vendredi 24 juillet 2009

Critique 78 : THUNDERBOLTS - FAITH IN MONSTERS, de Warren Ellis et Mike Deodato



(Ci-dessus : les Thunderbolts, par Mike Deodato.
De gauche à droite, Songbird, Moonstone, Radioactive Man,
Penance, Venom et Swordsman - seul manque Bullseye.)

Thunderbolts : Faith In Monsters compile les épisodes 110 à 115, écrits par Warren Ellis et dessinés par Mike Deodato, publiés à partir de Janvier jusqu'à Août 2007 par Marvel Comics. Cette nouvelle version d'une série créée par Kurt Busiek et Mark Bagley a été lancée à la suite du crossover Civil War (Mark Millar / Steve McNiven).
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Les Thunderbolts sont une équipe composée de super-vilains agissant pour le gouvernement et dont la mission consiste à capturer les super-héros refusant de se faire recenser comme la loi les y oblige désormais. A la tête de ce groupe, on trouve Norman Osborn, qui commande donc à Songbird, Venom (Mac Gargan), Bullseye, Penance, Radioactive Man, Swordsman et Moonstone, qui dirige les opérations sur le terrain. Leur quartier général est la Montagne des Thunderbolts, un vaste complexe où se trouve leur vaisseau, le Zeus, plusieurs T-Wagons, servant à transporter des prisonniers, et des cellules pour enfermer ces derniers. En parallèle, des figurines et jouets représentant les Thunderbolts sont commercialisés afin de rendre l'équipe plus sympathique et leur action plus légitime auprès du grand public.
Leur deuxième mission consiste à appréhender
Steel Spider. Mais la traque de cet admirateur de Spider-Man, après l'arrestation violente de Jack Flagg (ancien compagnon d'armes de Captain America), décide American Eagle à sortir de sa réserve.
Ensemble, les deux hors-la-loi et Sepulcre, une jeune femme qui se cachait jusquà présent, affrontent les Thunderbolts. Bullseye profite de la confusion de la bataille pour s'échapper et défier American Eagle, mais celui-ci réussit à le vaincre.
Swordsman, qui a remarqué la fuite de Bullseye, en avertit Moonstone : elle active alors la nanochaîne du tueur qui, déjà sérieusement blessé, s'effondre - il reviendra à lui, tétraplégique. Steel Spider est pris, mais Sepulchre et American Eagle s'enfuient.
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Venom, Moonstone, Bullseye, Songbird, Chen Lu the Radioactive Man, Swordsman, Penance, et Norman Osborn, l'ex (?) Bouffon Vert! La simple énonciation des membres de cette équipe fait peur puisqu'on y trouve quelques-unes des pires canailles du Marvelverse : mais qui d'autre que Warren Ellis - à la suite de Mark Millar, qui avait préparé leur formation dans Civil War - pouvait animer une série avec une telle bande d'affreux ?
C'est en effet dans le crossover précité que les Thunderbolts sont présentés comme la nouvelle police méta-humaine, celle qui doit arrêter les opposants à la loi obligeant désormais les héros comme les malfrats costumés à se faire enregistrer auprès des autorités. En échange de leurs services, ces brutes bénéficient d'un contrat difficile à refuser : s'ils se rebellent, des composants électroniques dans leur organisme leur causeront des séquelles physiques et mentales graves, mais s'ils acceptent, ils ont la garantie d'être libérés au bout d'un certain temps, avec une coquette somme d'argent, une nouvelle identité et l'impunité pour leurs crimes passés.
Sur ces bases, Warren Ellis et Mike Deodato présentent une production sombre et dérangeante où les vilains d'hier sont devenus les représentants du nouvel ordre instauré après la "guerre civile" : dans ces circonstances, jamais la frontière séparant le Bien du Mal n'a été aussi floue...
La première qualité de l'ouvrage est qu'il dispense de connaître les précédentes versions des Thunderbolts, et cependant Ellis nous plonge dans le vif du sujet sans perdre de temps, alternant les séquences où l'équipe se prépare à partir à la chasse aux dissidents et celles où Norman Osborn en reçoit chaque membre pour un entretien d'embauche, qui permet de cerner les personnalités, les motivations, les conditions de l'engagement.
On trouve ainsi aussi bien l'ancienne leader de l'équipe (Songbird) au passé sentimental chargé préférée à une manipulatrice opportuniste (Moonstone) - les deux femmes se querelleront très vite sur la direction des opérations et l'image que le groupe donne aux médias - , le responsable de la catastrophe à l'origine de Civil War (Penance, l'ancien Speedball des New Warriors) se mutilant pour expier, un ressortissant chinois accusé de terrorisme (Radioactive Man), un néo-nazi désirant ressuciter sa soeur qu'il aime d'un amour à l'évidence incestueux (Swordsman), un symbiote alien cannibale dominant son hôte (Venom/Mc Gargan), et, cerise sur le gâteau (si j'ose dire), un tueur sadique si dangereux qu'on ne l'emploie qu'en ultime recours (Bullseye). Cet assemblage hétéroclite et dysfonctionnel au possible forme pourtant une unité d'élite, puissante, effrayante, mais en proie à des tensions croissantes, et aux mains d'un type aussi (sinon plus) fou qu'eux (Norman Osborn).
Ellis ne se contente ps d'exploiter cette matière déjà riche en possibilités dramatiques, il enrichit le projet en livrant une critique acerbe sur la propagande massive qu'utilise le gouvernement pour légitimer l'emploi d'un tel commando. Ainsi Bullseye est le seul membre dont le recrutement n'est pas divulgué publiquement et dont les interventions ne sont sollicitées que dans les cas extrèmes.
