jeudi 26 septembre 2019

POWERS OF X #5, de Jonathan Hickman et R. B. Silva


C'est déjà l'avant-dernier numéro de Powers of X, mais ne comptez pas sur Jonathan Hickman ni pour bâcler, ni pour délayer la sauce : cet épisode est encore plein comme un oeuf, avec des bonds dans le temps, des précisions cruciales, des situations clés, et des mystères qui s'éclaircissent. Le programme est copieux et superbement mis en images par RB Silva. C'est sans conteste le projet le plus abouti de Marvel cette année.


X-Men, An 1. Dallas, Texas. Charles Xavier rencontre Forge et lui demande de perfectionner Cerebro pour qu'il puisse, en plus de localiser des mutants partout dans le monde, recopier leur esprit. Xavier offre à Forge une source d'énergie illimitée, provenant des Shi'ar, pour développer ce projet.


X-Men, An 10. Paris, le Louvre. Emma Frost est abordée par le Pr. X et Magneto qui lui révèlent leur plan impliquant Krakoa. Sur place, elle accepte de participer à leur entreprise en devenant la distributrice, via le Club des Damnées, des drogues miracles produites par l'île.


Il lui est aussi demandé de convaincre Sebastian Shaw de devenir le porte-parole de la Nation X avec les pays qui ne reconnaîtront pas sa souveraineté. Pour la convaincre, X et Magneto offrent deux places (sur douze) au conseil de Krakoa, leur gouvernement provisoire. Elle en obtient une troisième.


Le Pr. X bat le rappel des mutants en les invitant tous à Krakoa. Amis et ennemis sont conviés pour bâtir un refuge. Mais un seul refuse : Namor fait remarquer à X qu'il adopte une position similaire à la sienne depuis des années, sans en mesurer les conséquences.


X-Men, An 1000. Les Phalanx acceptent d'intégrer les bibliothécaires dans leur structure en les y assimilant. Pour cela, il tue leur Ancien. La structure est prédatrice mais offre une protection aux bibliothécaires. Seuls deux entités effraient les Phalanx : Galactus... Et le Phénix.

Powers of X intervient souvent depuis le début de sa parution comme une sorte de complément à House of X, avec des sortes de scènes coupées, ou de making-of. Ce que HoX montre, c'est l'action, le mouvement. PoX, souvent les coulisses de ces manoeuvres, l'avant ou l'après, les rectifications effectuées en fonction des connaissances héritées des multiples vies de Moira McTaggert.

C'est particulièrement flagrant dans cet épisode qui revient sur des faits, de plus ou moins grandes importances en termes dramatiques, mais déterminants pour la compréhension de l'ensemble. On peut y observer la construction d'éléments purement mécaniques comme d'autres, plus symboliques ou politiques. Et cette scrutation de l'intérieur est fascinante. On a vraiment l'impression de relire l'histoire sous un autre angle, quelquefois plus intimiste, plus secret. C'est la petite histoire de la grande Histoire.

Jonathan Hickman a aussi conçu PoX comme une mini-série plus expérimentale, plus ludique, plus cryptique aussi. On s'y déplace dans le temps, à travers un chapitrage basique, avec des stations souvent éloignées les unes des autres, qui nous permettent d'apprécier l'évolution du projet de Nation X, les enseignements qu'ont tirés Magneto et Xavier des informations de Moira, les alliances scellées, les manipulations tactiques, et leurs répercussions dans un futur éloigné. Tout le processus de PoX est celui d'un grand architecte, pour qui tout est lié, et pour qui tout est édifice, alliance, ascension.

On démarre avec une scène entre Xavier et Forge au sujet de Cerebro qui dévoile la progression technologique de ce casque détecteur de mutants en une machine capable d'enregistrer leur âme et de la réinjecter, comme on l'a vu lors de la résurrection des huit X-Men tués en mission sur la station Orchis (HoX #4). Forge est un mutant dont le génie s'applique précisément aux machines, il vit dans un gratte-ciel à la réalité augmentée, entourée d'animations hyper-réalistes recopiant un environnement propice à ses créations - ici des fonds marins (ce qui me semble être une allusion préparatoire à une scène ultérieure entre le Pr. X et Namor, littéralement dans les profondeurs aquatiques).

