lundi 11 décembre 2017

PREMIER CONTACT, de Denis Villeneuve


Je n'ai finalement pas été voir Blade Runner 2049, échaudé par des critiques partagées et la crainte d'abîmer le souvenir de la prequel de Ridley Scott, mais comme j'ai quand même beaucoup aimé Prisoners et Sicario de Denis Villeneuve, j'ai choisi de compléter mes connaissances à son sujet en découvrant son précédent opus : le remarquable et remarqué Premier Contact.

Le vaisseau alien au-dessus du Montana

En douze points du globe, des extraterrestres débarquent sur Terre sans quitter leurs vaisseaux ovoïdes noirs suspendus au-dessus du sol. Cet événement mobilise aussitôt les forces armées des pays concernés. Aux Etats-Unis, le colonel Weber sollicite l'aide du Dr. Louise Banks, linguiste bénéficiant d'une accréditation secret défense, pour tenter de comprendre les raisons de la présence des visiteurs et leurs intentions (pacifiques ou belliqueuses) puis tenter d'établir un moyen de communiquer avec eux.
Le colonel Weber, Louise Banks et Ian Donnelly (Forest Whitaker, Amy Adams 
et Jeremy Renner)

Elle part donc pour le Montana où a été établi un camp militaire entourant un des vaisseaux, en compagnie de l'astro-physicien Ian Donnelly. Pour entrer à bord de cette immense coque les militaires passent par une trappe qui s'ouvre toutes les 18 heures et aboutit à une sorte de large baie vitrée derrière laquelle deux extra-terrestres ressemblant à des heptapodes (à cause de leur sept membres flexibles) les attendent. Donnelly les surnomme "Abbott" et "Costello", en référence au célèbre duo d'humoristes américains. 

Louise Banks

Les aliens tracent sur la baie des glyphes en projetant des jets d'encre et Louise les interprète comme un langage très synthétique où chaque signe peut exprimer aussi bien un mot qu'une phrase complète. Mais pendant ce temps la situation internationale se tend lorsque les experts chinois pensent avoir traduit un de ces logogrammes par le terme "arme". 

Un des étranges logogrammes des aliens

Deux soldats américains de la base du Montana, qui escortent Louise et Ian à chacune de leur visite dans le vaisseau, déposent, sans en aviser Weber, une charge explosive. "Abbott" sauve de la déflagration les deux scientifiques in extremis. Puis leur vaisseau change de position, s'élevant plus haut dans le ciel et devenant inaccessible. Les onze autres coques imitent cette manoeuvre partout dans le monde. 

Ian Donnelly

Ordre est donné d'évacuer la zone. Les chinois décident, eux, avec leurs alliés, de détruire les vaisseaux situés dans leur espace aérien. Louise, qui a compris que les appareils aliens forment une unité de la même façon que leur langage, quitte le campement pour se placer sous la coque dans laquelle elle est réintroduite via une capsule envoyée pour elle. 

Louise Banks

"Costello" communique alors avec la linguiste, lui apprenant que "Abbott" est mort après l'explosion, puis qu'elle peut lire le futur - c'est là en vérité le sens des flashes qui l'assaillaient depuis son arrivée sur le site et dans lesquels elle se voyait mariée, mère d'une petite fille et divorcée suite à la mort prématurée de celle-ci, des suites d'une longue maladie.

Le colonel Weber

Rendue aux siens, Louise parvient, en dérobant le téléphone-satellite d'un agent de la CIA, à contacter le général Shang, à la tête de l'armée chinoise, pour le convaincre de ne pas ouvrir les hostilités contre les extraterrestres. Progressivement, les alliés de la Chine stoppent leurs manoeuvres. Les vaisseaux disparaissent ensuite aussi subitement qu'ils sont arrivés.

Louise et Ian

Comme "Costello" l'avait dit à Louise, dans un lointain futur, comme ils ont permis à l'humanité de s'unifier, les humains aideront à leur tour les aliens le moment venu. Quant à la jeune femme, elle va vivre avec Ian, avec lequel elle aura une fille à qui, peut-être, ils épargneront une mort prématurée.

