vendredi 26 novembre 2021

BLACK HAMMER : REBORN #6, de Jeff Lemire, Malachi Ward et Matthew Sheean


Avec ce sixième épisode de Black Hammer : Reborn, on arrive à la moitié de la série. Jeff Lemire passe donc à la vitesse supérieure dans un chapitre occupé au deux tiers par un flashback explicatif. Mais le scénariste canadien s'affirme aussi comme un vrai détecteur de tendances puisqu'il explore la notion de Multivers, qui préoccupe beaucoup Marvel et DC actuellement. Le dessin est toujours réalisé par le duo Malachi Ward-Matthew Sheean, dont la complicité et la maîtrise sont un régal.


1996. Alors qu'il malmène deux voyous pour leur soutirer le nom de leur chef, Skulldigger est distrait par le crash du Dr. Andromeda sur le toit dun immeuble. Il le rejoint et affronte son double d'une autre dimension qu'il neutralise avant d'évacuer son ami.


Dans le repaire de Skulldigger, le Dr. Andromeda, une fois remis, lui explique qu'il a découvert que la Para-Zone ouvre sur un Multivers. Au coeur de ces réalités alternatives dort l'Anti-Dieu et son double veut le réveiller pour détruire notre monde.


Skulldigger est dépassé par cette affaire mais Andromeda assure qu'il peut l'aider. Ils sont de tout façon les deux derniers héros en activité. Et peut-être est-ce leur destin de mener ce combat. Skulldigger accepte et Andromeda lui propose d'améliorer son matériel.


2016. Skulldigger et Black Hammer font face à Sherlock Frankenstein et sa Ligue du Mal. Ils sont rapidement vaincus, mais cela fait les affaires de Skulldigger qui sait que les vilains vont les expédier dans le Spiral Asylum de leur Terre parallèle... Où est detenu le Dr. Andromeda !

Sachant que Jeff Lemire n'est plus lié par un contrat d'exclusivité avec Marvel ou DC, il écrit dans son coin pour Dark Horse, éditeur de la franchise Black Hammer. Il faut bien avoir cela en tête pour mesurer à quel point le scénariste canadien est malin, voire visionnaire car dans cet épisode il a anticipé la mode actuelle chez les Big Two : le Multivers.

Chez DC, le Multivers est devenu un élément d'une notion encore plus vaste, l'Omnivers (c'est-à-dire le Multivers de plusieurs Multivers), comme Joshua Williamson l'a formulé, à la suite de Scott Snyder, dans la mini série Infinite Frontier. Chez Marvel, ce motif est multi-média puisqu'il a été exploité aussi bien dans les séries Loki et What if...? sur Disney +, les futurs films Spider-Man : No Way Home et Doctor Strange in The Multiverse of Madness, et dans plusieurs comics (Spider-Verse, Avengers Forever, etc). 

Mais alors que tout ça se met tout juste en place (quand bien même le Multivers n'a rien de neuf chez DC comme chez Marvel. Il s'agit plutôt d'un regain d'intérêt pour lui.) chez les Big Two, Jeff Lemire, dans son propre univers de poche, le Black Hammer-verse, a senti qu'il était temps d'abattre cette carte et de la jouer à fond avec Black Hammer : Reborn.

Lemire aussi avait préparé le terrain : la Para-Zone, chère au colonel Weird depuis le début de la franchise, était un moyen idéal pour introduire un Multivers. D'un point de vue plus méta-textuel, on peut même dire que tout l'univers Black Hammer repose sur le concept de Multivers puisque Lemire, en s'amusant à donner ses versions de héros Marvel et DC, a fondé son entreprise sur une variante qui serait commune aux créations des Big Two. Une sorte d'univers de synthèse, un néo-Amalgam (pour reprendre l'idée développée en 1996 par les deux éditeurs, qui avaient proposé des héros fusionnés).

Au coeur de ce sixième épisode, qui, et ce n'est évidemment pas un hasard, se situe à la moitié de la série Black Hammer : Reborn, il y a donc ce motif du Multivers à la sauce Lemire. Les deux tiers de l'épisode sont formés par un flashback situé en 1996, donc vingt ans avant les événements de la série. A cette époque, Skulldigger agit seul, après que la détective Amanda Ryan ait récupéré son epéhémère sidekick Skeleton Boy (comme c'est mentionné de façon suggestive et discrète). Les Unbelievable Unteens ont disparu. L'équipe du premier Black Hammer également (suite à leur bataille contre l'Anti-Dieu). Skulldigger est donc le dernier "héros" actif. Jusqu'à ce que le Dr. Andromeda resurgisse, mal en point, avec son double à ses trousses.

L'existence de ce doppelgänger suffit à introduire l'idée du Multivers, expliqué ensuite par Jim Robinson/Andromeda à Skulldigger. Surtout, comme le vigilante, on apprend qu'au coeur du Multivers se trouve l'Anti-Dieu, qui n'est donc pas mort mais assoupi, et que l'autre Dr. Andromeda veut réveiller pour détruire notre monde (celui de la série). Dans la mythologie de Black Hammer, l'Anti-Dieu est lui-même un amalgame, inspiré par Galactus mais aussi Darkseid ou la vague d'Annihilation (out toute autre menace d'envergure cosmique et multi-dimensionnelle). C'est littéralement la traduction incarnée de la guerre des mondes car qui réveillera l'Anti-Dieu condamnera la Terre. S'il existe un autre Dr. Andromeda, plus belliqueux, provenant d'une Terre parallèle, alors l'Anti-Dieu pourrait devenir son arme suprême pour détruire la Terre où vit Skulldigger (et par extension celle où ont vécu tous les héros écrits jusque-là par Lemire).

Au détour de ce topo, qui passe cependant comme une lettre à la poste car Lemire fait de Skulldigger le personnage par lequel nous sommes initiés à ce concept de Multivers (c'est-à-dire un personnage moins intelligent que Andromeda, mais pas non plus complètement crétin - "moins crétin que j'en ai l'air" dit-il), Lemire réussit à glisser une superbe mention à la notion de paternité quand Jim Robinson aperçoit l'habit de Skeleton Boy dans le gymnase de Skulldigger. Il pense qu'il s'agit du fils du vigilante et cela le renvoie à sa propre histoire, tragique, de père (racontée dans Doctor Star and the Kingdom of Lost Tomorrows). Par extension, on peut aussi estimer que l'Anti-Dieu est une sorte de Père de Tout (ou de Rien, du Néant qui menace). C'est brillant.

Puis la fin de l'épisode nous ramène en 2016 et au moment où nous avions quitté Skulldigger et Black Hammer (Lucy Weber) à la fin du #5, face à la Ligue du Mal de Sherlock Frankenstein. Contre toute attente, les vilains ont facilement raison des deux héros (et on peut y lire la pensée de Lemire selon laquelle le génie scientifique de Sherlock Frankenstein - comme celui de Jim Robinson - est supérieur à la magie de Black Hammer). Ils sont alors embarqués pour l'asile de Spiral City 2 (la Spiral City de la Terre parallèle qui menace de percuter notre Terre) : cela fait les affaires de Skulldigger (et explique pourquoi il n'a pas résisté aux vilains et a déconseillé à Black Hammer de tenter de les battre) car dans cet asile est enfermé Jim Robinson/Andromeda, le seul héros capable de sauver l'univers (puisqu'il en a percé le mystère primordial, celui du Multivers et du danger qu'il referme avec l'Anti-Dieu endormi).

