mercredi 1 avril 2015

Critique 596 : LES TOURS DE BOIS-MAURY, TOMES 7 & 8 - WILLIAM & LE SELDJOUKI, de Hermann


LES TOURS DE BOIS-MAURY : WILLIAM est le 7ème tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1991 par les éditions Glénat.
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Aymar a décidé de partir en Terre Sainte et accepte pour ce voyage d'être accompagné par William, fils de messire Harold, un de ses vieils amis.
De passage à Bruges, où d'autres chevaliers sont sur le départ pour la même destination, après quelques jours en mer, Aymar est pris d'une forte fièvre qui le cloue au lit pendant six jours. Il laisse donc William partir sans lui. Olivier prie pour le salut de son maître tandis que le chevalier Hendrik, une brute, lui propose d'entrer à son service après que son écuyer soit mort.
Mais Aymar se rétablit. Sans le sou, il accepte d'escorter un groupe de pèlerins et retrouve bientôt sur sa route Hendrik. Leur périple les mène jusqu'en Hongrie, à Plystov, où le pope Anatoli les reçoit dans un village déserté à la suite de pillages commis par des chevaliers.
Aymar finit par découvrir que William a participé à ces exactions et est retenu en otage par les villageois... 
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LES TOURS DE BOIS-MAURY : LE SELDJOUKI est le 8ème tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1992 par les éditions Glénat.

Aymar, Olivier, William et Hendrik escortent toujours le groupe de pèlerins jusqu'en Terre Sainte. Ils traversent la région de Cappadoce, en Turquie, qui est alors le 1er centre d'expansion du christianisme.
C'est dans ce contexte et ce décor hostiles qu'ils font prisonnier un turc seldjoukide, Sandjar, qui leur cache sa mission - il est messager entre les siens et les chrétiens, et cousin du Grand Sultan, donc de haute lignée. Sans le savoir, les chevaliers, en le retenant, vont attiser le climat de tensions déjà vif entre les deux camps.
Leur guide, le byzantin Meltiadès, les mène jusqu'à un village dans des grottes où se sont réfugiés des religieux. Sandjar en profite pour s'évader. Les turcs et les chrétiens s'engagent dans un combat inévitable puisque le message qui devait pacifier leurs positions ne leur est pas parvenu. Aymar et ses compagnons se joignent à la bataille qui s'achèvera par le sacrifice du seul vrai pacifiste de l'histoire... 

Comme annoncé à la fin du tome précédent (Sigurd), le cadre de l'action et la tournure de la série sont bouleversés : c'est clairement un nouveau (le second) cycle qui démarre ici, avec le départ pour la Terre Sainte et le début du voyage d'Aymar de Bois-Maury et son écuyer Olivier.

Mais il n'est pas question que de dépaysement, la structure même de la saga d'Hermann change aussi pour accueillir de nouveaux personnages qui vont emboîter le pas au tandem principal, à commencer par William.

Avec lui, Hermann questionne plus directement la noblesse de la chevalerie (chrétienne en l'occurrence, mais comme on l'a vu auparavant personne n'est tout blanc ou noir pour l'auteur) : l'histoire du tome 7 introduit ce fils bien né et en quelque sorte "pistonné" dans une aventure qui le dépasse et qui va révéler sa nature peu héroïque. Il est présenté d'emblée comme un individu fanfaronnant mais peureux, on se doute donc qu'il va faillir. Comment ? Pourquoi ? C'est cela qui sera découvert simultanément par Aymar et le lecteur.

Hermann laisse planer une atmosphère de mystère pendant la majeure partie de l'épisode et nous entraîne sur de fausses pistes quand se mêle au groupe de pèlerins escorté par le chevalier de Bois-Maury et son écuyer une autre figure, aussi antipathique, en la personne de Hendrik : il est rustre, brutal, colérique, menteur, autant qu'imposant. C'est un bon instrument narratif pour souligner le caractère taiseux de Aymar, dont on commence tout juste à deviner par des flash-backs fulgurants ce qui l'a conduit si loin de son fief (un incendie, d'évidence criminelle).

