jeudi 21 décembre 2023

BATMAN - SUPERMAN : WORLD'S FINEST #22, de Mark Waid et Dan Mora


Il a fallu un peu s'accrocher pour suivre le début de cet arc, mais l'analogie que j'avais faite en le comparant à un puzzle dont seul Mark Waid connaissait le motif s'avère pertinente (en toute immodestie). L'intrigue se désolidarise à la fois de Kingdom Come et JSA : Thy Kingdom Come pour n'en garder que les éléments les plus percutants et troublants. Et Dan Mora ? Il est en feu !


Appréhendés par le Bataillon de Justice aux ordres de Gog, Superman et Batman sont jetés en cellule. Ils y trouvent Metron, un néo-dieu dont Gog a volé le fauteuil capable de traverser le multivers, et qui leur raconte le plan ourdi par le géant...


C'est un arc narratif en forme de poupées russes que ce Return to Kingdom Come : il ne s'agit ni d'une suite au célèbre Elseworld écrit par Mark Waid et illustré par Alex Ross, ni d'un prolongement à JSA : Thy Kingdom Come co-écrit par Ross et Geoff Johns et dessiné par Dale Eaglesham, Jerry Ordway et Fernando Pasarin. C'est à la fois plus simple et retors que ça.


D'aucuns diront qu'avec cette histoire, World's Finest perd en simplicité, ce qui faisait l'essentiel de son charme depuis son lancement. Ceux-là n'auront pas, admettons-le, complètement tort : c'est bien l'intrigue la plus complexe depuis une vingtaine de numéros. Mais ce n'est pas non incompréhensible, juste plus malicieux.


Mark Waid est un bonhomme qui a la réputation de ne pas être toujours facile (dernièrement encore il s'est tristement illustré en s'en prenant à Mark Millar sur les réseaux sociaux, l'accusant d'attaquer Gail Simone... Pour ce qui était un énorme malentendu). Pourtant, avec les collaborateurs qui l'apprécient, c'est un auteur fidèle et stimulant, à la culture comics encyclopédique.

On pourrait alors facilement croire que Waid règle là aussi ses comptes avec Alex Ross (avec qui il s'est fâché à l'époque de Kingdom Come) ou veut réviser ce qu'a écrit Geoff Johns à partir de son histoire (dans les pages de Justice Society of America). Mais ce serait une erreur. Bien entendu, il se peut qu'il n'en pense pas moins mais il est objectivement impossible de déceler la moindre aigreur dans le récit actuel.

Plutôt donc qu'une suite ou une correction, World's Finest : Return to Kingdom Come peut s'interpréter comme une variation, au sens musical, autrement dit comment jouer un morceau connu de manière inattendu. On prend des éléments, les plus saillants, et on les recompose, les réordonne d'une nouvelle façon. Après tout, on n'est plus à ça près, surtout chez DC, qui reboote régulièrement et qui sème la confusion chez ses lecteurs ne sachant plus ce qui est canonique ou non.

Pour en revenir à cet épisode, on voit clairement ce que Waid veut faire et comment il réécrit sa propre histoire et tout ce qui a pu y être ajouté ensuite. Dans le DCU actuel, World's Finest se passe dans le passé, ce qui est un procédé pratique pour un scénariste qui ne veut pas être embêté par des events et crossovers se passant au présent. Mais c'est surtout une manière de procéder à des ajouts qui peuvent ensuite être pris ou pas en compte par d'autres scénaristes dont l'action des séries se déroule de nos jours.

Dans ce cadre, imaginer que Batman et Superman ont découvert l'existence de la Terre-22, ont assisté à des situations inspirées par Kingdom Come et JSA : Thy Kingdom Come, c'est une façon d'intégrer tout ou du moins ce que Waid juge le plus intéressant dans les deux histoires. C'est aussi (surtout) établir que Kingdom Come/JSA : Thy Kingdom Come font bien partie de la continuité actuelle du DCU (Rebirth donc, puisque lors des New 52 tout ça avait été annulé).

Surtout en intégrant Gog et Magog (ce qui confirme que Waid n'en veut pas à Ross et Johns) à son scénario, même en modifiant quelques détails (le fait que Magog ne soit plus David Reid mais David Sekela), il développe une sorte d'alternative à JSA : Thy Kingdom Come et une toute autre préquelle à Kingdom Come. Le plan de Gog, en particulier, n'a plus rien à voir et la création de Magog diffère aussi totalement. En tout cas, on avance considérablement ici, après deux épisodes plus nébuleux niveau intentions (narrative et personnelle).

De ce numéro dense, très dense même, Dan Mora tire des planches qui évitent au lecteur de se perdre. Les scènes d'action sont épiques et il y a au moins une splash page et une double page démentes. Quand on lit le travail de Mora (comme celui de Valerio Schiti ou Javier Garron chez Marvel), on est moins indulgent avec les artistes qui tirent la langue au bout de deux épisodes parce que ces gars-là donnent tout et régulièrement.

Mais réduire Mora à cet aspect finalement tape-à-l'oeil serait ingrat car c'est lui aussi un narrateur en plein boum. Il n'a pas encore la finesse de certains de ses pairs, et sans doute se plait-il davantage dans une forme plus percutante que dans la fluidité des enchaînements, une forme d'écriture visuelle plus sophistiquée en somme. N'empêche, si World's Finest est un page-turner, c'est aussi grâce à son talent, parfois brut, mais très abouti, qui sait ménager temps forts et plus calmes (et non pas faibles) dans une histoire fournie, touffue.

Pour ce plaisir contagieux, pour cette suite qui n'en est pas une mais qui a d'autres attraits, et en attendant les prochains épisodes qui promettent énormément, World's Finest continue d'occuper le haut du panier chez DC en cette fin 2023.

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