mardi 20 janvier 2015

Critique 559 : WONDER WOMAN, VOLUME 3 - IRON, de Brian Azzarello, Cliff Chiang, Tony Akins et Goran Sudzuka


WONDER WOMAN : IRON rassemble les épisodes 13 à 18 et l'épisode 0 de la série, écrits par Brian Azzarello, publiés en 2012-2013 par DC Comics.
Les dessins sont signés par Cliff Chiang (#0, 15-16 et 3 pages du # 18), Tony Akins (# 14, avec Rich Burchett ; # 17, avec Amilcar Pinna) et Goran Sudzuka (#18, avec 7 pages par Tony Akins).
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- # 0. Dans ce récit, on découvre la jeunesse de Wonder Woman qui, à travers un rite initiatique sur l'île de Thémyscira, doit prouver sa bravoure. Elle attire l'attention du dieu de la guerre qui décide de lui inculquer l'art du combat en lui donnant pour mission de tuer le Minotaure.

Comme pour toutes les séries du "New 52", un épisode 0 a été produit pour permettre aux lecteurs de mieux situer les origines des héros DC : Brian Azzarello s'acquitte de cet exercice en adoptant une narration étonnamment rétro (alors que jusqu'à présent son run brillait par son approche atypique), en utilisant une voix off, des récitatifs. Ce procédé semble avoir été choisi pour adresser un clin d'oeil  à la genèse même de Wonder Woman, rappeler sa longévité comme personnage, et distinguer ce qui y est raconté de ce qu'on a déjà lu jusqu'à présent sous la plume d'Azzarello.
Mais ce "gadget" ne dispense pas son auteur de raconter des choses importantes pour mieux appréhender l'héroïne, notamment la relation qui l'a uni à War, présenté comme son tuteur, son mentor - une relation conflictuelle, qui souligne déjà le caractère affirmé de la jeune femme (quand le Minotaure est à sa merci mais qu'elle refuse de le tuer).
Cela légitime surtout la formation de guerrière de Diana, mais révèle aussi son empathie, ce qui en fait une figure dotée d'un vrai relief. C'est la première fois que la part psychologique du personnage est abordée avec cette importance, au sein d'une série où l'action prime.

Cliff Chiang illustre cela parfaitement grâce à un trait épuré qui lui permet de représenter Diana de manière crédible dans ses jeunes années, dans un cadre à l'exotisme bien dosé, des ambiances fortes mais subtiles. Son encrage un peu épais, avec des zones noires profondes, donne une texture particulière à l'histoire qui ressemble à ce dont on peut se souvenir, sans être encombré de détails. Et encore une fois, le design des personnages est remarquablement original, évitant tous les clichés de l'imagerie du panthéon et des amazones.

- # 13-18. Zola accouche  et donne naissance à un garçon, de fait un nouvel héritier de Zeus. Mais sa progéniture est aussitôt kidnappée et Wonder Woman lui promet de la retrouver. Elle est accompagnée pour cela de Lennox, War, Hera, Siracca, Milan, Orion (l'un des New Gods de Jack Kirby), Strife, et quelques autres. De son côté, Apollo organise une réunion de dieux. Par ailleurs encore, en Antarctique, des chercheurs découvrent la tombe du Premier Né, qui va opérer son retour en force.

Mine de rien, ces épisodes marquent la deuxième année de la série depuis sa relance, et force est de constater que le niveau baisse sensiblement après une première "saison" très accrocheuse. En même temps, c'était assez prévisible au vu des efforts consentis par Azzarello au cours des 12 premiers chapitres pour revitaliser le personnage et développer une intrigue épique.
Avoir réussi à donner un véritable nouvel élan à Wonder Woman, qui en impose à nouveau, en la débarrassant de tout ce qui en faisait une héroïne ayant moins d'aura que d'autres vedettes du DCU (comme Green Lantern, Batman), voilà assurément le meilleur de la série : on lit à présent les aventures d'une femme forte, charismatique, qui n'a pas peur de se battre, mais qui comporte une vraie noblesse (parce qu'elle ne tue pas sans raison en premier lieu). Elle a depuis le début été un soutien infaillible pour Zola et ses origines modifiées en font désormais l'égale des dieux qui se mettent parfois en travers de son chemin.
Brian Azzarello a atténué tout ce qui pouvait conférer trop de glamour au personnage, sa féminité n'est plus un élément déterminant (notamment en ayant écarté très vite la relation mère-fille entre Hyppolita et Diana).
En vérité, Wonder Woman est moins une série super-héroïque qu'une histoire avec des surhommes, des dieux, des monstres, ce qui la distingue du tout-venant par leur ambiguïté morale et physique. L'intrigue développée ne se révèle que progressivement, nourrissant un authentique suspense.

Bien entendu, le projet doit aussi beaucoup à la conception graphique de Cliff Chiang. Cet artiste au style plutôt raffiné n'a pas hésité à soigner les composantes visuelles les plus horrifiques du récit et à relooker un casting abondant.

Mais cette charge de travail ajoutée à une capacité de production déjà moyenne a son revers : en ne dessinant pas tous les épisodes, parfois en se contentant juste d'en signer quelques planches, il doit céder la place à des collaborateurs occasionnels plus ou moins doués.
Dans le présent recueil, il n'intervient que sur trois épisodes sur sept : c'est frustrant quand on voit avec quel brio il représente un dieu comme War (avec ses membres continuellement ensanglantés comme stigmates de ses victimes de guerre - une idée simple mais intelligente et impressionnante). Son trait anguleux et un peu gras renforce cette apparence brute, conforme à l'ancienneté des divinités. Le Premier Né est également une réussite, qui est immédiatement mémorable.

Mais cela n'excuse pas d'autres éléments : par exemple, le costume de Diana possédait un raffinement séduisant au début mais qui, à la longue, est devenu un peu absurde pour la même raison (le collier ou le bandeau à son bras gauche en forme de WW tous les deux). Chiang pêche aussi par le manque de variété dans l'expressivité de ses personnages ou ses décors urbains.

Tony Akins supplée donc Chiang avec un talent inégal. Le remplacement est plus convaincant avec Goran Sudzuka (qui fut déjà la doublure de Pia Guerra sur Y the last man, écrit par Brian K. Vaughan), un artiste méconnu et mésestimé qui mérite mieux que ce rôle de fill-in.

En s'étoffant, la série a aussi instauré une distance avec ses lecteurs, principalement à cause d'une distribution trop riche (jugez-en plutôt : Aphrodite, Apollo, Arès, Artémis, Demeter, Dionysus, le Premier Né, Héphaïstos, Héra, le Haut-Père des New Gods, Orion, Lennox, Siracca, Stryfe, War, Zola...) : tout ce monde ne peut pas exister avec le même relief.

Azzarello, avec la venue au monde du bâtard de Zeus, fruit de ses amours avec Zola et les diverses machinations du panthéon pour tirer profit de l'absence du père des dieux, a fort à faire pour animer tout cela et le rendre intéressant. L'apparition du Premier Né complexifie encore une fresque déjà fournie. Du coup, on a le sentiment que Diana se démène avec beaucoup trop de monde contre elle, elle paraît submergée comme l'est le lecteur.

Pour toutes ces raisons-là (scénario proche de l'obésité, inconstance graphique), ce troisième volume déçoit mais, et c'est tout le paradoxe de la série, donne toutefois envie de découvrir comment le scénariste, ses dessinateurs et son héroïne vont pouvoir s'en sortir.

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