L'épisode est magistral narré, pas seulement par le scénario mais aussi par son dessin. Le tandem Malachi Ward-Matthew Sheean fait des étincelles. Leur trait est incroyablement texturé tandis que leur découpage est simplissime. La série est gâtée car elle ne perd rien en qualité visuelle en étant passé de Caitlin Yarsky (qui signe la couverture) à Ward-Sheean.

Pourtant, c'est un exercice difficile pour les artistes car un épisode quasiment entièrement consacré à un dialogue explicatif entre  deux héros, entre quatre murs sur le sujet du Multivers, c'est pas très sexy. Et la fluidité de la mise en scène, l'expressivité des acteurs, tout ça rend ce devoir imparable. Rien n'est épargné aux deux dessinateurs puisque Skulldigger (qui tient à son identé secrète) garde son casque sur la tête durant toute sa conversation avec Robinson : Ward et Sheean n'ont que les yeux du justicier et ses gestes pour traduire les émotions qui le traversent pendant que Andromeda expose ses découvertes et son plan. C'est bluffant.

Tout est bluffant à vrai dire dans Black Hammer : Reborn, qui est la quintessence de ce qu'un comic-book super-héroïque mainstream et indé à la fois peut offrir. C'est intelligent, palpitant, épique. Jeff Lemire est vraiment au sommet de son art, un conteur sans pareil. 

jeudi 25 novembre 2021

DECORUM #8, de Jonathan Hickman et Mike Huddleston


Sept mois après le précédent numéro, voici enfin le dernier épisode de Decorum ! La série la plus folle de Jonathan Hickman arrive à son terme (ou peut-être pas...) et le plus étonnant, c'est qu'on replonge dans cette histoire sans avoir besoin de réviser, comme si cet univers nous était resté parfaitement familier. Visuellement, Mike Huddleston produit une nouvelle fois des planches hallucinantes.



Ayant mis la main sur le Messie Céleste, Neha Nori Sood est devenue la femme à abattre par ses homologues de l'organisation criminelle de la Sororité de l'Homme. Elle élimine Jetti Kahn puis Sam-Sam avant de tomber sur Ursula Ring. Mais Imogen Morley-Smith intervient juste à temps.


Cette dernière entend bien malgré tout honorer le contrat lancé sur la tête du Messie Céleste par l'Eglise de la Singularité. Toutefois, il la convainc de n'en rien faire et lui expose un plan, audacieux, pour se débarrasser de Ro Chi, le leader fou de cette institution.


Imogen persuade ensuite, à son tour, Ma, la chef de la Sororité, d'accomplir le plan du Messie Céleste. Les tueuses de l'organisation se lancent donc à l'assaut de l'Eglise et en massacrent les membres les plus dangereux. Mais Ro Chi supprime Ma et défie le Messie.


Le Messie dispose facilement de Ro Chi puis reconfigure l'Intelligence Artificielle de l'Eglise. Il reste à lui trouver un nouveau leader. Et  ce sujet, Imogen a une idée précise bien que parfaitement farfelue...

De prime abord, on peut être mécontent d'avoir dû patienter tant de temps pour lire la fin de cette histoire qui n'était déjà pas simple à intégrer. Sept mois ! On pourrait être d'autant plus sévère avec Jonathan Hickman et Mike Huddleston que, dans l'intervalle, les deux hommes se sont engagés dans un nouveau projet pour la plateforme Substack, avec la saga 3W. 3M. (3 Worlds. 3 Moons.), et il paraît légitime de se demander si, avant de lancer ça, ils n'auraient pas d'abord dû achever Decorum.

Et puis, on se dit : basta ! Decorum #8 est là, lisons-le, profitons-en et voyons ce que ça vaut, considérons si sa conclusion est à la hauteur de l'attente. Après tout, ce n'est que de la BD, on ne va pas s'arracher les cheveux pour sept mois d'attente. L'essentiel n'est-il pas que Hickman et Huddleston aient fini ?

On notera alors que les deux acolytes n'ont pas lésiné sur le format : cet ultime chapitre compte une soixantaine de pages, l'effort est louable. Ensuite, sur le fond, c'est vraiment foutraque à souhait, souvent très drôle, épique. Et à la toute fin, il y a une chouette surprise, inattendue.

Ce qui m'a le plus surpris, c'est la facilité avec laquelle je me suis replongé dans la lecture. Je n'ai volontairement pas voulu relire les épisodes précédents, justement pour tester la faculté d'Hickman et Huddleston à me happer. Et c'est comme si j'avais quitté la série le mois dernier : je me souvenais des noms des personnages, de la situation dans laquelle ils étaient à la fin du #7, etc. J'y ai vu le signe d'une écriture très solide, d'un récit mémorable.

Donc, Neha a mis la main sur le Messie Céleste : c'est un homme avec l'esprit d'un nouveau-né, qui sait à peine parler, raisonner, accomplir les choses les plus élémentaires. Plus un boulet qu'un véritable créateur d'univers. Mais Neha a choisi de ne pas le tuer, comme elle s'y était pourtant engagée à l'instar des autres membres de la Sororité de l'Homme. Problème : elle est désormais traquée au même titre que ce Messie.

Cependant, à chaque tentative de meurtre à laquelle elle échappe, elle voit que le Messie évolue, son intelligence augmente, et ses capacités divines se révèlent. Neha étant elle-même une jeune fille très dégourdie et spontanée, elle ne fait pas une cible facile car elle trouble les assassins à ses trousses, qui ne savent jamais ce qu'elle va faire. A eux deux donc, Neha et le Messie vont se débarrasser des terribles Jetti Kahn et Sam-Sam. Avant de tomber sur la redoutable Ursula Ring.

Mais Imogen Morley-Smith, la mentor de Neha, intervient à point nommé. Le Messie va alors entraîner les tueuses dans une mission suicidaire contre l'Eglise de la Singularité et leur chef fanatique Ro Chi. A la clé : la survie de l'univers !

Plus souvent qu'à son tour, Decorum a pu désorienter le lecteur et cet épisode ne fait pas exception. On ne sait jamais sur quel pied danser. Ce délicieux parfum d'inattendu fait tout le sel de l'aventure écrite par Jonathan Hickman. Pour ma part, et je crois que c'est une lecture valable du projet, Decorum est une comédie où Jonathan Hickman s'autoparodie de manière savoureuse et absolue, en déployant tous ses tics d'écriture (les data pages, les chapitrages, le format des épisodes, le goût des personnages désincarnés, la grandiloquence des décors et des enjeux). On ne peut le prendre au sérieux ici tant il pousse les curseurs à fond.

Tout est fou dans Decorum, tout est absurde, grotesque, et hilarant. On peut voir résumer cela par la double page où, façon maître d'école, le Messie interroge le lecteur pour définir ce qu'est une divinité comme lui. Plus loin, on voit détailler, par le menu, la "Mission Déicide", et les paragraphes du plan regorgent de détails saugrenus dans leur précision. On en mesure le caractère délirant et insensé tout en voulant bien croire, puisque c'est énorme, que c'est effectivement le seul moyen de règler le problème qui se pose à ce stade (ici : neutraliser l'Eglise de la Sororité et son leader). Quand, enfin, le Messie reconfigure tout ce bazar pour assurer la paix cosmique et que vient le moment de choisir un successeur au fanatique Ro Chi, la solution est tellement loufoque qu'elle ne peut que vous faire éclater de rire. Toutes les pauses sérieuses qui ont pu précéder ont volé en éclats.

