloyd Hansen totalement sociopathe, avec cette impayable moustache et cette jubilation à être une ordure inexcusable. Face à lui, Gosling renoue avec son personnage de mec avare de mots (même s'il a considérablement plus de dialogues que chez Winding Refn), mais pour qui, comme moi, est fan de son jeu minimaliste et intense, c'est un plaisir de le revoir.

Je sais que The Gray Man n'a pas bonne presse. Comme je le disais plus haut, il y a là-dedans une bonne dose de Netflix-bashing bête et méchant (car comme pour Marvel, le succès énerve). D'aucuns sont déçus par le manque d'audace du scénario. Pour ma part, j'ai passé un excellent moment, conforme à ce que j'attendais, et espérant une suite désormais.

lundi 25 juillet 2022

MURDER FALCON, de Daniel Warren Johnson (+ UN CHAPITRE INEDIT EN BONUS !)


Aujourd'hui, comme chaque Lundi, je vous parle d'un comic-book indé, et celui-ci est cher à mon coeur car c'est une de ces lectures qui vous amrquent au fer rouge. J'espère que j'arriverai à vous donner envoie de le lire (si ce n'est déjà fait) car Murder Falcon de Daniel Warren Johnson mérite le détour. Entre batailles contre des kaiju, heavy metal et émotion bouleversante, c'est une BD vraiment unique.


Rien ne va plus : le monde est envahi de monstres et Jake, l'ex-leader et guitariste du groupe Brooticus broie du noir. Lorsqu'une bestiole apparaît chez lui, il se défend avec sa guitare cassée qui se répare comme par magie et fait apparaître Murder Falcon, tueur de monstres. Celui-ci explique à Jake être alimenté par l'énergie du Heavy et pour arrêter l'invasion en cours, il doit reformer Brooticus.


Première étape : Johann, l'ex-bassiste de Brooticus. Murf explique qu'il ne suffit pas de se saisir d'un instrument, mais de trouver celui qui convoquera un de ses pairs. La basse dont doit jouer Johann se trouve dans le sous-sol d'un magasin gardé par un Veldar, suppot de Magnum Kahos, l'instigateur de l'invasion.


Deuxième étape : Jimi, l'ex-batteuse de Brooticus, qui vit seule avec son père malade. Murf, Jake, Johann et Halford (son guerrier attitré, un mammouth) les sauvent d'une attaque de Veldar, puis lui remettent la batterie magique avec laquelle elle peut convoquer un immense serpent.


Après cette bataille, Jake retrouve Anne, son ex. Ils se sont séparés quand on a diagnostiqué à Jake un cancer incurable. La repoussant pour qu'elle ne voit pas sa déchéance, il lui raconte dans quelle mission improbable il s'est lancé et tente de regagner son soutien. Magnum Khaos réussit à ouvrir une brêche assez grande pour se glisser dans notre dimension et se gaver du malheur des humains.


Johann, Jimi et Murf suivent, eux, une piste qui les mènent dans la crypte où repose le créateur du Heavy. Ils y trouvent un enregistrement vidéo leur révélant le moyen de défaire Magnum Khaos, en réveillant les morts des plus grands hard rockers. Mais en sortant de la crypte, des Veldar les attaquent.


Le groupe est rejoint par Heljmdar, un musicien norvégien dont la formation a péri en affrontant des Veldar et qui souhaite venger ses amis. Tous ensemble, ils se rendent sur une île où se trouve la trompette de la mort grâce à laquelle ils pourront lever une armée de hardeux morts. Mais Magnum Khaos les attend sur place et blesse Jake, brise sa guitare. Le groupe réussit à fuir grâce au sacrifice de Heljmdar.


Evacué jusqu'au Japon par Shohei Takahashi du Tokyo Philharmonic Orchestra, la guitare de Jake est confiée à un luthier. L'esprit de Jake communique avec celui de Magnum Khaos qui tente de le convaincre de renoncer à la bataille puisqu'il est mourant. Mais, alors que les musiciens tokyoïtes se battent, Jake refuse de se résigner et repart à la guerre.


L'armée japonaise élabore un plan pour prendre l'île de la trompette de la mort avec le soutien de Brooticus. Tandis que le groupe occupe les Veldar lancés contre l'armée avec le supprt de l'aviation japonaise, Murf et Jake partent se battre contre Magnum Khaos...

A première vue, Murder Falcon a tout de la curiosité : avec son super-héros à tête de faucon, doté d'un bras mécanique, son argument délirant ("le heavy va sauver le monde"), ses kaiju en pagaille, et son grand méchant qui se repaît des idées noires des humains, la question qu'on se pose en premier, c'est bien : qu'est-ce que c'est que ce machin ?

Et puis on lit les huit épisodes de ce récit complet et on le finit avec les yeux humides, la gorge serrée. Incroyable, mais vrai. 

Daniel Warren Johnson est un auteur à part dans le paysage des comics américains. Il produit ses propres histoires sous forme de mini-séries, mais collabore ponctuellement avec les "Big Two" pour des projets pour lesquels il obtient carte blanche. Visuellement, son dessin a une énergie folle, un sens du détail extravagant, et des designs renversants. Il fait équipe avec le coloriste Mike Spicer, qui sait mettre en valeur ses images foisonnantes. Surtout, il ne fait jamais semblant : chacune de ses BD est liée à sa propre histoire, à ses expériences, il y met tout son coeur.

Quand il a eu l'idée de Murder Falcon, après avoir signé Extremity, Johnson n'allait pas bien, il était essoré par sa dernière histoire et doutait même de réécrire et dessiner autrement que pour son plaisir. Son seul échappatoire était la musique et la guitare sur laquelle il se défoulait pour chasser ses idées noires. La genèse de Murder Falcon a été laborieuse mais il s'est accroché à cette idée folle de heavy metal qui sauve le monde comme cette musique l'avait guéri d'une probable dépression.

