vendredi 6 octobre 2023

G.O.D.S. #1, de Jonathan Hickman et Valerio Schiti


Marvel n'a pas lésiné sur la pub pour que les lecteurs achètent le premier numéro de G.O.D.S., le nouveau projet de Jonathan Hickman et Valerio Schiti, deux de leurs superstars. Mais le résultat est enfin disponible et il est, en tout cas à mes yeux, ce que l'éditeur a certainement publié de plus réjouissant cette année. Rien que ça ? Oui !


Une femme, Aiko Maki attend son mari, Wyn, dans un bar et s'épanche auprès du barman. Wyn arrive en retard à leur rendez-vous, flanqué de son assistant Dimitri, prié d'attendre dehors. Aiko annonce avoir obtenu une promotion mais qui l'oblige à divorcer. Wyn s'y oppose. Elle lui tire dessus et le laisse pour mort... Dix ans après, Wyn et Dimitri suivent Wong, le majordome du Dr. Strange, dans la Bibliothèque des Mondes. la situation est grave : un mage, Cubisk Core, a dérobé la lance du Tribunal Vivant et menace l'univers. Mais Wyn file avec Dimitri...


Ce petit résumé est volontairement plat car en l'état il vous laisse une bonne marge pour découvrir et surtout savourer G.O.D.S.. Mais au fait, c'est quoi, G.O.D.S. ? Marvel a beaucoup misé sur cette nouvelle série (dont on ignore combien elle comptera de numéros) mais en même temps l'éditeur n'a pas grand-chose à craindre vu les auteurs aux commandes.


Car G.O.D.S. est le nouveau projet de Jonathan Hickman. Le scénariste a raconté qu'il avait soumis cette histoire à l'éditeur en même temps que House of X/Powers of X et l'avait ensuite laissé de côté car il a été accaparé par les mutants, puis, plus récemment, par la relance de l'univers Ultimate.


Hickman a des problèmes de riche : d'un côté, il peut se permettre de laisser de côté un gros projet, et de l'autre, ayant déjà touché aux Fantastic Four, aux Avengers, aux X-Men, il ne lui reste plus grand-chose à explorer chez Marvel. Il se dit que DC a voulu le recruter mais que ça ne s'est pas fait car l'architecte voulait écrire Legion of Super Heroes et/ou New Gods - ce qu'on le lui a visiblement pas accordé.


En parallèle, ces dernières années, il a développé sur Sur Substack son magnum opus, 3 Worlds. 3 Moons, et refusé qu'un éditeur le publie (du coup ceux qui veulent absolument avoir une copie physique doivent débourser une somme folle sans même savoir à quand ils auront la suite ni combien de séries secondaires y sont attachées). Aujourd'hui, Hickman en est là : pour que Marvel le veuille, l'éditeur doit lui donner carte blanche car sinon il a déjà assez à faire par ailleurs.

En 2023 donc, Hickman est revenu chez Marvel pour relancer l'univers Ultimate, entreprise qui se poursuivra l'an prochain, alors même qu'au départ ce devait être Donny Cates qui devait s'en charger (et qui a dû abandonner suite à son grave accident de la route). Et pour lancer G.O.D.S., où il va s'occuper du pan magique, cosmique et scientifique de l'univers Marvel, mais avec une flopée de personnages inédits, créés pour l'occasion, ou réinventés, revampés.

Vous croiserez ici quelques têtes connues comme Dr. Strange, Dr. Fatalis, Mr. Fantastic, Black Panther, Amadeus Cho, mais surtout donc des héros ou méchants inédits, incarnant des concepts inventés par Hickman pour articuler son propos. Ils ont pour noms le Pouvoir-En-Place (Powers-That-Be) et l'Ordre Naturel des Choses (Natural Order of Things), respectivement tout ce qui a trait à la magie et à la science. Et ces deux organismes sont à la veille d'une guerre provoquée par un mage corrompu.