Mike Huddleston a depuis le début fait lui aussi exploser le calibrage de la bande dessinée pour transformer Decorum en une expérience visuelle. Il n'allait pas s'assagir au dernier moment et pendant soixante pages, il lâche les chevaux. On passe de pages à la colorisation minimaliste à d'autres saturées d'effets numériques, puis en noir et blanc. Constamment, il fait souffler le chaud et le froid, ne laissant aucun répit au lecteur.

On en sort rincé, mais c'est une claque esthétique peu commune. Toute la série semble avoir été non pas pensée, élaborée, mais réalisée à l'instinct, selon l'humeur de l'artiste. Ce qui, là encore, va à l'encontre des principes qu'on attache aux comics de Hickman, avec ses plans, ses cadres, son déterminisme. Le génie de Huddleston est d'avoir injecté dans la machine Hickman une irrationnalité qui l'a dégrippée, décoincée.

Mais, en vérité, on s'en doute, rien n'est si simple. Hickman a sans doute dès le départ voulu tout péter et avec Huddleston, il avait un partenaire idéal pour cela. Un dessinateur capable de jouer la folie totale tout en concevant des planches hyper-travaillées mais qui donnaient l'impression d'être improvisées, comme sous l'effet d'un trip. De ce point de vue, le decorum, c'est-à-dire l'ensemble des règles à observer pour bien se tenir en société, s'applique avant tout aux deux auteurs qui étaient connus dans leurs registres respectifs (Hickman le cérébral, Huddleston le fou) et allaient nous décoiffer en faisant le contraire de qu'on attendait d'eux. C'est donc tout à fait réussi. Huddleston a certainement produit son oeuvre la plus calculée quand Hickman a volontairement complètement lâché la rampe.

Allez, je ne résiste pas : ce n'est pas vraiment fini car, en fin d'épisode, un teaser annonce une suite à Decorum qui s'intitulera Decorum and the Womanly Art of Empire. Hickman et Huddleston vont donc rempiler, mais, prudents, ils n'indiquent pas la date du retour de leur série. Est-ce que je repartirai pour un tour ? On verra, mais si c'est aussi amusant, pourquoi se priver. 

X-MEN #5, de Gerry Duggan, Javier Pina et Zé Carlos


Je n'aime pas jouer les grincheux et infliger à ceux qui me lisent des critiques chonchons mais je ne peux pas non plus dissimuler ma déception (croissante) devant  X-Men #5. Ce cinquième numéro écrit par Gerry Duggan est le pire de son jeune run : je m'y suis ennuyé. Et si visuellement, les planches de Javier Pina restent excellents, celles (heureusement peu nombreuses) de Zé Carlos sont pitoyablement moches.


Attirés dans un piège par les Reavers, ces anti-mutants transformés en cyborgs, les X-Men tombent comme des moches face à un ennemi bien préparé. Seule Polaris, protégée par un champ de force, réussit à leur tenir tête, le temps que ses partenaires se ressaisisent et achèvent la bagarre.


Alors que l'équipe reprend ses esprits, Polaris sollicite une entrevue rapide avec Marvel Girl au sujet du vote des membres lors du Gala Hellfire. Lorna Dane hésitait à accepter de faire partie des X-Men et croit que Jean Grey lui a forcée la main, mais elle reconnaît qu'elle se sent mieux intégrée désormais.


De retour à leur Q.G. à New York, les X-Men offrent aux plus démunis vivres et matériel pour affronter l'hiver qui approche. Ben Urich arrive sur place et demande à parler à Cyclope en privé. Il lui explique être en train d'écrire un article au sujet des mutants.


Et son enquête lui a permis de deviner que les mutants ont trouvé un moyen de ressuciter, comme en atteste la présence de Cyclope, ou le retour de Cable. Il donne un délai aux X-Men pour s'exprimer à ce sujet. Le Dr. Stasis assiste, en jubilant, à la scène, à l'abri des regards.

C'est difficile de lire et donc d'apprécier X-Men de Gerry Duggan sans comparer sa production à celle de son prédécesseur, Jonathan Hickman, pour qui, d'ailleurs, le terme "X-Men" ne désignait plus l'équipe de mutants mais une entité plus large et aussi un titre périmé.

On trouve là le coeur du problème : les X-Men en tant qu'équipe de héros mutants n'intéressait pas Hickman, qui était plus intéressé par la hiérarchie de Krakoa, avec le Conseil, puis le rôle de Capitaine Commandant de Cyclope, pouvant disposer de n'importe quel mutant pour des opérations spéciales. Hickman avait chamboulé la formation des X-Men pour en faire une non-équipe où tout le monde était susceptible d'être appelé par Cyclope, tout ne laissant aux autres scénaristes des personnages emblématiques dont il n'avait pas l'usage (Logan/Wolverine notamment). C'était un concept formidable, imprévisible, au service d'histoires en un ou deux épisodes maximum, le lecteur ne savait jamais qui serait de la partie.

Malheureusement, les X-Men de Duggan sont beaucoup plus (beaucoup trop) classiques. Il s'agit d'une banale équipe de super-héros mutants, avec une formation fixe. Mais le scénariste pourrait en faire quelque chose de bien s'il le voulait vraiment. Pour cela, il faudrait qu'il créé une dynamique de groupe, des relations entre les membres de ce groupe, parce que c'est dans l'ADN des X-Men, cette veine soap, avec de la romance, de la tension, des confflits internes. Toutes choses absolument abentes de la série actuelle.

Ce sont ceux-là, mais à vrai dire ce pourrait être d'autres X-Men qu'on ne verrait pas de différences. Duggan les pose là, les agite comme un marionnettiste tels des pantins désincarnés, et basta. La potentielle romance entre X-23-Synch ? Oubliée. Le couple Cyclope-marvel Girl ? Inexploité. Le caractère impétueux de Sunfire ? Inexistant. Polaris ici en vedette ? Transparente et uniquement préoccupée par ses lunettes cassées et son gobelet de café... C'est accablant.

En vérité, Duggan est aussi désinvolte ici qu'avec Marauders. Mais ça passait sur Marauders car le lecteur n'attendait rien de cette série : quand les épisodes étaient bons, il était content, et quand ils n'étaient pas bons, il espérait que ça s'améliorait. Mais quand on écrit X-Men, ce n'est pas la même chanson : le lecteur attend quelque chose de différent, de la tradition ou de la nouveauté, mais quelque chose de plus consistant. Et le compte n'y est pas : ni en termes de menaces (ici les Reavers, déjà abondamment utilisés par Duggan sur Marauders), ni en termes de narration (le principe d'un épisode, un adversaire est soporifique), ni en termes de style (inutile d'être méchant mais Duggan n'a pas le même niveau que Hickman).

Comme depuis cinq épisodes, Duggan ne semble se réveiller que dans les ultimes pages avec les subplots qu'il développe à pas comptés : d'un côté l'enquête de Ben Urich qui vient enfin en parler aux X-Men, de l'autre le mystérieux Dr. Stasis qui épie tout ce beau monde en s'amusant (mais bon, si c'est sensé faire peur, c'est raté). En tout cas, on ne voit pas bien en quoi ça pourrait constituer un gros problème pour les X-Men : si Jean Grey veut brouiller l'esprit d'Urich pour qu'il ne publie pas son article (comme elle en a visiblement déjà envie en le désignant comme un "problème"), ça ne devrait pas lui poser un gros problème moral. Et ce fameux Dr. Stasis n'a donc rien montré de bien préoccupant jusqu'à présent. Il reste Feilong, absent de cet épisode, qui s'est pas remis que Mars ait été colonisé par les mutants, mais lui non plus n'a pas un charisme débordant.

