jeudi 3 décembre 2020

THOR #10, de Donny Cates et Nic Klein


La même semaine où débute sa saga-événement (King of Black), qui le fait passer dans la cour des auteurs sur lesquels Marvel compte vraiment pour le futur, Donny Cates livre aussi, plus discrètement, son dixième épisode de Thor. Alors que le scénariste s'étonne que son éditeur l'ait laissé aller très loin dans son event, on notera qu'il se lâche déjà beaucoup dans le titre dédié au dieu du tonnerre. Et il est bien aidé par Nic Klein au dessin une nouvelle fois.


Donald Blake, après s'être débarrassé de Loki, se taille un chemin jusqu'à la salle d'armes du palais d'Asgard, sans faire de quartier. Il décroche la hâche Jarnbjorn du mur lorsque Lady Sif, Volstagg et Beta Ray Bill surgissent et le somment de se rendre.


Il refuse et Beta Ray Bill charge pour le raisonner. Mais Blake n'est plus la créature d'Odin. For de la magie qu'il a maîtrisé dans la dimension où il a croupi, il ne fait qu'une bouchée de son adversaire. Des guerriers arrivent renfort pour le maîtriser.


La bataille qui s'ensuit tourne au massacre. Blake est déchaîné et nul ne lui résiste. Volstagg, puis Fandral, Hogun et l'armada d'Asgard, tous tombent sous ses coups. Il désarme Lady Sif et exile toutes ses victimes dans une dimension démoniaque via le Bifrost.


Cependant, Thor trouve dans le monde où est resté Blake le serpent Jormungand, mortellemet blessé, au milieu d'un décor dévasté. Il apprend que Blake s'est taillé une armure dans la peau su serpent et lui a volé ses pouvoirs pour pouvoir s'en prendre à tous les proches du dieu du tonnerre...

Actuellement, il y a chez plusieurs scénaristes Marvel une volonté, bien légitime au demeurant, d s'affirmer à travers les séries dont il a la responsabilité. Afficher ses ambitions n'a rien de mal, il est normal d'en avoir pour convaincre le lecteur qu'on n'est pas un simple mercenaire qui utilise des héros dont l'éditeur a la propriété pour toucher son chèque pendant qu'on écrit des oeuvres plus personnelles dans le cadre du creator-owned.

Donny Cates est un des auteurs actuels sur lequel Marvel mise beaucoup  : l'éditeur lui a confié Venom et ce numéro 10 de Thor sort en même temps que le premier event dirigé par le scénariste et dont le symbiote est la vedette, King in Black. Pour bien communiquer sur la confiance qu'on lui accorde, Cates a déclaré qu'il avait été surpris de la liberté que lui avait accordé Marvel pour cette saga. 

Pourtant, alors que King in Black #1 risque d'éclipser Thor #10, on peut remarquer que Cates se lâche déjà beaucoup dans la série consacrée au dieu du tonnerre. Ce nouvel arc narratif, débuté le mois dernier, a marqué le retour de Donald Blake, l'alter ego de Thor, mais aussi une pure création d'Odin pour apprendre à son fils l'humilité dans ses jeunes années. Problème : après avoir séjourné pendant trop longtemps dans une dimension parallèle en attendant que Thor le rappelle, Blake est devenu fou et veut se venger pour avoir été oublié. Mais comment est-il devenu si puissant ? Et comment Thor va-t-il pouvoir revenir en Asgard puisque Blake a brisé sa canne qui permet au dieu du tonnerre et au chirurgien d'échanger leur place ?

J'avais exprimé dans mes critiques les réserves que m'inspirait le premier de la série écrit par Cates, six épisodes mal construits. Mais je reconnais au scénariste un vrai talent pour le grand spectacle et son association avec le dessinateur Nic Klein était très prometteuse. Puis il a enchaîné avec un diptyque illustré par Aaron Kuder, tout à fait désastreux. En vérité, tout cela était un résumé des forces et faiblesses de Cates. Et plus généralement de beaucoup de scénaristes Marvel actuels.

