vendredi 17 juillet 2009

Critique 75 : ASTRO CITY 5 - LOCAL HEROES (Héros Locaux), de Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross

Kurt Busiek's Astro City : Local Heroes (Héros locaux, en vf) est le cinquième recueil de la série, publiée par DC Comics, au sein du label Wildstorm. Les 9 épisodes qui le composent sont les n°21 et 22 du volume 2, 1 à 5 d'Astro City Local Heroes, et Astro City Special 1 - 9/11. Ils ont été écrits par Kurt Busiek, dessinés par Brent Anderson, encrés par Will Blyberg (21-22, vol. 2), avec des designs d'Anderson et Alex Ross, qui signe les couvertures.
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La parution de la série en recueils permet de constater qu'une fois sur deux, les histoires distinctes alternent avec des story-arcs complets : cette fois, donc, comme pour Life in the big city et Family album, ce sont de courts récits en un acte ou deux qui sont proposés.

- Dans Visite guidée, c'est le portier d'un hôtel qui fait de son mieux pour aider les visiteurs à bien comprendre la spécificité de la ville, avec sa communauté surhumaine et ses évènements extraordinaires. Cet homme humble et discret mais amoureux de sa cité a eu lui-même l'occasion de jouer les héros dans le passé...
- Au coeur de l'action se penche sur le cas d'un éditeur de comics dont les revues relatent, avec beaucoup de liberté, les exploits et mésaventures des justiciers d'Astro City - ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes, entre la susceptibilité des uns et la manne financière que cela représente...
- Le regard des autres examine justement comment un comédien interprétant un héros de fiction se prend au jeu et fera le douloureux apprentissage de cette nouvelle "carrière"...
- Chevalier servant relate la passion vécue par une femme pour un surhomme et comment elle a gâché cette relation par jalousie...
- Pastorale nous emmène hors de la ville en compagnie d'une adolescente blasée qui aura la surprise de découvrir que, même à la campagne, il existe des héros masqués...
- Quitte ou double & Justice à deux vitesses nous plonge dans les années 70, lorsque le jeune avocat d'un mafieux met sa vie et celle des siens en danger, jusqu'à ce qu'il soit sauvé par un justicier plus proche de lui qu'il ne le croit - mais aux méthodes expéditives - The Blue Knight...
- Le bon vieux temps rappelle que même les défenseurs du Bien vieillissent et combien retourner sur le terrain, au feu, peut être délicat pour soi et ceux qu'on doit protéger...
- Enfin, Après l'incendie revient, de manière détournée, sur la tragédie du 11-Septembre 2001 et les sacrifices des héros ordinaires de ce triste jour.
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Local Heroes offre une nouvelle fois un savoureux commentaire sur les conventions des comics de super-héros, et à ce titre il s'agit sans doute du volume qui s'attarde le plus sur le point de vue des gens ordinaires.
Le récit le plus symbolique de cette sélection est Old Times (Le bon vieux temps) où on assiste au retour sur scène désastreux d'un ancien héros acceptant de rempiler ponctuellement pour aider un ami policier, refusant, lui, de prendre sa retraite : Supersonic y est dépeint comme un personnage pathétique que l'âge et l'émergence d'une nouvelle génération de justiciers plus malins et/ou plus puissants ont rendu obsolètes.
D'une manière similaire, dans Shining armor (Chevalier servant), Irène Meriwether se souvient de sa carrière brillante comme conseillère politique, mais sa réussite professionnelle ne compense pas l'échec de sa romance avec Atomicus à cause de sa jalousie ni le fait qu'elle ingore que sa fille est devenue à son tour Nightingale, une justicière masquée.
Les expériences de Mitch Goodman, le comédien du Crimson cougar (Le regard des autres) , et de Vincent Olek, l'avocat de Quitte ou double/Justice à deux vitesses, ne sont pas plus concluantes : le premier en voulant devenir un véritable héros en dehors des plateaux de tournage connaîtra une cuisante humiliation et comprendra qu'il n'est pas à sa place ; le second apprendra qu'on n'abuse pas impunèment les règles du Droit lorsqu'on défend la pègre et qu'un vengeur implacable est déterminé à se substituer à la Loi des hommes.
A la lumière de la saga Astro City : Dark Age, Local Heroes ressemble à une sorte de préparation, un avant-propos doux-amer sur la relation du sombre passé de la cité.
D'ailleurs Quitte ou double-Justice à deux vitesses se déroule en 74 et évoque brièvement plusieurs faits notables sur cette époque (la mort du Silver Agent - dans des circonstances troubles, comme ce fut suggéré dans Welcome in the big city, qui ouvrait Family album - , la démission de Nixon, la participation du Old soldier au conflit vietnamien, le procès de la First family dans une affaire d'espionnage...).
L'ambiance est nostalgique et plus sombre que dans les épisodes précédents : Kurt Busiek a surtout imaginé des histoires d'échecs, et convoque un malaise plus marqué sur sa collection de récits.
Dans ce contexte et cette tournure d'esprit, Au coeur de l'action et Pastorale sont les deux volets les plus divertissants, les plus légers, de ce cinquième tome :
- d'un côté, l'évocation croustillante de Manny Monkton, l'éditeur de comics, par sa scénariste Sally Twinings est l'occasion d'imaginer comment, si les super-héros existaient, ils pourraient réagir au fait qu'on se serve de leurs aventures pour concevoir des revues. C'est également une manière pour Busiek d'aborder avec malice la situation, bien réelle celle-là, des auteurs d'illustrés et leurs rapports avec leurs patrons : la confrontation entre les désirs de ceux qui écrivent des histoires et les ambitions de ceux qui les publient, bref la lutte entre l'art et le commerce, est décrite avec une ironie réjouissante et offre encore une fois un point de vue très originale sur ce monde fantasmagorique.
- D'un autre côté, les vacances de cette adolescente citadine dans un bled voisin d'Astro City permet de prendre du recul sur la vie trépidante de cette métropole extravagante. La jeune fille n'est pas là de son plein gré et considère d'abord son nouvel environnement avec condescendance, partageant son dépit avec une amie via le Net. Puis, progressivement, elle admet la beauté des lieux, le charme des gens, leur simplicité en découvrant que le merveilleux existe aussi ailleurs. Elle rendra définitivement les armes lorsqu'elle découvrira l'identité secrète et la relation amoureuse du héros local avec sa cousine... C'est une pièce magnifique, subtilement ouvragée, avec un art admirable de la caractérisation.