Il manque donc beaucoup (trop) de choses pour que ça fonctionne : un concept, du style, une dynamique, un antagoniste... Et un dessinateur. Pepe Larraz est encore absent (sans doute parce qu'il a dessiné une page pour le n° spécial anniversaire de Fantastic Four...), à part pour la couverture (sans aucun rapport avec le contenu). Alors Javier Pina rempile : je n'ai rien contre le résultat, c'est très bien, vraiment, Pina imite parfaitement Larraz, c'est propre, efficace. 

Mais visiblement, Pina est déjà à la limite après un épisode puisque Zé Carlos vient en renfort. Pour pas grand-chose heureusement : quatre pages. Mais c'est suffisant parce qu'elles sont affreuses. Et parfaitement inutiles par ailleurs. Cette espèce d'aparté dans l'épisode comme quoi Polaris aurait hésité à être élue et ce dialogue affligeant avec Marvel Girl où finalement elle est reconnaissaante parce que ça lui fait du bien de prouver qu'elle est digne d'être une X-woman (même si ensuite elle écrit une lettre à Vega pour lui dire qu'il serait bien utile dans le groupe)... 

Mais qu'est-ce que ça vient faire là ? Pourquoi Duggan écrit-il ça ? On n'en a rien à foutre ! C'est inutile, inintéressant. Comme lui aurait préféré compter Tempo dans l'effectif, je ne suis pas loin de penser qu'il cherche à torpiller Polaris et qu'il va l'éjecter de l'équipe dès qu'il le pourra (ce serait presque un service à lui rendre parce qu'il l'écrit vraiment d'une façon épouvantable).

Mais je m'énerve.

Franchement ? Je ne suis même plus sûr d'acheter le prochain numéro. Je suis déçu, je suis frustré, je suis en colère. Je la sens mal, la future ère post-Hickman de la franchise...

mercredi 24 novembre 2021

CATWOMAN #37, de Ram V, Nina Vakueva, Laura Braga et Geraldo Borges - FEAR STATE


Editorialement, il faut bien le dire, Fear State aura été du grand n'importe quoi, une preuve supplémentaire qu'un crossover ne profite à personne s'il n'est pas dirigé, si son instigateur écrit seul dans son coin et laisse ses camarades, annexés au projet, se débrouiller seuls, sans quelqu'un pour organiser tout ça. Ainsi lit-on ce 37ème épisode de Catwoman, l'avant-dernier écrit par Ram V et qui aura nécessité trois artistes. Pour un résultat inepte.


La Jardinière, Harley Quinn et Catwoman croyaient avoir eu raison des soldats du Magistrat et de l'Atout à leur tête, mais Simon Saint a cloné ce dernier. Les trois femmes gagnent alors du temps pendant que Poison Ivy est exfiltrée.


Mais le Sphinx et le Pingouin comptent sur la confusion générale pour mettre la main sur Poison Ivy. Le fourgon dans lequel elle est évacuée est pris dans une embuscade. Edward Nygma pense tenir sa revanche comme Oswald Cobblepot sur Selina Kyle qui les avait doublés.


Sauf que Catwoman répond au Sphinx qu'elle avait prévu sa trahison et qu'elle lui envoie la bande de Gueule d'argile. Ghost-Maker arrive en renfort pour éliminer l'Atout et les soldats du Magistrat et sauver Catwoman, la Jardinière et Harley Quinn.
 

La suite est connue : Poison Ivy et Queen Ivy sont réunies par Harley Quinn et la Jardinière. Shoes prévient Catwoman que Batman est sain et sauf. Le maire Nakano ordonne le retrait des forces de l'ordre de Alleytown. Selina Kyle peut souffler et réfléchir à la suite.

Ces épisodes tie-in à Fear State de Catwoman auront fait beaucoup de mal au run de Ram V. S'il n'avait pas été obligé de composer avec ce crossover, peut-être n'aurait-il pas renoncé à écrire la série au-delà du n°38, qui sortira le mois prochain (même s'il paraît évident que le scénariste a envie de se consacrer à des projets plus personnels)...

Quoi qu'il en soit, Fear State a parasité Catwoman au pire moment : juste avant que l'histoire imaginée par James Tynion IV ne débute, Selina Kyle affrontait le Père Vallée (et on a entraperçu qu'il avait survécu), le détective Hadley est mort en sauvant Maggie Kyle d'une balle que lui destinait le Père Vallée, et Catwoman était sur le point de règner sur Alleytown.

Tout ça a été balayé par Fear State : Alleytown a vu débarquer les soldats du Magistrat et le GCPD sur ordre de Simon Saint et du maire Nakano, Catwoman a vu son royaume flamber tout en étant embarqué dans une quête pour sauver Poison Ivy et alors que le Sphinx et le Pingouin préparaient leur revanche.

Le fait même que Catwoman #37 sorte une semaine après Batman #117 et Nightwing #86 montre bien à quel point DC a mal édité ce crossover puisqu'on se trouve à lire la conclusion du récit impliquant Catwoman alors que l'on sait déjà que Saint a été arrêté et son programme Magistrat annulé. C'est absurde.

Si Fear State s'était contenté d'être le dernier arc narratif du run de Tynion sur Batman, cela aurait amplement suffi. Mais DC a voulu que tous les Bat-titles soient impactés sans même se demander si c'était légitime et nécessaire. Pour Nightwing, on a eu droit à trois épisodes dispensables et pour Catwoman pas mieux. Surtout il était évident que Tom Taylor (pour Nightwing) et Ram V (pour Catwoman) ont été obligés de trouver quelque chose à raconter pendant trois épisodes sans que, visiblement, Tynion ait préparé quoi que ce soit pour leurs séries et leurs personnages. Du grand WTF.

Cela gâche complètement ce qu'a bâti Ram V : le départ du dessinateur Fernando Blanco a déjà nui à la série, mais ces épisodes tie-in ont été pénibles à lire parce qu'on s'y emmerdait franchement. Le scénariste, contrairement à Taylor, n'a rien fait pour dissimuler qu'il s'agissait d'une corvée pour lui, torchant son affaire en comptant ostensiblement les jours avant de quitter le titre. 

Et, à ce sujet, en l'absence de toute nouvelle annonce, j'en viens de plus en plus à douter qu'il fasse de vieux os chez DC : il l'a encore répété récemment en interview, il souhaite consacrer plus de temps à ses creator-owned, et se partage l'écriture de Venom avec Al Ewing (de façon très compartimenté : Ewing écrit les parties dans l'espace avec Eddie Brock devenu le nouveau roi des symbiotes, Ram V écrit les parties avec Dylan, le fils d'Eddie, sur Terre, en possession du symbiote autrefois lié à son père).

Pour ne rien arranger, cet épisode est un vrai fourre-tout graphique puisqu'il a fallu trois dessinateurs pour le compléter. Nina Vakueva en réalise la moitié ce qui va jusqu'au moment où le Sphinx avoue à Catwoman qu'il l'a trahie avec le Pingouin), dans un style efficace mais un peu frustre, avec des scènes d'action aux compositions maladroites. Puis Laura Braga vient prêter un coup de main pour un quart (l'entrée en scène grotesque du Ghost-Maker), sans relief. Et enfin Geraldo Borges signe le dernier quart de l'épisode avec de meilleures pages que ses consoeurs, sobres et élégantes (en glissant même au passage un hommage discret au regretté John Paul Leon). Jordie Bellaire tente de coloriser tout ça en donnant une unité esthétique, mais c'est mission impossible.

