lundi 6 juin 2022

THE BLUE FLAME #2, de Christopher Cantwell et Adam Gorham


Comme promis, je vous livre la critique du deuxième épisode de The Blue Flame. Christopher Cantwell et Adam Gorham s'amusent, avec brio, à brouiller les repères dans cette saga qui mixe space opera et drame humain. Ce numéro introduit plus franchement des seconds rôles qui vont prendre une part importante dans l'intrigue.


Une fusillade a eu lieu à l'exhibition où étaient les membres de la Brigade de Nuit. Le bilan des victimes est lourd et les héros costumés en font partie, à l'exception de Blue Flame.


Sur Exilos, Blue Flame est placé en détention dans l'attente du procès qui doit déterminer si la Terre mérite d'être épargnée par le Tribunal du Consensus comme l'explique le procureur Yarix.


Le shériff donne une conférence de presse afin de calmer les médias, curieux de connaître les vrais noms des membres de la Brigade de Nuit. Dee Brausam apprend que son frère Sam en faisait partie.
 

Sur Exilos, afin de préparer sa plaidoirie, Blue Flame a accès aux archives cosmiques. Il découvre une visualisation de la fusillade à laquelle il a survécue...

La fin du premier épisode laissait le lecteur hébété par une scène de fusillade. Il est encore plus perturbant de lire cette scène après les récentes tueries d'Uvalde, Buffalo et Philadelphie. Mais c'est aussi cela qui fait la marque des grands comics : savoir parler de phénomènes sociaux en les intégrant à de la fiction sans leur faire perdre leur caractère tragique ni éluder les questions qu'ils soulèvent ou l'émotion qu'ils suscitent.

Christopher Cantwell intrègre donc ce genre de tragédie, hélas ! devenues fréquentes aux USA, dans une série. Il le fait avec subtilité, sans être putassier, racoleur. Il le fait surtout pour dresser la caractérisation de son héros qui est touché dans sa chair et son âme. En effet, Sam Brausam/Blue Flame est l'unique survivant de ce massacre. Et ça va compter pour la suite.

Le scénario met en parallèle (comme tout ce qu'il raconte car, comme je l'avais écrit dans la critique précédente, tout ici repose sur une magistrale narration parallèle) le drame vécue par Sam Brausam et la tache qui incombe à Blue Flame. D'un côté, un chauffagiste qui jouait les vigilantes avec un groupe d'individus ordinaires comme lui, de l'autre un aventurier galactique qui va devoir défendre la Terre d'une menace d'annihilation.

La question, après cela, qui va hanter la série, c'est que peut sauver un homme, qu'il soit un type banal (même s'il se déguisait pour attraper des voyous), ou un super-héros traversant l'univers (dans le but premeir de l'explorer) ? En vérité, certainement pas grand-chose, en tout cas pas de quoi rééquilibrer le Bien contre le Mal. Mais on y reveindra dans les prochains numéros...

Pour l'heure, donc, que ce soit Sam ou Blue Flame, sur Terre ou sur Exilos, l'heure n'est pas encore au bilan mais à la prise de conscience. Cantwell avait introduit dans le premier épisode un couple, formé par Mateo et Dee, sans nous expliquer de qui il s'agissait exactement. On apprend que Dee est la soeur de Sam et elle-même va apprendre que son frère était Blue Flame et qu'il a survécu à la fusillade. Sam est hospitalisé, son état est critique, les médecins refusent de se prononcer sur son diagnostic vital et s'il survit, il risque de graves séquelles (paraplégie, donc soins à domicile, accompagnement, rééducation...).

La scène de cette révélation est formidablement traitée : le shériff de Milwaukee donne une conférence de presse pour calmer les médias qui cherchent à connaître l'identité civile des membres de la Brigade de Nuit. Il s'y résoud donc et devant son poste télé, Dee découvre à la fois que son son frère jouait les justiciers et qu'il est l'unique rescapé de la tuerie. Une vingtaine d'innocents sont morts, dont le tireur fou (au mobile non dit). Le lecteur est un peu en avance sur elle, mais le moment reste fort, intense.

