Avec ce troisième épisode, Batman/Catwoman teste vraiment la résistance de son lecteur. La narration, plus fractionnée que jamais, de Tom King est un puzzle à recomposer, parfois énervant, il faut le dire. Visuellement, la mini-série reste splendide, mais Clay Mann frôle le ridicule à plusieurs reprises. C'est donc un objet très expérimental, qui, s'il prouve que son auteur a à coeur de se renouveler, n'échappe pas à un certain hermétisme.
Le Passé. Catwoman commet un nouveau cambriolage sur le lieu duquel le Joker l'a encore une fois précédé. Il continue de la faire chanter en lui révélant qu'il planifie un massacre. Si elle prévient Batman, elle sauvera des innocents. Mais Batman voudra savoir comment elle savait.
Le Présent. Phantasm continue de semer la terreur parmi les bandits de Gotham. Elle ignore que le Joker a été mis à l'abri par Batman mais sait que ce dernier doit savoir où est le clown du crime. Andrea Beaumont s'en prend donc à Selina Kyle, seule au manoir Wayne.
Le Futur. Helena Wayne a succédé à son père en devenant la nouvelle protectrice masquée de Gotham. Le commissaire Dick Grayson du GCPD l'informe que le Joker a été tué en Floride où il s'était retiré incognito. Helena décide de mener sa propre enquête.
Pour Helena, la mort du Joker survenant peu de temps après celle de son père ne peut être une coïncidence. Elle soupçonne sa mère de s'être vengée. Mais la police n'a trouvé aucun indice. Et Selina Kyle n'avoue rien à sa fille.
Pour que vous comprenez bien mon embarras, le résumé et les image qui l'illustrent ci-dessus sont dans l'ordre chronologique. Mais ce n'est pas dans cet ordre que se déroule l'épisode : comme précédemment, Tom King mélange les temporalités, en se passant volontairement de tout élément qui permettrait de situer l'époque des scènes. Et donc il faut s'accrocher, souvent à des détails, pour saisir ce qu'on lit.
Ce procédé, d'une narration aussi fractionnée et sans repères de temps clairs, King en a eu l'idée en relisant Love & Rockets de Jaime Hernandez où on passait en un éclair, et sans être prévenu, dans une même page d'une scène au présent à une autre dans le passé ou dans le futur. C'est une liberté que s'autorisent les auteurs de comics indés parce que, justement, le but est d'expérimenter, de faire voler en éclats les conventions, les codes narratifs. Dans le cas de Love & Rockets, en plus, Hernandez passe aussi rapidement du drame à la comédie, ose le fantaisie la plus débridée et l'intimisme le plus touchant. C'est une lecture exaltante mais exigeante aussi, à laquelle on peut très bien être complètement insensible.
Pour King, jouer avec la narration de cette manière fait partie d'une volonté de se renouveler. Il sait que des fans lui ont reproché des tics d'écriture durant son run sur Batman, avec des textes abondants, des gimmicks parfois lassants. Il a aussi pris conscience qu'il était assimilé à des histoires dépressives, explorant la psyché de héros brisés (Mister Miracle) et il veut désormais, avec Batman/Catwoman mais aussi Rorschach et Strange Adventures, surprendre, sortir de sa zone de confort.
C'est courageux mais casse-gueule - courageux parce que casse-gueule. Strange Adventures par exemple souffre de baisses de tension fréquentes. Rorschach déroute par son rythme lent et son intrigue filandreuse où les références à Watchmen sont allusives. Mais indéniablement, ça change de ce que King a produit auparavant. Même si au fond le scénariste est toujours rattrapé par ses obsessions avec des héros borderline, dépassés parce qu'ils traversent.
Le souci que j'ai eu avec cet épisode de Batman/Catwoman, c'est que ce fractionnement de la narration, cette succession de scènes courtes et les sauts dans le temps, c'est que j'ai trouvé que ça empêchait de vraiment s'immerger dans ces scènes, d'être ému. Tout ça est un peu aride, désincarné. On n'a pas le temps de comprendre vraimetn ce qui se passe, à quel point ça bouleverse les protagonistes, d'où viennent certains nouveau personnages, comment ils en sont arrivés là. C'esr... Compliqué.
Surtout, à plusieurs reprises depuis trois épisodes, j'ai l'impression que King, bien qu'il ait affirmé que cette histoire se situait dans le prolongement de son run sur Batman, s'attache à brouiller ce qu'il y avait établi. L'exemple le plus notable, c'est ce qui occupe le centre de l'intrigue, la relation entre Catwoman et les hommes - "ses" hommes : Batman et le Joker.
Parce que le Joker la fait chanter, Catwoman ment à Batman, et d'ailleurs celui-ci le sent, même si elle s'en défend. Cela fragilise leur couple alors même que dans ses épisodes de Batman, King insistait sur la confiance qui cimentait le couple que Batman formait avec Catwoman. Pourquoi, maintenant, Catwoman trompe-t-elle ainsi l'homme auquel elle a donné son amour ? C'est incohérent. Par ailleurs, je n'ai jamais eu le sentiment que, par le passé, Catwoman et le Joker étaient si proches que le montre cette histoire. King a-t-il voulu les lier pour optimiser l'efficacité de son intrigue ? C'est le plus probable, mais pas le plus facile à admettre.
