mardi 7 juin 2022

THE BLUE FLAME #3, de Christopher Cantwell et Adam Gorham


Ce troisième épisode de The Blue Flame marque un premier tournant important dans la série. On pourrait facilement dire que c'est là que l'histoire prend vraiment son envol après que Christopher Cantwell ait exposé son propos dans les deux n° précédents. Adam Gorham, lui aussi, semble prendre une nouvelle dimension en devant camper les personnages dans de nouveaux états.


Sept mois ont passé. Dee et Mateo vivent avec Sam qui ne se déplace qu'en s'appuyant sur des béquilles. Odieux avec sa soeur et son beau-frère, il n'accepte pas sa nouvelle condition.
 

Sur Exilos, Blue Flame a désormais la permission de circuler librement pour préparer sa défense lors du procès qui s'annonce. Il décide de partir réfléchir au calme, malgré les limites qu'on lui impose.


Comme chaque jour, Sam se rend au Lou's Bar. Il consigne dans un cahier ses aventures spatiales lorsqu'il est abordé par Reed Gordon, une journaliste qui veut signer un article sur le Brigade de Nuit.


Yarix rejoint Blue Flame sur la planète paradisiaque Levradarian 3. Blue Flame sauve une indigène d'une agression puis Yarix lui rappelle qu'il n'est pas là pour jouer au héros...

C'est donc avec une ellipse considérable que démarre de troisième chapitre de The Blue Flame. Par ce procédé, Christopher Cantwell veut marquer les esprits et indiquer au lecteur que son histoire s'inscrit sur un temps long, celui nécessaire au rétablissement de sam Brausam. Enfin... Rétablissement, il faut vite le dire.

Car s'il est sorti de l'hôpital après avoir survécu à la fusillade qui a coûté la vie à une vingtaine d'innocents de Milwaukee, dont ses amis de la Brigade de Nuit et le tireur fou, Sam n'est plus le même homme. Comme l'avaient prédit les médecins, il souffre de graves séquelles physiques. Amaigri, affaibli, il ne se déplace plus qu'en s'appuyant sur une paire de béquilles et doit prendre un lourd traitement contre la douleur. Ce n'est plus que l'ombre de lui-même, plus du tout l'alias de Blue Flame.

Et surtout il habite avec sa soeur, Dee, et le compagnon de celle-ci, Mateo, qui doivent, en plus de la grossesse avancée de la jeune femme, supporter la mauvaise humeur de Sam. Il ne supporte ni sa déchéance physique ni cette cohabitation forcée. On devine qu'entre le frère et la soeur, il y a un lourd et vieux contentieux, jamais réglé, notamment autour de l'héritage de maison qui appartient à Sam (mais dont Dee aurait pu aussi profiter). Dee, malgré son état, doit encore travailler et Mateo "garde" Sam.

Mais Sam sort faire de l'exercice. En vérité, il passe ses journées dans un bar où on le laisse tranquille, le patron étant trop fier de recevoir l'ex-Blue Flame. Et tranquille, en fait, il ne le reste pas longtemps car Cantwell introduit un nouveau personnage, qui va prendre beaucoup de place et d'importance ensuite, avec Reed Gordon. Il s'agit d'une journaliste local qui souhaite écrire un article sur la Brigade de Nuit. Mais Sam sait que ce ne sera pas un papier flatteur puisque Reed considérait le groupe comme une bande d'inconscients peu efficaces... Ambiance.

Sur Exilos, les choses vont un peu mieux pour Blue Flame. Il a obtenu l'autorisation de circuler librement même s'il ne doit pas chercher à fuir (ce qui serait synonyme de désertion et donc précipiterait la condamnation de la Terre) ni trop s'éloigner. Pourtant, le voyageur a besoin de réfléchir au calme à sa défense. Direction : une planète voisine paradisiaque.

Vite rejoint par Yarix, Blue Flame s'illustre par un geste héroïque qu'il justifie ensuite par un réflexe naturel chez lui et les humains en général. Sauf que le procureur lui rappelle qu'il en faudra plus pour convaincre le Tribunal du Consensus et ses Arbitres d'épargner sa planète...

Ce qui frappe donc, c'est que, qu'il s'agisse du Sam Brausam amoindri sur Terre ou de celui héroïque sur Exilos, on a dans les deux cas affaire à une tête de mule, un type qui n'écoute pas ce qu'on lui dit, qui est sûr de son bon droit, qui ne transige pas. On lui claquerait volontiers le beignet. Certes, on est presque plus enclin à l'indulgence avec Sam sur Terre car on compatît à sa souffrance, mais il n'empêche qu'il est odieux avec sa soeur enceinte et qu'il a visiblement spolié de son héritage. Par ailleurs, il est menteur car, alors qu'il prétend sortir pour marcher comme les médecins le lui ont recommandé, il passe sa journée dans un troquet à picoler.

