mardi 13 février 2018

BATWOMAN #5-6, de James Tynion IV, Marguerite Bennett, Stéphanie Hans et Renato Arlem


En Juillet 2017, j'avais lu et critiqué les quatre premiers épisodes de la relance de Batwoman... Puis, malgré un avis favorable, laissé la série en plan ! Sans doute avais-je été déçu que Steve Epting ne soit pas resté pour dessiner la suite, mais j'ai voulu découvrir ce que le titre était devenu, en reprenant là où j'avais arrêté - et qui comprend les deux derniers chapitres co-écrits par James Tynion IV.
  

- Blinding (#5. Peint par Stéphanie Hans.) Kate Kane est repêchée par Safiyah Sohail et transportée, pour être soignée, sur l'île de Coryana où sa sauveuse dirige des actes de piraterie. Kate apprend vite que Safiyah sait tout d'elle - héritière de la famille Kane de Gotham et ancienne militaire.


Mais rapidement sa présence sème le trouble : Tahani, l'amante de Safiyah, est jalouse d'elle et ses acolytes sont méfiants envers cette étrangère que sa famille doit rechercher, ce qui compromet la situation de l'île et leurs activités.
  

Safiyah refuse de croire que Kate les trahira, mais Tahani cherche néanmoins à s'en débarrasser en la faisant passer pour alcoolique. Safiyah le découvre et bannit Tahani de Coryana : il est clair alors qu'un sentiment amoureux réciproque existe entre Kate et sa protectrice.


Les complices de Safiyah apprennent l'exclusion de Tahani alors qu'ils préparent l'abordage d'un tanker qui va croiser au large de Coryana et dont ils veulent vider les soutes de pétrole. Kate se propose de remplacer Tahani sur cette opération. Mais la situation, sur une mer houleuse, par un nuit d'orage, dégénère et Kate est séparée de la bande.

Tandis que Safiyah et Rafael entreposent leur butin dans une grotte, ce dernier découvre que Tahani à bord d'une navette se dirige vers le tanker pour tuer Kate. Une vague géante emporte les deux rivales mais Safiyah repêche Kate et la ranime avant de l'embrasser.


- Pax Batmana (#6. Dessiné par Renato Arlem.) Gotham City. Cinq après le début du règne de Batman. Dans le vaisseau Séquoia de la Colonie, Kate Kane commande l'armée secrète bâtie par son père Jacob, avec Jason Todd/Red Hood en qualité de second.


Cette nuit-là, elle décide de descendre en ville, seule. Grâce à un équipement de pointe, elle déjoue la surveillance de drones et se dirige vers les quartiers de Free Gotham, zone pacifiée grâce au commissaire Renee Montoya.


Après que cette dernière ait accompagné son collègue Harvey Bullock à un taxi, elle remonte dans son bureau du commissariat central où l'attend Batwoman. La justicière est venue négocier pour mettre un terme à l'état policier de Batman, même si on n'a plus vu ce dernier depuis longtemps.


Leur conciliabule est interrompu par un trio d'hommes en armure, ressemblant à Batman, et lourdement armés, qui accuse Montoya de trahison. Batwoman les affronte mais dans le feu de l'action, un coup part et Renee reçoit une balle perdue qui la blesse gravement.


Agonisante, Renee avoue avoir toujours aimé Kate et lui soumet une dernière faveur : tuer Batman pour que son règne s'achève. Batwoman le lui promet en jurant de faire payer Tim Drake pour ce qu'il a fait à Gotham... 

Ces deux épisodes bouclent ce qui forme l'arc narratif collecté dans le premier recueil de la série paru depuis le nouveau statu quo "Rebirth". James Tynion IV quitte son poste de co-scénariste à la fin du numéro 6, laissant les rênes à la seule Marguerite Bennett.

Ce rôle de chaperon tenu par Tynion IV lui a sans doute surtout permis d'aligner la situation de Batwoman dans sa série à celle qu'elle tient dans le titre Detective Comics qu'il écrit seul depuis une quarantaine de chapitres (publiés bimensuellement). Pour l'auteur, Kate Kane est sensiblement différente du personnage établi précédemment par Greg Rucka et J.H. Williams en cela qu'il la traite comme une femme assumant franchement son homosexualité et sa formation militaire - sur ce dernier point, elle apparaît plus martiale, intransigeante, autoritaire, un peu comme une version plus impeccable (si c'est possible) de Batman.

