mercredi 2 décembre 2020

BATMAN/CATWOMAN #1, de Tom King et Clay Mann


Annoncée il y a un an, la mini-série en douze épisodes Batman/Catwoman débute enfin sa publication. Il s'agit d'un événement à plusieurs titres et j'aurai l'occasion d'y revenir. Mais c'est surtout une oeuvre ambitieuse et désirée par son scénariste Tom King et le dessinateur Clay Mann, qui ambitionne d'être leur The Dark Knight returns. Ce premier numéro met en tout cas l'eau à la bouche...


Le présent. Andrea Beaumont, une ancienne maîtresse de Bruce Wayne et ennemie de Batman, sollicite l'aide du milliardaire pour retrouver son fils, Andrew, âgé de 14 ans, disparu. Batman avec Catwoman se mettent à sa recherche.
 

Le futur. Selina Kyle, veuve de Bruce Wayne, rend visite à une vielle connaissance. Elle lui apprend la nouvelle et ils évoquent le bon vieux temps où tous deux étaient des criminels. Mais Selina est en mission.


Le passé. Catwoman vient dérober des bijoux à un homme de main de la riche famille Bertinelli et trouve un cadavre à la place. Le joker vient de l'abattre. Sur un toit, il lui demande si elle accepterait d'éliminer Batman dont elle connaît la véritable identité. Bien entendu, elle refuse.


Le présent. Batman et Catwoman trouvent Andrew Beaumont, visiblement assassiné par le Joker, et Bruce prévient Andrea...

Ce que je viens de résumer, je dois le préciser, ne tient pas compte de la structure spéciale de la narration car celle-ci se présente de façon beaucoup plus éclatée. On passe ainsi d'une scène à une autre avec des temporalités différentes, parfois les trois dans une même page. Vous l'aurez compris : Batman/Catwoman se présente comme un puzzle et l'ellipse y est reine.

Avant de revenir sur ce point, faisons le point sur cette mini-série et la raison de son côté événementielle. Pour cela, il faut remonter en arrière et reparler de la fin du run de Tom King sur Batman, au terme de 85 épisodes.

Le scénariste avait prévenu très tôt ses lecteurs qu'il comptait raconter une histoire en 100 numéros. Il avait avancé dans ce programme avec assurance, fort de chiffres de vente excellents (chaque copie s'écoulait aux alentours de 100 000 exemplaires). Puis arrivé à ce qui devait être la moitié de sa saga, King a connu une première polémique.

A ce stade, il était question du mariage de Batman et Catwoman, une étape sur laquelle DC et l'auteur avaient beaucoup "teasée" et qui se solda par une frustration générale puisque les deux personnages ne s'engagèrent finalement pas. Remis dans le contexte de l'intrigue, ce rebondissement n'en était pas vraiment un car King avait miné la romance minitieusement et il ne faisait donc guère de doute que cela ne constituerait pas une happy end de mi-parcours. Mais les fans n'étaient pas contents, ils avaient l'impression d'avoir été roulés dans la farine.

King a poursuivi son entreprise : Batman était démoli sentimentalement et allait connaître une longue descente aux enfers face à Bane, qui avait tout manigancé. A des confrères sidérés, le scénariste promettait que le supplice de Bruce Wayne durerait plus d'une vingtaine de numéros ! Et il tint promesse !

Si la série continuait d'afficher d'excellents scores, son editor n'était, paraît-il, pas enchanté par ce calvaire et aurait attendu que le lectorat déserte pour forcer King à revoir sa copie ou carrément l'évincer. Au final pourtant, c'est l'editor qui a quitté la série - et, alors qu'il a été récemment licencié par DC, la rumeur prétend que King aurait mis sa démission dans la balance pour qu'on le laisse tranquille à l'époque. Mais la roue avait tourné pour le scénariste aussi car, avec l'arc Knightmares, effectivement, les ventes déclinèrent. Le public en avait assez de la chute de Batman (moi-même, j'ai été lassé par ce passage). Il ne faisait plus guère de doute que King ne bouclerait pas son run en 100 épisodes. De fait, il l'a conclu au #85.

Le reste appartient à l'Histoire : appelé pour jouer les pompiers de secours, James Tynion IV est devenu le nouveau scénariste du titre-vedette de DC, en changeant complètement de direction - parfois de manière très cavalière et peu élégante. Mais King, lui, n'allait pas en rester là : il voulait terminer son histoire. Et DC le lui accorda, sous la forme qu'il préférait, une mini-série en douze chapitres, qui débute donc ce mois-ci, en parallèle avec deux autres titres équivalents en durée (Strange Adventures et Rorschach).

Voilà pour la contextualisation. King a affiché ses ambitions avec Batman/Catwoman : il veut en faire son The Dark Knight returns, vrai classique DC, qui fera date. Le délai d'un an entre l'annonce du projet et sa parution a permis à Clay Mann de produire suffisamment d'épisodes à l'avance pour que la série n'ait pas de fill-in artists, car là encore le dessinateur et le scénariste voulaient que le projet soit complet avec une seule équipe. 