Hickman, parmi toutes les qualités qu'il a déployées pour ce projet, se distingue par l'emploi de personnages secondaires auxquels il donne un rôle décisif. On l'a vu avec Cypher (qui est devenu l'interlocuteur de Krakoa), Mr. Sinister (le généticien qui a permis la résurrection des mutants), et bien entendu Moira McTaggert. Forge a été un membre actif des X-Men mais aussi un personnage trouble, qui, à cause d'une arme qu'il avait conçue, a un temps privé Tornade de ses pouvoirs (un chapitre mémorable pour les fans de ma génération dans le run de Chris Claremont). Ici, il est mis en scène à la périphérie et tardivement dans le déroulement de l'histoire, mais pour un usage déterminant (son nom a été précédemment mentionné pour la biotechnologie de Krakoa). Et une data page décrit encore plus l'amélioration qu'il a portée à Cerebro, ainsi que la création de divers "berceaux", depuis lesquels cet appareillage complexe est conservé.

Ensuite, nous avons droit au coeur de l'épisode, une séquence en trois temps, longue et passionnante. Emma Frost y tient la vedette. Jusqu'à présent, la reine blanche du Club des Damnés n'est que peu apparue, et pourtant Hickman a déclaré qu'elle était sa X-Woman favorite. C'est donc l'occasion de le prouver, et c'est fait en beauté.

Quel rôle joue-t-elle sur l'échiquier ? On l'a vue aux premières loges dans HoX #5, lors du vote aux Nations Unies pour la reconnaissance de Krakoa comme Nation mutante, et sa complicité avec le Pr. X était troublante (au point que le premier pardonnait, étonnamment, l'influence exercée par la seconde sur le vote). Cette fois, on assiste à la manière dont X et Magneto l'ont intégrée à leur plan d'ensemble. Elle y fait office de manager, de femmes d'affaires, et cette nuance modifie intelligemment le regard porté sur le Hellfire Club et sa reine blanche (au passage, une mention dans le dialogue indique que cette scène intervient après le récent one-shot X-Men Black : Emma Frost, où Emma délogeait Sebastian Shaw de son trône de Roi Noir).

En effet, à elle le Pr. X confie le soin de commercialiser les drogues miracles produites par Krakoa et distribuées aux pays ayant reconnu la souveraineté de l'île comme Nation X. Hickman, une fois encore, fait preuve d'habileté pour donner une place à part entière à un pan (à ma connaissance) inexploité chez les mutants : pour être pris au sérieux sur un plan économique, ils établissent donc une sorte de comptoir, depuis lequel s'écoulera leur production, leur richesse naturelle. Le scénariste a posé Krakoa comme un refuge, un pays, il en fait désormais une place financière. D'une certaine manière, c'est ce qui manque à toutes les équipes de super-héros classiques : souvent financées par un de leurs membres disposant de gros moyens (Batman pour la Justice League, Iron Man ou Black Panther pour les Avengers) ou alors au service d'un Etat comme un groupe d'intervention gouvernemental, elles sont en vérité des satellites, tiraillés entre leur envie de rester indépendantes et leur loyauté au pays dont sont originaires la majorité de ses membres (donc souvent les Etats-Unis). Et quand les éditeurs tentent d'animer des formations plus atypiques (comme avec les Inhumains), l'exploration de la société est négligée (on se rappellera que Marvel, lorsqu'il a voulu développer la franchise Inhumains, ambitionnait d'en faire un équivalent comics de Game of Thrones. Ce fut un échec, car les scénaristes n'ont jamais trouvé le moyen de dérouler des séries de cette ampleur.).