Pour ma part, je déplore cette manière d'écrire le personnage, en le dépouillant de toute sensibilité : Rucka en avait fait une femme complexe, tiraillée par son identité sexuelle et sa vocation militaire (elle avait été renvoyée de l'armée d'ailleurs après avoir avoué à son supérieur qu'elle était gay), et bien qu'entraînée par son père pour devenir Batwoman, opposée à lui sur la méthode à appliquer pour faire régner la justice. Surtout Kate était inspirée par (et respectueuse de) Batman - alors que Tynion IV a installé la disciple et le maître dans une sorte de concurrence horripilante.

Pour en revenir aux épisodes 5 et 6 de Batwoman, on sent bien que les directions de Tynion IV et de Marguerite Bennett divergent sur la personnalité de Kate Kane. Dans le premier des deux numéros, qui a lieu dans le passé et raconte la rencontre avec Safiyah Sohail, la maîtresse de l'île de Coryana, l'héroïne vient d'échapper à la noyade après un accident de plongée et découvre une bande de pirates au sein de laquelle sa présence fait débat : elle est considérée comme une menace car potentiellement recherchée par sa famille, ce qui aboutirait à découvrir les activités abritées par l'île. Une dose de mélodrame corse l'affaire quand Tahani jalouse l'intruse en devinant, avant tout le monde, l'attirance qui naît entre Safiyah et sa protégée. La trahison de l'amante délaissée scellera son sort - et, comme on l'a découvert dans les quatre premiers épisodes, la transformera en ennemie.

Bennett imprime visiblement sa marque sur cette histoire, qui souligne l'aspect romantique de la série et aussi sa dimension romanesque, avec ses pirates, son île secrète. Tout cela est traduit visuellement par non pas les dessins mais les pages peintes par la française Stéphanie Hans : le résultat est superbe et exprime parfaitement la nature tourmentée de l'intrigue tout en sublimant sa simplicité tragique. La technique graphique employée est tellement inhabituel que l'épisode sort du lot et se suffit à lui-même tout en s'intégrant aux origines de Batwoman sans problèmes, comme la pièce d'un puzzle qu'on aurait retrouvée.

Par contre Pax Batmana (titre dont le faux latinisme est d'un ridicule achevé) est du pur Tynion IV, avec une vision pessimiste inscrite non dans un flash-back mais un flash-forward bien curieux en vérité. Nous voici propulsés cinq ans après le début du règne de Batman : ce futur semble à la fois lointain, si on se fie à l'âge présumé atteint par Kate Kane, Jason Todd ou Renee Montoya, et proche, car le décor ne présente pas les caractéristiques d'un avenir si avancé que ça (avec par exemple une technologie qui existe déjà).

A-t-on alors affaire à une dystopie classique, une sorte de récit façon "Elseworlds", où tout aurait mal tourné ? Ou bien le scénario raconte-t-il la réalité du Gotham dans quelque temps ? Ce n'est jamais précisé et du coup, le lecteur est à la fois libre d'en décider mais aussi désarçonné par l'absence d'indices.

La révélation finale sur l'identité de Batman à cette époque achève de dérouter, mais renvoie directement à l'association de Batwoman avec l'intéressé dans la série Detective Comics puisqu'il s'agit d'un membre des Batmen et non pas Bruce Wayne (je vous laisse deviner...). C'est d'autant plus suspect que les épisodes suivants de la série Batwoman n'ont pas l'air de développer un récit expliquant tout cela - et ça confirme donc que Marguerite Bennett a pris ses aises une fois débarrassée de Tynion IV...

S'il n'est pas affreux, le dessin, plus traditionnel, de Renato Arlem, qui emploie une technique normale (avec un encrage et des couleurs additionnelles) passe mal après les pages somptueuses de Hans. L'artiste est à son aise dans les plans larges, où les décors ont dû profiter de l'infographie, que dans les plans rapprochés, où l'expressivité des personnages est médiocre. De même la scène d'action qui oppose Batwoman à des soldats en armure ressemblant à Batman manque notablement de fluidité, surtout qu'elle est découpée sur une double page. Et le design appliqué au costume de la justicière est juste horrible.

Entre passé et futur, peinture et dessins, romantisme et anticipation, on voit là les limites d'une bande dessinée écrite à quatre mains mais par deux sensibilités différentes. Mais, en même temps, ce sont ces limites rédactionnelles qui donnent envie de lire la suite, pour savoir si Marguerite Bennett entraîne le titre dans une direction palpitante et originale et cela avec le concours d'un dessinateur régulier (Fernando Blanco).  

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