Si Marvel a d'abord cité Sandman ou Saga pour définir G.O.D.S. et son ambition, c'est bien plutôt aux New Gods qu'on pense (et ce n'est certainement pas un hasard puisque c'est ce que voulait écrire Hickman chez DC). Voyez par exemple le personnage de Dimitri the science boy "prêté" à Wyn, c'est un aspect qui rappelle l'échange des fils de Darkseid et du Haut-Père pour assurer la paix entre Apokolips et New Genesis. De même la magicien immortel Wyn a été marié à Aiko Maki, immortel scientifique, avant que celle-ci ne le quitte pour que ses supérieurs n'annulent pas sa promotion au sein de l'Ordre Naturel des Choses (bon, là, c'est vrai qu'il y a un air de Saga avec un couple dont les amants appartiennent à deux camps opposés).

N'attendez cependant pas que G.O.D.S. vous resserve des tics "hickmaniens" habituels comme des data pages, des graphiques, etc. Le scénariste a pris cette fois le parti de s'en passer et de tout faire passer par la narration directe, c'est-à-dire les situations visibles et les dialogues. Ce premier épisode est étonnamment linéaire, en deux parties à dix ans d'intervalles, dans un registre très incarné. Mais sur 64 pages quand même ! (Marvel comme Hickman ont cherché à couper en deux l'épisode avant de convenir que ce serait une erreur - et effectivement, ç'aurait un gâchis car ça se lit d'une traite, avec la banane d'un bout à l'autre.)

Car, oui, l'autre surprise, c'est que c'est étonnamment drôle. Le duo Wyn-Dimitri va vite devenir votre chouchou : Hickman a créé un tandem maître-valet de comédie surprenant et bigrement efficace, avec des échanges hilarants (Dimitri, rationnel et pragmatique jusqu'au bout des ongles, analyse tout avant de comprendre à chaque fois qu'il débite des évidences embarrassantes pour Wyn). La malice de Wyn est une autre raison de jubiler car c'est un vrai filou, que ce soit quand il travaille à capturer un démon maladroitement invoqué lors d'une bacchanale ou quand il s'agit de sauver les fesses d'une armada de magiciens et de savants aux prises avec un mage corrompu et surpuissant.

Je ne veux pas trop en dire sur le contenu et le déroulé de l'épisode parce que, franchement, c'est un beau morceau et que ce serait criminel de spoiler la manière dont Hickman mène son affaire. C'est tellement bien troussé que cet épisode pourrait n'être qu'un one-shot brillantissime et qui dominerait de la tête et des épaules la quasi-totalité de la production Marvel actuelle. C'est l'oeuvre d'un scénariste qui n'a plus à rien à prouver mais qui, comme dit Alan Moore : "si je sais comment écrire une histoire, je ne l'écris pas. C'est si je ne sais pas comment l'écrire que j'ai envie de le faire."

C'est pourquoi, loin d'être assommant ou lourdingue, trop cérébral, trop conceptuel, que G.O.D.S. fait tant plaisir à lire. Malgré le choix de traiter d'éléments énormes, avec des menaces incroyables, Hickman fait un pari fou : raconter ça à hauteur d'hommes, même si ce sont des immortels, dotés de pouvoirs incommensurables. Wyn, Dimitri, Aiko, Cibisk Core, Dr; Saint-Maur Cercle ne sont pas vêtus de costumes bariolés, ce ne sont pas des types qui lévitent au-dessus du commun des mortels en les toisant comme des fourmis, ce ne sont pas des individus devisant de choses nébuleuses (même le "Babylon Event" qui les réunit et exige leur intervention unie n'est qu'un mot-valise pour désigner un ennemi, un danger mobilisateur). On pourrait les croiser dans la rue sans se retourner sur leur passage, sans deviner quelle mission périlleuse ils vont devoir accomplir. Et ça, c'est génial : ce n'est pas Galactus, Uatu le Gardien, Eternité, le Tribunal Vivant, l'Intelligence Suprême des Kree, les Célestes, etc, ces créatures inconcevables, fantastiques. Ce sont des êtres à l'allure de quidams auxquels ont peut s'identifier ou du moins auxquels on peut croire, qu'on peut comprendre.

