mercredi 26 juillet 2023

SUPERMAN : THE LAST DAYS OF LEX LUTHOR #1, de Mark Waid et Bryan Hitch


Annoncée depuis longtemps, cette mini-série en trois épisodes (de 50 pages chacun) voit enfin le jour. Superman : The Last Days of Lex Luthor marque les retrouvailles entre Mark Waid et Bryan Hitch, qui n'avaient plus travaillé ensemble depuis JLA (à la suite du run de Grant Morrison et pour quelques épisodes seulement). Edité sous la bannière du DC Black Label, le programme tient dans son titre et se veut aussi spectaculaire qu'intimiste.


Ayant attiré l'attention de Superman en provoquant une énième catastrophe, Lex Luthor lui laisse découvrir qu'il est mourant, après, comble de l'ironie, avoir manipulé de la kryptonite irradiée. Faisant comme toujours passer les autres avant lui, Superman accepte d'aider Lex à trouver un remède, même si cela sidère le monde entier...


Je ne me souviens plus exactement à quand date la première fois que j'ai entendu parler de ce projet Superman par Mark Waid et Bryan Hitch, mais cela remonte à au moins un an et demi, quand le scénariste a rejoint DC et que le dessinateur a annoncé travaillé sur une histoire avec son super-héros favori.


Quand on demanda, il y a quelques années, à Bryan Hitch ce qu'il aurait fait si Marvel n'avait pas existé (c'était une question imaginée par la rédaction de Comic Box en imaginant ce à quoi le monde des comics aurait ressemblé si Stan Lee n'avait pas pu redresser l'ex-Timely Comics), l'artiste avait répondu : "j'aurai dessiné Superman.".


Mark Waid, de son côté, a souvent croisé la route du Man of Steel, même s'il n'a jamais écrit sa série régulière. Il en a rédigé les origines modernes (dans Superman : Birthright, dessiné par Leinil Yu) et livré une version post-moderne dans le "elseworld" Kingdom Come (illustré par Alex Ross). C'est par ailleurs un collectionneur des épisodes de l'âge d'or du kryptonien.


Aujourd'hui, pourtant, ces deux géants des comics se réunissent pour aborder Superman via Lex Luthor en prenant le contrepied du All-Star Superman de Grant Morrison et Frank Quitely (qui décrivait les derniers jours du héros). Il sera donc question d'une intrigue articulée sur l'agonie de Lex Luthor.

Dès la première scène, Superman découvre que son ennemi juré est mourant et Luthor le piège en faisant entendre au monde entier la promesse du kryptonien de l'aider à trouver un remède au mal qui le ronge. Car, évidemment, Superman ne peut laisser périr quiconque, même celui qui s'est acharné sur lui depuis des années. Même si cela ne va pas de soi pour tout le monde.

On va suivre Superman et Lex dans la Forteresse de Solitude, auprès des savants de Kandor, puis dans la Zone Fantôme. Je ne spoile rien en révélant qu'à la fin de ce premier numéro aucun moyen de sauver Luthor n'est trouvé (si c'était le cas, la série s'arrêterait là). En vérité, l'intérêt est ailleurs.

Mark Waid interroge la source de la haine qu'éprouve Luthor pour Superman et imagine un drame situé dans leur adolescence. Déjà, à cette époque, Lex est ce génie qui se sent incompris et veut améliorer le monde sans demander la permission à quiconque. Ce qui lui vaut d'être rejeté par la communauté de Smallville, ce patin perdu qu'il abhorre. Son seul ami est Clark Kent dont la bienveillance l'insupporte car il ne juge personne digne d'être traité ainsi, encore moins lui car il considère cela comme de la pitié.

La théorie du scénariste, c'est que Lex a sans doute détesté Clark avant Superman, avant de savoir qu'ils ne faisaient qu'un. Qu'il s'agisse du sympathique Kent ou de l'héroïque Superman, ce type d'individu ne peut qu'insupporter Luthor qui a la fois toujours eu une haute estime de lui-même et du mépris pour les autres, qu'il voit comme des êtres inférieurs, indignes de lui.

