jeudi 28 décembre 2023

AVENGERS INC. #4, de Al Ewing et Leonard Kirk


C'est quand même bizarre de se dire que c'est l'avant-dernier épisode de Avengers Inc., car, oui, Marvel va annuler la série le mois prochain. Les ventes ont dû être dramatiquement basses pour que l'éditeur sanctionne le titre aussi vite; Pourtant Al Ewing et Leonard Kirk osaient quelque chose d'atypique, et ça en dit finalement assez long sur le marché et les fans...


Suite à une série de meurtres contre des super-vilains, Ringleader fait appel aux services de la Guêpe et de Victor Shade pour qu'ils trouvent le coupable. Les soupçons se portent sur Moon Knight qui a poursuivi la dernière victime...


Une série qui est arrêtée après seulement quatre épisodes, ça porte un nom : c'est un bide. On peut ensuite tergiverser sur l'injustice que ça représente, surtout pour un titre qui osait une formule différente et qui était porté par deux auteurs de talent, mais les faits sont là : Avengers Inc. n'a pas fonctionné.


En conséquence, Marvel a pris les devants et annoncé l'arrêt de la série le mois prochain avec le cinquième épisode. Al Ewing, le scénariste, devra donc boucler son intrigue en vitesse, et on sent bien que, déjà, dans ce numéro, il a revu ses plans.
 

Faut-il alors ou non parler du fond de cet épisode ? Un peu quand même. Comme d'habitude, on est vite mis dans le bain avec une intrigue impliquant les meurtres de plusieurs super-vilains de seconde zone qui motivent un de ces super malfrats à faire appel à Janet Van Dyne et Victor Shade pour trouver le coupable de ces exécutions.

La situation est incongrue : un criminel demande à une héroïne d'enquêter sur la mort d'autres criminels. Son argument ? Quel que soit son bord, si on suit certaines règles, comme ne pas tuer ses adversaires, alors on doit suivre ses principes jusqu'au bout et rendre justice contre ceux qui ne la respectent pas.

Janet accepte donc l'affaire et commence par interroger le principal suspect, qui se trouve être un super-héros notoirement connu pour sa violence : Moon Knight. Il a été vu en train de poursuivre la dernière victime mais il jure n'avoir fait que cela, pour l'éloigner de son quartier. Qui plus est, la victime a été tuée par balle et Moon Knight n'utilise jamais d'arme à feu. Pour se disculper, il obtient de retourner sur le lieu du crime, même si celui-ci a été nettoyé depuis. Et là, Janet a une révélation : elle sait qui est l'assassin.

Reste à savoir son mobile... Et Al Ewing nous fait un spectaculaire exercice de synthèse où on comprend que Avengers Inc. était en fait le prolongement de ses deux mini-séries Ant-Man et The Wasp. Mais il va plus loin encore en revenant sur la dernière incarnation d'un fondateur des Avengers et sa situation actuelle dont personne ne savait rien.

En lisant ce que Ewing développe de manière forcément très concentrée, sans doute plus qu'il ne l'avait initialement prévu, on mesure à la fois l'ambition qu'il nourrissait pour Avengers Inc. et aussi la souplesse dont il sait faire preuve pour apporter une conclusion satisfaisante à ce titre qui va être annulé. On ne peut qu'être admiratif devant les efforts qu'il déploie car on imagine que d'autres auteurs auraient liquidé l'affaire sans se forcer, sachant le funeste destin qui attendait la série.

Leonard Kirk accomplit, lui, un travail toujours aussi professionnel. C'est un artiste qui n'a pas la reconnaissance qu'il mérite, malgré sa longue expérience. C'est un héritier des "ouvriers" des comics comme pouvaient l'être Sal Buscema, Jim Aparo : un dessinateur solide, régulier, capable d'éclats par intermittence, mais qui rendait toujours une copie impeccable. C'est une fois encore le cas ici : Kirk ne fait pas d'étincelles, ce n'est sans doute pas son meilleur travail, mais il tient son rang et la série pouvait voir loin avec lui. Il rebondira sûrement vite, en souhaitant que Marvel lui confie la prochaine fois un titre qui durera plus longtemps.