Refusant de choisir entre toutes les pistes narratives qui surgissaient dans sa tête, Johnson a tout mis dans Murder Falcon, comme si c'était sa dernière BD, le comic-book de la dernière chance, l'histoire ultime, celle qui déciderait de son futur. Et effectivement, ça ressemble à une sorte de fourre-tout bordélique, un défouloir limite, mais mue par une logique qui se révèle progressivement et qui traduit bien par la mauvaise passe traversée par l'auteur.

Il y a des livres qu'on écrit pour distraire, soi-même comme le public, et il n'y a rien de déshonorant à ça, il y a de la grandeur dans ce mouvement, pour peu évidemment que ce soit honnêtement fait. Et puis il y a les livres qu'on écrit parce qu'on n'a simplement pas/plus le choix. Des histoires qu'il faut sortir, où on met tout sur la table, où on ouvre son coeur aux autres, sans filtre, sans pudeur. Parce que sinon ça vous étouffe, ça vous écrase, ça vous tue.

Cette urgence, c'est ce qui transpire à chaque page de Murder Falcon. Car derrière le côté farce et baston, c'est d'un type qui meurt et qui ne peut plus rien y faire dont il s'agit. Daniel Warren Johnson dévoile le coeur de son projet délicatement, à coups de flashs très rapides et allusifs, dont on ne saisit pas tout tout de suite. Et puis quand finalement on comprend de quoi il retourne, alors tout bascule. Il y a encore de la baston, de la rigolade, du grand spectacle, mais aussi une mélancolie magnifique en surface qui vous prend et ne vous lâche plus. Jusqu'à vous laisser en larmes, en lambeaux.

Sans doute que Johnson a pensé vraiment y rester comme Jake et que la musique l'a sauvé, et a sauvé sa carrière d'artiste, et nous a permis de lire Murder Falcon (et désormais Do a Powerbomb !). La fiction n'est pas aussi clémente avec son héros qui doit faire ses adieux mais surtout se prouve à lui-même qu'il a un dernier combat à mener, non pour lui mais pour les autres, un héritage à laisser, héroïque et humble. Un dernier riff à jouer. Un dernier solo à interpréter. Nul ne pourra oublier Murf et Jake après leur aventure sur l'île de la trompette de la mort contre Magnum Khaos.

Et ce récit initiatique se fait en compagnie de seconds rôles aussi mémorables : qui n'a pas eu envie d'avoir une bande d'amis comme Johann, Jimi, une copine comme Anne, un allié comme Heljmdar ? Et des frères d'armes comme Murf, Halford ? Si vous avez eu des amis comme ça, vous saisirez d'autant mieux les affres de leurs relations, de la rupture aux retrouvailles et à la réconciliation jusqu'au baroud d'honneur. 

Mais pour raconter une telle histoire, il faut aussi en avoir les moyens graphiques. Et Murder Falcon va vous éclater ! Comme je le disais plus haut, Daniel Warren Johnson, c'est une énergie insensée. Mais jamais brouillonne. Le type est incroyable, très fort, une technique ahurissante. Imaginez... Will Eisner dopé à Metallica !

Ce que j'adore chez ce dessinateur génial, c'est son absence de retenue sous une montagne de doute. Il sait convertir ses incertitudes en force et cela rejaillit dans des planches à la vigueur contagieuse. On en prend plein la vue, c'est certain, mais avec une maîtrise du découpage absolue. Il met en scène des bagarres épiques comme personne et il vous sert ensuite des planches composées avec une fluidité imparable, vous prenant délicatement par la main après vous avoir remué dans tous les sens. Lorsque, par exemple, Johann suit Jake et Murf pour trouver sa basse, une page est montée comme un vrai jeu de piste. Plus loin, lorsque Jake comprend à quoi sert vraiment la trompette de la mort, les cases se multiplient pour former une mosaïque de visages non pas de musiciens morts comme le suggérait la prophétie mais une armée de musiciens virtuels.

Des idées visuelles comme ça, la mini-série en est pleine, ça déborde presque, mais c'est de bon coeur, car Johnson veut que son lecteur soit comblé. Ce n'est pas qu'il veut le gaver jusqu'à l'indigestion, mais il veut tenter une expérience dans laquelle son inspiration exubérante rencotrera l'appétit insatiable du fan qui veut un comic-book à nulle autre pareil. Un truc inoubliable, jouissif, extatique, qui, même miné par la mélancolie, vous donnera la banane.

Je ne le dis pas souvent, même jamais aussi directement, mais lisez Murder Falcon. C'est une BD dont vous tomberez amoureux, que vous recommanderez à vos potes. C'est une BD pour se rappeler ce qu'est l'amour, ce qu'est l'amitié, ce qu'est la musique, son pouvoir pour donner une forme au silence, aux émotions, pour traduire nos états d'âme. C'est un comic de super-héros mais pas comme les autres. C'est triste et beau, c'est mélancolique et gai. Lisez Murder Falcon !
 
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Skybound X est une revue lancée par Robert Kirkman qui compte, à ce jour, six numéros. On y trouve des previews de futures séries publiés sous le label Skybound du scénaristes et éditées par Image Comics. Et dans le n° 3, Daniel Warren Johnson ajoutait un petit chapitre à Murder Falcon : neuf pages inédites qui révèlent comment Murf, Jake et Johann ont récupéré la batterie de Jimi. Ces pages sont inédites en vf (à moins que Delcourt ne les intègre dans une future réédition du recueil des huit premiers épisodes). Enjoy !