Pour bien lire X of Swords, il faut être discipliné et donc respecter l'ordre de lecture des séries qui forment ce crossover. Tout commence donc avec Excalibur #12 par Tini Howard et Marcus To, suivi immédiatement par X-Men #12 de Jonathan Hickman et Leinil Yu.
Rapide rappel des faits : dans
Excalibur, Apocalypse a planté un portail permettant le passage de Krakoa à l'Outremonde, ce qui a déplu à Opal Luna Saturnyne, la maîtresse de l'Outremonde. Une bagarre s'est ensuivie au cours de laquelle Rictor est passé à travers le portail incomplet, Gambit et Rogue ont pris la fuite poursuivis par les fidèles de Saturnyne qui fait face à Captain Britain (Betsy Braddock).
Dans X-Men, l'Invocateur, le petit-fils d'Apocalypse, réapparu lors de la fusion de Krakoa avec l'île d'Arrakko, joue avec trois jeunes mutants curieux de sa présence avant que son grand-père ne les interrompe.
Apocalypse attire les Externels (un groupe de huit mutants immortels semblables aux Illuminati, dont il fait partie) dans un piège au coeur d'un volcan sur Krakoa. Grâce à Rictor, il en tue la moitié et obtient que les trois autres le suivent dans son plan.
Cependant, dans l'Outremonde, Gambit a dérobé une gemme dans laquelle est enfermé l'esprit de Candra, une Externelle qui a échappé au piège d'Apocalypse et réclame l'aide du voleur. Alors qu'il se présente avec Rogue devant Saturnyne, après avoir semé ses fidèles, et Captain Britain, Apocalypse attend sur Krakoa.
Gambit choisit d'aider Apocalypse contre Candra en lançant la gemme à travers le portail, ce qui a pour effet de finaliser le passage entre Krakoa et l'Outremonde...
Ceci fait, Apocalypse rejoint l'Invocateur et interrompt donc la partie qu'il jouait avec trois jeunes mutants. Il l'interroge alors que la chute d'Arakko après sa séparation d'avec Krakoa par l'Epée du Créspuscule et malgré l'intervention d'Apocalypse contre les monstres d'Amenth.
Livrés à eux-même, les gens d'Arakko sous la direction de Genesis, la femme d'Apocalypse, rebâtisse une société dont dix tours forment le périmètre. L'armée des monstres d'Amenth échouent à les conquérir. L'Invocateur naît il y a trois cents ans et grandit, sans connaître Krakoa.
Le prophète Idyll annonce la chute prochaine d'Arakko et motive Genesis à lancer une offensive décisive contre Amenth. Mais une cuisante défaite s'ensuit. Isca invite Genesis à une négociation avec Annihilation qui la tue en duel. Aujourd'hui, avec le Hurleur et Unus l'intouchable, l'Invocateur s'apprête à emprunter le passage qui mène de Krakoa à Arakko via l'Outremonde...
Le grand mérite de ce double prologue est d'assumer son rôle : celui d'exposer la situation, de planter le décor. Certes il faut un peu de souplesse pour plonger dans l'intrigue d'Excalibur, développé depuis onze épisodes, mais tout compte fait, la narration de Tini Howard permet d'appréhender suffisamment clairement les enjeux.
Ceux-ci sont simples : Apocalypse, depuis le début d'Excalibur, veut qu'un portail krakoan permette le passage entre l'île des mutants et l'Outremonde. Son équipe de terrain (composée de Captain Britain/Betsy Braddock, Gambit, Rogue, Rictor et Jubile) a affronté pour cela Morgane la Fée (combat au terme duquel Betsy a hérité du titre de son frère Brian) et doit maintenant négocier avec l'Omniversal Majestrik Opal Luna Saturnyne, gardienne de la paix entre les dimensions et fondatrice du corps des Captains Britain. Cette dernière n'est pas ravie par la manoeuvre d'Apocalypse auquel elle oppose une fin de non-recevoir. Captain Britain tente de négocier, Apocalypse continue de conspirer en parallèle.
