mercredi 4 août 2021

BATMAN #111, de James Tynion IV et Jorge Jimenez


Batman #111 est le dernier chapitre de l'arc de la série écrite par James Tynion IV. Le mois prochain débutera en effet la saga Fear State qui touchera tous les Bat-titles, un crossover qui s'annonce spectaculaire (même si je suivrai pas toutes ses branches, car, à mon avis, l'essentiel se passera encore dans les pages de Batman). Jorge Jimenez illustre ça avec son efficacité et son énergie habituelles. Le divertissement est total.


Batman, Ghost-Maker et Harley Quinn débarquent dans le repaire du Collectif Insensé investi par les agents du programme Magistrat, développé par Simon Saint. Molly Miracle demande l'aide du dark knight car sa jeune amie, Sneak, est blessé et les membres du Collectif sont retranchés.


Ghost-Maker et Harley Quinn font embarquer les membres du Collectif dans le vaisseau du premier tadnis que Breaker, un allié de Molly Miracle, gagne du temps en affrontant Sean Mahoney/le Gardien de la Paix 01. Le Maire Nakano autorise la chasse à tous les justiciers et malfrats masqués.


Cela signifie que Batman est devenu l'ennemi public numéro 1, comme ses partenaires. Mais il entend bien empêcher le programme Magistrat : pour cela, il va rejoindre et confondre Mahoney, sur l'armure duquel il a placé un traceur, l'Epouvantail et Saint.


Laissant Ghost-Maker et Harley Quinn emmener les membres du Collectif Insensé à l'abri, Batman rejoint l'asile d'Arkham. L'Epouvantail s'affranchit du plan de Saint pour faire règner le terreur sur Gotham et neutralise Mahoney, puis piège Batman pour lui administrer sa toxine.

Depuis six mois et autant d'épisodes, le Batman écrit par James Tynion IV nous aura gratifié d'un récit d'action lancé à toute allure, sans aucun temps mort, conçu comme un piège dont les machoires se refermeraient inexorablement sur Batman. Chaque épisode s'ouvrait sur une scène où Batman était sous la coupe de l'Epouvantail qui lui avait injecté une toxine virulente lui faisant perdre tout contrôle de lui-même, ne distinguant plus la réalité du cauchemar.

En sus, avant le début de cet arc, en Janvier-Février 2021, DC avait suspendu toutes ses séries pour un event, Future State, évoquant un futur possible du DCU, en particulier à Gotham où une milice para-militaire, soutenue par le maire Nakano et financée le milliardaire Simon Saint, faisait régner l'ordre d'une main de fer, obligeant Batman à la clandestinité jusqu'à un affrontement final et mortel avec le Gardien de la Paix 01.

Mais l'éditeur avait insisté sur le fait qu'il s'agissait d'un futur probable, pas d'une certitude. Pourtant, tout l'arc de Batman qui a suivi, écrit par Tynion (qui n'avait pas participé à Future State), semblait corroborer les faits de l'event avec l'émergence de Simon Saint, son partenariat avec Nakano, la naissance du Gardien de la Paix 01, la position de plus en plus précaire de Batman et ses alliés.

La pièce qui manquait au tableau était celle incarnée par l'Epouvantail : Jonathan Crane collaborait avec Saint pour entretenir un climat de terreur sur les ruins encore fumantes de Joker War (l'arc ayant précédé Future State) et pointant du doigt la responsabilité de Batman dans la violence subie par Gotham. Le chimiste malfaisant n'était pas mentionné dans Future State mais son rôle a été parfaitement décrit et très habilement mis en scène pour justifier l'escalade sécuritaire vue dans l'event.

Ajoutez-y une autre force, le Collectif Insensé, sorte d'altermondialistes/anrachistes épris de justice sociale et ayant rassemblé des marginaux et des savants, pris entre deux feux (Batman se méfiant d'eux, la mairie et Saint les considérant comme des parasites). Vous aviez là tout ce qu'il fallait pour un feu d'artifice.

