LES CARNETS DE CERISE : LE LIVRE D'HECTOR est le 2ème tome de la série, écrit par Joris Chamblain et dessiné par Aurélie Neyret, publié en 2013 par les Editions Soleil.
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Cerise retrouve, au milieu des grandes vacances estivales, ses deux meilleures amies, de retour de voyage. Elle est préoccupée, moins par la perspective de la rentrée au collège, que par un nouveau mystère qui a attiré son attention : cela déplaît à Erica, qui ne veut plus jouer les faire-valoir et la suivre dans une nouvelle aventure, et cause du souci à Line, qui redoute que leur trio soit trop affecté par cette histoire. Cerise pense aussi aux réactions de sa mère, qui lui a reproché son attitude passée, et de Mme Desjardins, la romancière qui ne veut pas qu'elle sacrifie ses relations sociales au bénéfice de sa curiosité.
L'affaire qui motive la fillette de dix ans et demi est la suivante : elle a remarqué, durant le mois de Juillet passé, l'étrange comportement d'une vieille dame solitaire et mélancolique, qui se rend une fois chaque semaine à la bibliothèque pour y emprunter toujours le même livre.
Cerise décide quand même de mener des investigations au sujet de ce bouquin, "La Rose et le Mortier" d'Hector Bertelot, en réussissant, grâce à la complicité de la bibliothécaire, à rencontrer celle qui l'emprunte, Mme Ronsin, et à le lire. Il est question d'un jeune romancier qui fut mobilisé durant la seconde guerre mondiale et en revint traumatisé, se murant dans le silence.
Mais cet homme qui décrypta des codes durant le conflit a laissé derrière lui plusieurs messages secrets à l'intention de celle qu'il aimait, au coeur même de la bibliothèque où travaillait Mme Ronsin...
Même si, donc, je n'ai pas pu commencer cette série directement par son premier tome (un des aléas propres aux emprunts dans une bibliothèque municipale), il me faut préciser d'entrée que Les carnets de Cerise est une collection de récits complets, avec quelques renvois à l'histoire précédente qui ne gênent la lecture si on démarre au tome 2.
Le titre est récent puisqu'il a été lancé en 2012 par deux jeunes auteurs, le scénariste Joris Chamblain et l'illustratrice Aurélie Neyret, aux Editions Soleil. Son succès a été immédiat et ne s'est pas démenti après trois volumes parus à ce jour : on comprend facilement pourquoi rien qu'en en feuilletant un car le graphisme dégage un charme irrésistible avec des personnages à la bouille expressive, des décors soignés et des couleurs délicates.
La bande dessinée qui s'adresse d'abord aux enfants, mais sans négliger son pouvoir d'attraction auprès d'un public plus adulte, est un exercice redoutable qui nécessite chez ses auteurs un sens de l'équilibre rare aussi bien dans la narration que pour les dessins. C'est d'ailleurs plus qu'un exercice de style : un genre en soi auquel se sont prêtés de grands noms du 9ème Art, un peu partout (de Roba avec La Ribambelle à Grant Morrison et Sean Murphy avec Joe l'aventure intérieure en passant par des chefs d'oeuvre comme Calvin & Hobbes de Bill Watterson et Peanuts de Charles M. Schulz). Tous les albums abordant ce thème de l'enfance renvoient aussi leurs lecteurs à leur propre jeunesse, leurs émotions passées, et invitent à comparer nos regards sur cette période avec ceux que des auteurs de BD traduisent.
Les carnets de Cerise est une excellente surprise car l'oeuvre échappe avec grâce à tous les clichés, évite tous les pièges : ce n'est jamais mièvre, bêtement gentil, sachant jouer sur la corde sensible sans sombrer dans la sensiblerie, et offrant une vraie proposition esthétique.
L'intrigue conçue par Joris Chamblain est dense et subtile, sa richesse et sa finesse mêlées requerront chez les plus jeunes une certaine attention (mais ne sous-estimons pas leurs capacités) et chez les plus grands de la vigilance (souvent négligé à cause d'une relative suffisance).