D'aucuns ont pu juger Local Heroes un peu décevant, en-deçà des précédents tomes de la série. Il est vrai que ce sont simplement de bonnes histoires, peut-être moins intenses, moins puissantes, mais pas moins singulières et surtout pas moins bien exécutées.
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Visuellement, Brent Anderson nous gratifie encore de planches superbes, dont certaines sont de vrais "morceaux de bravoure" (comme la double-planche au début de Justice à deux vitesses où Vincent Olek est hanté par ses erreurs). L'expressivité qu'il sait donner à ses personnages, la sobriété de son découpage, tout cela sert d'abord l'histoire : il y a là un refus exemplaire de céder à la facilité, à la surenchère, qui donne toute son humanité, toute sa profondeur, une vraie texture à l'entreprise depuis le début. Et c'est cela aussi qui rend Astro City unique.

Quant aux couvertures, et plus généralement le travail de design, ils permettent une nouvelle fois de saluer l'intelligence et la qualité d'Alex Ross, pour lequel, semble-t-il, à l'instar de Busiek et Anderson, Astro City est une oeuvre résolument à part, particulièrement chère à son coeur.
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Une histoire comme Visite guidée permet à celui qui découvre la série d'y pénétrer sans être perdue. Au coeur de l'action offre la possibilité de considérer le monde d'Astro City tout en réfléchissant à la conception même des comics. Le regard des autres explore de manière ingénieuse la notion même d'héroïsme - et ce qu'elle implique. Et ainsi de suite : il n'y a presque pas besoin d'apprécier les super-héros pour aimer Astro City puisque tout le talent de ceux qui produisent cette série est d'évoquer cet univers de loin, de façon métaphorique, à la manière des contes ou des récits mythologiques.
Mais si le néophyte est séduit par cette accessibilité, le fan appréciera le "méta-texte" de l'oeuvre, car Astro City fonctionne aussi parfaitement grâce à ses références qui l'enrichissent au lieu de la parasiter. Les connaisseurs savent les recettes du genre, les codes qui l'encadrent, les archétypes qui le peuplent. Mais ils sont ici reformatés par un auteur érudit, un dessinateur aguerri et un designer averti, qui se servent de ces ingrédients pour d'abord parler de la condition humaine, des rapports qu'entretient le commun des mortels avec les dieux.
Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross nous laissent investir un territoirre familier pour mieux nous raconter des histoires que nous ne connaissons pas : celles de coulisses, là où des personnages comme vous et moi assistons au spectacle - et parfois y participons fugacement.
L'élégance de la démarche (à l'image des quelques pages réalisées en hommage aux pompiers du 11-Septembre) et le soin de la réalisation suffisent à garantir le plaisir qu'on retire à chaque fois des lectures de ces recueils.

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