Apocalypse n'y va pas de main morte : pour pouvoir profiter de cette étape-relais que représente l'Outremonde, il doit disposer d'une source énergétique à même de dépasser Saturnyne. Il convoque donc les Externels, l'équivalent des Illuminati chez les mutants, un groupe de huit dont il fait partie et dont une bonne moitié ne lui fait pas confiance. Ni une ni deux, il tue les récalcitrants avec l'aide de Rictor et obtient des trois autres (Séléne, Gideon et Absalom) leur complicité. Mais Candra réussit à échapper au traquenard et se réfugie dans une gemme magique volée par Gambit dans l'Outremonde. Candra tente de le convaincre de s'opposer à Apocalypse au profit de Saturnyne mais il lui désobéit. Apocalypse a ce qu'il voulait : un portail communicant antre Krakoa et l'Outremonde. Mais pourquoi ?
On le découvre à la fin de X-Men #12 : l'Outremonde permet d'accéder à la dimension souterraine d'Arakko. Jadis, Arakko et Krakoa formaient une seule et même île, Okkara, qui a été scindée par l'Epée du Crépuscule. La légende dit que Apocalypse a repoussé le responsable de cette cassure. Mais à quel prix ? C'est ce que va lui raconter l'Invocateur, son petit-fils, né et grandi à Arakko.
Jonathan Hickman adore la mythologie, c'est un jardinier, un bâtisseur de mondes. Mais tout monde, tout jardin a une histoire, et toute histoire s'appuie sur un mélange subtil de faits et de légendes. L'Invocateur va nous dévoiler sa version de l'histoire, celles des victimes d'Arakko, après que Apocalypse et Krakoa en furent séparés.
L'épisode est fascinant et a le souffle des épopées. Il est exclusivement narré en voix-off et illustré de main de maître par Leinil Yu, qui signe là son dernier chapitre (même s'il reste le cover-artist de la série). L'exercice sied magistralement à cet artiste plus doué pour les grands tableaux que les compositions dynamiques et les découpages fluides.
Hickman nous conte littéralement le passé d'un peuple brisé qui a dû se reconstruire dans un environnement hostile, à la merci d'une armée de monstres (à l'origine de la cission de l'île), l'armée d'Amenth. Il est question de tours erigées comme des remparts infranchissables ; de la femme d'Apocalypse, Genesis, devenue par la force des choses le leader des séparés ; de naissance, celle de l'Invocateur ; de défaite contre l'armée menée par Annihilation, d'un duel fatal, et de vengeance, de revanche.
X of Swords s'inscrit donc, apparemment, dans un cycle de vengeance, de revanche, celle d'Apocalypse contre Annihilation. les noms ds protagonistes sont programmatiques et en disent long sur la symbolique qu'ils expriment. On saisit alors mieux le sens du dernier chapitre de X of Swords, Destruction, car il ne peut y avoir qu'un seul vainquer dans ce match retour. Toutefois, quel prix les mutants de Krakoa paieront dans cette guerre, dont les origines remontent bien plus loin qu'eux ? Il semble évident que les conséquences de X of Swords feront des victimes, peut-être incurables même pour les Cinq, et plus profondément encore dans les rangs de ceux qui tiendront Apocalypse pour responsables de ce dans quoi il les a entraînés.
L'amuse-bouche du FCBD ne disait pas autre chose même si c'était sous une formulation plus cryptique quand Saturnyne tirait les cartes du Tarot qui prédisaient des trahisons, des sacrifices, des abandons, etc.
Indéniablement, l'épisode de X-Men est plus riche et puissant que celui d'Excalibur. Il est clair que Hickman est un narrateur plus chevronné que Howard et qu'il est l'architecte du projet. Pourtant Howard sert Hickman en orchestrant au présent une action déterminante - l'établissement d'un portail entre Krakoa et l'Outremonde - , suivi de conséquences immédiates - la mort de la moitié des Externels, le rôle déterminant à ce sujet de Rictor, le choix de Gambit. Et la scénariste confirme ce qu'elle suggérait : l'Outremonde est une sort de sas dimensionnel entre Krakoa et Arakko, donc vers Annihilation, l'ennemie jurée d'Apocalypse.