Pour ses adieux à la féline fatale, Ram V sera associé à Felipe Andrade (avec qui il vient de publier The Many Deaths of Laila Starr, une mini chez Boom ! Studios - succès critique et public). On va voir comment il gère ça. Après, ce sera à Tini Howard et Nico Leon de redresser la barre et, comme ils ont décidé de partir dans une nouvelle direction, ça pique mon intérêt plus que je ne l'aurai pensé.

lundi 22 novembre 2021

DES NOUVELLES NOUVELLES TOUTES FRAÎCHES

 Bonjour à tous ! J'espère que tout le monde va bien et je vous remercie pour commencer car je sais que cette entrée hebdomadaire concernant les news comics est suivie. Place donc à d'autres annonces communiquées ces derniers jours, l'actualité étant dominée par les Big Two.

DC COMICS :


Brandon Thomas écrit actuellement la mini-série Aquaman : The Becoming qui met en scène Jackson Hyde. Et il n'entend pas en rester là avec ce personnage. Aussi DC lui a-t-il adjoint...


... Chuck Brown, actuel scénariste de la mini-série Black Manta, pour s'occuper du retour d'Arthur Curry dans une nouvelle série mensuelle intitulée Aquamen, dont il partagera la vedette avec Jackson Hyde, Mera et Black Manta. On sait donc maintenant ce qui se cachait derrière le teaser Aquamen.


Les deux auteurs auront l'avantage de disposer de l'excellent Sami Basri pour dessiner ces nouvelles aventures. J'apprécie cet artiste au trait précis et élégant, qui a un peu touché à tout chez DC (dernièrement, il officiait sur Harley Quinn, avant le relaunch de Stephanie Phillips et Riley Rossmo).


Travis Moore officiera sur le titre comme cover-artist. Ce sera le grand retour d'Arthur Curry, qui a fêté cette année, ses 80 ans d'existence, et qui récupère au passage son look original avec sa côte de maille orange. Sami Basri a présenté ses characters designs et quelques planches non lettrées ont été diffusées avant la parution du n°1 en Février prochain : c'est beau et j'ai envie d'y croire.



Si Spurrier fait feu de tout bois en ce moment : la semaine dernière, il révélait son nouveau projet avec Matias Bergara (Step by Bloody Step, chez Image). Et maintenant il est de retour chez DC, après avoir écrit John Constantine : Hellblazer.


Il renouera à cette occasion avec le dessinateur Aaron Campbell, qui illustrait justement son Hellblazer. Les deux compères auront la responsabilité d'une mini-série de prestige en trois épisodes, au sein du Black LabelSuicide Squad : Blaze.


Suite à l'apparition d'un méta-humain aussi puissant que Superman mais sans morale, Harley Quinn, Peacemaker, Captain Boomerang et King Shark sont missionnés pour activer le programme Blaze, qui consiste dans la formation de cinq super-vilains. La sélection est sans appel : soit on la réussit, soit on est exécuté par les instructeurs ! C'est sûr, ça ne va pas rigoler !

*
MARVEL COMICS :


Marvel a donc décidé de tuer le Dr. Strange dans une mini-série actuellement en cours de publication (écrite par Jed MacKay et dessinée par Lee Garbett). Il semble même que l'éditeur veut se passer pour un long moment (voire défintivement !) de Stephen Strange. Mais pas de laisser la Terre sans sorcier suprême ! Aussi, en Mars 2022, un nouveau mensuel, Strange, sera lancée, avec le nouveau/nouvelle détenteur/trice du titre. pas d'équipe créative annoncée pour l'instant, mais faîtes vos paris sur l'identité du successeur de Stephen Strange (je mets une pièce sur La Sorcière Rouge car ce serait un moyen spectaculaire de réhabiliter ce personnage) et ceux qui réaliseront cette série (je pense que Jed MacKay va rester à l'écriture. Pourquoi pas avec Valerio Schiti au dessin ?).


Début de semaine dernière : ce teaser. On y voit un nouveau Wolverine, à la peau noir, avec quatre griffes, et surtout le titre What if...? Hé oui, c'était couru d'avance, après la série sur Disney +, Marvel relance sa collection de one-shots.


Puis, quelques jours plus tard, cette nouvelle image où on voit Miles Morales dans le rôle de Captain America. Pour ceux qui se souviennent de Civil War II, c'est savoureux (puisque dans l'event de Brian Michael Bendis et David Marquez, Miles était vu par l'Inhumain Ulysse comme l'assassin de Captain America). Si Marvel n'a rien dit de plus pour l'instant, il parait évident qu'on va avoir droit à une (mini ?) série What if... ? avec Miles Morales qui incarnera divers héros emblématiques, à partir de Mars prochain. D'ici à s'en réjouir, il y a un pas que je ne franchirai pas (surtout que Marvel n'est pas pressé pour relancer Captain America et que bon, Wolverine, on en bouffe déjà assez comme ça).
  

Tim Seeley est un drôle de scénariste, capable du meilleur (Grayson, son creator-owned Revival) et du pire (au hasard le crossover improbable Injustice vs The Masters of the Universe - si, si, ça existe !). Là, on a droit au retour du Tim Seeley qui cachetonne puisqu'il va écrire Gwen-verse, avec donc plein de Spider-Gwen de plein d'univers parallèles (vous avez dit Multivers ? Hé oui, Marvel recycle !) qui vont se rencontrer dans une grande aventure palpitante.
 

Ce sera à partir de Février prochain et ce sera dessiné par Jodi Nishijima... Franchement, Marvel, vous avez que ça à proposer ?!

Ci-dessus : Patrick Gleason, un des artistes promus "stormbreakers" par Marvel. Déjà, ça c'est drôle parce que c'est pas exactement un perdreau de l'année, Pat, vu sa carrière chez DC avant son transfert à la Maison des Idées. Mais bon. Ce dessinateur, qui ne dessine plus beaucoup (préférant de plus en plus en écrire), officie désormais sur The Amazing Spider-Man depuis la fin du run de Nick Spencer, en compagnie de Zeb Wells et Kelly Thompson. Et, Patou vient d'en faire une belle...


La semaine dernière, je présentai la future méchante qu'allait affrotner Ben Reilly/Spider-Man : Queen Goblin. Je m'étais même moqué du design très moche de ce personnage qu'on doit à Gleason. Marvel, lui, promettait que l'identité secrète de la vilaine allait surprendre les fans... Sauf que Gleason, très en forme, a vendu la mèche tout seul en présentant le character's design de Queen Goblin en révélant son vrai nom : Ashley Kafka !
Les arachnophiles n'ont pas mis longtemps à retrouver sa trace : elle est apparue dans Spectacular Spider-Man #178 en 1991, un épisode écrit par J.M. De Matteis et dessiné par Sal Buscema. Donc, bon, pour la surprise, c'est raté. Mais peut-être que le plus marrant dans tout ça, c'était la conviction de Marvel que Ashley Kafka allait créér le buzz alors que tout le monde l'avait visiblement oubliée depuis belle lurette... Jusqu'à ce que Patou Gleason oublie de d'effacer son nom sur son dessin ! Rha, c'est ballot (mais c'esr rigolo) !

*
ANNIVERSAIRES :
 

Je voulais terminer ce billet par deux anniversaires qui me tiennent à coeur. Le premier est triste puisque Mardi dernier, 16 Novembre, Darwyn Cooke aurait fêté ses 59 ans. Tous ses amis ont pensé à lui sur les réseaux sociaux, répétant combien il était un chic type et un génie des comics. Il me manque, il avait encore tellement à offrir, je l'adorai. Lisez, relisez, achetez ses livres : vous ne le regretterez jamais, Darwyn Cooke, c'est tout ce qu'on aime dans les comics et que cette saleté de cancer nous a pris.