La construction du récit est astucieuse en tout cas avec cette histoire romantique à base de codes et la ponctuation des planches par des simili-pages de carnet (le fameux carnet de Cerise) où elle consigne ses pensées, colle des "photos", dessine des plans (à la manière d'un scrapbook).
Par ailleurs, avec un format de plus de 70 pages, l'album est étonnamment consistant : cela ne se lit pas si rapidement, mais le rythme n'en pâtit pas.
L'évocation de la guerre, des traumatismes qu'elle cause, de la vieillesse, mais aussi les ennuis que la curiosité occasionne chez Cerise - désaffection de ses amies, méfiance de sa mère, mise en garde de Mme Desjardins - sont parfaitement saisis. Le parallèle entre le destin de Hector Bertelot, qui n'a plus su communiquer avec le monde, et celui de Cerise, qui se coupe des autres en étant trop occupée par son enquête, est aussi bien vu et établi.
Esthétiquement, l'album est un enchantement et révèle le grand talent d'Aurélie Neyret, qui a fait ses armes dans l'illustration pour la littérature jeunesse en collaborant à J'aime Lire et Histoire Junior. Elle assure toute la partie graphique avec brio. Je vous invite à découvrir son travail dans le détail sur son blog (captainaurelieneyret.tumblr.com).
Représenter une fillette de 10 ans et 1/2 est périlleux, mais l'artiste s'en sort merveilleusement : la silhouette fine, les grands yeux marrons et brillants dans un visage plein de charme, les attitudes nuancées, les expressions variées et crédibles, sont admirablement rendus. Ma filleule qui a cet âge-là et une certaine ressemblance avec Cerise m'a permis d'apprécier la vraisemblance du graphisme sur ce point.
Mais Aurélie Neyret est aussi à l'aise quand il s'agit d'animer des adultes, comme la mère de Cerise et la bibliothècaire ou les dames âgées comme Mme Desjardins et Mme Ronsin. Ses décors sont toujours bien composés et le découpage aéré donne une respiration fluide au récit, avec un usage superbement dosé de plans larges (une seule splash-page mais à bon escient, pour une scène cruciale).
Les simili-pages de carnets sont également très bien produites, tout à fait crédibles, et le procédé est originale pour que lecteur accède aux pensées de Cerise, ses réflexions, ses doutes, ses espoirs, ses craintes.
Ne passez pas à côté de cette série fondante : que vous l'offriez à un/e jeune lecteur/trice ou que vous la lisiez pour votre seul plaisir, vous ne serez pas déçu. Essayez Cerise, c'est l'adopter.
Bonjour.
RépondreSupprimerCela fait longtemps que je suis votre blog (je suis abonné à son flux RSS).
Avec le temps, je le lis de plus en plus en détail, et avec de plus en plus d'attention.
Et, de plus en plus, une question me taraude :
Qui est donc cet homme qui consacre tant de temps et de sérieux à cette activité ? Et depuis si longtemps ! Au fil du temps et des anecdotes se dessine un profil, mais ça ril reste encore beaucoup de questions.
Donc, je viens passer commande : Pour la critique 666 (ou Triple-Six, je viens de citer Comanche), je serai chouette d'en savoir un peu plus sur l'auteur. Collectionneur ou pas ? Par conviction ou par manque d'espace ? Amateur de planches/dessins signés ? Fond d'écran ? Est-ce que c'est vous ou la la bibliothécaire qui n'aime pas Cosey ?
Merci pour ça et pour le reste.
Christian.
D'abord merci à vous, pour votre attention et votre fidélité. Être lu est toujours un plaisir. Donner envie de lire, c'est encore mieux.
RépondreSupprimerJe prends note de la "commande" pour la critique 666. J'en suis encore loin, donc j'aurai le temps de m'y préparer... Quoiqu'il n'y ait rien de spécial à dire sur moi. Je suis d'abord un simple lecteur, ancien auteur amateur qui est passé de "l'autre côté" en rédigeant des critiques. Pas collectionneur, mais curieux insatiable. J'essaierai donc, plutôt qu'une biographie, de consacrer cette future 666ème entrée à un ouvrage spécial pour marquer le coup.