Mais Emma Frost ne devient pas que la ministre du commerce de Krakoa. Elle accepte de ramener dans la partie Sebastian Shaw, qui, lui, est sollicité pour devenir une sorte de ministre des affaires étrangères, en particulier pour parler (et négocier) avec des pays qui ne reconnaissent pas la souveraineté de Krakoa. C'est très malin, parce qu'ainsi la nature du personnage est conservée (une sorte d'intrigant peu fréquentable mais utile) tout en entretenant un partenariat avec les chefs mutants et sa rivale affichée. On devine tout le potentiel de la situation (et la future série Marauders de Gerry Duggan semble celle où tout cet aspect sera développé, avec un groupe de mutants au secours de leurs semblables dans des endroits à risques, financée par Frost et signalée par Shaw). Tout ça est fabuleusement excitant, et quand un scénariste réussit à piquer l'intérêt du lecteur, y compris pour des titres qu'il ne conduira pas, c'est fort.

Enfin, un troisième temps a lieu avec l'invitation de Xavier à tous les mutants de la Terre à venir s'installer à Krakoa. Cela a abouti à la scène finale de HoX #5, avec Apocalypse en chef de cortège d'une première vague d'anciens ennemis des X-Men ayant répondu favorablement. Il me semble évident que l'idée est à la fois celle de Xavier mais plus encore celle de Magneto car qui mieux que le maître du magnétisme a pu inspiré au Pr. X qu'il faut mieux avoir ses ennemis à portée de vue, voire même s'allier à eux, plutôt que de les tenir à distance et entretenir l'adversité. Il n'empêche, c'est une vraie poudrière, et sans doute que la future série X-Men (écrite par Hickman) s'appuiera là-dessus en partie (même si Apocalypse figure dans la nouvelle incarnation d'Excalibur).

Le scénariste a promis avant la parution de Powers of X #5 le retour du mutant que tout le monde attend. Et cette guest-star n'est autre que Namor (ce qui signifie que Hickman lui a conservé son statut de mutant). La scène, brève, mais intense, entre le prince des mers et X est exceptionnelle. Xavier implore presque Namor de "rentrer à la maison", Namor réplique sèchement en expliquant au professeur qu'il va devenir ce que, lui, est depuis toujours, quelqu'un préférant vivre à l'écart des humains. Mais le télépathe mesure-t-il l'importance de sa résolution ? Sans doute que oui, considérant les informations dont il dispose grâce à Moira McTaggert. Mais dans la bouche de Namor, et eut égard à ce qu'il traverse actuellement dans des séries comme Avengers (de Jason Aaron) et Invaders (de Chip Zdarsky), cela prend un relief particulier.

En effet, depuis plusieurs mois, Namor est redevenu une sorte de méchant, qui se bat avec une équipe pour protéger les océans, qu'il revendique comme son domaine exclusif. Il n'a pas hésité pour cette cause à tuer (donc à devenir un méchant) et à s'opposer à des amis d'hier (son amitié avec Captain America est désormais entamée comme jamais). Surtout les divers auteurs qui ont utilisé Namor semblent lui avoir conféré un regain de puissance notable (il a tenu tête, sans difficulté, à lui seul, tous les Avengers d'Aaron, qui compte des big guns comme Captain Marvel ou She-Hulk, voire Ghost Rider). Ainsi upgradé, Namor n'est pas seulement un bad guy en liberté, mais un adversaire qu'il convient de ne vraiment pas prendre à la légère. Une piste pour une future bataille entre X-Men et le prince des mers (comme avec Black Panther, puisque le Wakanda n'a pas reconnu Krakoa aux Nations Unies ?)? En tout cas, Namor figure ici comme l'égal, au plan politique, autoritaire, de Xavier, Magneto, Apocalypse - ce n'est pas un mutant de plus, mais un des leaders, qui fait sécession. Un authentique échec au tableau des conquêtes du Pr. X.