Pour cela, il fallait bien entendu que Hickman ait un partenaire en mesure à la fois d'animer visuellement ces héros à l'aspect ordinaire mais en vérité extraordinaires et aussi de produire des images spectaculaires, dignes d'un show Barnum, avec des manifestations de pouvoirs insensées.

Valerio Schiti travaille sur ce projet depuis des mois et il a designé les nouveaux personnages en déclinant des dizaines de versions pour arriver à celle qui, définitivement, correspondrait à ce que désirait Hickman. Comme Schiti est un excellent character's designer, ça n'a pas été un problème (même si on ne doute pas une seconde du labeur qui a été le sien) : il a abouti à des héros et un méchant charismatiques et familiers à la fois, ce mélange épatant où on a l'impression de découvrir un nouveau personnage et de le connaître depuis toujours.

L'artiste italien livre des planches grandioses, comme si à chaque fois il se surpassait. Vous l'aviez aimé sur Guardians of the Galaxy (quand, moi, je l'ai découvert), puis Tony Stark : Iron Man, puis sur Empyre, puis sur Judgment Day ? Hé bien, c'est encore un cran au-dessus, en termes de finitions, de détails, d'envergure. Prenez cette scène au début, dans la bacchanale, quand Wyn et Dimitri débarquent : Schiti livre une pleine page sur tous les invités dans un intérieur luxueux et décadent, digne de Eyes Wide Shut de Kubrick. Comme ça. Il aurait pu en faire moins, s'économiser pour la suite, mais non : il lâche cette planche somptueuse, non pas pour se la péter, mais parce qu'on sent qu'il a eu du plaisir à la dessiner, parce que ça en dit plus long sur l'ampleur du projet et son investissement que toutes les interviews en promo.

A côté de ça, il est capable de mettre en scène sur plusieurs pages découpées en "gaufriers" de neuf cases un dialogue qui se tend progressivement entre deux personnages déchirés par leur job et leur relation amoureuse. Et ce n'est jamais ennuyeux. Schiti cadre les visages, expressifs sans verser dans la grimace, les mains, parfois il coupe le cadre à la moitié d'un visage pour signifier subtilement que le personnage qu'il montre est littéralement divisé entre son coeur et sa raison.

Puis après, il va vous gratifier d'une planche avec uniquement des cases de la largeur de la bande sur des visages, avec un effet de travelling arrière, qui explique dans un mot le temps passé, les cicatrices laissés par une rupture brutale (une cicatrice qui barre un visage, une mèche blanche traversant une tignasse brune). Et ça suffit pour être émouvant. Comme ça. Sans effort (apparent).

La virtuosité de Schiti se manifeste encore de nombreuses fois dans de multiples scènes. Son imagination est fertile, quand il représente le musée du Collectionneur, les Doyens de l'Univers dans leur décors propres. Et il fait rêver le lecteur avant de subrepticement le ramener au sol grâce au sourire amusé d'un personnage, un regard brillant... C'est vraiment... Vraiment très bon. Schiti, c'est la classe. Il y en a peu comme lui, c'est du niveau de Samnee, de Immonen. C'est même un cran au-dessus de Mora ou Larraz. C'est dire.

G.O.D.S., c'est donc d'abord un gros kif. Je m'attendais à un truc pointu, puissant, au risque d'être ampoulé. C'est tout le contraire : c'est malin, c'est joueur, c'est singulier, c'est inattendu. Ce sont deux auteurs-artistes qui s'amusent comme seuls les meilleurs le peuvent et qui surprennent ceux qui vont les lire en pensant savoir où ils mettent les pieds. Et le meilleur dans tout ça, vous savez ce que c'est ?

C'est que ce n'est que le premier épisode !

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