Le deuxième est plus sympa puisque Jeudi dernier, 18 Novembre, Alan Moore a soufflé ses 68 bougies. Moore, c'est le patron, et ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs ou des ignorants. Qui, à part lui, a changé irréversiblement la face des comics ces quarante dernières années ? Le mage de Northampton n'écrit, hélas ! plus de BD parce que l'industrie l'en a dégoûté en le grugeant, un terrible gâchis. Mais on peut lire, relire ses oeuvres : on n'en fera jamais le tour. Happy Birthday, Mr. Moore !

Sur ces belles paroles, je vous laisse. Prenez soin de vous et de ceux que vous aimez. Et à bientôt pour de nouvelles et trépidantes aventures !

dimanche 21 novembre 2021

LAST NIGHT IN SOHO, de Edgar Wright (critique avec spoilers !)


Trois and après son enthousiasmant Baby Driver, Edgar Wright est de retour avec Last Night in Soho. Et le cinéaste signe là son oeuvre la plus noire, mais avec la même virtuosité. On peut s'étonner que le film n'ait pas rencontré son public, tout en nuançant cet échec par la situation actuelle de crise sanitaire (qui ne motive pas les spectateurs à retourner dans les salles de cinéma). Mais on peut facilement parier que cette pépite gagnera un statut d'oeuvre culte avec le temps.


Eloise "Ellie" Turner vit en Cournouialles et adore la pop culture des années 60. Elle rêve de devenir styliste comme a failli l'être sa mère, qui, sujette à des troubles mentaux, s'est suicidée quand Ellie était enfant. Lorsqu'elle est admise dans une école de monde, elle part pour la capitale. Mais sur place, elle doit subir les railleries de ses camarades de classe, en particulier Jocasta, avec qui elle partage une chambre à la cité universitaire. Seul John est sympathique avec elle.


Ellie décide de louer une chambre de bonne louée par Mlle Collins dans les quartier de Soho. La nuit venue, elle rêve qu'elle est projetée dans les années 60 et entre dans le "Café de Paris" où elle remarque une belle jeune femme blonde, Sandie, qui aborde Jack, un dénicheur de talents, pour décrocher une audition. C'est le coup de foudre et ils entament aussitôt une liaison passionnée, finissant la nuit dans la chambre qu'occupe aujourd'hui Ellie.


Le lendemain, en classe, Ellie dessine la robe que portait Sandie dans son rêve. Pour payer son loyer, elle postule comme serveuse dans un bar de Soho et est engagée. Elle remarque un vieil homme qui la dévisage et que le barman surnomme "la sangsue" à cause de sa réputation de séducteur passé. Ellie, le soir, se couche et retourne dans les années 60. Elle suit Sandie et Jack dans un cabaret, le "Rialto", où la jeune femme passe une audition avec succès. Inspirée par ces visions, Ellie, le lendemain, va chez le coiffeur et se fait teindre en blonde comme Sandie puis adopte un look rétro. "La sangsue" tente de l'aborder mais elle l'ignore, apeurée.
 

Lors d'un nouveau rêve, Ellie découvre que les ambitions de Sandie se brisent. Jack l'incite à coucher avec un producteur puis d'autres hommes. Elle s'y soumet en espérant que cela lui permettra de décrocher un contrat de chanteuse - en vain. Bouleversée, Ellie est en proie à des hallucinations dans la journée où elle croit voir les clients de sandie. Remarquant sa détresse, John invite Ellie à une fête pour Halloween mais Jocasta drogue sa boisson. Croyant voir Jack et Sandie, elle panqiue. John se propose de la reconduire chez elle. Elle l'invite dans sa chambre et se donne à lui mais dans un miroir, elle voit Jack tuer sauvagement Sandie. Ses cris alertent Mlle Collins et force John à se carapater.


Convaincue que "la sangsue" est Jack, Ellie le dénonce à la police mais on ne la prend pas au sérieux. Elle se rend aux archives d'une médiathèque pour consulter des articles de presse dans l'espoir d'en trouver un sur la mort de Sandie. A la place, elle découvre une série de crimes irrésolus sur des hommes dans le quartier de Soho. A nouveau, Ellie croit voir les fantômes de clients de Sandie et panique, elle dégaine une paire de ciseaux pour se défendre et manque de peu de blesser Jocasta.


Pour confondre "la sangsue", elle essaie de le piéger au bar en l'assaillant de questions sur son passé et celui de Sandie.  Agacé, il s'en va mais un taxi le percute. Une ambulance arrive et la propriétaire du bar révèle à Ellie qu'il s'appelait Lindsay et qu'il était policier autrefois, amoureux de Sandie qu'il avait tenté de sauver de la prostitution comme d'autres filles perdues. Horrifiée par sa méprise, elle part en courant et tombe sur Jack qui, passant par là, a cru que l'ambulance était là pour elle.


John raccompagne Ellie chez elle. Elle veut quitter Londres sans délai et va chercher ses affaires dans sa chambre. Elle frappe à la porte de Mlle Collins pour la prévenir et la vieille dame l'invite à boire un thès en lui expliquant avoir reçu la visite de la police. Elle s'allume une cigarette puis révèle à Ellie être Sandie. Elle a tué Jack et les clients auxquels il la vendait, refusant la main tendue de Lindsay, préférant se venger pour ses rêves brisés. John, inquiet, frappe à la porte de Mlle Collins. Ellie le met en garde mais il se fait poignarder. La cigarette de Mlle Collins tombe parterre. Un incendie se déclare. Ellie monte à l'étage, poursuivie par sa logeuse qui, quand elle arrive dans la chambre de sa locataire, fait face aux spectres de ses victimes. Ellie s'éclipse, laissant Mlle Collins périr dans les flammes alors que les pompiers arrivent.


Quelque temps plus tard, Ellie est acclamée après avoir présenté ses créations lors d'un défilé organisé par son école. Félicitée par sa grand-mère, venue des Cornouailles, et John, elle aperçoit sa mère dans un miroir puis Sandie qui lui envoie un baiser.

Sans Quentin Tarantino, peut-être que Edgar Wright n'aurait pas réalisé Last Night in Soho : les deux cinéastes sont amis de longue date et partage le même goût pour la pop culture et le premier a soufflé au second le titre de son nouvel opus. Wright travaillait sur cette histoire depuis des années, en butant sur le nom qu'il allait lui donner.

L'autre déclic a eu lieu, pour Wright, quand il a vu Once Upon a Time... In Hollywood : bluffé par la reconstitution de la Californie de la fin des années 60 dans le chef d'oeuvre de Tarantino, il a alors su qu'il pourrait faire de même avec le Swinging London. Mais, contrairement à son confrère, l'anglais n'entendait pas réécrire l'histoire pour lui donner une happy end. Au contraire.

Bien qu'il adore la pop culture et les 60's, Edgar Wright avec sa co-scénariste Kristy Wilson-Cairns a voulu en montrer la face cachée. Pour tout le monde, c'est une époque d'insouciance, mais en vérité elle a été traversée par des événements dramatiques partout dans le monde. La légéreté ambiante n'était qu'une façon de supporter de nombreuses horreurs et, à cet égard, les témoignages de ses acteurs, Diana Rigg (dont ce fut le dernier rôle et à qui le film est dédié) et Terence Stamp, n'ont fait que confirmer le sentiment du cinéaste.

