mardi 9 novembre 2021

LIVE BY NIGHT, de Ben Affleck


Après Shutter Island, dont j'ai parlé récemment pour l'adaptation qu'en a tirée Martin Scorsese, je poursuis ma découverte des oeuvres de Dennis Lehane au cinéma avec Live By Night, réalisé par Ben Affleck. L'acteur-metteur en scène, quatre ans après le sacre de Argo, n'a pas manqué d'ambition, mais cela n'a pas suffi à convaincre le public d'aller voir son long métrage. Une injustice.


1926. Boston. Fils d'un capitaine de la police et vétéran de la première guerre mondiale, Joe Coughlin revient d'Europe, résolu à ne plus suivre les ordres de personne, dégoûté par le traitement de ses frères d'armes par les officiers militaires. Il s'engage dans une vie criminelle aux côtés d'Emma Gould, une intriguante, qui est aussi la maîtresse du parrain Albert White. Son rival est Maso Pescatore qui menace Joe de révéler à White qu'il est cocu si Joe ne le tue pas avant. Mais Coughlin refuse et White n'a pas le temps de l'éliminer et le livre à la police. Joe écope d'une peine de trois ans de prison et apprend que Emma est morte noyée.  Son père décéde quelques mois avant sa libération.


A sa sortie de prison, Joe veut se venger de White et offre ses services à Pescatore qui lui confie ses affaires en Floride. Avec son ami Dion Bartello, Joe s'installe à Ybor City où il négocie avec les cubains la production et le commerce de l'alcool pour concurrencer White. Il soudoie le chef de la police, Figgis, pour étendre son empire et s'éprend de Graciella Corrales, qu'il épouse.


A la même période, Loretta, la fille de Figgis, part à Hollywood tenter sa chance dans le cinéma mais elle sombre dans la drogue et se prostitue pour payer ses dealers. Le beau-frère de Figgis, RD Pruitt, membre du Ku Klux Klan, attaque les établissements et les employés de Joe. Pour contraindre Figgis de le lui livrer, Joe lui montre des photos de la déchéance de Loretta et promet de la lui remettre. Pruitt liquidé, Joe tient parole puis livre une guerre-éclair contre le Klan, qui fuit la région.
 

La fin annoncée de la Prohibition inspire à Joe l'idée d'investir dans un casino. Mais un nouvel obstacle inattendu va se dresser sur sa route : Loretta, pour se racheter de ses péchés, est devenue une prédicatrice et milite pour l'interdiction des lieux de vice. Elle mobilise les foules et influence les notables. La banque refuse à Joe un emprunt qui fait capoter le projet du casino. Joe croise Loretta dans un café où elle lui avoue n'avoir réussi qu'à moitié sa mission car l'alcool continue de couler.


Le lendemain de cette discussion, Joe apprend dans le journal que Loretta a mis fin à ses jours. Figgis sombre dans une profonde dépression et ne répond plus aux appels de Joe. Celui-ci, prévenu par Dion, sait que Pescatore, mécontent de la tournure des événements, malgré l'argent qu'il a gagné en Floride, va venir réclamer des comptes. Joe garde malgré tout le soutien de ses hommes de main et du frère de Graciella, chez qui il voit une photo prise un mois auparavant sur laquelle figure Emma. Dion est chargé d'emmener Graciella à l'abri.
 

Pescatore donne rendez-vous à Joe dans un hôtel qu'il a entièrement privatisé pour l'occasion et révèle qu'il a embauché White, ruiné, pour reprendre ses affaires dans la région. Alors que White va le tuer, JOe lui montre la photo avec Emma. Pendant ce temps, les hommes de Joe, menés par Dion, investissent l'hôtel par les souterrains qui parcourent la ville, grâce auxquels on faisait passer l'alcool sans que la police s'en aperçoive. Le gang de Pescatore et White est décimé et Joe se venge enfin.


Mais au bout du compte, lassé par cette vie, il décide de se retirer et confie son business à Dion pour se consacrer à Graciella et des oeuvres de charité envers les réfugiés cubains. Ils ont un fils. Figgis tue Graciella avant d'être abattu par Joe qui élèvera seul son fils dont le rêve est de devenir policier comme son grand-père paternel dont il porte le prénom, Thomas.

