mardi 24 septembre 2019

BLACK HAMMER : AGE OF DOOM #12, de Jeff Lemire et Dean Ormston


La fin annoncée de Black Hammer : Age of Doom est donc bien effective avec ce douzième numéro. Même si Dark Horse et Jeff Lemire promettent qu'il y aura d'autres spin-off, c'est quand même une page qui se tourne, une grande aventure qui se conclue. Une fin satisfaisante, avec bien entendu Dean Ormston au dessin, mais qui ne saurait consoler les fans...


Abraham, Barbalien, Gail et le colonel Weird ont retrouvé Mme Dragonfly dans un pavillon de banlieue où elle a refait sa vie. Mais sans perdre la mémoire, dans cette réalité réécrite, grâce à sa magie. Elle tombe le masque, tout en jurant ne rien pouvoir faire contre le retour de l'Anti-Dieu.


Si elle a effacé une nouvelle fois les souvenirs de ses partenaires, c'était pour leur permettre comme elle de refaire leur vie, de goûter au bonheur. Celui-ci est menacé par l'ennemi encore. Et si, comme le suggère Lucy Weber, la solution n'était pas dans le combat, mais dans la disparition ?


La fille de Black Hammer a compris que l'Anti-Dieu et l'équipe dépendaient l'un de l'autre. L'affronter n'avait rien réglé la première fois. Mais si les héros quittaient cette dimension, alors le problème serait résolu. Mme Dragonfly ouvre un portail dimensionnel...


Abe est à la ferme de Rockwood, marié à Tammy Trueheart. Ils reçoivent leur fils Mark (Barbalien) avec son compagnon, Paul Quinn. Et leur fille, Gail. Celle-ci retrouve vite le petit voisin, Sherlock (Frankenstein) pour jouer.


Toute la famille passe à l'intérieur. Abraham reste encore un bref instant dehors, savourant son bonheur. A Spyral City, Lucy Weber/Black Hammer veille sur la ville où le calme est totalement revenu.

Depuis que j'ai découvert Black Hammer, sa lecture m'a procuré parmi les meilleurs moments de ces dernières années dans la production comics. Cette série réunissait le meilleur des deux mondes, avec ses références aux héros mainstream et son ton résolument indépendant. L'oeuvre de Jeff Lemire et Dean Ormston (qu'il faut créditer comme co-créateur et pas seulement comme dessinateur) a, je pense, produit le même effet chez ceux qui l'ont suivie : de la curiosité d'abord, puis une addiction jamais démentie.

En annonçant, lors de son onzième épisode, que la fin était pour le prochain numéro, les auteurs nous ont pris par surprise (car on imaginait sans mal qu'il y avait encore de quoi tenir un bon moment) et en même temps ont fait preuve d'une intégrité exemplaire, en sachant conclure plutôt que de presser le citron et surfer sur un succès acquis depuis un moment.

Il n'empêche, ce terminus programmé chagrinait. Quand on aime, on ne compte pas, et surtout on ne veut pas que ça cesse. Les concepts développés par l'histoire sont si riches que Black Hammer pouvait encore durer un moment, voire même entamer un troisième acte après Age of Doom. D'autant plus que les séries dérivées continuent de paraître (comme l'actuel crossover avec la Justice League, Hammer of Justice !, et que d'autres sont en vue).

Mais dans un monde où les séries sont justement majoritairement des ongoing, illimitées, épuisant tout leur charme dans des relaunchs voire des reboots, finir, c'est aussi, pour des créateurs, dire au public que le format traditionnel n'est pas une norme incontournable. C'est aussi se mettre au défi de bien conclure. Dignement.

De ce point de vue, le dénouement de Black Hammer : Age of Doom est exemplaire. Il forme une sorte de boucle, qui ramène le lecteur et les héros au point de départ, tout en introduisant de subtiles variations. Et ce sont dans ces petits changements dans la continuité que se loge toute l'émotion. Il apparaît ainsi que Mme Dragonfly, qui a été le personnage le plus ambigu du lot, se révèle le plus bouleversant, et qu'elle se sacrifie pour sauver ses amis et le monde. C'est si discret, si pudiquement écrit qu'on ne le mesure pas complètement en le lisant : il faut le relire et analyser l'ensemble de l'épisode pour le saisir.

Lemire imagine aussi une issue pour Barbalien très sentimentale et malicieuse, à laquelle il associe Gail - et Sherlock Frankenstein. C'est tout à fait savoureux mais surtout très malin, mais sans ostentation. La scène finale est étrange et apaisante à la fois, on peut l'interpréter de bien des manières et je vous laisse donc cette liberté sans vous imposer mon avis. De toute façon, si la série nous apprend quelque chose, c'est de nous laisser porter par le fil du récit. Peut-être est-ce nous, les vrais habitants de la Para-Zone, qui avons assisté aux périples de cette équipe, et où a peut-être été renvoyé le colonel Weird et son robot Talky Walky...

Cette retenue s'applique au dessin de Dean Ormston. Je dois l'avouer, j'ai mis du temps à m'habituer à son style, à l'apprécier. On peut trouver qu'il n'est pas assez joli, pas assez beau, pas assez ceci ou cela. Mais finalement, en nous glissant entre les doigts, en échappant à la critique, c'est un dessin fuyant qui correspond idéalement à une série qui, elle-même, se dérobe, nous désoriente, nous déroute, nous défie.

Ormston est en tout cas, ça, j'en suis sûr, un narrateur impeccable. Il fait l'effort constant de rester toujours lisible, accessible, simple. Grâce à cela, Black Hammer évite le piège de la BD "auteuriste" trop bizarre pour séduire totalement, ou élitiste pour ne plaire qu'à un certain public. Sans la rigueur d'Ormston, sans doute le projet aurait-il été trop absurde, trop déjanté, trop difficile à suivre tout bonnement.

Ormston sert le script, l'histoire. C'est tout ce qui compte - et tout ce qui devrait compter. Lorsque Mme Dragonfly est démasquée, il ne met pas en scène ce moment de manière théâtrale : au contraire, il insiste sur la lassitude, la peine, le remords de l'héroïne. La confession qui suit sur l'amour qu'elle porte à ses amis, le mal qu'elle leur a fait pour leur bien, devient poignant. On lui pardonne alors tout comme les autres héros, désarmés.

Une seule fois, l'artiste lâche les chevaux quand ses personnages quittent notre dimension, mais la représentation du portail dimensionnel (Mme Dragonfly elle-même) est plus poétique formellement que spectaculaire. Ce refus du tape-à-l'oeil est superbe, un vrai pied-de-nez aux habitudes de bien d'autres dessinateurs pour qui une double page doit en mettre plein la vue au mépris de la narration et du sens du récit, de la cohérence générale du projet.

Il n'y a donc pas de grande bataille finale contre l'Anti-Dieu (et Lemire le justifie sans appel dans l'épisode). L'émotion contenue, l'impression de félicité dominent. Jusqu'au bout Black Hammer n'aura rien fait comme les autres. Tant mieux.  

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