lundi 12 février 2018

STARMAN, VOLUME 5 : INFERNAL DEVICES, de James Robinson, Tony Harris, Steve Yeowell, Mark Buckingham et Dusty Abell


J'avais commencé à critiquer cette série mythique qu'est Starman il y a plusieurs années (cinq-six ans ?) puis je m'en étais détourné après les trois premiers tomes, attiré par d'autres publications. Puis récemment, en quête d'une bonne lecture, je me suis souvenu de Jack Knight et eu la chance de trouver pour un bon prix cinq recueils (les Volumes 5, 6, 7, 9 et 10) qui me permettraient (avec certes quelques trous mais qui ne nuisent pas à la compréhension de l'ensemble) de terminer l'aventure. C'est donc reparti avec Infernal Devices qui regroupe les épisodes 28 à 35 et 38-38, écrits par James Robinson avec une belle bande de dessinateurs soutenant Tony Harris.


- The Return of Bobo (#29. Dessiné par Tony Harris) "Bobo", c'est Jake Benetti qui est de retour à Opal City après avoir purgé une longue peine de prison et se demande ce qu'il va faire - se réinsérer ou replonger. Pendant ce temps, Jack Knight apprend par une lettre de The Mist qu'elle est enceinte de lui et compte élever seule l'enfant à venir pour qu'il haïsse son père. Les O'Dare, famille de flics de la ville, surveillent Benetti mais quand celui-ci se décide à braquer une banque, il est précédé par le Royal Flush Gang. L'ex-gangster prête alors main forte à Starman pour maîtriser les malfrats : il sera ensuite embauché comme chef de la sécurité de l'établissement.


- Infernal Devices (#30-31-32. Dessinés par Tony Harris.) Le Professeur Pip commet plusieurs attentats à la bombe dans Opal City où rôde le pirate fantôme Jon Valor, autrefois exécuté pour trahison et le meurtre de son fils, Justin.


Le spectre souhaite être réhabilité et s'associe à Starman contre le Pr. Pip et son complice, Copperhead, essayant d'anticiper son prochain attentat.


Dans un geste héroïque inattendu, Salomon Grundy sauve des victimes au prix de terribles blessures. Jon Valor a regagné son honneur également mais Pip disparaît sans que nul ne sache s'il a survécu à sa dernière explosion.


- With Some Help from his Friends (#33-34. Dessinés par Tony Harris, Mark Buckingham et Steve Yeowell.) Pour sauver Grundy, entre la vie et la mort, Jack demande l'aide de son père, Ted Knight, le premier Starman. Celui-ci appelle en renfort ses amis Alan Scott/Sentinel (le premier des Green Lantern, son partenaire à l'époque de la Justice Society of America), et Batman. Ce dernier emmène avec lui Woodrue, un pensionnaire de l'asile d'Arkham à Gotham.
  

En explorant la psyché de Grundy, les héros affrontent sa part maléfique puis rencontre sa part positive qui accepte de mourir avec la satisfaction d'avoir sauvé des innocents. Le retour à la réalité laissera Starman, son père, Sentinel, Batman et Woodrue désoeuvrés et malheureux pour le géant albinos qui s'est sacrifié en sachant qu'il ne serait pas sauvé.
   

- Mr. Pip and Mr. Black (#35. Dessiné par Steve Yeowell et Tony Harris) Sentinel et Ted Knight savourent leurs retrouvailles. Jack renoue avec Sadie et couche enfin avec elle, prêt à s'engager amoureusement. Batman ramène Woodrue à Gotham. Mais Pip resurgit alors, prêt à se faire sauter et à détruire Opal City devant ses ennemis. Shade apparaît alors et le neutralise définitivement.


- Talking with David, '97 (#37. Dessiné par Tony Harris.) Comme chaque année, Jack retrouve son frère défunt, David, qui l'a précédé éphémèrement comme Starman, pour faire le point sur sa carrière de protecteur de Opal City. Cette fois, les deux frères participent à un dîner avec d'anciens membres décédés de la JSA - Mr. Terrific, Dr. Mid-Nite, Giovanni Zatara, Black Canary, Atom et Red Bee) et Jack écoute leurs conseils pour bien agir sans se laisser griser.
  

- La Fraternité de Justice et Liberté (#38. Dessiné par Dusty Abell.) Réfugiée en Grèce, The Mist élève seule son bébé tout en préparant son retour aux affaires. Elle attaque un musée à Paris gardé par la Justice League Europe. Elle en exécute méthodiquement tous les membres - à l'exception du trop puissant Firestorm, qu'elle a attiré dans un piège - pour s'emparer des diamants de Comtalle provenant de Markovie.

Faute d'avoir pu me procurer le tome 4 (Times Past), qui ne contient que des épisodes relatant des rencontres entre Jack et David Knight et un Annual, j'étais un peu soucieux au moment d'entamer ce recueil, mais mes craintes ont été rapidement levées car les épisodes présents sont parfaitement accessibles. Il est même étonnamment simple de redevenir aussi familier avec l'univers de Starman après avoir cessé de le lire pendant aussi longtemps, et on saluera donc d'abord l'effort de James Robinson en ce sens.

L'autre exploit de la série, c'est que ces épisodes ont déjà vingt ans d'âge et ils n'ont pas pris une ride. Le ton imprimé par l'auteur reste unique et original, prouvant que la modernité du projet n'était pas qu'un phénomène ponctuel : la singularité de Jack Knight reste valide alors qu'elle a été pensée en réaction aux stéréotypes d'une époque précise. A la fin des années 1990, les super-héros traversaient une période trouble et le marché des comics était frappé par une crise terrible. Dans ces conditions, les éditeurs laissaient aux créateurs la liberté d'oser tout pour tenter de redresser la barre et c'est dans ces conditions que Robinson opéra cette miraculeuse synthèse incarnée par Starman.