Lorsque les Thunderbolts gagnent le respect du public (à moins que celui-ci ne soit plus terrifié que rassuré par eux), c'est au prix de combats dévastateurs où leurs cibles sont brutalisées - Jack Flagg rendu paralytique, Steel Spider un bras arraché - et le champ de bataille ravagé - au péril de la vie d'innocents puisque les arrestations se déroulent en ville, en journée, au milieu de la foule.
Des membres comme Venom et Bullseye n'ont aucun désir de racheter ou de devenir des héros : ils agissent sans modération ni scrupules, appliquant la force comme le slogan de l'équipe - "Justice like lightning" - les y invite. Ellis choisit de tout nous montrer des méthodes choquantes de cette milice pour souligner l'irresponsabilité des autorités qui confient un tel travail à des individus peu recommandables. L'Etat américain post-Civil War est devenu sécuritaire à l'excés et la plume cinglante, exubérante, de l'auteur anglais retranscrit parfaitement ce climat délètère.
A aucun moment, ces "héros" ne sont sympathiques : ce sont des racailles irrécupérables qui, lorsqu'elles ne s'acharnent pas sur leurs proies, cherchent à se nuire l'une l'autre. Ainsi Moonstone et Swordsman complôtent pour prendre le contrôle total de l'équipe et écarter Songbird et Norman Osborn pour satisfaire leurs intérêts personnels : Moonstone veut commander le groupe sans rendre de comptes à qui que ce soit, Swordsman désire qu'on clone sa soeur défunte - promesse que lui a faîte Osborn sans vouloir la tenir apparemment. Songbird et Radioactive Man paraissent plus raisonnables en essayant d'empêcher l'équipe de devenir un ramassis de monstres comme Bullseye et Venom, mais en vérité elle aspire surtout à refaire sa vie et lui à regagner la Chine. Le cas de Penance est aussi ambigü : il est le seul à avoir intégré le groupe volontairement, mais c'est un jeune homme brisé par la tragédie de Stamford qu'il a causé et qui s'automutile pour se châtier.
Cyniquement, on commercialise des poupées à l'effigie de ces "sheriffs" modernes pour les rendre plus aimables, encourager les héros non-enregistrés à se rendre sans résister, et faire oublier la mort de Captain America, symbole de tous les insoumis mais aussi de cette Amérique qui a choisi de placer sa foi dans ces monstres (Faith in monsters).
Dans ce premier arc (sur les deux que réaliseront Ellis et Deodato), les Thunderbolts n'ont à vrai dire à faire qu'à des justiciers clandestins de seconde zone, comme Jack Flagg et Steel Spider. Ils seront les boucs-émissaires, les victimes sacrificielles, punis sévèrement pour l'exemple : leur amateurisme ou leur refus du nouvel ordre rappellent celui des New Warriors, dont le comportement n'est plus toléré par le public. Leurs arrestations, même brutales, ne posent donc pas de problème à l'opinion et permettent même aux médias de légitimer l'action intransigeante des T-bolts, quitte à dissimuler leurs méthodes expéditives.
Le style provocateur d'Ellis domine alors le livre : son écriture caractéristique donne une épaisseur remarquable aux seconds couteaux qui forment les T-bolts et leurs adversaires et lui permet de les animer avec plus de liberté que s'il s'était agi de vedettes de la firme.
Ici, pas question de suggérer une rédemption pour ces bourreaux impitoyables : ce sont des "misfits" et ils le resteront. De ce point de vue, le court run du scénariste restera comme une des meilleures suites aux évènements de Civil War, avec un point de vue lucide sur ce que le clan d'Iron Man a imposé : une société répressive où tout contrevenant à la loi est traqué et détruit.
Plus prosaïquement, cette opposition entre des "bons" très méchants et leur "gibier" aboutit à un récit sous haute tension et la bataille finale entre les T-bolts, American Eagle, Steel Spider et Sepulchre est une des plus spectaculaires qu'on ait vue depuis longtemps - elle s'étend sur deux épisodes et vous laisse sur les genoux, personne n'en sortant indemne. La narration décompressée a rarement été aussi dynamique et explosive, preuve que lorsque les idées et l'intensité sont là, toute la structure dilatée d'un comic-book ainsi développée n'indispose pas le lecteur.
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C'est que graphiquement aussi la série bénéficie d'un exceptionnel traitement : Mike Deodato n'a pas que des fans et il n'en manque pas pour lui reprocher (outre ses difficultés à tenir les délais...) sa manie de faire ressembler ses personnages à des acteurs (comme ici Norman Osborn qui a les traits de Tommy Lee Jones ou Penance ceux d'Edward Norton) - même si Ellis a pu le lui demander - ou la complaisance avec laquelle il met en images les détails les plus atroces des exactions de ses "héros".
C'est évident que l'artiste s'adresse à un lectorat averti de ces outrances. Mais il faut aussi savoir reconnaître sa technique bluffante lorsqu'il joue avec les éclairages, éclate ses cadrages pour mieux traduire le chaos de l'action, ou, plus subtilement, son aisance lorsqu'il s'agit de rendre au plus près par les expressions et les poses les émotions des protagonistes.
En outre, il sait merveilleusement dessiner les femmes fatales et restitue de manière impressionnantes la monstruosité de Venom. Indiscutablement, il produit des images et des planches saisissantes, mémorables, d'une grande puissance, parfois avec virtuosité.
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Ce premier acte démarre doucement mais s'achève avec force et annonce une suite (Caged angels) prometteuse. Assurèment, un des comics récents les plus décapants !

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