Quel est ce problème ? Sans doute l'écart qui existe entre les intentions et le résultat. Chip Zdarsky écrit Daredevil avec l'ambition d'une vaste saga, mais ses derniers épisodes m'ont complètement fait décrocher à cause d'options ahurissantes (DD se livre à la police parce qu'il est convaincu d'avoir tué quelqu'un, sans demander à ses amis d'enquêter, en plaidant coupable au tribunal, pour donner l'exemple à la communauté super-héroïque, mais en sollicitant Tony Stark pour carrément acquérir le quartier de Hell's Kitchen et le protéger durant sa détention). Kelly Thompson s'empare de Black Widow en nous entraînant sur une fausse piste épatante mais déçoit en tombant dans le travers de relier cette direction à son passé qui la rattrape. Dans ces deux cas (mais on pourrait en citer d'autres), un démarrage en trombe puis patatras !

Cates est malin et il a les dents qui rayent le parquet. A bien des égards, il me fait penser à Mark Millar. Il est d'ailleurs un bateleur comme lui qui vend ses séries et se vend avec beaucoup d'énergie et peu de modestie. Je le comparais, le mois dernier, à Thor lui-même dans ses jeunes années en me demandant s'il existait chez Marvel un Odin qui le canaliserait.

Ce qui frappe avec Prey (le titre de cette nouvelle histoire), c'est qu'on aurait aimé qu'il commence par elle car elle est plus directe, plus efficace, mieux définie que celle de The Black Winter. Cates relègue Thor lui-même au second plan, il n'apparaît que dans le dernier quart de l'épisode, pour apprendre avec nous d'où Blake tire son pouvoir et quel est son projet (même si sur ce point il est facile à deviner avant ces pages). Avant cela, le chirurgien occupe le devant de la scène et il est évident que le scénariste s'amuse plus franchement en mettant en scène la vengeance sanglante qu'il accomplit en décimant sans pitié une armada d'asgardiens (et pas des moindres). L'histoire avance au galop, Blake fiche vraiment les jetons tellement il a l'air possédé. Le "pire", c'est qu'on le comprendrait presque : qui n'aurait pas perdu la tête après avoir été oublié dans les conditions où il l'a été ?

Le souci, c'est que, bien sûr, après cette histoire, Donald Blake sera vraiment grillé, plus encore que lorsque Aaron avait décrété qu'il fallait mieux le laisser aux oubliettes. Cates orchestre un aller sans retour pour le personnage. C'est dommage donc, de mon point de vue, mais ma foi, l'idée est quand même valable. C'est un méchant inattendu, bien campé, efficacement exploité. Cates s'arrange avec quelques réalités propres à la série comme quand Sif se demande à voix haute où est Thor alors que, ayant hérité de l'omnivision de Heimdall, elle est en mesure de le localiseer où qu'il soit. Et donc, la cible de Blake est très convenue.

Cela est (au moins partiellement) compensé par le rythme très soutenu du récit et ses dessins. Nic Klein colle vraiment bien au projet de Cates avec lequel il partage une approche directe, parfois frustre. Son trait se fait même plus rugueux, gagnant en spontanéité ce qu'il perd en détail. Mais il aide beaucouop à croire à la dangerosité de Blake, mu par une rage glaçante, frappant avec une précision médicale. Et quand il représente Jormungand, le serpent gigantesque, c'est une vision saissisante.

Le découpage de Klein est simple, il use à bon escient de doubles pages, sans jamais céder à une grande image unique uniquement produite pour épater la galerie. Comme l'action est très violente, il sait aussi user du hors-champ avec savoir-faire pour ne pas sombrer dans une surenchère sanglante. Il laisse au lecteur de quoi imaginer ce qui se passe entre chaque plan. Très évocateur.

Tout ça est donc loin d'être mauvais, à défaut d'être subtil. On peut déplorer que Cates ne sorte pas de sa zone de confort et même douter qu'il en soit capable ou qu'il en ait envie. Tout ça est très premier degré, un peu bourrin. Cates n'a pas encore sombré dans le grand WTF d'un Zdarsky sur Daredevil. Mais il lui faudra franchir un cap s'il veut que son run, qu'il veut long, marque les esprits. Comem Thompson avec Black Widow. Comme Blake et Thor, il est donc à la croisée des chemins.

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