vendredi 19 novembre 2021

THE NICE HOUSE ON THE LAKE #6, de James Tynion Iv et Alvaro Martinez


James Tynion IV et Alvaro Martinez avaient promis que ce sixième épisode serait un tournant pour The Nice House on the Lake, de quoi faire gamberger les lecteurs pendant la pause de quatre mois que va connaître la publication de la série. La promesse est tenue, même si, étrangement, on finit la lecture avec un goût de trop-peu, comme si on en attendait plus. Mais c'est déjà fort. Et on sera au rendez-vous pour la reprise en Mars 2022...


Le groupe vient de découvrir que leur ami Reginald était à l'intérieur de la deuxième maison. Un orage éclate alors et Reg invite ses amis à s'abriter à l'intérieur. Là, il les a écoutés et a retranscris leurs conversations, découvert tous leurs secrets. Et là encore, il a réfléchi au moyen de sauver le monde...
 

Reg est le plus vieil ami de Walter. Il l'a rencontré au lycée et en état amoureux. Mais Walter refusait qu'ils se voient chez ses parents, alors Reg a organisé une soirée en compagnie d'un ami, Norm, chez lui. Ce soir-là, Walter leur a révélé sa vraie nature et leur a annoncé la fin du monde.


Norm n'a pu supporter le choc et Walter a effacé tout souvenir de la soirée dans son esprit. Reg, par contre, a soutenu Walter en comprenant sa mission de sélectionner des étudiants, les meilleurs dans leurs domaines, pour être étudiés par ses semblables.


Walter a séquestré Reg dans cette seconde maison depuis le grand cataclysme. Et Reg veut sauver le monde car il connaît les méthodes de Walter et ses semblables. Mais Walter apparaît alors en sommant Reg d'arrêter ça...

J'écrivais en préambule que j'étais un peu resté sur ma faim en terminant cet épisode, mais je ne voudrais pas créer de malentendu. The Nice House on the Lake est une excellente série, sans aucun doute une des meilleures qu'on puisse lire actuellement, avec une qualité d'écriture et de dessin indéniable. Ce sixième épisode, par lequel on atteint la moitié de l'histoire, ne fait pas exception.

Mais si je devais quand même émettre un bémol, il concernerait en vérité un mal plus répandu dans les comics : celui de l'effet d'annonce. Pour promouvoir leurs séries, les auteurs peuvent soit compter sur leur éditeur quand ils produisent un titre qui fait partie des des plus exposés (Batman chez DC, Spider-Man chez Marvel, par exemple) ; soit faire eux-mêmes les efforts nécessaires pour attirer les lecteurs et les garder.

Dans le cas de The Nice House on the Lake, on est dans une configuration particulière car DC a fait l'effort de publier cette histoire sans qu'elle entre dans leurs plans. Il ne s'agit pas d'une série super-héroïque, elle ne fait pas partie de la continuité. Mais parce que James Tynion IV est un scénariste vedette de DC (même maintenant qu'il est sur le départ) tout comme Alvaro Martinez est un dessinateur de premier plan (et encore sous contrat d'exclusivité), l'éditeur a tout fait pour ne pas laisser la concurrence publier cette série (qu'on aurait plus attendu chez Image ou Dark Horse).

Cela confère à The Nice House... un côté oeuvre de prestige hors concours. Deux auteurs stars à qui on a accordé des privilèges et pour lesquels l'éditeur a consenti à une publication exceptionnelle. D'une certaine manière, cela a équilibré le rapport de force naturel entre artistes et employeurs : chacun a sa part du gâteau et doit en contrepartie faire un effort. DC en acceptant une parution coupée en deux, par un break de quatre mois (le temps pour Tynion et Martinez d'avoir le temps de bien travailler, sans pression). Mais Tynion et Martinez s'acquittent d'une bonne partie de la communication autour de leur série (car DC mise naturellement bien davantage sur ses valeurs sûres).

Et c'est là qu'est le piège : une fois le lecteur pris dans les filets de Tynion, Martinez et DC, il faut encore le garder, le convaincre de continuer à suivre cette histoire, qui plus est avec une coupure de quatre mois entre le #6 et le #7. Quel est alors l'argument le plus utilisé pour allécher le fan ? La promesse d'un cliffhanger si énorme qu'il lui donnera envie d'y revenir en Mars prochain.

De ce point de vue, ce n'est pas seulement la fin de l'épisode qui déçoit un peu, mais finalement tout l'épisode qui échoue à créer une tension suffisante, équivalente à ce qui a précédé. On a des réponses, et de nouvelles questions, mais rien de vraiment sensationnel, en tout cas pas aussi fracassant que promis.

Formé d'un prologue, d'un long flashback, et d'un épilogue, l'épisode introduit Reg, le 11ème invité de la maison. L'invité surprise, et dans la seconde maison, qui ne ressemble pas vraiment à une maison mais à une construction mystérieuse, dont le référence évidente est le monolithe noir de 2001 : L'Odyssée de l'Espace, l'incontournable totem de toute la s.f. moderne. Reg qui explique au reste du groupe ce que nous savions déjà : Walter est un alien, ses semblables ont provoqué la fin du monde, les invités de Walter sont des cobayes, des sujets d'étude. A moins que... A moins que le monde puisse encore être sauvé. Que le groupe puisse affronter Walter et retourner la situation.

