mardi 31 mars 2015

Critique 595 : LES TOURS DE BOIS-MAURY, TOMES 5 & 6 - ALDA & SIGURD, de Hermann


LES TOURS DE BOIS-MAURY : ALDA est le 5ème tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1989 par les éditions Glénat.
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Le chevalier Aymar de Bois-Maury et son écuyer Olivier atteignent les terres du seigneur Yvon de Portal qu'ils trouvent à l'abandon. En étant reçu dans son château en bois, le vieil homme confie avoir souffert de la mort de sa femme et du départ de son fils, Raymond, pour les croisades. A présent, il partage son lit avec la jeune Guillaumette, complice de la bande qui s'est établie auprès de lui. 
Il s'agit en vérité de la troupe de voleurs dont Germain, l'ancien maçon, est devenu le chef (suite à la mort de la Pie - voir tome 3) avec Marcus.
Alda, elle, s'est installée dans la ville voisine où elle tient une auberge et apprend que des chevaliers traquent les brigands dans toute la région.
Aymar finit par découvrir que Yvon retient sa femme et son fils en détention dans une fosse de la cour de son château et Germain, ayant reconnu le chevalier, l'aide à s'évader. Olivier est chargé de trouver des renforts pour libérer la place. Et Alda va s'employer à sauver Germain d'une mort certaine...

LES TOURS DE BOIS-MAURY : SIGURD est le 6ème tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1990 par les éditions Glénat.
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Un tournoi approche et Aymar avec Olivier gagnent le domaine de messire Landri. En en approchant, ils voient un superbe étalon blanc dont le front porte un médaillon en or mais sans réussir à le capturer.
En racontant cette anecdote, les deux visiteurs ne se doutent pas de l'effroi qu'ils provoquent chez le seigneur et ses gens, qui craignent le retour de Hervör, l'ancien maître des lieux qui a maudit les siens après avoir été assassiné par son fils Sigurd en 963.
Lorsqu'un participant au tournoi disparaît, Aymar part à sa recherche, seul, et va être entraîné dans une étrange aventure aux frontières du réel, expliquant la conversion à la religion chrétienne des anciens descendants vikings du coin...

Ces deux tomes représentent un tournant dans la série puisque le 5ème épisode conclut le premier cycle des Tours de Bois-Maury et le 6ème représente un intermède dans la saga, avant que Hermann ne redirige son histoire jusqu'au terme du tome 10.

Comme pour mieux signer ce virage, mais cette fois visuellement, on constate que Fraymond n'est plus en charge de la colorisation : Hermann s'en occupe pour le tome 5, avant de provisoirement laisser la place à Zeljo Pahnuck au 6ème. Le titre n'en ressort pas profondément transformé, mais une nouvelle palette est sensiblement mise en place.

Toujours avare en détails permettant de situer géographiquement et historiquement son récit, Hermann laisse au lecteur le soin de deviner que du temps a passé depuis le chapitre précédent (Reinhardt) : on le remarque notablement en retrouvant Aymar et Olivier qui ne sont plus au service du marchand qu'ils escortaient. Le chevalier et son écuyer sont en nouveau en route pour le fief de Bois-Maury, qui ressemble de plus en plus à un pays fantasmé et lointain : en vérité, les deux hommes sont des voyageurs errants, profitant de leur voyage pour saluer des connaissances, et ils sont alors embarqués, malgré eux, dans des intrigues où ils portent secours à ceux qu'ils jugent en détresse.

La relation entre Aymar et Olivier est complexe, d'autant plus que, là aussi, Hermann ne la formalise pas ou très peu : à les voir cavaler côte à côte, peu de choses semble distinguer l'un de l'autre, le chevalier ne traite pas son serviteur comme tel. Aymar est un être secret, taiseux, on lui prête un âge mûr (une bonne quarantaine d'années), de l'expérience au combat - et dans ce tome 5, on en trouve une nouvelle confirmation quand il est obligé de se camoufler dans les bois et qu'il exécute un des voleurs avec une redoutable efficacité puis qu'il affronte Marcus. 
Olivier est un compagnon fidèle, loyal, dévoué, mais pas du tout décrit comme un serf : il semble autant attaché à son maître qu'à un ami, surtout parce que celui-ci ne le considère pas comme un subalterne mais bien comme un second, un bras droit, un partenaire.