Blue Flame est tout aussi indocile. On lui laisse un peu plus de liberté, et il en profite pour se barrer dans un coin de paradis, hors des limites fixées. Puis il veut briller en jouant au sauveur de l'opprimé alors qu'il devrait bosser sur sa plaidoirie.

Cantwell utilise à dessein Yarix et Reed Gordon comme deux faces d'une même médaille. Yarix rappelle à l'ordre Blue Flame tandis que Reed vient chercher des poux dans la tête de la Brigade de Nuit en estimant, légitimement, que ce n'était qu'une bande de zozos déguisés, ne reconnaissant aucune autorité légale, et qui sont morts piteusement. C'est aussi un peu odieux, du moins vachard, cruel même, mais est-ce faux pour autant ? Nous le verrons par la suite...

En rendant son héros moins sympathique, et même peu aimable, quand bien même on peut reconnaître qu'il traverse une mauvaise passe dans les deux parties de son histoire, Cantwell manoeuvre habilement et nuance sa caractérisation pour bien montrer au lecteur qu'il n'est définitivement pas en train de suivre une production calibré, classique. Il s'agit bien d'un comic-book déconstructif sur le super-héros, mais qui possède sa propre singularité, ni (Alan) Moore ni (Tom) King ni (Garth) Ennis ni (Warren) Ellis - et j'en passe. On a déjà oublié l'ellipse du début car la force de ce projet, c'est bien de nous entraîner, d'avancer toujours, mais aussi de brouiller les cartess, de ne pas permettre au lecteur de savoir où il va.

Lorsque je disais plus haut que Adam Gorham franchissait lui aussi un palier à partir de ce numéro, cela ne signifiait pas qu'auapravant son travail était d'une qualité moindre. Mais disons plutôt que l'artiste nous prouve qu'il appartient à la catégorie des narrateurs de haut niveau, sous une facture modeste.

Qu'est-ce à dire exactement ? Hé bien, un des talents mésestimés d'un grand dessinateur, c'est de savoir camper un personnage, de gérer un casting en ajoutant une plus-value à la caractérisation verbale du script. Autrement dit : de ne pas se contenter de poser les protagonistes et de les laisser en l'état pendant la durée de la série mais bien d'intégrer leur évolution et de la rendre sensible au lecteur.

Et la décrépitude physique de Sam est en un parfait exemple. Puisque sept mois se sont écoulés et qu'on retrouve le héros profondément changé, il faut savoir le dessiner en en tenant compte. Si possible avec subtilité et force. Er lorsqu'on voit comment Gorham le représente, diminué, on voit à quel point c'est un dessin intelligent. 

Dessiner un type handicapé, c'est un cliché des comics où on trouve moults personnages amputés, paralytiques, estropiés - souvent des individus qui portent dans leur chair les conséquences de leurs (mauvaises) actions ou de leurs (mauvais) choix. C'est aussi un moyen de le situer hiérarchiquement : prenez le Chef Niles Caulder de la Doom Patrol ou le Pr. Charles Xavier des X-Men (le premier ayant inspiré le second d'ailleurs), cloués dans leur fauteuil roulant ils compensent leur handicap par de l'autoritarisme, un charisme, mais aussi une propension à manipuler autrui pour arriver à leurs fins (la ressource psychologique compensant le défaut physique).

Mais quand un héros souffre d'une blessure moins radicale, il faut que l'artiste soit capable de la faire ressentir au lecteur de manière nette mais subtile. Sam se déplace en s'aidant de béquilles, toute son attitude est modifiée en conséquence, mais le dessin ne peut pas s'appuyer sur des accessoires aussi spectaculaires qu'un fauteuil roulant ou des prothèses. Il faut garder un certain réalisme et incarner la pénibilité à se mouvoir. Gorham commence par donner à Sam moins de gabarit, il a maigri, il porte une barbe, ses cheveux sont plus longs : tout ça dit qu'il prend moins soin de lui mais aussi que le contrecoup de sa blessure et de son hospitalisation l'ont entamé.

De même, avec Dee, on voit un efemme enceinte, qui elle aussi, comme son frère, est empêchée. Ses postures s'en ressentent. Tout cela contraste avec l'allure héroïque de Blue Flame dans l'espace ou le port majestueux de Yarix. Tous ce petits détails cumulés en disent plus long que des dialogues ou une voix off, dont Cantwelle se sert aussi, brillamment, mais sans excès, conscient de la qualité du dessin de Gorham, de ce qu'il ajoute au script.

Je ne vous dis pas tout de suite à quand tombera la prochaine critique de The Blue Flame, car je vais à présent alterner avec les sorties de la semaine. Mais stay tuned ! Ce n'est pas fini et la suite est toujours aussi captivante.

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