mercredi 17 avril 2019

RACHEL SE MARIE, de Jonathan Demme


Tourné en 2008, Rachel se marie a été un échec commercial pour le réalisateur Jonathan Demme. Le sujet n'est pas facile et le traitement direct n'a pas aidé : ce n'est pas un film aimable. Mais ça ne l'empêche pas d'être un très bon film, et à ce titre, il mérite d'être reconsidéré. Ne serait-ce que pour la qualité de son interprétation, dominée par Anne Hathaway, Rosemarie DeWitt et la revenante Debra Winger, toutes trois extraordinaires.

Kym Buchanan (Anne Hathaway)

Kym Buchman bénéficie d'une permission de sortie du centre de désintoxication où elle suit un programme en douze étapes pour assister au mariage de sa soeur aînée, Rachel. A la maison de famille, son arrivée provoque tout de suite des tensions : son père, Paul, la surprotège, ce qui agace Rachel. Le futur mari de celle-ci tente d'apaiser la situation mais quand il présente Kieran, son garçon d'honneur, Kym reconnaît un des membres des réunions des Alcooliques Anonymes auxquelles elle participe.

Paul Buchanan (Bill Irwin)

La veille des noces, une réception est donnée par les Buchman et les William où chacun des convives porte un toast aux futurs époux. Mais quand Kym prend la parole, en évoquant sa toxicomanie et les répercussions que cela a eu sur sa famille, un malaise profond parcourt l'assistance. La soirée s'achève par une dispute entre Rachel et sa soeur à qui elle reproche de gâcher la fête et d'attirer l'attention sur elle en permanence.

Rachel Buchanan (Rosemarie DeWitt

Au cours d'une réunion des AA, Kym raconte l'origine de son addiction : elle a causé, sous l'emprise de la drogue, la mort de son petit frère, Ethan, dans un accident de la route. Ce drame a brisé le couple formé par ses parents, sa mère garde ses distances avec elle parce qu'elle ne lui a jamais pardonnée et elle-même est rongée par la culpabilité. Kym rend justement visite à Abby, sa mère, ensuite, mais leur conversation, d'abord sereine, dégénère vite au point qu'elles se giflent respectivement. En larmes, la jeune femme repart au volant de sa voiture et percute un panneau de signalisation, perdant connaissance.

 Abby Buchanan (Debra Winger)

Au matin, la police la récupère et une dépanneuse emmène le véhicule. Après s'être assurée qu'elle n'était pas ivre ou droguée, les autorités relâchent Kym qui rentre juste à temps chez son père pour se préparer pour le mariage. Rachel l'aide à s'habiller et à maquiller l'oeil au beurre noire que lui a infligée leur mère. 

Amy, Rachel et Kym Buchanan

La cérémonie se déroule sans accroc, suivie d'une longue fête jusque tard dans la nuit. Quand les deux soeurs cherchent leur mère, celle-ci s'apprête à filer en douce et, malgré leur supplique, ne s'attarde pas davantage, souhaitant beaucoup de bonheur à Rachel  et de courage à Kym. Une amie de Paul Buchman donne sa carte de visite à Kym pour lui proposer un emploi. 

Kieran, Kym, Rachel et Sydney (Mather Zickel,
Anne Hathaway, Rosemarie DeWitt, Tunde Adebimpe=

Le lendemain matin, Kym repart discrètement en cure avec une infirmière venue la chercher. En la voyant dehors, Rachel rejoint sa soeur pour l'enlacer tendrement.

Le film débute par une image détonante : on voit Anne Hathaway, le teint blême, les yeux soulignés d'un trait de Khol, les cheveux noirs, fumant nerveusement, en écoutant la confession d'un toxico, rabrouant un autre malade qui se moque du patient. La comédienne n'a plus rien des ravissantes héroïnes qu'on a l'habitude de la voir jouer et Jonathan Demme la filme comme une jeune femme brisée, à la dérive, dévastée par une ancienne tragédie, luttant contre ses démons, et qui va devoir faire bonne figure, bon gré mal gré, un week-end durant. On devine immédiatement que ce n'est pas gagné d'avance.

Cinéaste éclectique (on lui doit aussi bien Le Silence des Agneaux, en 1991, que Philadelphia, en 1993), documentariste aussi (Neil Young : Heart of Gold, en 2006 ; Stop Making Sense, en 1984), le réalisateur a choisi de raconter cette histoire simple et grave caméra à l'épaule, comme un invité du mariage qui veut immortaliser ce grand moment mais aussi surprendre des scènes en coulisses, parfois joyeuses, quelquefois gênantes, avant, pendant et après les festivités que son héroïne traverse comme un champ de mines.

Les scènes s'étirent donc parfois mais, ce faisant, traduisent parfaitement les longueurs inévitables de ce genre de célébrations. En dilatant ainsi le rythme du récit, Demme parvient aussi à créer l'ambiance propice à l'éclosion de crises trop longtemps étouffées, ces points de ruptures où, la fatigue gagnant les protagonistes, tout le monde finit par se dire ses quatre vérités. Dans la famille Buchman, on s'aperçoit ainsi vite que bien des choses ne sont pas réglées, empoisonnées par les non-dits. La malheur d'hier rejaillit aujourd'hui et le terrible poids qui écrase Kym justifie aussi son égocentrisme, son autodestruction : désignée, explicitement ou pas, comme la coupable, elle cherche moins à attirer l'attention qu'à implorer le pardon, moins à faire un numéro qu'à expier.

Anne Hathaway interprète ce personnage en permanence sur la corde raide avec force et nuance, prouvant qu'avec un rôle finement écrit et une direction exigeante elle est capable de bien plus que des rôles romantiques dans des comédies sentimentales lacrymales. En face d'elle, Rosemarie DeWitt est également formidable en soeur trop parfaite qui se consume de jalousie et se contient difficilement de l'embarras que lui inspire la présence de sa cadette. Entre elles, on retrouve la trop rare Debra Winger (elle s'est quasiment retirée du métier après avoir été une vedette dans les années 80 parce qu'elle jugeait que Hollywood discriminait les femmes en les distribuant dans des emplois de faire-valoir) : elle hérite du rôle le plus ingrat, celui de la mère, un monstre de rancoeur contenue, ravagée par la perte de son fils, incapable de vraiment pardonner. Ces trois femmes sont toutes des survivantes, en quête de résilience sans savoir comment y parvenir.

En contrepoint, Demme montre une communauté métissée d'invités, fantasme d'une Amérique paisible (le mari noir, le mariage inspiré des coutumes indiennes, les musiciens et leurs partition world) qui contraste avec ces Buchman "intranquilles". Le procédé peut sembler naïf, mais le cinéaste évite les clichés : à la fin de ce week-end, pas de pardon facile, de réconciliation évidente.

On quitte cette maison avec Kym repartant en cure, compatissant pour elle tout en sachant très bien qu'elle portera éternellement son fardeau. Malgré l'accolade finale avec sa soeur. 

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