Tout est là depuis le début : cette impression d'une télé-réalité horrifique, le doute sur le cataclysme subi par notre planète, la nature extra-terrestre de Walter, le côté laboratoire, le décor étrange et inquiétant... L'autre référence indéniable de The Nice House..., c'est Lost, cette série télé qui a durablement marqué l'Histoire du média (malgré tous ses défauts), et dont on retrouve des éléments entièrement transposés ici (la maison à la place de l'ïle, la catastrophe inaugurale, le groupe de héros, la dimension fantastique, plus de questions que de réponses... Et le risque, énorme, que tout ça n'aboutisse qu'à un pétard mouillé vu l'ambition du projet). Toutefois, l'avantage de la BD sur la série télé, c'est que dans le format de la mini-série en comics, il n'y a qu'un seul scénariste et il part avec une histoire bouclée (là où une équipe d'auteurs, développant une saga sur plusieurs saisons, est soumise à plus de fluctuations et avance même parfois sans savoir comment finira l'histoire).

Donc, oui, c'est frustrant, surtout pour un épisode annoncé comme un tournant, un choc. Mais ce n'est pas affolant car Tynion a déjà son scénario, il sait déjà comment il va conclure son histoire, il reste six épisodes et tout ça est suffisant pour rassurer. De plus, sans spoiler la fin de l'épisode, on voit déjà que Walter et ses pouvoirs ne sont pas infaillibles, et que l'introduction de Reg sera certainement déterminante. En vérité, l'épisode fonctionne comme le cadran d'un vieux téléphone où il faut à chaque fois repartir de zéro pour composer un nouveau chiffre. C'est exactement ce qui se passe à la fin de cet épisode : tous les personnages reviennent à la case départ, mais l'un d'entre eux semble avoir conservé un fragment, une trace parcellaire de ce qui vient de se passer. Il y a fort à parier que c'est à partir de ça que le deuxième acte de la série va travailler, un peu comme quand on se réveille avec la gueule de bois, confus, sans souvenir clair de la soirée précédente.

Alvaro Martinez avec la coloriste Jordie Bellaire, qu'on ne peut pas dissocier de la réussite graphique de la série, produit une nouvelle fois des planches dingues. Juste dingues. Les effets de texture, la palette utilisé, mais aussi le découpage (particulièrement virtuose sur des doubles pages ahurissantes) font que la série affole le lecteur et a de quoi bouleverser le plus blasé des fans. C'est du grand art.

Le dessin n'est ici pas qu'un prolongement du script, il en est une interprétation puissante. La surprise provient du fait qu'on n'attendait pas Martinez dans ce registre ni même à ce niveau : l'espagnol était jusqu'à présent un excellent dessinateur, mais il a franchi un cap en se passant d'encreur et en s'affranchissant de tout ce qu'il avait fait auparavant.

Souvent, les dessinateurs de comics super-héroïques s'avèrent plein de lacunes techniques, académiques, dès qu'ils doivent dessiner des personnages ordinaires, des décors soignés. Ils ont l'habitude des héros en costumes moulants dans des environnements fantaisistes qui sont programmés pour être d'ailleurs détruits dans des batailles épiques. Loin de moi l'idée de dire que c'est facile : c'est un vrai savoir-faire, qui exige des compétences singulières.

Mais il est cependant indéniable que beaucoup d'artistes spécialisés dans les super-héros, au bout d'un moment, ne savent vraiment bien dessiner que ça. Ils ne cherchent plus à faire autre chose puisque c'est à ça qu'ils sont bons. On peut dire la même chose de certains artistes de BD comiques, historiques, etc. Chacun a sa zone de confort et en devient une sorte de spécialiste.

Aussi, quand, comme Martinez ici, on voit quelqu'un partir dans tout à fait autre chose et yn exceller avec la même aisance, si ce n'est en étant meilleur, alors là, on est sûr de tenir un très bon, un excellent dessinateur, qui a appris à dessiner, qui sait dessiner  - c'est-à-dire qui n'est pas limité par un genre, un registre, qui a lebagage technique pour dessiner n'importe quel script. Tout comme, je crois, on peut vérifier qu'un dessin est solide s'il tient le coup à l'épreuve du noir et blanc, on peut aussi dire la même chose si l'artiste est aussi à l'aise et convaincant dans le registre super-héroïque, avec le folklore inéhrent au genre, qu'hors de ce registre. Et je vais même plus loin : je crois que le meilleurs dessinateurs sont ceux qui, comme les musiciens, ont fait leurs gammes, ont appris en quelque sorte le solfège, quitte à ensuite réussir dans un genre musical au détriment des autres - autrement dit : si vous dessinez bien les choses ordinaires, vous réussirez à dessiner su super-héros. Le contraire est moins évident.

Bon, maintenant,, il va falloir être patient et attendre Mars 2022 pour connaître la suite de The Nice House on the Lake. On ne manquera pas de belles et bonnes choses à lire entre temps, mais tout de même, on comptera les jours avant de retrouver Walter et ses amis...  

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