Enfin ! C'est non un sentiment de soulagement que j'ai lu ce premier épisode de Suicide Squad : Get Joker ! car c'est un projet qui a connu bien des aléas avant de voir le jour. On le doit pourtant à une équipe artistique de premier plan : Brian Azzarello au scénario et Alex Maleev au dessin, rien de moins. Edité au sein du Black Label de DC Comics, c'est finalement une mini-série en trois numéros de prestige. Et ça valait le coup d'attendre !
Incarcéré au pénitencier de Belle Reve, Jason Todd alias Red Hood, l'ancien Robin de Batman, est abordé par Amanda Waller, la patronne de la Task Force X. Elle veut lui confier la mission de capturer, mort ou vif, celui qui l'a autrefois tué : le Joker. En échange d'une remise de peine, et après réflexion, il accepte.
On lui assigne une équipe de repris de justice détenus dans la même prison : Firefly, Silver Banshee, Wild Dog, Meow Meow, Peebles, Plastique, Yonder Man. Jason Todd les connaît presque tous, pour les avoir combattu ou de réputation. Ils profiteront de la même faveur que lui pour cette mission.
Mais il faudra aussi composer avec le dernier membre de cet escadron suicide : Harley Quinn, l'ancienne fiancée du Joker. Celle-ci pourtant a rompu avec le clown du crime et veut se venger de lui pour la relation toxique qu'il lui a infligée. Waller juge également que son intimité passée avec le Joker sera utile à la mission.
On administre à Jason Todd une puce explosive comme à tous ses co-équipiers pour s'assurer qu'il ne fuira pas. Puis un hélicoptère les parachute au-dessus de Gotham où ils ont rendez-vous avec Toyman dans la casse d'un garage pour localiser le Joker. Ils gagnent un bar mal fâmé mais Harley Quinn fausse compagnie au groupe et la situation dégénère vite en fusillade.
L'équipe quitte les lieux en comprenant que le Joker l'a doublée. Jason Todd appelle Waller pour la prévenir de la présence d'une taupe dans le groupe au même moment où le Joker l'agresse brutalement chez elle...
Revenons pour commencer sur la genèse du projet Suicide Squad par Brian Azzarello. Lorsque l'ère des New 52 s'achève pour DC Comics, et que celle de Rebirth débute, l'éditeur décide de mettre le paquet sur le titre avec Jim Lee au dessin et Rob Williams au scénario. Il faut profiter de la sortie du film réalisé par David Ayer, même si les critiques s'avéreront désastreuses et l'accueil public mitigé - aujourd'hui, le long métrage reste un sujet sensible car des fans et le cinéaste réclame une exploitation de son montage (comme pour le Snyder's cut de Justice League), mais cette fois sans illusion (vu qu'entretemps James Gunn est passé par là.
Mais DC est gourmand, peut-être trop car une fois les épisodes de Jim Lee bouclés, la série devient bimensuelle et use beaucoup d'artistes. Du coup la qualité s'en ressent, même si dans un premier temps les back-ups stories (sur les origines des membres de la Suicide Squad) permettent aux dessinateurs de produire des épisodes de seulement quinze pages. L'éditeur continuera ainsi jusqu'au n°50 en 2019.
L'an dernier, Tom Taylor et Bruno Redondo proposent une nouvelle cuvée mais leur run s'achève au bout de onze épisodes, sans qu'on comprenne bien pourquoi (les critiques étaient excellentes, mais peut-être que les chiffres de vente n'étaient pas à la hauteur). Puis durant Future State, la Suicide Squad a droit à sa version futuriste, très bizarre. Et depuis Robbie Thompson et Eduardo Pansica ont reformulé le titre, en écartant des membres emblématiques.
Brian Azzarello a souvent été cité au cours de ces dernières années pour écrire Suicide Squad, parfois avec son compère Eduardo Risso au dessin, sans que jamais cela ne se concrétise. Idem pour Birds of Prey, qu'il devait piloter mensuellement avant que le projet ne devienne un graphic novel (dessiné par Emanuela Lupacchino), qui n'a pas bénéficié du film de Cathy Yan (qui a déçu Warner Bros). Et pour ne rien arranger, Azzarello a été pris dans un bad buzz lors de la publication de son Batman : Damned pour une scène où le dark knight, rentrant d'un combat, se déshabillait intégralement, laissant entrevoir son sexe (sacrilège ! Cachez cette Bat-teub que je ne saurai voir !).
Et donc nous voici avec Suicide Squad : Get Joker !, qui aurait pu ressembler à une énième révision du projet longtemps dans les tuyaux de Brian Azzarello et qui se déclinera en une mini-série en trois épisodes (trois "Livres") de prestige - entendez : trois fois 50 pages - au sein du Black Label ("for mature readers") de DC. Mais qui, en vérité, ne ressemble qu'à lui, à son auteur, et s'avère magistral.
Comme nous sommes avec une série Black Label, c'est donc un récit hors-continuité. Jason Todd alias Red Hood, l'ancien deuxième Robin de Batman, devenu un vigilante aux méthodes expéditives, est arrêté par la police, jugé et incarcéré pour plusieurs exécutions sommaires. Transféré à la suite d'une bagarre au pénitencier de Belle Reve, il est approché par Amanda Waller, la patronne de la Task Force X pour une mission spéciale en échange d'une remise de peine : capturer, mort ou vif, le Joker.