Cela donne une dimension tragiquement ironique au récit quand Lex découvre la Forteresse de Solitude et ses trésors, notamment l'avance technologique de Kandor, dépassant son propre génie. Et dont les habitants vénèrent Superman comme personne n'a vénéré Luthor. En même temps, comme le lui fait remarquer Superman, les habitants de Kandor ont toujours fait passer la science avant tout, avant l'humain, et en cela ils ressemblent à Luthor et sont dissemblables au possible de leur frère kryptonien.

Ne vous attendez pas à de l'action à chaque page : cette mini-série est, pour l'instant, avant tout psychologique, c'est une étude caractère. En dehors de la première scène, où Bryan Hitch s'en donne à coeur joie sans son exercice favori, la mise en scène de destructions massives, avec un énorme engin robotique et le sauvetage tout aussi ahurissant de Superman dans la ville meurtrie par Luthor, tout le reste se concentre sur les échanges entre les deux ennemis et différents subterfuges pour tenter de guérir Lex.

Mais évidemment, sous le crayon de Hitch, même ces moments calmes, tranquilles, deviennent épiques grâce à un découpage composé d'images aux dimensions très généreuses et grouillantes de détails. Des splash-pages, des doubles pages extraordinaires ponctuent l'histoire et sa progression, comme pour prouver que le jardin secret de Superman égale en démesure les constructions de Luthor. Hitch donne à la Forteresse de Solitude une envergure ahurissante, à Kandor tout le foisonnement d'une vraie cité (même miniaturisée), à la Zone Fantôme tout le cadre inquiétant requis. La figuration est importante, c'est impressionnant.

Bien entendu, tout ça n'a rien de naturel : les poses que prennent les personnages sont toujours iconiques, comme s'ils se savaient filmés, sous leur meilleur profil. Superman a une majesté intouchable, Luthor une morgue immuable. L'apparition de Zod confère au vilain une aura maléfique, revancharde particulièrement prégnante, entouré de ses sbires.

Mais pour moi, le vrai point noir ne réside pas là. Après tout, on ne va pas demander à Hitch de se calmer : on sait ce qu'on va lire en découvrant ses planches et on peut difficilement faire la fine bouche devant la force de travail du dessinateur, qui n'a jamais été plus productif que ces dernières années, sans rien lâcher sur le plan du perfectionnisme.

Non, ce qui gâche un peu la vue, c'est l'encrage, confié à Kevin Nowlan. De manière générale, je n'aime pas les encreurs avec une technique trop appuyée. Klaus Janson a massacré John Byrne jadis, tout comme Bill Sienkiewicz a défiguré aussi bien John Buscema que Goran Parlov. Je préfère les encreurs qui s'adaptent au trait de l'artiste et l'embellissent plutôt que d'avoir l'air de vouloir redessiner leurs crayonnés.

Et Kevin Nowlan a une personnalité trop affirmée pour que sur du Hitch, on ne sente pas ses retouches. Les deux hommes avaient collaboré sur Batman's Grave et Hitch avait fini par se passer de Nowlan, visiblement peu satisfait du résultat. J'espère qu'il aura eu le temps de reprendre les choses en main ici aussi parce qu'il est trop évident qu'il a complètement repris le visage de Superman par rapport à la façon dont Hitch le dessine, et il ajoute volontiers des traits, des hachures inutiles, qui surchargent quelque chose qui est déjà touffu. Plus globalement, je trouve que le trait de Nowlan est trop fin pour Hitch, à qui conviennent mieux des encreurs un peu plus gras, ou en tout cas qui veulent moins fignoler (comme Paul Neary, Andrew Currie, ses deux collaborateurs habituels).

Ce premier épisode, malgré ce bémol graphique, est en tout cas prometteur et accrocheur. Qui plus, intégré au DC Black Label, ce récit peut se permettre plus de libertés qu'une aventure dans la continuité et nul doute que Waid et Hitch sauront en tirer profit.

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