mardi 14 juillet 2009

Critique 74 : ASTRO CITY 4 - TARNISHED ANGEL, de Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross



Kurt Busiek's Astro City : Tarnished Angel est le quatrième recueil de la série et regroupe les épisodes 14 à 20 du volume 2, publiés en 2000 par DC Comics, au sein du label Wildstorm. Ce récit complet en 7 actes est écrit par Kurt Busiek, dessiné par Brent Anderson, encré par Will Blyberg. Les designs sont signés Anderson et Alex Ross, qui signe également toutes les couvertures.
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Cet album relate l'histoire de Carl Donewicz alias Steeljack. C'est un super-vilain dôté d'une peau métallique indestructible et d'une force colossale. Après avoir passé vingt ans derrière les barreaux de la prison de Biro Island, il bénéficie d'une libération sur parole.
Sa réinsertion s'annonce difficile et elle le sera : il est vieux, las, désabusé, et vit dans le remords d'avoir appris la mort de sa mère alors qu'il purgait sa peine. De plus, ses pouvoirs et son casier judiciaire constituent de gros handicaps et il se sait surveillé par les super-héros qu'il a autrefois affronté. Les civils le considèrent avec effroi et suspicion, à l'exception d'un de ses voisins du quartier où il est né et a grandi : Kiefer Square.
Pratiquement tous les habitants de cet endroit sont des malfrats ou des membres de leur famille, et Steeljack décide de plus se mêler à leurs trafics... Jusqu'à ce que Ferguson, l'intermédiaire privilégié des gens du milieu, lui soumette une offre d'emploi aussi peu banal que dangereuse.
En effet, depuis quelque temps, plusieurs proches de criminels sollicitent Steeljack pour qu'il enquête sur les meurtres de ses anciens collègues, une affaire dont se désintéressent les super-héros et la police. Carl hésite, il n'est pas un détective et il sait qu'en acceptant le job, il viole sa conditionnelle. Mais par solidarité et parce qu'il a besoin d'argent, il entame ses investigations.
Carl rencontre les familles des victimes et écoute leurs déprimantes histoires : tous rêvaient d'un gros coup, tous ont échoué et beaucoup ont été assassinés. En vérité, ces malfrats vivaient avec femmes et enfants dans la pauvreté et ont sombré dans le grand banditisme pour espérer s'en sortir - comme Steeljack.
Le cas de la fille de Goldenglove interpèle immédiatement Carl car elle veut succèder à son père, non pour le venger mais par appât du gain. Il essaie de la raisonner - en vain - et se fait mêm rosser par la jeune femme. Les recherches infructueuses de Steeljack pèsent sur le moral de cette communauté, acceptant comme une fatalité le funeste sort qui leur est promis.
C'est alors que Ferguson conduit Carl chez un ancien justicier, désormais retiré, qui va lui confesser son passé glorieux et sa disgrâce : El Hombre. Membre éphémère de l'Honor Guard, il avait passé un marché avec un super-vilain pour remporter une victoire truquée contre un adversaire et ainsi gagner en respectabilité. Mais il fut trahi, son stratagème (ayant abouti à la mort d'innocents) dévoilé et rejeté de tous.
Cette histoire trouble Carl qui repense à son enfance et à la vision qu'il avait des justiciers de la ville, des "anges", dont il voulait faire partie : mais après avoir accidentellement tué un adolescent et fait confiance à une crapule scientifique, il est devenu un monstre et un ennemi public. Depuis, Steeljack a compris son échec et les conséquences de ses erreurs : dès lors, coincer le tueur de super-vilains devient sa possibilité de rédemption. Lui qui a toujours choisi le mauvais chemin a l'occasion d'enfin prouver sa valeur en se rachetant.
L'apparition inopinée d'un gangster en cavale, The Mock Turtle, rapidement éliminé à son tour, apprend à Carl qu'un mystérieux caïd recrute des hommes de main à Kiefer Square pour une opération d'envergure. Il s'arrange pour rencontrer ce malfrat, El Conquistador, et devine qu'il veut pièger tous les vilains du quartier en leur promettant le pactole.
Steeljack tente d'avertir l'Honor Guard, dont une des membres (Quarrel) n'est autre que la fille d'un de ses anciens complices. Mais il devra affronter seul l'ennemi...