Présenté à la 73ème Mostra de Venise l'an dernier, Arrival de Denis Villeneuve a créé la sensation en se démarquant du tout-venant des films de science-fiction. Précédé de ce buzz flatteur, le film a ensuite divisé la critique mais a été boudé par le grand public, désarçonné par son style.

Premier Contact s'inscrit dans une double lignée : c'est à la fois un prolongement narratif et esthétique de ce que Villeneuve a produit dans son précédent opus (l'excellent Sicario), avec une héroïne progressant à tâtons dans une (en)quête dont le sens ne se révèle vraiment qu'à la toute fin, et c'est aussi une nouvelle exploration cinématographique d'une tradition fantastique où les humains cherchent à communiquer avec des extraterrestres.

Le résultat est à la fois captivant et nébuleux. Les thèmes creusés ici, comme le langage, le temps, la mémoire, sont ambitieux et le scénario choisit, comme la nouvelle dont il s'inspire, de les traiter sans verser dans le grand spectacle, avec une certaine austérité. La majorité des scènes se déroule dans des tentes où militaires et savants débattent du déchiffrage de symboles, hypothèquent sur leur signification, ou dans la coque caverneuse d'un astronef avec deux créatures, à la physionomie à la fois inquiétante et gracieuse et au comportement énigmatique, ne s'expriment que par des logogrammes aléatoirement traduits).

Ce parti pris peut dérouter, voire décourager, mais si on l'accepte, le jeu en vaut vraiment la chandelle : il s'agit bien de faire ressentir la nécessité de prendre du temps pour comprendre l'Autre. Eric Heisserer nous dispense de bavardages techniques assommants et pseudo-réalistes au profit de scènes silencieuses, de creux dramatiques, correspondant aux recherches hésitantes de la linguiste. Villeneuve met cela en scène en soignant l'ambiance à la fois tendue et suspendue, le rythme volontiers flottant, et c'est souvent envoûtant. On pardonne du coup quelques clichés (comme le personnage du colonel joué par Forest Whitaker avec son air de Droopy massif, ou ces enfilades d'ordinateurs devant lesquels s'affairent des experts dont la contribution semble bien discrète comparée aux efforts déployés par l'héroïne). Mais au moins échappe-t-on à des vues sur des salles de réunion avec des présidents, entourés de généraux va-t-en-guerre opposés à de plus raisonnables scientifiques, ou à des scènes de combat entre des extraterrestres et l'aviation militaire.

La partie plus "cosmique" du film est aussi plus inégale : Premier Contact arrive après des longs métrages écrasants sur le sujet (parmi lesquels Rencontres du 3ème type de Steven Spielberg, Abyss de James Cameron, ou le chef d'oeuvre indépassable que reste 2001 : L'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick). La comparaison est inévitable. Mais Villeneuve s'en sort avec les honneurs, grâce au soin qu'il a apporté aux designs (qu'il s'agisse de ceux des vaisseaux ou des extraterrestres et de leur langage) et par sa volonté de coller à son héroïne hantée non pas, comme on le pense au début, par des flash-backs traumatisants par des flash-forwards anxiogènes, ce qui donne une perspective étonnante à l'ensemble, une dimension contemplative, méditative et troublante. Le twist final est habile dans l'opposition qu'il établit entre l'innocence de ce premier contact et l'expérience existentielle (naissance, vie, mort) qu'il provoque.

Amy Adams s'aligne sur la tonalité feutrée du récit et livre une interprétation dense et émouvante, d'une sobriété intense, qui éclipse ses partenaires. Un jeu intériorisé remarquable. Jeremy Renner confirme qu'il est un acteur d'une grande intensité tout en conservant un jeu minéral.

Premier contact à l'image de son sujet ne se livre pas facilement, et peut même frustrer, mais c'est aussi une apologie vertigineuse de l'inconnu et une métaphore brillante sur le destin.

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