Dans cet épisode aussi, on assiste à l'entrée en scène d'Helena Wayne, la fille de Bruce et de Selina Kyle. King l'introduit comme la nouvelle protectrice masquée de Gotham, comme si ça allait de soi. Mais ça aurait été encore mieux de justifier cela car embrasser la carrière de super-héros n'est jamais évident, ce n'est pas exactement comme si Helena s'était convertie après avoir assisté à l'assassinat de son père par exemple (Bruce est mort d'une longue maladie après un combat où il a été exposé aux radiations du Pr. Phosphorus). Ce n'est pas le seul problème avec Helena, mais j'y reviendrai.
En revanche, le scénariste se montre plus habile avec la réapparition de Dick Grayson qu'il imagine en nouveau commissaire du GCPD. Ce n'est une évolution forcément naturelle, mais c'est crédible. En fait, c'est comme si l'ex-Nightwing (puisque, visiblement, il a abondonné sa carrière de justicier masqué) succédait non plus à Batman, son mentor, mais à James Gordon, et ça, c'est malin puisque Gordon est le père de Barbara Gordon (alias Batgirl/Oracle), dont a longtemps été amoureux Grayson (peut-être va-t-on apprendre dans les prochains épisodes qu'ils sont en couple).
La présence de Batman comme de Phantasm d'ailleurs est très discrète cette fois. Mais on a droit à un face-à-face spectaculaire entre Phantasm et Selina. C'est peu. Mais symptomatique d'une narration fragmentée où l'impression de zapper d'une scène à l'autre, d'une époque à l'autre, rend chaque personnage fulgurant.
Je mentionnai un autre problème avec Helena et ça me fournit une transition pour évoquer le dessin. Batman/Catwoman est une série splendide, King ne mentait pas en assurant que Clay Mann allait impressionner tout le monde. Chaque planche est fantastique et cet épisode n'est pas avare en pleine page ou en cases aux dimensions généreuses qui permettent de savourer les détails, les textures, les jeux d'ombres et de lumières. Oui, c'est vraiment exceptionnel.
Clay Mann a trouvé chez DC un éditeur qui l'a laissé s'exprimer à son rythme. Il a parfois joué le fill-in artist, mais dans l'ensemble il a pu dessiner sur la longueur. Et quand malgré tout il ne tenait pas les délais, il n'a pas été remplacé, mais ponctuellement suppléé (comme sur Heroes in Crisis, dont il a pu assurer l'essentiel des épisodes). Surtout avec King, il a trouvé un scénariste qui l'admirait et l'a employé de manière bien pesée, notamment en lui confiant des diptyques sur Batman. Et qui a obtenu un an de délai pour que Mann puisse complèter Batman/Catwoman.
C'est donc un dessinateur de haut niveau qui s'est révélé, après avoir souvent frustré quand il travaillait chez Marvel. Batman/Catwoman n'arrangera pas sa réputation de dessinateur lent, mais marquera les esprits par la qualité de sa prestation.
Parmi les marottes de Mann, qu'on lui reproche parfois, il y a sa manière de représenter les femmes. Chez lui, les héroïnes sont des Aphrodites, d'une beauté sidérante, des statues en mouvement. Ses détracteurs l'accusent d'hyper-sexualiser les femmes et, par un raccourci un peu grotesque, d'être un artiste sexiste, ce qui me paraît être un malheureux malentendu parce que dessiner de belles femmes, sexys, ce n'est pas les avilir, c'est les sublimer. Comparez Clay Mann et Frank Cho et vous mesurerez que Mann n'est pas un simple adepte du "good babe art".
Alors oui, il est insistant sur les formes divines de Catwoman, mais pour moi, il veut surtout montrer à quel point Selina Kyle est la seule femme qui a vraiment tourné la tête de Batman. Par ailleurs, il la dessine athlétique, comme une acrobate qu'elle est elle, ce n'est donc pas un objet sexuel, d'autant que le personnage a la tête aussi bien faite que bien remplie, c'est une héroïne ambiguë, fascinante au-delà de son corps.
Mais, dès lors, pourquoi Mann a conçu un costume aussi ridicule pour Helena Wayne. Sans les couleurs de Tomeu Morey, on la croirait franchement à moitié nue. Mais surtout ce costume est... Moche. Il ne ressemble à rien, c'est un mauvais design tout simplement. Suffisamment mauvais pour qu'il vous fasse sortir de l'histoire quand le personnage apparaît car on ne voit que ça, une justicière dans un costume ridicule. Une faute de goût terrible, surtout si tôt dans la série.
Bref, ce troisième épisode n'est pas facile. Comme je le présentai, il met le lecteur, le fan à l'épreuve. Je crois qu'après cet épisode, soit on fait l'effort de passer outre ses défauts, soit on abandonne. Je choisis de poursuivre parce que ça m'intrigue. Mais indéniablement, ça risque d'être délicat.
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