Comme pour Baby Driver, Wright a choisi un personnage juvénile, innocent. Mais surtout vulnérable. Dès la première scène, Héloise "Ellie" voit de drôles de choses dans les miroirs, ce qui introduit un élément subtilement fantastique. Par la suite, cela va aller crescendo. On suit donc cette jeune fille à Londres où elle fait des études de stylisme : elle est à part, ses références s'inspirent des années 60, elle écoute les Kinks et idolâtre Audrey Hepburn, ce qui lui vaut les quolibets de ses camarades, mais l'intérêt de ses professeurs et d'un gentil garçon, John.

Ellie loue une chambre chez une vieille dame et là, le film opère une première bascule. Lorsqu'elle rêve, la jeune fille est propulsée dans le Londres de la fin des années 60 où elle marche dans les pas d'une starlette aspirante chanteuse, Sandie, que va prendre sous son aile Jack, un séduisant rabatteur. Très vite, le cauchemar éclipse la fantaisie : Sandie est forcée de se prostituer. Ellie est bouleversée et va tenter de savoir ce qui s'est passé quand elle voit le meurtre de la starlette par son amant.

Wright ne cache pas ses références : on pense à Répulsion, de Roman Polanski (1965), puis les giallos, les polars d'épouvante italiens populaires dans les années 70. Il reproduit de façon incroyable, bluffante, les mises en scène de Polanski et Dario Argento dans des scènes marquantes, mais jamais gratuitement. Le cinéaste joue avec l'exercice de style mais, certainement grâce à la contribution de sa co-scénariste Kristy Wilson-Cairns, il le double d'un commentaire remarquable post-#MeToo, enregistrant les violences subies par les femmes, les coulisses glauques de l'industrie du spectacle, la figure prédatrice des hommes de pouvoir (de ce point de vue, Jack est un méchant aussi séduisant qu'abject). Mais il traite tout ça avec recul et même une pointe d'humour grotesque bienvenue (le rôle de Mlle Collins et la révélation concernant son identité).

Dans sa première partie, il me semble aussi que le film rend hommage à Little Nemo de Winsor McCay que j'ai toujours considéré comme une BD non seulement fondatrice mais cauchemardesque (avec les rêves psychédéliques avant l'heure de son héros et ses aventures délirantes). Plus généralement, dans sa deuxième partie, l'histoire prend la forme du conte, avec sa jeune héroïne assaillie par des fantômes, sa structure spiralique, sa descente aux enfers. Enfin, le troisième acte ne recule pas devant un certain grand-guignol, que vient à peine modérer la fin (comme un écho du Once Upon a Time... In Hollywood de Tarantino, plus sentimental sur ce coup que Wright). C'est donc étourdissant (pour reprendre le mot que la grand-mère d'Ellie à propos de la découverte de Londres) mais plus amer qu'acidulé.

Plongés dans cette critique du romantisme de l'époque, les acteurs contribuent décisivement à la réussite du projet. J'ai déjà cité Diana Rigg et Terence Stamp, témoins de ce temps passé, sans illusions, mais qui par leurs seules présences permettent de crédibiliser le propos. Matt Smith est fascinant en amant diabolique (aux antipodes de son rôle de Dr. Who). Mais bien sûr, ce sont les deux comédiennes principales qui concentrent tout l'intérêt.

On a beaucoup mis en avant, durant la promo du film, Anya Taylor Joy : l'actrice a changé de statut depuis le carton sur Netflix de la série Le Jeu de la Dame (The Queen's Gambit) et elle est absolument parfaite ici encore. Blonde, coiffée d'une choucroute typique des chanteuses de pop 60's, dans sa robe rose vaporeuse, elle personnifie le glam et la déchéance avec une intensité peu commune. Pourtant, en étant tout à fait franc, il me semble que Thomasin McKenzie lui vole la vedette. Révélée en 2018 (dans Leave no Trace, de Debra Zanick ) elle a bien grandi pour devenir une ravissante jeune femme. Son visage angélique fascine, mais surtout la maturité de son jeu, pour elle qui est de toutes les scènes et passe dans par tous les états, bluffe. Réussir à éclipser Taylor Joy est une sacrée performance, mais elle tient aussi tête à Stamp et Rigg sans problème. J'espère vraiment que, malgré l'échec commercial du film, sa prestation lui assurera de futures grands rôles.

Et puis bien sûr, il y a la photo, magnifique de Chung-hoon Chung, la musique rassemblée par Steven Price et Wright (la bande originale est juste insensée). Last Night in Soho est un putain de bon film, peut-être le meilleur de son auteur (en tout cas avec Scott Pilgrim). Si vous l'avez raté ou s'il n'est pas arrivé jusqu'au cinéma près de chez vous, sautez sur le DVD dès qu'il sera dispo (c'est pour bientôt) !  

*
Le film a inspiré plusieurs superbes fan-arts à des spectateurs. J'ai trouvé cette affiche alternative sur Twitter, mais j'ai oublié de noter le nom de son auteur. Et encore une fois, je regrette que les distributeurs et les producteurs ne choisissent plus de promouvoir les films avec des posters comme ça.

vendredi 19 novembre 2021

THE NICE HOUSE ON THE LAKE #6, de James Tynion Iv et Alvaro Martinez


James Tynion IV et Alvaro Martinez avaient promis que ce sixième épisode serait un tournant pour The Nice House on the Lake, de quoi faire gamberger les lecteurs pendant la pause de quatre mois que va connaître la publication de la série. La promesse est tenue, même si, étrangement, on finit la lecture avec un goût de trop-peu, comme si on en attendait plus. Mais c'est déjà fort. Et on sera au rendez-vous pour la reprise en Mars 2022...


Le groupe vient de découvrir que leur ami Reginald était à l'intérieur de la deuxième maison. Un orage éclate alors et Reg invite ses amis à s'abriter à l'intérieur. Là, il les a écoutés et a retranscris leurs conversations, découvert tous leurs secrets. Et là encore, il a réfléchi au moyen de sauver le monde...
 

Reg est le plus vieil ami de Walter. Il l'a rencontré au lycée et en état amoureux. Mais Walter refusait qu'ils se voient chez ses parents, alors Reg a organisé une soirée en compagnie d'un ami, Norm, chez lui. Ce soir-là, Walter leur a révélé sa vraie nature et leur a annoncé la fin du monde.


Norm n'a pu supporter le choc et Walter a effacé tout souvenir de la soirée dans son esprit. Reg, par contre, a soutenu Walter en comprenant sa mission de sélectionner des étudiants, les meilleurs dans leurs domaines, pour être étudiés par ses semblables.


Walter a séquestré Reg dans cette seconde maison depuis le grand cataclysme. Et Reg veut sauver le monde car il connaît les méthodes de Walter et ses semblables. Mais Walter apparaît alors en sommant Reg d'arrêter ça...

J'écrivais en préambule que j'étais un peu resté sur ma faim en terminant cet épisode, mais je ne voudrais pas créer de malentendu. The Nice House on the Lake est une excellente série, sans aucun doute une des meilleures qu'on puisse lire actuellement, avec une qualité d'écriture et de dessin indéniable. Ce sixième épisode, par lequel on atteint la moitié de l'histoire, ne fait pas exception.

Mais si je devais quand même émettre un bémol, il concernerait en vérité un mal plus répandu dans les comics : celui de l'effet d'annonce. Pour promouvoir leurs séries, les auteurs peuvent soit compter sur leur éditeur quand ils produisent un titre qui fait partie des des plus exposés (Batman chez DC, Spider-Man chez Marvel, par exemple) ; soit faire eux-mêmes les efforts nécessaires pour attirer les lecteurs et les garder.

