lundi 24 novembre 2014

Critique 530 : BOUNCER, INTEGRALE PREMIER CYCLE - UN DIAMANT POUR L'AU-DELA & LA PITIE DES BOURREAUX, de Alexandro Jodorowsky et François Boucq


BOUNCER, INTEGRALE PREMIER CYCLE rassemble les deux premiers tomes de la série, UN DIAMANT POUR L'AU-DELA et LA PITIE DES BOURREAUX, écrits par Alexandro Jodorowsky et dessinés par François Boucq, publiés en 2001-2002 par Les Humanoïdes Associés.
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 (Couverture et page extraites du tome 1, Un diamant pour l'au-delà.
Textes de Jodorowksy, dessins de Boucq.)
 
(Couverture et page extraites du tome 2, La pitié des bourreaux.
Textes de Jodorowsky, dessins de Boucq.)

Ralton, Blake et le "Bouncer" sont les trois fils d'un prostituée qui s'était établie dans le pire des pueblos, Barro City, où elle finit par s'établir comme propriétaire d'un bar-bordel. Jalouse d'une actrice courtisée par un notable, elle persuada ses enfants de voler le diamant qu'il lui avait promis, l'oeil de Caïn. Mais, ensuite, obligés de se cacher pour ne pas être suspectés, les trois frères et leur mère se déchirèrent jusqu'au drame qui aboutit à sa mort et à la mutilation de deux des frères (l'un perdant un oeil, l'autre un bras).
Après la guerre de sécession, Ralton, officier sudiste en fuite, entreprend de réclamer le diamant à Blake qui lui jure pourtant ne pas l'avoir. Seth, le fils de Blake, assiste, impuissant, au massacre de sa famille et va demander l'aide de son oncle, le "Bouncer, videur d'un saloon à Barro City, pour se venger.
Le manchot mais néanmoins émérite pistolero initie son neveu aux armes et attend le retour au printemps de son frère Ralton et son gang. Entretemps, Seth tombe amoureux de l'institutrice nouvellement en poste à Barro City, avant de découvrir qu'elle est sa cousine. Le jeune garçon sacrifiera-t-il son amour en mémoire de ses parents ? Ou renoncera-t-il à tuer son autre oncle ?

J'ai toujours aimé le western, aussi bien en bande dessinée qu'au cinéma (et même quelquefois en roman), j'ai même découvert le 9ème art en lisant Lucky Luke, et c'est donc régulièrement que j'y reviens quand j'ai envie, en quelque sorte, de me ressourcer. Blueberry (par Charlier et Giraud), Comanche (par Greg et Hermann), Chick Bill (par Tibet), jusqu'à Texas Cowboys (par Trondheim et Bonhomme), sont autant de titres que j'ai appréciés.

J'avais déjà lu ces deux tomes, qui forment un récit complet et le début d'une série toujours en cours, de Bouncer il y a plusieurs années, bien que je ne sois pas un grand fan de son scénariste, le fameux Alexandro Jodorowsky. Encore que le problème que j'ai avec lui tient moins à ses talents d'auteur, car il sait se montrer un conteur efficace, qu'à sa personnalité : pour moi, c'est juste un mariole adepte de shamanisme et de tarot, aux discours fumeux, une sorte de baratineur qui a su embobiner de grands dessinateurs (au premier rang desquels Jean "Moebius" Giraud) et une flopée de critiques et lecteurs. Il m'agace, il me fait ricaner, c'est peut-être injuste, sévère, mais que voulez-vous, chacun a des auteurs comme ça qui le crispent.

Cependant, comme je l'ai dit, je lui reconnais un vrai don pour imaginer des histoires accrocheuses, atypiques, baroques, explorant les genres les plus divers. Bien entendu, (trop) souvent, ses pseudo-envolées mystiques viennent parasiter ses sagas et nuisent à des récits qui s'en passeraient facilement, mais quand il arrive à se retenir, cela donne des bandes dessinées efficaces, spectaculaires, rehaussées par de grands artistes capables de sublimer ses histoires échevelées.

Bouncer, même si tous les arcs narratifs ne se valent pas et si la série n'est pas exempte de quelques passages grotesques dans cette veine ésotérique à la mords-moi-le-crayon, demeure une belle oeuvre, plutôt sobre de la part d'un tel énergumène. Les deux tomes qui constituent ce premier cycle résument parfaitement ce qui fonctionne quand Jodorowsky arrête ses pathétiques pitreries et qu'il a un partenaire capable.

L'intrigue est franchement délirante, d'une grandiloquence incroyable, plus excessive que le plus radical des westerns "spaghetti", avec ses personnages mutilés, sa fratrie sanglante, ses rebondissements invraisemblables,  sa violence gratuite, sa complaisance sexuelle. Pourtant, ça marche car Jodorowsky mène son affaire à toute allure, sans laisser au lecteur le temps de cogiter. Lorsqu'il freine pour jouer sur un certain sentimentalisme (la romance entre Seth et sa cousine) ou nous infliger une étape psychotrope (avec le personnage de Crazy Butterfly - le nom lui-même laisse augurer du pire, et on n'est pas déçu avec un flash-back puis une initiation tout à fait dispensables), le scénariste gâche presque tout, et il faut quelques pages pour se laisser entraîner à nouveau.

Mais si ça tient, c'est aussi (surtout) parce qu'encore une fois "Jodo" a su convaincre un dessinateur de première classe de l'accompagner, et il a eu, là, la main particulièrement heureuse en ferrant François Boucq
En matière de folie, Boucq a largement de quoi en remontrer à son partenaire, il suffit de lire les albums complètement barrés qu'il signe lui-même, mais aussi (plutôt) les récits complets qu'il a réalisés avec le romancier Jerome Charyn (La femme du magicien, Bouche du diable).

Il y a chez cet artiste une énergie démesurée qui transcende n'importe quelle histoire (y compris quand il s'engage dans des séries beaucoup plus sages comme Le Janitor d'Yves Sente). Avec ses personnages osseux, aux physiques hors normes, aux gueules inoubliables, ses décors inscrits dans des perspectives à l'infini, Boucq dessine un western grandiose, infernal, aux paysages bluffants, aux protagonistes mémorables.
Pour cela, il s'appuie en outre sur un découpage digne du cinémascope, avec des cases occupant toute la largeur de la page (et même de doubles pages), avec des angles de vue vertigineux (plongées et contre-plongées impressionnantes, parfaitement maîtrisées), et un souci du détail pour la représentation des costumes, des armes, des bâtiments, des animaux, stupéfiant.

Bouncer est "too much" par bien des aspects, et il convient d'en lire les sagas en se ménageant un peu de temps entre chacune pour ne pas être saturé par cette outrance. Mais l'alliance entre le maniérisme calculé de Jodorowsky et la dinguerie virtuose de Boucq aboutit à une bande dessinée spectaculaire, souvent étourdissante.  

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