Mais au-delà de ces considérations narratives et esthétiques, le cas d'Avengers Inc. interroge aussi et surtout sur le marché des comics et les fans. On le sait, actuellement, ça ne va pas fort pour les super-héros. Quand on examine les dix titres qui ont le plus vendu en 2023, Batman écrase la concurrence (que ce soit avec son mensuel propre ou Detective Comics) puis Spider-Man (malgré des critiques désastreuses sur le run actuel). Et après ? Rien ou presque. Void Rivals de Kirkman et de Felici est le seul à résister, à la fois contre ces deux mastodontes et comme titre indé.

Il existe bien entendu des séries qui tirent leur épingle du jeu en proposant quelque chose d'inattendu, au sein même des Big Two, comme G.O.D.S. de Hickman et Schiti, qui a démarré très fort. Il y aura encore et toujours une forte attente en 2024 pour la relance de la gamme X-Men chez Marvel. Et sans doute que, quand DC se décidera à redémarrer Justice League, le public sera au rendez-vous. Mais ça reste des succès liés au nom d'un auteur vedette (Hickman) ou d'une marque historique (X-Men, Justice League).

Les fans, quant à eux, sont plus contradictoires et et versatiles que jamais. D'un côté, il suffit de traîner sur un forum ou sur les réseaux sociaux pour les entendre se lamenter de telle ou telle franchise qui n'est pas animée correctement à leur goût tout en souhaitant du neuf, de l'inattendu. Mais quand quelque chose de neuf et d'inattendu pointe le bout de son nez, il n'est pas soutenu. Quant aux franchises supposément mal conduites, elles sont quand même suivies quel que soit la direction que les éditeurs leur impriment (c'est un peu le syndrome Wolverine que beaucoup se plaignent de voir partout mais qui se vend toujours malgré cette omniprésence).

Avengers Inc. est la dernière victime en date de cette fanbase bruyante mais finalement très conformiste. Voilà une série qui aurait pu combler pas mal de lecteurs insatisfaits mais soit ils n'ont pas été assez nombreux à l'acheter, soit ils n'ont pas su la recommander (préférant encore une fois commenter ce qui leur déplaisait). Est-ce qu'aujourd'hui, dans cette morosité ambiante, un ovni comme le Hawkeye de Fraction & Aja trouverait sa place, durerait ce qu'il a duré ? Franchement, j'en doute. En tout cas dans le Marvel actuel.

Parce qu'en face, chez DC, avec des espaces comme le Black Label, le retour des Elseworlds, voire de Vertigo, l'éditeur encourage, soutient des oeuvres moins faciles. Parce que les scores de Batman le lui permettent. Avec Spider-Man dans une position équivalente, on comprend d'autant moins que Marvel ne créé par une collection, un label similaire.

Ce serait d'autant plus avisé qu'on a assisté ces derniers mois à un exode sans grand précédent d'auteurs et d'artistes, non plus d'un des Big Two à l'autre, mais vers des indés. Geoff Johns a attiré à lui beaucoup de ses amis pour son label Ghost Machine hébergé chez Image et ils seront tous exclusifs une fois leurs travaux pour leur employeur actuel terminés. Idem avec Rick Remender et son Giant Generator, qui a convaincu pas mal de ses potes de le suivre chez Image. Scott Snyder, Mark Millar, Brian Michael Bendis ont tous des deals avec Dark Horse (qui n'a donc plus à dépendre principalement sur Mike Mignola et Hellboy). Et il y a aussi DSTLRY, une nouvelle compagnie qui fait des auteurs/artistes venant chez eux des actionnaires.

Tous ces gens qui s'en vont ne reviendront sans doute pas (ou pas de sitôt) chez Marvel ou DC (surtout avec des contrats d'exclusivité à la clé dans leur nouveau refuge). Peut-être que tout ne réussira pas, qu'il s'agira de bulles comme Substack qui fit grand bruit et qui n'en fait plus du tout maintenant. Mais les mouvements observés sont quand même assez conséquents pour interroger.

Et de ce point de vue, même si Al Ewing n'a pas (pas encore ?) manifesté de désir de quitter Marvel pour lui aussi se consacrer uniquement à du creator-owned, Avengers Inc. pourrait bien être la dernière initiative chez Marvel de produire un contenu qui sort de l'ordinaire au profit de séries et de franchises plus rassurantes. Que chaque lecteur y pense la prochaine fois qu'il se désolera de l'arrêt d'une série moins conventionnelle... Dans cette histoire, les éditeurs comme les fans ont tous une part de responsabilité.

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