 Ce premier numéro donne le "la", sans ambiguïté. Le rythme est étonnament soutenu (pour un script de King), la narration est éclatée, on suit une intrigue sur trois époques, et c'est une suite directe au statu quo laissé par King - qui se fiche donc de Tynion IV, qui a établi que Batman et Catwoman ont décidé de mettre leur relation entre parenthèses pendant un an pour décider si leur couple tiendrait le coup. Profitons-en pour, au passage, préciser que Tynion a suggéré que Batman/Catwoman était pour lui hors continuité... Alors que King a insisté pour affirmer le contraire depuis le début !

Tous ces imbroglios, narratifs et auteuristes, ne doivent pas parasiter le plaisir qu'on prend à la lecture de cet épisode. Car c'est très réussi, dynamique, accrocheur. King introduit dans le DCU le personnage d'Andrea Beaumont alias Phantasm, jusque-là seulement apparu dans le dessin animé Batman : the animated adventures et un épisode-culte, The Mask of Phantasm. Cette femme y était une maîtresse de Bruce Wayne et ennemie de Batman, qui connaissait une fin tragique dans un incendie avec le Joker.

 L'argument - la disparion du fils adolescent d'Andrea Beaumont (dont on peut se demander s'il n'est pas aussi le rejeton de Bruce Wayne) - fait un peu penser à celui imaginé par Enrico Marini dans son très bon Batman : the dark prince charming. Mais King a un style suffisamment spécifique pour que, passé ce point, son histoire ait sa propre identité. Et quand je dis qu'il va inhabituellement vite, c'est surtout parce que Batman et Catwoman trouvent très vite Andrew Beaumont, mort, et que l'identité de son assassin laisse peu de place au doute (mais méfions-nous quand même, ça me paraît trop simple).

 L'autre particularité, c'est donc la construction narrative de la série. Nous évoluons dans trois époques différents : ce qu'on peut identifier comme le passé, avec une Catwoman encore criminelle, proche du Joker ; le présent (qui fait donc directement suite au run de King sur Batman) où Catwoman et Batman son en couple et enquêtent ensemble sur la disparition d'Andrew ; et le futur qui lui renvoie à la seconde partie de l'Annual #2 (du Batman de King) après la mort de Batman, laissant Selina Kyle veuve et mère de leur fille, Helena (dont on apprend aussi qu'elle a une relation avec une femme).

Le rythme soutenu du récit vient du fait qu'on passe rapidement d'une époque à une autre, avec des scènes brèves,  qui vont à l'essentiel. King ne perd pas de temps, il part du principe que le lecteur de Batman/Catwoman connait son run de Batman, mais aussi The Mask of Phantasm (au moins dans le s grandes lignes). La surprise vient surtout du fait qu'on n'identifie pas tout de suite l'homme auquel Selina âgée rend visite (moi-même, troublé par une transition entre deux scènes, j'ai d'abord cru qu'il s'agissait du Roi des Egoûts - autre transfuge du DCAU) - et le coup de théâtre est très réussi.

King n'a pas assez de compliments pour qualifier le travail de Clay Mann, et ce depuis leur rencontre, quand l'artiste a été convié pour quelques épisodes sur Batman (des numéros toujours fabuleux, il faut le dire). Le scénariste estime même que son partenaire est le meilleur dessinateur de comics actuel (flatteur mais aussi un peu indélicat quand on fournit des scripts à Mitch Gerads, Evan Shaner ou Jorge Fornes).

Toutefois, difficile de ne pas être subjugué par les planches de Mann : ce n'est pas un artiste rapide et cela a causé des frustrations chez ses fans (dont je fais partie), notamment lors de Heroes in Crisis où il a vite été débordé (et suppléé par d'excellents collègues comme Lee Weeks, Travis Moore mais aussi... Mitch Gerads et Jorge Fornes). Pour Mann, c'est encore plus clair que pour King, Batman/Catwoman est le projet d'une vie, celui qui le fera entrer dans la cour des grands, qui excusera sa lenteur.

Mann aime les belles femmes, les hommes athlétiques, la belle image. C'est un esthète. Il assume dessin et encrage (le fidèle Tomeu Morey complète le casting avec toujours d'incroyables couleurs). Il est évident qu'il s'est beaucoup investi, redesignant avec mesure le costume de Catwoman et de Batman. C'est aussi lui qui a insisté pour que King utilise beaucoup Andrea Beaumont/Phantasm. Et il l'a reconnu, l'histoire impliquait qu'il sorte de sa zone de confort, notamment en dessinant des personnages âgés : qu'il soit rassuré, sa représentation de Selina et de son vieil ami est irréprochable.

C'est un épisode d'une beauté rare, avec un cachet presque européen, dans le souci du détail. On est au-dessus des standards d'un mensuel classique, avec trente pages de BD très ouvragées. Si tout ce qui suit est de ce calibre, ce sera un chef d'oeuvre visuel.

Il y avait de quoi être excité par ce projet. Et on peut avancer confiant après ce démarrage canon. Dans un an, nous pourrons dire si c'est effectivement un instant classic, mieux : un classique tout court. Mais les auteurs s'en sont donnés les moyens, y ont mis du coeur. Et ça, déjà, ça fait plaisir à voir et à lire.

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