lundi 25 juillet 2022

MURDER FALCON, de Daniel Warren Johnson (+ UN CHAPITRE INEDIT EN BONUS !)


Aujourd'hui, comme chaque Lundi, je vous parle d'un comic-book indé, et celui-ci est cher à mon coeur car c'est une de ces lectures qui vous amrquent au fer rouge. J'espère que j'arriverai à vous donner envoie de le lire (si ce n'est déjà fait) car Murder Falcon de Daniel Warren Johnson mérite le détour. Entre batailles contre des kaiju, heavy metal et émotion bouleversante, c'est une BD vraiment unique.


Rien ne va plus : le monde est envahi de monstres et Jake, l'ex-leader et guitariste du groupe Brooticus broie du noir. Lorsqu'une bestiole apparaît chez lui, il se défend avec sa guitare cassée qui se répare comme par magie et fait apparaître Murder Falcon, tueur de monstres. Celui-ci explique à Jake être alimenté par l'énergie du Heavy et pour arrêter l'invasion en cours, il doit reformer Brooticus.


Première étape : Johann, l'ex-bassiste de Brooticus. Murf explique qu'il ne suffit pas de se saisir d'un instrument, mais de trouver celui qui convoquera un de ses pairs. La basse dont doit jouer Johann se trouve dans le sous-sol d'un magasin gardé par un Veldar, suppot de Magnum Kahos, l'instigateur de l'invasion.


Deuxième étape : Jimi, l'ex-batteuse de Brooticus, qui vit seule avec son père malade. Murf, Jake, Johann et Halford (son guerrier attitré, un mammouth) les sauvent d'une attaque de Veldar, puis lui remettent la batterie magique avec laquelle elle peut convoquer un immense serpent.


Après cette bataille, Jake retrouve Anne, son ex. Ils se sont séparés quand on a diagnostiqué à Jake un cancer incurable. La repoussant pour qu'elle ne voit pas sa déchéance, il lui raconte dans quelle mission improbable il s'est lancé et tente de regagner son soutien. Magnum Khaos réussit à ouvrir une brêche assez grande pour se glisser dans notre dimension et se gaver du malheur des humains.


Johann, Jimi et Murf suivent, eux, une piste qui les mènent dans la crypte où repose le créateur du Heavy. Ils y trouvent un enregistrement vidéo leur révélant le moyen de défaire Magnum Khaos, en réveillant les morts des plus grands hard rockers. Mais en sortant de la crypte, des Veldar les attaquent.


Le groupe est rejoint par Heljmdar, un musicien norvégien dont la formation a péri en affrontant des Veldar et qui souhaite venger ses amis. Tous ensemble, ils se rendent sur une île où se trouve la trompette de la mort grâce à laquelle ils pourront lever une armée de hardeux morts. Mais Magnum Khaos les attend sur place et blesse Jake, brise sa guitare. Le groupe réussit à fuir grâce au sacrifice de Heljmdar.


Evacué jusqu'au Japon par Shohei Takahashi du Tokyo Philharmonic Orchestra, la guitare de Jake est confiée à un luthier. L'esprit de Jake communique avec celui de Magnum Khaos qui tente de le convaincre de renoncer à la bataille puisqu'il est mourant. Mais, alors que les musiciens tokyoïtes se battent, Jake refuse de se résigner et repart à la guerre.


L'armée japonaise élabore un plan pour prendre l'île de la trompette de la mort avec le soutien de Brooticus. Tandis que le groupe occupe les Veldar lancés contre l'armée avec le supprt de l'aviation japonaise, Murf et Jake partent se battre contre Magnum Khaos...

A première vue, Murder Falcon a tout de la curiosité : avec son super-héros à tête de faucon, doté d'un bras mécanique, son argument délirant ("le heavy va sauver le monde"), ses kaiju en pagaille, et son grand méchant qui se repaît des idées noires des humains, la question qu'on se pose en premier, c'est bien : qu'est-ce que c'est que ce machin ?

Et puis on lit les huit épisodes de ce récit complet et on le finit avec les yeux humides, la gorge serrée. Incroyable, mais vrai. 

Daniel Warren Johnson est un auteur à part dans le paysage des comics américains. Il produit ses propres histoires sous forme de mini-séries, mais collabore ponctuellement avec les "Big Two" pour des projets pour lesquels il obtient carte blanche. Visuellement, son dessin a une énergie folle, un sens du détail extravagant, et des designs renversants. Il fait équipe avec le coloriste Mike Spicer, qui sait mettre en valeur ses images foisonnantes. Surtout, il ne fait jamais semblant : chacune de ses BD est liée à sa propre histoire, à ses expériences, il y met tout son coeur.

Quand il a eu l'idée de Murder Falcon, après avoir signé Extremity, Johnson n'allait pas bien, il était essoré par sa dernière histoire et doutait même de réécrire et dessiner autrement que pour son plaisir. Son seul échappatoire était la musique et la guitare sur laquelle il se défoulait pour chasser ses idées noires. La genèse de Murder Falcon a été laborieuse mais il s'est accroché à cette idée folle de heavy metal qui sauve le monde comme cette musique l'avait guéri d'une probable dépression.