Ces rapports de classe sont justement au coeur d'Alda où l'on rencontre un seigneur aveuglé par l'amour d'une gourgandine, complice d'une bande de voleurs - cette assemblée réunit des êtres réunis par l'appât du gain, solidaires et sans scrupules : y retrouver Germain, désormais à leur tête, résume de manière saisissante l'évolution de ce personnage, même si, en apprenant qu'Aymar est l'invité puis le prisonnier d'Yvon de Portal, le renvoie aux origines de sa corruption (quand il eût la main ébouillantée après avoir été accusé du meurtre du chevalier qui avait violé son amante, Babette - voir tome 1) et le conduira à s'acquitter de la dette qu'il a envers lui en lui permettant de s'évader (il ignore pourtant qu'en faisant cela il condamne ses acolytes).

Le scénario s'appuie sur un équilibre épatant, où, pour la première fois, les situations du héros (Aymar) et d'un des seconds rôles récurrents (Germain) sont développées équitablement. Le dénouement, spectaculaire, est amené avec une magistrale fluidité, toujours sur un court laps de temps, après une succession de scènes mouvementées et plus calmes, des séquences diurnes et nocturnes (encore une fois splendides). Ce n'est pas tant l'originalité du dispositif que son efficacité qui rend la lecture aussi plaisante et prenante, avec, de plus en plus, un souci prononcé pour produire des dialogues imitant le langage de l'époque, un vieux français au vocabulaire évocateur.

En comparaison, Sigurd provoque une surprise totale : dès les premières pages, avec l'apparition de cette spectrale monture au front orné d'un talisman, le fantastique s'invite franchement dans le récit et y introduit une ambiance inquiétante, troublante, intense, que Hermann manie avec virtuosité.

La série s'est toujours distinguée par sa capacité à générer des images mémorables, des atmosphères puissantes, et ce 6ème tome le confirme comme une ponctuation éblouissante. Il est visible que l'auteur a fait plaisir à l'artiste, au point que plusieurs pages sont muettes (et, au demeurant, tout l'album pourrait se passer de texte en conservant sa lisibilité tout en augmentant son aspect atypique et fascinant).

Pourtant, il ne s'agit pas que d'une parenthèse fantasmagorique : cette aventure bouleversera profondément Aymar pour qu'il prenne une décision finale ré-orientant nettement son parcours, et aussi celui d'Olivier. Comme pour annoncer ce revirement, au tout début de l'histoire, une scène, a priori insignifiante, souligne une altération dans la relation du chevalier et de son écuyer - lorsque ce dernier, en rattrapant son cheval de bât, ramasse le bouclier de son maître, celui-ci le rappelle sèchement à l'ordre. Plus tard, on verra Aymar partir enquêter sur la disparition de Joscelin de Courcy, seul. 

Graphiquement, donc, ces deux épisodes sont époustouflants : Hermann y déploie une fois encore son génie pour représenter la nature dans son expression la plus sauvage et compose des plans comme autant de tableaux. 

Qu'il s'agisse du domaine de Portal en Automne ou du château de Landri avec ses falaises contre lesquelles se fracassent les vagues d'une mer déchaînée (où semble voguer un drakkar), le trait allie précision (avec une méticulosité ahurissante, semblable aux gravures de Albrecht Dürer, avec des tapis de feuilles, des arbres fournis, des pierres aux fissures presque palpables, une brume épaisse faite de milliers de points) et puissance (la façade du bâtiment de bois de Portal, la pleine page du château de Hervör).

Les personnages sont campés avec le même talent, avec un souci de réalisme saisissant, mais sans que la reconstitution n'étouffe jamais le souffle du récit. Des silhouettes inoubliables, particulièrement dans Sigurd, traversent les pages, des visages familiers refont surface (Alda, Germain, Marcus), les héros sont marqués subtilement par le temps qui passe (des rides, une bedaine naissante, une allure plus lourde).

La conclusion de ce premier cycle des Tours de Bois-Maury est fabuleuse. Relire la suite promet énormément, mais le doute est mince qu'Hermann se rate quand on voit avec quelle inspiration il anime cette saga.

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