Révélé en même temps que son ami Matt Damon dans le film Will Hunting (Gus Van Sant, 1997), Ben Affleck a connu une carrière beaucoup plus chaotique, entre problèmes liés à son alcoolisme, succès fracassants et bides monstrueux au box office, et des amours qui ont fait les choux gras de la presse people. Jusqu'à 2012 et Argo, qu'il met en scène et dans lequel il joue, et qui rafle trois Oscars. 

Lorsqu'il revient derrière et devant la caméra en 2017 pour Live by Night, adapté du roman de Dennis Lehane, Affleck obtient un budget conséquent pour cette fresque se déroulant entre les deux guerres mondiales, et qui relate l'ascension d'un gangster au temps de la Prohibition.

Le résultat a belle allure, mais la critique se montrera tiède et le public ne se déplacera pas pour vérifier sa qualité. Ce sera un échec cuisant, comme si à chaque fois qu'il avait atteint le sommet, Affleck était condamné à dégringoler. De ce point de vue, le parcours de son personnage, Joe Coughling lui ressemble de manière troublante.

Vétéran de la première guerre mondiale, il revient aux Etats-Unis dégoûté par le sacrifice de ses frères d'armes par des généraux indifférents à leur sort. Désormais, Joe refusera d'être aux ordres de quiconque. Pourtant, la réalité va vite lui apprendre qu'il faut conquérir sa liberté. Trahi par une femme et le rival du caïd qu'il sert, il passe par la case prison. Lorsqu'il en sort, il est obsédé par le désir de se venger et se lie à la mafia italienne. Pendant un temps, il devient un roi, retrouve l'amour, ruine l'homme qui a éliminé la femme qu'il aimait. Jusqu'à ce qu'un obstacle imprévu, inattendu, se dresse sur sa route et provoque la chute de son empire.

Du roman, foisonnant de Dennis Lehane, Ben Affleck, qui signe aussi le scénario, tire un récit vif et ample, contenu dans un film de 2h 10, ce qui est un tour de force. On ne s'ennuie pas en suivant cette histoire pleine de péripéties, au casting fourni, dans des décors somptueusement reconstitués. L'argent est sur l'écran, Affleck ne se moque pas du monde, son film a de la classe.

Mais peut-être a-t-il été jugé trop classique, trop académique, et en comparaison d'autres films de gangsters contemporains, manque-t-il d'audace. Ce sont des reproches que je trouve injustes car il n'y a aucun mal à être classique quand la qualité est là. Affleck a visiblement voulu donner cette facture à son long métrage, comme pour rendre hommage à un cinéma passé. Par ailleurs, il a su s'entourer, notamment en prenant comme chef opérateur Robert Richardson (qui a collaboré justement avec Scorsese sur Shutter Island) : l'image est sublime, les mouvements d'appareil élégants et fluides. 

Surtout cette sobriété dans la réalisation rend justice à la solidité de l'adaptation avec des rôles magistralement développés, jusqu'au final spectaculaire (avec le règlement de comptes dans l'hôtel). Je parie que, avec les années, Live by Night vieillira comme un bon vin et qu'il sera redécouvert à sa juste valeur comme un film méritant plus de compliments et d'attention car il dépasse les modes et s'inscrit dans une tradition.

Affleck s'est attribué le rôle principal et il incarne ce Joe Coughlin avec charisme et autorité. Son jeu minimaliste, underplay, est séduisant, même s'il ôte au personnage une dimension plus attractive. Des seconds rôles l'entourent avec beaucoup de relief comme le genre l'impose, avec notamment Chris Messina, Remo Girone, Brendan Gleeson, Chris Cooper et Robert Glenister, tous des gueules mémorables.

Toutefois, la vraie bonne surprise du casting vient de ses interprètes féminines auxquelles Affleck a donné des partitions de premier choix : Sienna Miller a rarement été aussi bien servie qu'avec cette Emma Gould perfide à souhait. Zoe Saldana est à tous points de vue magnifique, filmée comme une vraie déesse, elle apporte de la sensibilité à Graciella et à tout le film. Enfin, Elle Fanning compose une Loretta extraordinaire, loin des rôles d'adolescente lumineuse à laquelle on a l'habitude : elle impressionne dans des scènes où elle harangue le public, presque possédée.

Pour les amateurs de sagas policières et historiques, Live by Night est un film à (re)découvrir. Et souhaitons à Ben Affleck que son prochain projet derrière la caméra lui permette de renouer avec le succès que cet opus n'a pas eu.  

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