Jack Knight, il faut le rappeler, n'était pas voué à devenir Starman : son frère David avait repris le surnom, le costume et le bâton cosmique de leur père, Ted, avant d'être rapidement assassiné. Obligé de reprendre le flambeau, Jack devenait malgré lui le nouveau protecteur de Opal City et ses premiers exploits ne lui montaient guère à la tête, accomplissant son devoir sans enthousiasme, composant avec la famille O'Dare (qui dirigeait la police locale) et le mystérieux Shade, revendiquant le titre de vrai sauveur de la cité sans qu'on soit certain de son honnêteté.

Mais pas question tout de même d'enfiler un costume moulant ou un masque, et le bâton cosmique de Ted Knight devint une lance redesignée. Starman, c'était donc d'abord l'histoire d'un héros contrarié, d'un héritier malgré lui, d'un justicier improvisé. Vingt ans après, il a conservé sa modernité intacte.

Dans ce Volume 5, cependant, on constate une évolution sensible : après presque trente épisodes, la série ne peut plus se contenter d'exploiter cette veine cynique et nostalgique à la fois et son héros ne peut continuer à se comporter comme un héros par accident. Jack Knight commence à prendre plaisir à sa tâche et veut s'améliorer dans ce drôle de job. Ses relations avec son père sont plus apaisées, sa collaboration avec les O'Dare est devenu un partenariat (au point que les irlandais ont maintenant un des leurs en contact permanent avec Starman pour qu'il intervienne en cas de coup dur), et Shade tolère la présence de Jack comme il le ferait avec un allié.

Le talent de Robinson consiste à ne jamais sacrifier les deux éléments qui ont fait la marque de sa série : d'un côté, nous suivons toujours les aléas de la vie privée de Jack (il apprend que son ennemie, The Mist, a un enfant de lui et qu'elle va l'élever pour en faire son disciple criminel ; il fréquente Sadie qui devient son amante ; il s'appuie sur l'expérience de son père et des amis de celui-ci), et de l'autre, nous assistons à des actions spectaculaires contre des méchants coriaces (le Pr. Pip et Copperhead avec des attentats à la bombe - en 97-98, nous sommes à l'époque où "Unabomber" a été arrêté après avoir commis des attentats similaires pendant une quinzaine d'années).

Surtout, ce qui épate, c'est la manière dont le scénariste réussit à convoquer l'émotion dans cette combinaison d'intimisme et d'héroïsme : Robinson invite un pirate fantôme qui veut laver son honneur après avoir été trahi et tué son fils par mégarde, et pour cela il aide Starman. Puis il y a Salomon Grundy auquel l'auteur consacre une large part en l'impliquant inopinément dans l'affaire : gravement blessé après avoir sauvé des innocents, Batman, Sentinel, Woodrue (un méchant en quête de rédemption) et Jack (puis Ted) doivent explorer son esprit pour le ramener à la vie. Mais leur trip étonnant s'achève sur une note poignante qui saisit le lecteur.

Le recueil se conclut par deux récits autonomes : le premier est un de ces rendez-vous annuels entre Jack et son frère mort, David, et Robinson en profite pour questionner la notion d'héroïsme, la griserie que provoquent de bonnes actions mais aussi le danger que fait courir cette ivresse, l'aigreur que peut susciter le manque de reconnaissance, la camaraderie (et plus, si affinités) que peuvent ressentir les justiciers entre eux... Superbe réflexion, formulée avec clarté et force.

Puis on assiste au retour de The Mist, seule contre la Justice League Europe, éphémère déclinaison de la JLA, composé de "C-listers". Pas le meilleur segment de l'album, plutôt un prétexte pour montrer que la maternité n'a en rien diminué la dangerosité de la criminelle - en outre, ce sont, graphiquement, les pages les plus faibles du lot (même si le style de Dusty Abell ne sont pas laides, simplement quelconques).

Pour ce qui précède, visuellement, on est en revanche gâté, même si certains chapitres voient se succéder jusqu'à trois artistes aux styles très différents et nuisent donc à la cohérence esthétique de la série. Tony Harris, co-créateur de Jack Knight, se taille encore la part du lion et sa prestation montre un dessinateur qui s'est affirmé depuis ses débuts, détaché de l'influence de Mignola, et soignant ses planches par un trait réaliste très détaillé, avec des compositions audacieuses et des cadres ornementés de manière très sophistiquée, magnifiquement mis en valeur par l'encrage de Wade Von Grawbadger.

Il est ensuite épaulé par Mark Buckingham, dont la personnalité picturale n'était pas encore aussi définie que dans Fables et qui déçoit donc un peu. Par contre, Steve Yeowell (déjà salué pour sa prestation sur le titre Zenith écrit par Grant Morrison) séduit sans mal et préfigure même l'avenir de la série quand il succédera à Harris puis laissera la place à Peter Snejbjerg, avec ses images épurées, d'une élégance folle, mais aux effets mémorables (un sens de la lumière, du cadre, imparable).

Starman mérite bien sa qualité de classique moderne des comics super-héroïques, à côté de Watchmen, The Dark Knights returns ou Kingdom Come, pas seulement parce qu'il réinterprète les codes du genre mais parce que l'habileté avec lequel il le fait a gardé toute sa fraîcheur et sa pertinence.     

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