Et cette dernière marche avant Fear State ne déçoit pas : tout va encore plus vite, encore plus mal, encore plus fort. Il y a dans le Batman de Tynion une sorte de frénésie, à la limite de la surenchère, mais qui fonctionne malgré tout. C'est, à mes yeux, son meilleur travail dans le genre mainstream car le scénariste va droit au but, tout en ne cessant de creuser, d'exploiter son intrigue, d'en révéler les rebondissements, d'en enrichir les péripéties. Tout cela est rigoureusement ouvragé, et bien plus nerveux que son run sur Justice League Dark ou moins tordu que ses épisodes de Detective Comics. Ici, tout fonctionne, à fond les ballons, y compris des seconds rôles au charisme et au concept discutables (comme Ghost-Maker, Molly Miracle). Il faudra confirmer ça pour la suite, mais on rarement vu un crossover/event aussi bien préparé.

Le bonus, c'est évidemment la dernière scène, épatante, quand l'Epouvantail trahit Simon Saint : pour le criminel, instiller la peur pour établir un ordre totalitaire n'est pas une fin en soi. Il se pose en scientifique et voit Gotham, ses héros, ses vilains, comme des cobayes, des élèves pour qui il va jouer le rôle d'un professeur. Et faire la leçon à Batman en l'éprouvant comme il l'a patiemment planifié est un aboutissement. L'Epouvantail n'est pas le Joker qui jouit du chaos, c'est un expérimentateur. Ce n'est pas non plus Bane qui veut supplanter Batman par la force et la ruse combinées, c'est un testeur. Pour lui, le héros masqué comme le super-flic que représente le Gardien de la Paix sont des sujets d'études, et Simon Saint a été un mécène qui ne lui sert désormais plus à rien.

On saisit bien le potentiel d'un tel méchant pour un crossover, et pour moi l'Epouvantail est plus effrayant que le Joker, Bane, et ne parlons même pas du Pingouin. Cela faisait une éternité que je n'avais pas été aussi excité par un tel adversaire, dans un tel contexte : Batman est vraiment dans les cordes. En même temps, c'est aussi un test pour la nouvelle Bat-family, puisqu'avec Ghost-Maker, Harley Quinn, mais aussi Nightwing, Oracle/Batgirl, et des éléments imprévisibles comme Poison Ivy et la mystérieuse Jardinière, tout peut arriver. C'est presque dommage, pour Tynion, de ne pas pouvoir convoquer tout ce monde dans la seule série Batman et de se plier à l'exercice du crossover, où il doit partager son intrigue avec d'autres auteurs, au risque de la diluer ou qu'elle échappe à son contrôle. Imaginez ce qu'aurait donné un arc de Batman, et uniquement dans la série dédiée, avec ces personnages sous la plume de Tynion : assurément quelque chose de plus intense, de plus dense, de plus électrique, que la même histoire dans plusieurs titres simultanés.

Qui plus avec les dessins de Jorge Jimenez. Depuis que ce dessinateur peut assurer son travail au rythme mensuel (ce qu'il ne pouvait faire sur la Justice League de Snyder), on voit ce qu'il a dans le ventre. Voilà un artiste qui se donne sans compter, chez qui on sent une volonté de produire des épisodes à la hauteur du script et même au-delà. Il aime Batman, son univers, ses protagonistes, ses décors, et c'est visible.

La puissance qui émane de ses planches est encore une fois impressionnante, il ne retient pas ses coups et en même temps se fait plaisir. Ce plaisir est palpable, il irradie de chaque image, avec souvent comme des ponctuations de larges plans iconiques, ce genre d'images où l'artiste en donne pour son argent au fan mais aussi montre qu'il adore faire ce qu'il fait, qu'il se lâche. Voyez quand Batman et sa bande atterrissent chez le Collectif, ou quand Batman annonce qu'il va traquer l'Epouvantail grâce au traceur qu'il a collé sur l'armure du Gardien de la Paix, ou la page remplie d'écrans de contrôle dans le sous-sol d'Arkham depuis lequel l'Epouvantail suit les mouvements de Batman.

Oui, si Tynion et Jimenez étaient seuls maîtres à bord, seuls pilotes de Fear State, ç'aurait été fantastique. D'autant qu'on le sait, Bruno Redondo ne dessinera pas les épisodes tie-in de Nightwing, que Fernando Blanco est sur le départ sur Catwoman, que la série Harley Quinn de Stephanie Phillips a fait pschiit, et que Detective Comics ne bénéficie pas de Dan Mora à plein temps.

Mais enfin, tout, si la promesse de Tynion et DC se confirme, ou l'essentiel de Fear State devraient se lire dans les pages de Batman. Et ça s'annonce palpitant, grisant. 

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