Lorsque ce groupe de protagonistes atteint le village déserté, l'hommage au western d'Howard Hawks, Rio Bravo, est limpide : quelque chose de vilain s'est passé, quelque chose de déplaisant va se produire, tout cela finira mal. La révélation du rôle de William dans cette intrigue confirme les doutes que le lecteur et le héros avaient, et le dénouement est un massacre dans les flammes, qui donne définitivement à l'histoire un ton très sombre, amer.

L'enchaînement avec le tome 8 est alors assez logique : si l'environnement devient plus exotique, avec les paysages de la Cappadoce, qui renvoie directement au contexte historique de l'époque (même si Hermann ne précise toujours pas l'année du récit, on sait que cette région fut celle où le christianisme se développa le plus et que cela aboutit aux affrontements de la première croisade, quand les turcs refusèrent l'accès libre à Jérusalem aux chrétiens), l'action est traitée sur le même mode, avec un mystère autour du personnage dont le nom donne son titre au livre et le suspense issu de sa situation (retenu prisonnier, il est empêché dans une mission cruciale pour la stabilité de l'endroit et cela va précipiter les violences entre les deux camps sur place).

Hermann va loin avec ce procédé puisque Sandjar, le cavalier seldjoukide, ne prononce qu'un mot durant toute l'histoire (le prénom d'un de ses compagnons) : ce mutisme renforce la tension qu'il génère dans la petite communauté dont il est le captif et révèle le bellicisme de chacun (les pèlerins sont plus d'une fois prêts à faire la peau à cet étranger qui, lorsqu'il loue Allah dans ses prières, insulterait, selon eux, Jésus Christ). D'une manière finalement très subtile mais percutante, l'auteur renvoie dos à dos les fanatiques religieux : jamais la série n'avait au fond été aussi politique, insistante sur les guerres religieuses de l'époque. Nous quittons le domaine simplement divertissant de l'aventure au Moyen-Âge pour une odyssée plus philosophique.

Mais l'action demeure très présente et réserve des scènes puissantes, comme la fuite en pleine nuit de Sandjar, ou la bataille finale, dont l'issue laisse un goût aussi amer que la fin du tome 7. Le personnage du guide byzantin Meltiadès incarne alors un destin poignant, dont le sort est d'autant plus cruel que rien ne le laissait présager.

Que dire qui n'a pas été écrit sur la beauté graphique de la série ? Hermann est indéniablement transporté par ce qui raconte et se surpasse à chaque fois : il ose même sur la couverture de William invoquer la tapisserie de Bayeux, cette fresque confectionnée entre 1066 et 1082, longue de plus de 70 mètres, représentant la conquête de l'Angleterre par les Normands - une allusion aux origines du personnage-titre mais aussi à la période couverte par la série, à ces temps de conquête, mélange de gloire et de cendres, de foi et de sang.

Lorsqu'il investit la Turquie au tome 8, le dessinateur renoue avec des paysages grandioses, une sorte de western oriental, qui rappelle évidemment son travail sur Comanche. On s'y croirait en tout cas, tant le trait est juste, la chaleur étouffante bien restituée, l'aridité si finement captée. Et quand la nuit tombe sur ces reliefs si étonnants, encore une fois, l'art avec lequel Hermann illustre la séquence de l'évasion de Sandjar est un spectacle éblouissant, avec un découpage très efficace.

L'exportation des récits permet aussi à l'artiste de s'exercer sur les physionomies : la rugosité de Hendrik fait partie des trognes qu'il affectionne, mais des silhouettes comme celles du pope Anatoli, puis du seldjoukide sont le résultat d'un talent rare pour camper des personnages typés sans verser dans la caricature, la facilité. Voyez avec quel soin les emblèmes sont reproduits, les vêtements sont coupés : tout cela, c'est une documentation bien digérée au service d'un dessin extraordinairement vivant.

Plus que deux tomes avant la fin de la série et autant de promesses pour une saga qui ne vole pas sa qualité de grand classique. 

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