vendredi 12 juin 2015

Critique 641 : LES CARNETS DE CERISE, TOME 3 - LE DERNIER DES CINQ TRESORS, de Joris Chamblain et Aurélie Neyret


LES CARNETS DE CERISE : LE DERNIER DES CINQ TRESORS est le 3ème tome de la série, écrit par Joris Chamblain et dessiné par Aurélie Neyret, publié en 2013 par les Editions Soleil.
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En participant à un atelier sur la reliure, Cerise fait la connaissance d'une professionnelle de cette pratique, Sandra, qui l'invite à un cours particulier avec ses amies Line et Erica.
Dans la réserve de l'atelier, les trois filles découvrent un coffre rempli de partitions que Sandra reconnaît comme ayant appartenu à sa professeure de piano. En les lui rendant, toutes reliées, la jeune femme est entraînée par Cerise dans une authentique chasse aux trésors : chaque trouvaille la mène à la suivante et surtout la ramène à son passé, quand elle avait l'âge de la fillette.
Un livre de recettes (qui appartenait à la grand-mère d'Erica), un herbier (confié par son psychiatre), un album photo (du voisin de Sandra, qui était l'oncle de Nathalie, la mère de Cerise) et une lettre accompagnée d'un ultime cadeau invitent la relieuse à se remémorer un événement douloureux de son passé mais fondateur de sa vocation.
Pour Cerise aussi, l'expérience laissera des traces en la renvoyant au souvenir de son père disparu...

Ce troisième tome est encore meilleur que le précédent et atteint, lors de son dénouement, une émotion rare : il faut avoir le coeur bien endurci pour ne pas refermer le livre la gorge serrée...

En vérité, tout se passe comme si Joris Chamblain opérait une miraculeuse synthèse de tout ce qui forme la réussite de la série : Les carnets de Cerise est en effet une série sur l'enfance, certes, mais aussi (surtout ?) la force des histoires, celles qu'on (se) raconte, qu'on transmet, qu'on imagine. En la matière, la vraie vie dépasse souvent toutes folies de la fiction et c'est en explorant la vie d'une fillette à travers le prisme de la fiction, des histoires qu'elle se raconte et qui finissent immanquablement par la rattraper, la dépasser, que cette bande dessinée accroche le lecteur, le divertit, le fait vibrer, et l'émeut. 

Nous découvrons en même temps que la jeune héroïne les secrets d'une personne croisée par hasard : après la romance tragique de Mme Ronsin dans le tome 2, c'est le passé de Sandra qui est au coeur de ce récit. En avoir fait une relieuse apparaît comme une métaphore très habile : cela permet de prolonger l'aventure dans le monde des livres, dont est si friande Cerise, mais aussi de pointer que la jeune femme qu'elle rencontre n'a pas une existence aussi bien cousue que les ouvrages dont elle prend soin. De même qu'il faut, comme nous l'explique une séquence à l'atelier de Sandra, défaire un livre pour le réparer, le salut de Sandra passera lui aussi par le même procédé - exposant bien entendu des plaies plus vives, tout aussi profondes, mais que quelques efforts (sur soi) pourront corriger et apaiser.

La subtilité avec laquelle le scénariste aborde cette convalescence tardive, éprouvante mais salutaire, ce retour à la vie, et le parallèle qu'il établit entre ce qui est arrivé à Sandra et ce que vit, sans le formuler, Cerise révèlent une écriture remarquablement sensible, audacieuse dans le registre d'une bande dessinée qui s'adresse d'abord à un jeune lectorat et forte par sa capacité à éviter tous les écueils - nulle mièvrerie encore une fois, un ton toujours juste.

La construction de l'histoire est également inspirée : la découverte de chaque objet "trésor" conduit au suivant et aboutit à un climax d'une rare puissance émotionnelle. On comprend encore mieux pourquoi on est si touché par les enquêtes de Cerise, qui n'est plus simplement, à la dernière case, une gamine craquante mais une fillette si particulière. Sorti de l'album, on sait qu'on tient là une bande dessinée de valeur.

Les illustrations d'Aurélie Neyret sont une fois encore somptueuses : en exergue, elle avoue son plaisir à avoir pu représenter les décors enneigés et tirer parti de l'ambiance mélancolique de ce récit. Il est vrai que ce cadre est admirablement traduit visuellement et contribue à l'efficacité de ce conte de Noël, avec un découpage toujours aussi bien conçu et aéré.

Les plans sont formidablement bien composés, et Aurélie Neyret montre qu'elle est capable de gérer la disposition de plusieurs personnages avec adresse (comme lors de la visite à Mamie Vana) mais aussi d'exploiter des situations dans une configuration tout à fait différente, en ne lésinant pas sur les détails (voir le cabinet du psychiatre, le Dr Clergue, ou, avant cela, la pleine page où on découvre l'atelier de Sandra). Le choix des couleurs est magnifique, avec une palette privilégiant les jaunes, les rouges, les marrons, en contraste avec le blanc de l'hiver extérieur.

Les personnages possèdent une expressivité remarquable, des attitudes distinctes et justes, et on notera aussi la qualité apportée aux tenues vestimentaires, qui, même dans une bande dessinée qui ne vise pas un réalisme strict, donne une crédibilité bienvenue, empêchant de voir des enfants ou des adultes comme s'ils étaient déguisés.

Signe que Les carnets de Cerise a acquis un statut "culte" : les dernières planches, figurant le cadeau que reçoit Cerise de sa mère, avec huit illustrations signés par des artistes donnant leur version de l'héroïne (Victoria Maderna & Federico Piatti, Cédric Babouche, Romain Mennetrier, Guillaume Ospital, Line T., Jérémie Almanga, Nicolas Petrimaux et Clément Lefèvre : tous méritent d'être cités pour ces belles images).

Cette série est un coup de coeur : ne passez pas à côté, et une fois conquis à votre tour, partagez-le !

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