Cette longue séquence centrale est formidablement dessinée par RB Silva, peut-être ses meilleures pages depuis les premiers numéros avec les chapitres futuristes de l'An 100 (sur lequel Hickman n'est pas revenu depuis le braquage des archives de Nimrod et la fin de la neuvième vie de Moira). Silva anime Emma Frost avec un plaisir évident, sachant lui conserver sa séduction dangereuse tout en composant des plans où elle est face à Xavier et Magneto, des hommes à sa mesure.

L'artiste favorise les plans rapprochés sur la reine blanche pour souligner les émotions, les expressions du personnage. C'est une femme qui ne s'en laisse pas compter, moins froide, moins dans la retenue, qu'on a pu le voir auparavant (elle s'emporte immédiatement quand on évoque l'idée de rassembler tous les mutants à Krakoa - en souvenir de l'échec d'Utopia ?). Mais elle demeure surtout une négociatrice féroce, capable d'arriver à ses fins sans efforts (irrésistible moment où Magneto revient instantanément sur le pourcentage qu'il accorde à Emma pour les affaires qu'elle devra conduire).

Silva ne néglige pas non plus les décors (les simulations dans le labo de Forge, splendides). Il reproduit superbement la Victoire de Samothrace au Louvre, puis la végétation luxuriante de Krakoa, avant de passer au cadre hyper-futuriste de l'An 1000. Et la colorisation de Marte Gracia lui convient aussi bien qu'à Pepe Larraz.

Il est donc temps de dire un mot de la fin de l'épisode, située donc dans le futur lointain, avec les bibliothécaires des archives de Nimrod et les Phalanx. Depuis le début, Hickman entretient une écriture cryptique sur cette partie du récit, sauf que cette fois on commence vraiment à y voir plus clair. 

Le lien entre cette époque et les précédentes ne sautait pas aux yeux, mais il est question d'assimilation et de développement et de protection. Assimilation à une structure vaste, riche et puissante comme les X-Men pour tous les mutants hier, et avec les Phalanx ensuite. Développement parce que cette assimilation doit aboutir à une progression pour les bibliothécaires, dont le système sociétal est arrivé à son terme, voire commence à régresser dangereusement, tout comme les mutants se réorganisent dans le passé par rapport aux échecs répétés vécus par Moira dans ses vies antérieures. Et protection car les Phalanx assurent une sécurité aux bibliothécaires dans un concert cosmique où pour survivre, perdurer, il faut être absorbé par plus gros que soi, de la même manière que les mutants du passé ont fait de Krakoa leur refuge.

Surtout, dans un dialogue entre une réplique de Nimrod et un bibliothécaire, on comprend ce que Hickman a derrière la tête (semble-t-il). Les Phalanx représentent une force complexe, une singularité. L'étape presque ultime dans l'évolution. Mais surtout l'ampleur de cette structure apparaît dans son aspect qui ressemble à une chaîne déployée sur plusieurs galaxies et (peut-être) dimensions. Cependant, deux bémols apparaissent : d'abord, avec la scène où le doyen des bibliothécaires est dévoré par les Phalanx après qu'ils aient accepté d'accorder l'ascension, ce qui signifie que ce sont des protecteurs mais aussi des prédateurs. Et ensuite, et là c'est également très excitant pour ce que ça suggère, parce que les Phalanx ne craignent que deux choses, deux puissances qui leur sont supérieures : Galactus (lui-même un dévoreur) et... Le Phénix (pas besoin de vous faire un dessin pour expliquer le lien avec les X-Men, leur mythologie, leur malédiction la plus fameuse). 

Encore une fois, c'est une longue entrée que je consacre à la série. Mais c'est tellement dense, passionnant, il y a un tel potentiel, Hickman sait tellement bien piquer notre intérêt et inspirer nos réflexions sur sa réfection de l'univers mutant, qu'il est impossible de n'effectuer qu'un survol critique classique. C'est une oeuvre qui motive le commentaire, l'analyse, l'extrapolation, l'hypothèse. C'est ce qui pouvait arriver de mieux aux X-Men.  

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