Sur ce dernier point, on peut regretter un léger manque de lisibilité : en effet, depuis qu'Arakko et Krakoa se sont réunies, je pensais que l'Invocateur était le dernier survivant de la première (ou alors que d'autres survivants d'Arakko allaient se manifester progressivement). Il apparaît que les gens d'Arakko (en fait l'armée d'Amenth, menée par Annihilation, et peut-être les anciens sujets de Genesis) se trouvent dans une dimension parallèle uniquement accessible via l'Outremonde. C'est un peu confus, mais l'essentiel reste que Apocalypse a été séparé de sa femme et des siens et que l'ennemi est désormais accessible. L'Invocateur part en mission de reconnaissance avec le Hurleur et Unus l'Intouchable pour Apocalypse.
Faisons un peu de prospective : si on consulte les convertures des prochains chapitres de X of Swords et notamment celle de X of Swords chap. I : Creation, dont la preview a été mise en ligne cette semaine (pour sa sortie Mercredi prochain), il semble que les quatre cavaliers originels d'Apocalypse soient du côté d'Annihilation, ce qui donne à cette dernière une force de frappe redoutable. Dans cette preview, on peut aussi voir que Unus l'Intouchable est prisonnier d'Annihilationet soumis à la torture (pour qu'il parle de la situation d'Apocalypse et de Krakoa certainement). C'est une veillée de guerre.
Comme le crossover se suit à travers toutes le séries de Dawn of X, on peut supooser que les compétences des mutants répartis dans diverses équipes vont être mises à contribution : la X-Force pour le renseignement, les X-Men comme première ligne de front avec Cyclope en commandeur. Les Hellions est une sorte d'équivalent à la Suicide Squad de DC et évolue dans une ambiance horrifique, donc je ne serai pas étonné qu'ils servent de chair à canon. Les connaissances futurites de (Kid) Cable seront certainement orientées. Excalibur va certainement stationner dans l'Outremonde. Les Marauders pourraient jouer un rôle de seconde ligne et évacuer éventuellement les plus fragiles ou les blessés, protéger les Cinq et exfilter les morts de Krakoa. X-Factor, qui enquête sur les morts et donc avertit de qui il faut ressuciter (pour éviter des doublons), me laisse plus dubitatif (d'ailleurs l'équipe n'intervient que dans un seul chapitre, le II).
Je tire des plans sur la comète, et donc je risque de me tromper, mais en tout cas cette distribution des tâches me paraît plausible.
Pour en revenir aux deux épisodes du jour, visuellement, c'est la nuit et le jour. Marcus To, qui a fait preuve d'une ponctualité remarquable sur Excalibur, est un dessinateur correct mais qui a la fâcheuse tendance à rajeunir tout le monde. Betsy Braddock, Malicia, Jubilé et Staturnyne ont toutes l'air d'avoir le même âge. Pourtant quand il représente Apocalypse, il lui conserve sa stature imposante, intact, et Gambit a aussi l'air plus âgé que les filles (pas beaucoup plus cependant). Les décors sont basiques, pas de folie (l'action se déroule majoritairement, il est vrai dans le creux d'un volcan éteint de Krakoa). Tout ça manque de souffle, de folie.
Yu, dans X-Men, fait lui ce qu'il fait le mieux , un livre d'images très évocatrices, avec une qualité iconographique notable. Le script lui permet de se concentrer sur les compositions des plans, sur des décors pas forcément très détaillés mais impressionnants. C'est très théâtral et figuratif. C'est davantage une tapisserie qu'une bande dessinée, qui s'attarde uniquement sur des images, des moments forts, cruciaux. Les personnages sont des titans, issus de temps très lointains, avec des peintures de guerre, des anatomies ad hoc. Tout rappelle qu'on est dans un récit mythologique avec des acteurs bigger than life. Même si j'ai été réservé par certaines de ses prestations au début de la série, il faut avouer que Yu n'a que peu de concurrents quand il s'agit de réaliser des épisodes pareils - à charge de Mahumd Asrar d'être à la hauteur pour les prochains chapitres de X-Men.
Voilà, vous avez à la fois un aperçu de ce qui se joue dans ce double prologue mais aussi dans la forme des critiques que je vais rédiger pour ce crossover. X of Swords est prometteur, malgré son gabarit à la limite de l'obésité.