Dans le cas de The Nice House on the Lake, on est dans une configuration particulière car DC a fait l'effort de publier cette histoire sans qu'elle entre dans leurs plans. Il ne s'agit pas d'une série super-héroïque, elle ne fait pas partie de la continuité. Mais parce que James Tynion IV est un scénariste vedette de DC (même maintenant qu'il est sur le départ) tout comme Alvaro Martinez est un dessinateur de premier plan (et encore sous contrat d'exclusivité), l'éditeur a tout fait pour ne pas laisser la concurrence publier cette série (qu'on aurait plus attendu chez Image ou Dark Horse).

Cela confère à The Nice House... un côté oeuvre de prestige hors concours. Deux auteurs stars à qui on a accordé des privilèges et pour lesquels l'éditeur a consenti à une publication exceptionnelle. D'une certaine manière, cela a équilibré le rapport de force naturel entre artistes et employeurs : chacun a sa part du gâteau et doit en contrepartie faire un effort. DC en acceptant une parution coupée en deux, par un break de quatre mois (le temps pour Tynion et Martinez d'avoir le temps de bien travailler, sans pression). Mais Tynion et Martinez s'acquittent d'une bonne partie de la communication autour de leur série (car DC mise naturellement bien davantage sur ses valeurs sûres).

Et c'est là qu'est le piège : une fois le lecteur pris dans les filets de Tynion, Martinez et DC, il faut encore le garder, le convaincre de continuer à suivre cette histoire, qui plus est avec une coupure de quatre mois entre le #6 et le #7. Quel est alors l'argument le plus utilisé pour allécher le fan ? La promesse d'un cliffhanger si énorme qu'il lui donnera envie d'y revenir en Mars prochain.

De ce point de vue, ce n'est pas seulement la fin de l'épisode qui déçoit un peu, mais finalement tout l'épisode qui échoue à créer une tension suffisante, équivalente à ce qui a précédé. On a des réponses, et de nouvelles questions, mais rien de vraiment sensationnel, en tout cas pas aussi fracassant que promis.

Formé d'un prologue, d'un long flashback, et d'un épilogue, l'épisode introduit Reg, le 11ème invité de la maison. L'invité surprise, et dans la seconde maison, qui ne ressemble pas vraiment à une maison mais à une construction mystérieuse, dont le référence évidente est le monolithe noir de 2001 : L'Odyssée de l'Espace, l'incontournable totem de toute la s.f. moderne. Reg qui explique au reste du groupe ce que nous savions déjà : Walter est un alien, ses semblables ont provoqué la fin du monde, les invités de Walter sont des cobayes, des sujets d'étude. A moins que... A moins que le monde puisse encore être sauvé. Que le groupe puisse affronter Walter et retourner la situation.

Tout est là depuis le début : cette impression d'une télé-réalité horrifique, le doute sur le cataclysme subi par notre planète, la nature extra-terrestre de Walter, le côté laboratoire, le décor étrange et inquiétant... L'autre référence indéniable de The Nice House..., c'est Lost, cette série télé qui a durablement marqué l'Histoire du média (malgré tous ses défauts), et dont on retrouve des éléments entièrement transposés ici (la maison à la place de l'ïle, la catastrophe inaugurale, le groupe de héros, la dimension fantastique, plus de questions que de réponses... Et le risque, énorme, que tout ça n'aboutisse qu'à un pétard mouillé vu l'ambition du projet). Toutefois, l'avantage de la BD sur la série télé, c'est que dans le format de la mini-série en comics, il n'y a qu'un seul scénariste et il part avec une histoire bouclée (là où une équipe d'auteurs, développant une saga sur plusieurs saisons, est soumise à plus de fluctuations et avance même parfois sans savoir comment finira l'histoire).

Donc, oui, c'est frustrant, surtout pour un épisode annoncé comme un tournant, un choc. Mais ce n'est pas affolant car Tynion a déjà son scénario, il sait déjà comment il va conclure son histoire, il reste six épisodes et tout ça est suffisant pour rassurer. De plus, sans spoiler la fin de l'épisode, on voit déjà que Walter et ses pouvoirs ne sont pas infaillibles, et que l'introduction de Reg sera certainement déterminante. En vérité, l'épisode fonctionne comme le cadran d'un vieux téléphone où il faut à chaque fois repartir de zéro pour composer un nouveau chiffre. C'est exactement ce qui se passe à la fin de cet épisode : tous les personnages reviennent à la case départ, mais l'un d'entre eux semble avoir conservé un fragment, une trace parcellaire de ce qui vient de se passer. Il y a fort à parier que c'est à partir de ça que le deuxième acte de la série va travailler, un peu comme quand on se réveille avec la gueule de bois, confus, sans souvenir clair de la soirée précédente.

Alvaro Martinez avec la coloriste Jordie Bellaire, qu'on ne peut pas dissocier de la réussite graphique de la série, produit une nouvelle fois des planches dingues. Juste dingues. Les effets de texture, la palette utilisé, mais aussi le découpage (particulièrement virtuose sur des doubles pages ahurissantes) font que la série affole le lecteur et a de quoi bouleverser le plus blasé des fans. C'est du grand art.

Le dessin n'est ici pas qu'un prolongement du script, il en est une interprétation puissante. La surprise provient du fait qu'on n'attendait pas Martinez dans ce registre ni même à ce niveau : l'espagnol était jusqu'à présent un excellent dessinateur, mais il a franchi un cap en se passant d'encreur et en s'affranchissant de tout ce qu'il avait fait auparavant.

Souvent, les dessinateurs de comics super-héroïques s'avèrent plein de lacunes techniques, académiques, dès qu'ils doivent dessiner des personnages ordinaires, des décors soignés. Ils ont l'habitude des héros en costumes moulants dans des environnements fantaisistes qui sont programmés pour être d'ailleurs détruits dans des batailles épiques. Loin de moi l'idée de dire que c'est facile : c'est un vrai savoir-faire, qui exige des compétences singulières.

Mais il est cependant indéniable que beaucoup d'artistes spécialisés dans les super-héros, au bout d'un moment, ne savent vraiment bien dessiner que ça. Ils ne cherchent plus à faire autre chose puisque c'est à ça qu'ils sont bons. On peut dire la même chose de certains artistes de BD comiques, historiques, etc. Chacun a sa zone de confort et en devient une sorte de spécialiste.

Aussi, quand, comme Martinez ici, on voit quelqu'un partir dans tout à fait autre chose et yn exceller avec la même aisance, si ce n'est en étant meilleur, alors là, on est sûr de tenir un très bon, un excellent dessinateur, qui a appris à dessiner, qui sait dessiner  - c'est-à-dire qui n'est pas limité par un genre, un registre, qui a lebagage technique pour dessiner n'importe quel script. Tout comme, je crois, on peut vérifier qu'un dessin est solide s'il tient le coup à l'épreuve du noir et blanc, on peut aussi dire la même chose si l'artiste est aussi à l'aise et convaincant dans le registre super-héroïque, avec le folklore inéhrent au genre, qu'hors de ce registre. Et je vais même plus loin : je crois que le meilleurs dessinateurs sont ceux qui, comme les musiciens, ont fait leurs gammes, ont appris en quelque sorte le solfège, quitte à ensuite réussir dans un genre musical au détriment des autres - autrement dit : si vous dessinez bien les choses ordinaires, vous réussirez à dessiner su super-héros. Le contraire est moins évident.

Bon, maintenant,, il va falloir être patient et attendre Mars 2022 pour connaître la suite de The Nice House on the Lake. On ne manquera pas de belles et bonnes choses à lire entre temps, mais tout de même, on comptera les jours avant de retrouver Walter et ses amis...