mercredi 10 juin 2015

Critique 639 : LES CARNETS DE CERISE, TOME 1 - LE ZOO PETRIFIE, de Joris Chamblain et Aurélie Neyret


LES CARNETS DE CERISE : LE ZOO PETRIFIE est le 1er tome de la série, écrit par Joris Chamblain et dessiné par Aurélie Neyret, publié en 2012 par les Editions Soleil.
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Cerise est une fillette de dix ans et demi qui vit seule avec sa mère. Elle a pour meilleures amies Erica et Line, avec qui elle a construit une cabane dans la forêt près du village où elles habitent. De nature curieuse, Cerise a décidé de devenir romancière depuis qu'elle a fait la connaissance de l'écrivain Annabelle Desjardins, sa voisine.
Lorsqu'en remarquant dans les bois un mystérieux vieil homme tâché par les peintures dans les pots qu'il transporte, elle veut découvrir qui il est et ce qu'il fait. Cerise va ainsi découvrir que celui qu'on surnomme "Michel Ange" est Michel Langer, l'ex-décorateur du zoo qu'il fait revivre à sa façon en peignant les animaux sur les murs de l'endroit.
Ce zoo a connu trente ans auparavant son heure de gloire avant que le public ne s'en détourne pour les parcs d'attraction. Mais la fillette convainc le vieil homme de l'aider avec ses amis, enfants et adultes, à ressusciter ce parc animalier...

Ainsi donc, j'ai enfin pu lire le premier tome de cette série, qui a été un des récents coups de coeur, après avoir découvert les deux tomes suivants. Une certaine appréhension m'a saisi avant d'ouvrir l'album, nourrie par quelques questions : les qualités narratives et graphiques étaient-elles déjà là dès le départ ?

Hé bien, oui ! Joris Chamblain livrait déjà un petit bijou de bande dessinée avec cette histoire qui posaient remarquablement les éléments les plus séduisants de la série, mélange subtile de fraîcheur, de vivacité et d'émotion.

Le premier des atouts des Carnets de Cerise, c'est d'abord que le lecteur est placé idéalement pour adhérer aux aventures de cette adorable gamine : comme elle, nous espérons trouver une bonne histoire en découvrant le secret de gens apparemment banals, nous aspirons à dénicher de l'extraordinaire dans l'ordinaire. La curiosité n'est pas un vilain défaut puisqu'elle aboutit à une démarche positive et désintéressée à laquelle on ne peut qu'adhérer. Et le propos est tenu sans aucune mièvrerie mais avec énergie.

L'autre aspect séduisant de l'entreprise est sa construction en forme de conte : plusieurs points nous indiquent que ce dispositif narratif est employé, de la jeunesse candide et insouciante de l'héroïne au cadre de l'action (la forêt à la fois inquiétante et propice à l'enchantement) en passant par la rencontre avec un personnage au projet improbable et fantastique qui transcende le quotidien et transforme le parcours de la fillette et l'état des lieux en un décor enchanteur.

Joris Chamblain ne se prive d'ailleurs pas de glisser quelques allusions aux classiques du genre, comme quand Cerise entraîne ses amies Line et Erica sur la piste du vieux peintre dont elles suivent le trajet grâce aux tâches de peinture sur le sol, à la manière des cailloux semés par le Petit Poucet.

Les adultes sont décrits comme des êtres raisonnables (la mère de Cerise) ou favorisant le développement de l'imaginaire (Mme Desjardins), avant d'être rassemblés par un objectif commun (la restauration du zoo) et la résurgence de leurs propres souvenirs d'enfants (les visites au parc animalier dont l'éclat et le déclin sont symbolisés par le lion Oscar).

Ce qui peut apparaître plus artificiel, comme une béquille scénaristique, le fameux carnet de Cerise dans lequel elle transcrit toute son enquête et autres réflexions, est en définitive la dernière pièce de cette construction narrative où il ne s'agit pas seulement de vivre l'aventure mais encore d'en garder une trace, de la relater, d'en tirer des enseignements (souvent heureux, mais parfois aussi plus hésitants - comme le doute qui assaille Cerise, consciente qu'elle trahit la confiance de sa mère en lui cachant son enquête, et qui craint que cela n'entame leur relation ensuite).
De gauche à droite : Line, Erica et Cerise
(dessin d'Aurélie Neyret.)

Visuellement, Aurélie Neyret a établi dès ce premier tome la forme de la série, d'une grande qualité. L'artiste a déjà un style affirmé, ce qui évite cette impression parfois désagréable qu'ont les premiers tomes d'être moins ouvragé que les suivants.

Tout est déjà là de ce qu'on aimera, graphiquement, par la suite : un découpage très tonique, un trait délicat et expressif, le soin apporté aux décors (avec des extérieurs sauvages superbement rendus), et une colorisation magistrale.

Devoir représenter le travail d'un peintre dans une bande dessinée est toujours une gageure : il ne faut pas reproduire le style d'un artiste déjà familier, et en même temps démontrer une maîtrise certaine dans cette discipline. La révélation des "oeuvres" de Michel Langer permet d'apprécier le coup de pinceau prodigieux de Neyret et l'on est alors aussi ébloui que Cerise quand on le découvre.

C'est cela, la magie de cette série : parvenir à nous rendre notre regard d'enfant - comme Cerise, nous partons à l'aventure, découvrons dans les pages de ces albums des personnages et des endroits bouleversants, à l'esthétique superbe. Le produit de deux grands talents de la bande dessinée française actuelle : ne passez vraiment pas à côté, vous le regretteriez !

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