Sur Exilos, Blue Flame est lui aussi dans une phase transitoire. On l'a enfermé dans une cellule et il reçoit la visite de Yarix. Celui-ci est le procureur du procès de la Terre et il tente d'expliquer au détenu la gravité de la situation : s'il tente de fuir, sa planète natale sera détruite, s'il ne prépare pas bien sa défense le verdict sera sans appel, les Arbitres du Tribunal du Consensus sont implacables. Dans ces conditions, notre héros se demande alors comment il va pouvoir argumenter. 

Son accès aux archives galactiques fournit un autre moment mémorable quand Blue Flame découvre que toute l'histoire de la Terre tient dans quatre cubes, renfermant des disques. C'est bien peu, pense-t-il, et ça en dit long à la fois sur l'insignifiance de la race humaine pour le Tribunal mais aussi sur la difficulté qu'il va avoir à la sauver. Il commence à consulter les documents enregistrés quand il se demande si la fusillade de Milwaukee fait partie des données collectées. Facile à deviner, mais visualiser la scène où vous avez échappé à la mort alors que vos amis et des innocents ont péri est un choc terrible, terrifiant...

Adam Gorham illustre cela avec la bonne distance. C'est tout bonnement sensationnel de voir à quel point ses planches sont toujours justes, pile dans l'émotion, pas trop ni trop peu. Comme je l'ai déjà dit, il se place à hauteur d'homme, on ne suit jamais les évenéments depuis un point en hauteur qui pourraient les rendre dérisoires.

Pour cela, Gorham applique un principe simple mais efficace : rester focus sur les personnages plus que sur les décors. Cela ne signifie pas qu'il néglige ces derniers, mais il les représente avec sobriété : on sait toujours où on est, et les couleurs de Kurt Michael Russell souligne à point, par des ambiances tranchées, les environnements, établit des ambiances. On est saisi par exemple par la lumière rouge de la cellule où est gardé Blue Flame sur Exilos (voir ci-dessus), qui la fait ressembler à une chambre noire de photographe, comme si, à l'instar de ce qu'imagine le héros, il était observé par ses geôliers attendant que son vrai visage, sa vraie nature se révèle à l'image.

En comparaison, les scènes sur Terre sont colorisées dans des tons plus froids, correspondant à la saison à laquelle se déroule l'histoire (en Hiver donc) mais aussi à la décoloration de la vie après une tragédie, comme si tout devenait blême, terne.

Adam Gorham soigne l'expressivité des personnages sans aller jusqu'aux mimiques, aux grimaces, qui risqueraient de faire basculer le récit dans la comédie, ce qui serait déplacé. Les yeux de ses personnages reflètent bien leur état d'esprit, tour à tour médusés, tristes, ahuris, stupéfaits, incrédules, sévères. C'est d'autant plus frappant que Yarix, le procureur, n'a pas une physionomie humaine, sa tête ressemble à celle d'un hybride mi-homme, mi-reptile, avec des yeux perçants et proéminents, il est impressionnant, étrange, inquiétant, et pourtant mesuré, tranquille. Le dessinateur appuie sur ces designs avec d'un côté Blue Flame, son costume électrique qui apartient au floklore super-héroïque, et Yarix, l'alien à l'aspect bizarre, encore plus décalé que l'aventurier de l'espace, mais dont l'influence graphique renvoie aux BD de science-fiction des années 50-60, avec un côté rétro, démodé, presque cartoon.

Ce deuxième épisode est clairement celui de l'après-coup, après un démarrage sur les chapeaux de roues. Mais c'est loin d'être superflu car intégré au projet d'ensemble, il prépare le terrain pour des développements bluffants. De l'art donc de ne pas montrer son jeu trop tôt. La suite, bientôt...

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