Azzarello utilise le Joker de manière presque sentimentale car quand il était Robin, lors de la saga Un Deuil dans la famille (par Jim Starlin et Jim Aparo, 1988-1989), il a été kidnappé et massacré par le Joker. A l'époque, un sondage lancé par DC avait permis aux lecteurs de décider du sort de Robin et comme Jason Todd n'était pas aussi apprécié que Dick Grayson, il fut ainsi exclu de la série. Mais comme dans les comics personne ne meurt jamais définitivement, en 2005, il revient sous l'alias de Red Hood, surnom emprunté au Joker avant qu'il ne devienne le clown du crime, grâce à Judd Winick et Doug Mahnke dans Batman #635.
Les deux personnages sont donc intimement liés pour toujours dans l'histoire des comics et c'est là-dessus que se fonde Azzarello pour la dynamique de son histoire : faire de Jason Todd le meneur de la Suicide Squad pour attraper le Joker, c'est lui donner la possibilité de se venger plus encore que de sortir de prison de manière anticipée. La composition de l'escadron réserve aussi des surprises où le goût de Azzarello pour des récits ancrés dans la réalité s'exprime : ainsi, Wild Dog reconnaît avoir participé à la marche insurrectionnelle sur le Capitole avec les supporters de Donald Trump en Janvier 2021. Le scénariste réintroduit aussi Harley Quinn dans la formation, mais moins comme un argument purement commercial (même si cela ne peut être esquivé) que pour sa relation toxique avec le Joker : elle reste cet électron libre mais qui partage avec Jason Todd un trauma lié au clown du crime, sans oublier une scène savoureuse où, en ex-psychiatre, elle saisit parfaitement le profil de Waller (une bureaucrate sans scrupules, manipulatrice se dissimulant derrière sa mission de serviteur de l'Etat).
Le déroulé de l'épisode est un vrai page-turner qui démontre la virtuosité de Azzarello, à tel point qu'on a du mal à croire qu'on vient de lire cinquante pages tant on les a dévorées. Le scénariste complexifie la mission en adjoignant des russes qui paient le Joker pour créer le chaos dans Gotham (qui est dépeinte comme une zone de guerre, de non-droit) afin de couvrir leurs traffics. Et il adresse des clins d'oeil aux cinéphiles quand le Joker agresse Waller déguisé comme Alex dans Orange Mécanique et reproduisant les gestes avec lesquels il ôta la vie à Todd (qui assiste à la scène sur son téléphone). La présence d'une taupe dans l'équipe et la mort d'un de ses membres suite à un sabotage évident rajoutent à la tension.
Pas de Eduardo Risso au dessin (il doit encore terminer la série Moonshine, également écrite par Azzarello, publiée chez Image Comics, et qui a connu bien des retards), mais Alex Maleev. On peut s'étonner que le dessinateur soit deux fois à l'affiche en ce moment, avec donc cette mini-série et Checkmate (écrit par Bendis), mais je pense que Suicide Squad : Get Joker ! a été achevée depuis des mois, si ce n'est l'an dernier, en attendant que DC donne le feu vert à Checkmate.
L'artiste bulgare retrouve le coloriste Matt Hollingsworth avec qui il a collaboré sur Daredevil et le résultat est magnifique, fruit d'une complicité évidente. Maleev est bien plus inspiré que sur Event Leviathan ou Checkmate ici, disposant d'un script rigoureux, qui lui laisse visiblement moins de lattitude pour le découpage. On ne compte qu'une seule double page par exemple et elle est très cadrée. Maleev alterne des planches en "gaufrier" et donc avec des cases de la largeur de la bande, c'est précis, il n'y a pas de déchet et pourtant, cette apparente contrainte lui convient bien car elle chaque plan a son utilité. "Un plan. Une idée" comme disait le cinéaste Sergio Leone.
En contrepartie, le fait que la série soit publié sous le Black Label autorise à des révisions esthétiques. Au début Red Hood est montré avec son casque rouge puis, une fois en mission, Jason Tood ne porte plus qu'un loup sur les yeux. Sous son blouson, on reconnaît un gilet ressemblant à celui qu'il avait quand il était Robin. C'est comme si le déguisement le renvoyait à la période tragique où son destin a connu un virage historique. Il est fort possible là encore que ce détail ait été indiqué dans le script.
Mais Maleev a sans doute été plus libre au moment de designer les membres du commando, subtil mélange de costumes super-héroïques (dans le cas de Firefly, Yonder Man, Silver Banshee...) et de vêtements plus casual (Peebles, Meow Meow...). Dans le cas particulier de Harley Quinn, Maleev a opté pour son costume contemporain mais sans l'hypersexualiser (pas de short moulant donc, mais un pantalon avec un bustier), pas non plus de chapeau mais des couettes bicolores.
Le découpage est sec, avec des angles de vue neutres, pas de fantaisie. Il y a quelque chose de minimaliste, d'austère, comme si Maleev avait refusé toute complaisance dans la représentation de la violence, tout enjolivement. C'est payant même si, évidemment, pas dynamique, mais le talent de Maleev ne s'est jamais exprimé par l'énergie de ses dessins, plutôt par leur intensité.
C'est donc une réussite. Pour Eduardo Risso, c'est un beau retour, pour Alex Maleev l'occasion de briller avec une histoire bien tenue. Et pour les fans de Suicide Squad, une excellente synthèse entre l'identité de l'équipe, sa fonction, et une aventure en dehors de clous et des limites du mainstream.
Avec, en prime, une fabulesue variant cover de Jorge Fornes :
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