Refusant de choisir entre toutes les pistes narratives qui surgissaient dans sa tête, Johnson a tout mis dans Murder Falcon, comme si c'était sa dernière BD, le comic-book de la dernière chance, l'histoire ultime, celle qui déciderait de son futur. Et effectivement, ça ressemble à une sorte de fourre-tout bordélique, un défouloir limite, mais mue par une logique qui se révèle progressivement et qui traduit bien par la mauvaise passe traversée par l'auteur.

Il y a des livres qu'on écrit pour distraire, soi-même comme le public, et il n'y a rien de déshonorant à ça, il y a de la grandeur dans ce mouvement, pour peu évidemment que ce soit honnêtement fait. Et puis il y a les livres qu'on écrit parce qu'on n'a simplement pas/plus le choix. Des histoires qu'il faut sortir, où on met tout sur la table, où on ouvre son coeur aux autres, sans filtre, sans pudeur. Parce que sinon ça vous étouffe, ça vous écrase, ça vous tue.

Cette urgence, c'est ce qui transpire à chaque page de Murder Falcon. Car derrière le côté farce et baston, c'est d'un type qui meurt et qui ne peut plus rien y faire dont il s'agit. Daniel Warren Johnson dévoile le coeur de son projet délicatement, à coups de flashs très rapides et allusifs, dont on ne saisit pas tout tout de suite. Et puis quand finalement on comprend de quoi il retourne, alors tout bascule. Il y a encore de la baston, de la rigolade, du grand spectacle, mais aussi une mélancolie magnifique en surface qui vous prend et ne vous lâche plus. Jusqu'à vous laisser en larmes, en lambeaux.

Sans doute que Johnson a pensé vraiment y rester comme Jake et que la musique l'a sauvé, et a sauvé sa carrière d'artiste, et nous a permis de lire Murder Falcon (et désormais Do a Powerbomb !). La fiction n'est pas aussi clémente avec son héros qui doit faire ses adieux mais surtout se prouve à lui-même qu'il a un dernier combat à mener, non pour lui mais pour les autres, un héritage à laisser, héroïque et humble. Un dernier riff à jouer. Un dernier solo à interpréter. Nul ne pourra oublier Murf et Jake après leur aventure sur l'île de la trompette de la mort contre Magnum Khaos.

Et ce récit initiatique se fait en compagnie de seconds rôles aussi mémorables : qui n'a pas eu envie d'avoir une bande d'amis comme Johann, Jimi, une copine comme Anne, un allié comme Heljmdar ? Et des frères d'armes comme Murf, Halford ? Si vous avez eu des amis comme ça, vous saisirez d'autant mieux les affres de leurs relations, de la rupture aux retrouvailles et à la réconciliation jusqu'au baroud d'honneur. 

Mais pour raconter une telle histoire, il faut aussi en avoir les moyens graphiques. Et Murder Falcon va vous éclater ! Comme je le disais plus haut, Daniel Warren Johnson, c'est une énergie insensée. Mais jamais brouillonne. Le type est incroyable, très fort, une technique ahurissante. Imaginez... Will Eisner dopé à Metallica !

Ce que j'adore chez ce dessinateur génial, c'est son absence de retenue sous une montagne de doute. Il sait convertir ses incertitudes en force et cela rejaillit dans des planches à la vigueur contagieuse. On en prend plein la vue, c'est certain, mais avec une maîtrise du découpage absolue. Il met en scène des bagarres épiques comme personne et il vous sert ensuite des planches composées avec une fluidité imparable, vous prenant délicatement par la main après vous avoir remué dans tous les sens. Lorsque, par exemple, Johann suit Jake et Murf pour trouver sa basse, une page est montée comme un vrai jeu de piste. Plus loin, lorsque Jake comprend à quoi sert vraiment la trompette de la mort, les cases se multiplient pour former une mosaïque de visages non pas de musiciens morts comme le suggérait la prophétie mais une armée de musiciens virtuels.

Des idées visuelles comme ça, la mini-série en est pleine, ça déborde presque, mais c'est de bon coeur, car Johnson veut que son lecteur soit comblé. Ce n'est pas qu'il veut le gaver jusqu'à l'indigestion, mais il veut tenter une expérience dans laquelle son inspiration exubérante rencotrera l'appétit insatiable du fan qui veut un comic-book à nulle autre pareil. Un truc inoubliable, jouissif, extatique, qui, même miné par la mélancolie, vous donnera la banane.

Je ne le dis pas souvent, même jamais aussi directement, mais lisez Murder Falcon. C'est une BD dont vous tomberez amoureux, que vous recommanderez à vos potes. C'est une BD pour se rappeler ce qu'est l'amour, ce qu'est l'amitié, ce qu'est la musique, son pouvoir pour donner une forme au silence, aux émotions, pour traduire nos états d'âme. C'est un comic de super-héros mais pas comme les autres. C'est triste et beau, c'est mélancolique et gai. Lisez Murder Falcon !
 
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Skybound X est une revue lancée par Robert Kirkman qui compte, à ce jour, six numéros. On y trouve des previews de futures séries publiés sous le label Skybound du scénaristes et éditées par Image Comics. Et dans le n° 3, Daniel Warren Johnson ajoutait un petit chapitre à Murder Falcon : neuf pages inédites qui révèlent comment Murf, Jake et Johann ont récupéré la batterie de Jimi. Ces pages sont inédites en vf (à moins que Delcourt ne les intègre dans une future réédition du recueil des huit premiers épisodes). Enjoy !









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