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Tarnished Angel est une nouvelle formidable addition à la collection des récits d'Astro City, concue par Kurt Busiek, Brent Eric Anderson et Alex Ross, dont l'association est toujours aussi inspirée. On n peut qu'être épaté par la façon dont ces trois-là ont révolutionné les comics super-héroïques en en revisitant les fondamentaux.
Ce quatrième volume démarre par le salut de Ross et Anderson à l'acteur mythique Robert Mitchum dont l'ancien vilain Carl "Carlie" Donewicz alias Steeljack a les traits. Ce criminel repenti, né dans les années 60, et qui a passé vingt ans en prison (de 1978 à 98), est désormais un homme déphasé, anachronique, dont le retour au quartier qui l'a vu grandir ressemble à une retraite crépusculaire. Incapable de se réinsérer à cause de son passé et de ses pouvoirs, il se considère désormais comme fini.
Mais, bien qu'il viole les conditions de sa probation, il accepte quand même d'enquêter sur un tueur qui s'en prend à sa communauté en estimant que cette ultime mission pourra partiellement racheter ses erreurs - en premier lieu, la mort de sa mère, dont il se sent responsable. Le voilà entraîné dans une intrigue dont il va progressivement, et avec stupeur, prendre la sinistre mesure.
Steeljack, qui a autrefois lutté contre les héros après avoir voulu en devenir un, tentera de les prévenir mais sera encore une fois victime de son passé et de sa naïveté. C'est seul, jusqu'au bout, et contre tous, qu'il fera face à un terrible adversaire, au péril de sa vie.
La grandeur et la force de cette histoire tient dans sa grande humanité : celle qui révèle la situation désespérée de Steeljack et celle qui donne un caractère tragique à la trajectoire fulgurante de The Mock Turtle. Tout est dit : c'est du Destin dont parle Tarnished angel.
Je reste sidéré par le brio avec lequel Busiek et ses partenaires continuent de créer de tels personnages et de bâtir un tel univers. Précédemment, le scénariste a su réinventer des icônes (comme par exemple avec Samaritan, le Superman d'Astro City), mais il a su aussi élaborer des figures totalement originales et uniques. The Mock Turtle est l'une d'entre elles. Ce vilain-là est vraiment intéressant car il échappe aux clichés du genre : ce n'est qu'un second rôle mais il symbolise parfaitement comment, comme tous ses semblables, il est devenu un délinquant et comment ce choix malheureux le conduira à sa perte. Sa disparition relance le récit après qu'il y ait surgi de manière déroutante et va réorienter l'enquête de Steeljack tout en donnant un sens, une portée personnelle à sa mission. Alors Carl Donewicz devient un héros prêt à se sacrifier et acquiert une sorte de noblesse. Il en sera légitimement récompensé.
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Graphiquement, la série a atteint un niveau exceptionnel, et ce sont peut-être les meilleures planches d'Anderson qui l'illustrent : sa représentation du quartier de Kiefer Square est fabuleuse, d'une précision, d'un réalisme confondants.
Avec le soutien d'Alex Ross, il a su, une fois de plus, camper visuellement une galerie magnifique de personnages, évoquant toute une époque sans céder à la facilité (ce qui est un exploit quand il s'agit des années 70). Et les couvertures sont de véritables oeuvres d'art, pas simplement par leur maestria technique, mais par leur justesse, leur sens de la concision, leur efficacité évocatrice.
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C'est un somptueux "tribute" à la pulp fiction, à la série noire, des années 40 et 50, avec ses héros écrasés par la fatalité, aux gueules mémorables, qui évite la parodie.
A ce titre, Frank Miller était le préfacier tout indiqué et il cerne, avec plus d'à-propos, le concept fondateur d'Astro City lorsqu'il dit : "il ne s'agit plus de manier avec nostalgie les jouets de notre enfance, mais de faire en sorte que le concept fonctionne à nouveau, à la lumière de notre expérience et de l'époque à laquelle nous vivons".
Comment dès lors ne pas abonder dans le sens de la critique du magazine Wizard qui a qualifié Astro City de "the best superhero comic being printed."? La stabilité de son équipe créative, la qualité de sa production depuis le début, résument l'affection pour leur titre et la camaraderie de Busiek, Anderson et Ross : puisse cette belle aventure se prolonger encore longtemps !

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